Le texte suivant, sous forme de dialogue, est extrait d'une longue série dédiée au monde de la justice. Plus précisément, il s'agit de scènes, de fragments, extrait d'un exercice professionnel que je pratique de longue date. Comme il se dit à la telloche, toute ressemblance avec une histoire vécue dans la vraie vie ne serait que pure coïncidence… quoi que. Le héros qui, quant à lui, ne met pas totalement étranger, répond au nom un tantinet ridicule de « Barnabé », patronyme qu'il arbore non sans fierté.Médiation
La scène se passe dans une pièce nue, juste meublée d’une longue table. À chaque bout, assis, un homme et une femme. Au milieu, une chaise vide. Silence pesant. Jeu de regards entre les personnages.
La femme – je…je..
L’homme – moi non plus
La femme – l’heure...t’as-vu l’heure ?
L’homme – il est en retard.
La femme – pour une fois que ce n’est pas toi !
L’homme – connasse !
La femme – Merci ! j’ai rien demandé, moi.
L’homme – Ni moi !, c’est le juge.
La femme – alors, on fait quoi ?
L’homme – je sais pas toi, mais moi, je me tire.
La femme – courageux, hein, comme d’habitude. Pauvre con !
L’homme – salope !
La femme – ordure !
L’homme – vieille peau !
La femme – impuissant !
(À ces mots, l’homme se lève assez violemment et avance vers la femme)
L’homme – mais je vais te la démonter cette pétasse
(À ce moment précis, la porte s’ouvre et apparaît Maître Barnabé)
Barnabé – quelque chose me dit que j’arrive au bon moment.
L’homme – c’est quoi, cette connerie de médiation là ?
La femme – vous êtes témoin ! Si vous n’étiez pas arrivé, il me tapait dessus.
L’homme – mais pas du tout ! C’est elle qui m’a provoqué.
Barnabé – holà, holà. On se calme. Je me présente, maître Barnabé, avocat et accessoirement médiateur. Ensuite, je ne suis témoin de rien du tout. Vous êtes Monsieur et Madame Carmouze, n’est-ce pas ?
La femme – pardon, je suis Madame Shalimar, Carmouze, c’est son blase et je lui laisse.
L’homme – ça n’est pas que tu me le laisses. La vérité c’est que je t’interdis de porter mon nom, tu m’entends, je te l’interdis.
Barnabé – attendez, attendez. Vous n’êtes pas encore divorcés tous les deux si je ne me trompe.
L’homme – on est passé devant le juge, quand même.
Barnabé – oui, mais bon, le jugement de divorce n’a pas encore été prononcé.
La femme – non.
Barnabé – alors, Carmouze, c’est toujours votre nom d’usage, votre nom d’épouse.
La femme –pas pour longtemps.
Barnabé – eh bien, justement, il faut qu’on parle de tout cela. votre nom, les enfants et plein de choses. C’est pour ça que j’ai été nommé médiateur dans votre affaire, pour qu’on règle ensemble tous ces problèmes enfin, si c’est possible.
La femme – moi, je veux bien essayer de m’arranger, mais c’est l’autre-là
qui veut pas.
Barnabé – je suis désolé, on ne peut envisager une médiation que si les deux parties sont demandeuses. La loi est formelle. Monsieur Carmouze, pourquoi êtes-vous là si vous n’êtes pas demandeur à la médiation ?
L’homme – c’est le juge. Alors moi, j’ai pas osé dire non.
Barnabé – écoutez, moi je ne force personne. si vous avez l’impression qu’on vous tord le bras on arrête tout de suite.
L’homme – OK., C’est bien ce que je disais salut, je me tire.
La femme – regardez-moi ce lâche ! Comme toujours, il fuit. Pas foutu d’assumer ses responsabilités, de prendre sa vie en main. Mais vas- y, vas -y, fous le camp, pauvre mec !

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(il fait volte-face et s’assoit à sa place initiale) – Allez, on y va…
(Il sort son carnet de chèques) combien ?
Barnabé – combien quoi ?
L’homme – la pension, combien ? Vous êtes avocat, non ? Alors, vous savez combien ça fait, pour deux enfants.
Barnabé – vous allez un peu vite en besogne, Monsieur Carmouze. Peut-être conviendrait-il auparavant d’évoquer la question de la résidence des enfants.
La femme – tout a toujours été ramené à une question de fric avec lui.
L’homme – c’est pour ça que tu m’as épousé, non ? Pour mon carnet de chèques.
La femme – vous entendez ! Vous voyez comme il me traite ! Je veux que vous le disiez au juge.
L’avocat –. Je ne dis rien au juge, moi. Tout ce qui se dit ici doit rester entre ses murs.
L’homme – bien fait pour ta gueule pauvre idiote.
Barnabé (haussant le ton) – Monsieur Carmouze, ça suffit ! Ne profitez pas de la situation, par ce que si vous continuez, je ne dirais peut-être rien au juge, mais je vais appeler la sécurité. Il y a des limites, tout de même. On va établir des règles : First, on ne s’insulte pas.
La femme – ça va le frustrer.
Barnabé – Deuzio, on parle chacun son tour et avec mon autorisation, compris ?
L’homme – ça va lui faire drôle !
Barnabé – qu’est-ce que je viens de dire ?
L’homme – OK, OK.
Barnabé – Madame Carmouze, vous avez combien d’enfants ?
L’homme – Deux, mais je pensais que vous connaissiez notre dossier.
Barnabé – d’abord, je connais votre dossier ; ensuite je ne vous ai pas donné la parole. Madame Carmouze…s’il vous plait…
La femme – trois !
Barnabé et l’homme (
en même temps) – commença, trois ?
L’homme – elle est folle. Je vous assure, maître, on n’en a que deux.
Barnabé – vous vous moquez de moi, tous les deux. Vous savez quand même combien vous avez d’enfants !
L’homme – deux.
La femme – trois.
Barnabé – Pardon, pardon, vous voulez dire que vous avez un enfant d’une autre union, peut-être.
L’homme – Quelle autre union ? Il n’y a pas eu d’autre union. On s’est connu à seize ans. Enfin, moi, j’en avais 17 et elle, 16.
Barnabé – depuis votre séparation, alors.
L’homme – impossible, on est séparé depuis six mois, elle aurait pas eu le temps.
Barnabé – Madame Carmouze, je vous en prie, expliquez-vous !
La femme – c’est pourtant simple. Je suis enceinte.
L’homme – quoi ! ! et de qui ?
Bernabé – permettez-moi, chère Madame,, de vous présenter toutes mes félicitations. Mais est-ce bien le moment ?
L’homme – mais de qui, nom de Dieu ? Il n’est pas question que j’assume un bâtard.
La femme – ce n’est pas un bâtard.
L’homme – six mois et ce n’est pas un bâtard ! Tu te fous de ma gueule, là !
Barnabé – permettez, Monsieur Carmouze, que je reprenne ma casquette d’avocat ; je ne connais pas la future date de naissance de l’enfant, mais s’il vient au monde moins de 300 jours après votre séparation, la présomption «pater his est » s’applique ; je suis désolé…
L’homme – la quoi ? c’est quoi ce bordel ?
Barnabé – la présomption de paternité. Bref Vous serez le père que vous le vouliez ou non. Donc, je note, trois enfants.
La femme – ah tu vois !
L’homme – ça va pas non ? Ça ne va pas se passer comme ça.
Barnabé – eh bien, Monsieur Carmouze, je crains que si, à moins que…
L’homme – que quoi ?
Barnabé – que vous n’engagiez une action en contestation de paternité, mais, bon, je vous préviens, ce n’est pas donné, ça va vous coûter la peau du…
L’homme – et puis quoi encore ? Ça me coûtera ce que ça me coûtera ; j’en ai rien à foutre
La femme – de toute façon, ce n’est pas un bâtard.
L’homme – alors, tu vas me dire comment et où !
La femme – tu as la mémoire courte, mon chéri.
L’homme – putain ! M’appelle pas mon chéri, s’il te plaît !
La femme – il y a six mois, au Lavandou, tu ne te souviens pas ?
L’homme – comment ça, au Lavandou, il y a six mois…
La femme – La chanson ! Tu ne te souviens pas de la chanson (elle s’adresse à Barnabé) comme vous l’aurez noté, maître il a toujours été très romantique.
L’homme – la chanson, quelle chanson ?
La femme – on revenait d’une promenade dans les lavandes. Le soir tombait. On commençait à se chipoter, tous les deux. Tu te rappelles, dans le gîte qu’on avait loué il y avait un vieux tourne-disque et des 45-tours.
L’homme – ah dis donc, ça m’était complètement sorti de…
La femme – le matin, on avait parlé de se séparer.
L’homme – Ah ouais , ah ouais ouais, quelle connerie que cette daube de chanson au sirop de je-ne-sais-quoi.
La femme – n’empêche qu’il t’avait fait de l’effet, le sirop. Tu te souviens du nom de la chanteuse ?
L’homme – Attends…Jane Manson, je crois. Un truc comme ça
La femme (elle fredonne) – « faisons l’amour avant de nous dire adieu »
Barnabé – et ?
La femme – et voilà.