Bon, voilà ma participation au défi de mars. Ca n'a pas énormément de sens, j'ai des personnages pas super utiles mais au moins je l'ai fini. Le titre n'a pas vraiment plus de sens que la pièce d'ailleurs (

) Voilà

Les autruches insomniaques
PersonnagesMonsieur Bernard Pointcarré
Madame Elise Pointcarré
Monsieur Alphonse Aldus
Madame Pénélope Aldus
Monsieur Zebriewitch
Anna
Le docteur
Le facteur
La pièce se déroule dans le salon de Monsieur et Madame Pointcarré.
SCENE IMonsieur et Madame Pointcarré
(Le rideau se lève. Monsieur Pointcarré (sans chaussure) traverse la scène d’un pas pressé. A mi- parcours, il s’arrête et tâte nerveusement les poches de son smoking.)BERNARD POINTCARRE : (
reprenant la marche) Mais où l’ai-je mis, bon sang ?
ELISE POINTCARRE : (
des coulisses) Où tu as mis quoi ?
BERNARD POINTCARRE : Cette question… Mon nœud en duvet d’autruche.
ELISE POINTCARRE : (
arrivant par la porte de gauche) Tu as regardé dans la commode ?
BERNARD POINTCARRE : Oui. (
un temps) Heu, non.
ELISE POINTCARRE : (
l’air étonné) Dommage. Il n’y est pas.
BERNARD POINTCARRE : Ca semble assez logique. Depuis que la chatte y a élu domicile, je passe mon temps chez le médecin. Et honnêtement, il y a beaucoup de choses plus belles à voir.
ELISE POINTCARRE : (
souriante) Moi, par exemple ?
BERNARD POINTCARRE : (
observant minutieusement sa femme) Si on aime le cubisme, oui.
ELISE POINTCARRE : Quoi ?
BERNARD POINTCARRE : Je dis : « Simon perd le civisme, oui. »
ELISE POINTCARRE : (
perplexe) Ca n’a aucun sens.
BERNARD POINTCARRE : Ca dépend du point de vue. (
cherchant autour de lui) Où sont mes souliers ?
ELISE POINTCARRE : Ils viennent à quelle heure ?
BERNARD POINTCARRE : (
fixant sa femme pendant un temps) Mes souliers ?
ELISE POINTCARRE : Non, pas tes souliers ! Tes invités. Qui c’est, d’ailleurs ?
BERNARD POINTCARRE : (
très rapide et cherchant toujours autour de lui) Alphonse Aldus. Un ancien ami que j’ai connu en primaire et accessoirement le beau-frère de la demi-sœur du petit-fils du troisième cousin au second degré de l’oncle du prêtre du village où j’ai grandi. (
normalement) Et sa femme.
ELISE POINTCARRE : Ha ? Et donc, ils viennent quand ? (
Un coup de sonnette retentit)
BERNARD POINTCARRE : Maintenant. (
un temps) Non, pas maintenant. Anna, allez ouvrir !
SCENE IIMonsieur et Madame Pointcarré, le facteur, Anna
(Anna apparaît par la porte de gauche, ouvre la porte de droite et fait signe au facteur d’entrer)BERNARD POINTCARRE : (
marchant vers la porte de droite et tendant la main) Ce cher Alph… facteur. (
décontenancé puis furieux) Que faites-vous ici ?
LE FACTEUR : Rien.
BERNARD POINTCARRE : (
s’énervant) Rien ? Vous ne faites rien ?
LE FACTEUR : Non. Vous non plus d’ailleurs.
BERNARD POINTCARRE : (
se retournant vers sa femme) Quel culot ! (
se replaçant face au facteur, sarcastique) Et que nous vaut l’honneur de votre visite ?
LE FACTEUR : J’ai oublié…
BERNARD POINTCARRE : (
s’énervant davantage et interrompant le facteur) Ha bon ? Vous avez oublié ? Donc vous sonnez chez les gens et puis vous oubliez ? Vous n’avez pas du courrier à distribuer plutôt ?
LE FACTEUR : (
inquiet) Jamais à vingt-et-une heures, monsieur.
BERNARD POINTCARRE : (
en aparté) Les fonctionnaires, tous les mêmes… (
aux autres) Bon. (
fermant la porte violemment et s’adressant au facteur) Au revoir. (
un temps, les Pointcarré retournent au centre de la pièce, nouveau coup de sonnette)
BERNARD POINTCARRE : Il est gonflé celui-là ! (
hurlant) Anna !
ANNA : Pas la peine de crier, monsieur. Je suis toujours là. (
elle ouvre une nouvelle fois la porte, le facteur est toujours là)
BERNARD POINTCARRE : (
s’adressant au facteur) Vous êtes encore là, vous ?
LE FACTEUR : Oui.
BERNARD POINTCARRE : Et vous ne faites toujours rien ?
LE FACTEUR : Ca dépend.
BERNARD POINTCARRE : Ca dépend de quoi ?
LE FACTEUR : Ca dépend si vous me laissez ou non finir ma phrase cette fois…
BERNARD POINTCARRE : Votre phrase ?
LE FACTEUR : (
tellement vite que c’est incompréhensible) J’ai oublié mon képi ce matin, en vous apportant le courrier, lorsque votre femme m’a offert un café. Alors je vous prierais de me le restituer dans les plus brefs délais.
BERNARD POINTCARRE : Je n’ai rien compris. Vous avez encore oublié quelque chose ?
LE FACTEUR : (
désignant les chaussettes de Monsieur Pointcarré) Vous avez bien oublié de mettre vos souliers. J’ai le droit d’oublier mon képi.
ELISE POINTCARRE : (
apportant le képi au facteur) Voilà. Maintenant laissez-nous s’il vous plait. Nous avons des invités.
LE FACTEUR : Ha ? Qui ?
BERNARD POINTCARRE : (
toujours énervé) Mais ça ne vous regarde pas, enfin !
LE FACTEUR : Bon. Moi, pour ce que j’en disais. J’aurais pu vous aider.
ELISE POINTCARRE : Nous aider ?
LE FACTEUR : Ben, dans l’immeuble, quand je suis entré tout à l’heure, j’ai vu un couple qui se faisait sortir d’à peu près tous les appartements à grands coups de pieds.
BERNARD POINTCARRE : Alors ce sont eux. Ils n’ont jamais réussi à se servir d’une sonnette.
ELISE POINTCARRE : Pourtant tu croyais que c’était eux quand on avait sonné, tout à l’heure.
BERNARD POINTCARRE : Oui, je me disais aussi…
LE FACTEUR : Bon, je file moi.
BERNARD POINTCARRE : (
lui tournant le dos et fermant de nouveau violemment la porte) C’est ça…
SCENE IIIMonsieur et Madame Pointcarré, Anna, Monsieur et Madame Aldus, Monsieur Zebriewitch
(Anna ferme la porte et dresse la table. Monsieur Pointcarré passe par la porte de gauche et revient aussitôt avec une pair de chaussures dans la main.)BERNARD POINTCARRE : (
s’asseyant et commençant à lacer ses chaussures) Qu’est-ce qu’il voulait cet abruti, en fin de compte ?
ELISE POINTCARRE : Rien d’important. Il avait oublié son képi.
BERNARD POINTCARRE : (
dépité) Ha ? Il a posté son képi à la place de notre courrier, c’est ça ?
ELISE POINTCARRE : (
ignorant la remarque de son mari) Il pleuvait ce matin alors je l’ai invité à prendre une tasse de café.
BERNARD POINTCARRE : Hé ben… C’est du beau. Tu penseras à m’inviter au baptême ?
ELISE POINTCARRE : Ce que tu peux être bête. (
un coup de sonnette retentit, suivi d’un autre qui dure jusqu’à ce qu’Anna ouvre la porte en essayant de se boucher les oreilles)
BERNARD POINTCARRE : Ce sont eux cette fois.
ALPHONSE ALDUS : (
avançant, bras tendus) Ce cher Bernard !
BERNARD POINTCARRE : Ce cher Alphonse !
ALPHONSE ALDUS : (
se dirigeant vers Madame Pointcarré) Cette chère Elise !
BERNARD POINTCARRE : (
vers Madame Aldus) Cette chère… Heu… Madame.
PENELOPE ALDUS: (
tirant Monsieur Zebriewitch par le bras) Nous vous avons apporté quelque chose.
BERNARD POINTCARRE : (
souriant) Ho, un clochard ! C’est gentil, il ne fallait pas.
PENELOPE ALDUS: Ho, ce n’est rien, vous savez.
BERNARD POINTCARRE : Non mais il ne fallait (
insistant) vraiment pas !
ALPHONSE ALDUS : (
à sa femme) Tu es vraiment pénible.
PENELOPE ALDUS: Non. Mon nom est Pénélope.
ALPHONSE ALDUS : (
offrant une boîte de pralines aux Pointcarré) Bref. (
insistant) Voici (
normal) un petit quelque chose pour vous.
BERNARD POINTCARRE : Et le clochard ?
ALPHONSE ALDUS : Ha, lui. Il nous faisait rire alors on l’a emmené.
MONSIEUR ZEBRIEWITCH : (
fort accent russe) Je pas clochard ! (
montrant avec ostentation un samovar) Je vendre beaux samovars !
ALPHONSE ALDUS : (
ravi) Ha, il recommence !
ELISE POINTCARRE : Vous l’avez trouvé où ?
ALPHONSE ALDUS : Ho, pas loin d’ici. Il y avait un genre de réunion de loqueteux dans son genre. Ils essayent de vendre des bibelots qu’ils trouvent dans des bennes à ordure, je crois.
BERNARD POINTCARRE : Oui, donc il s’agit d’un antiquaire, quoi.
ALPHONSE ALDUS : Un anti quoi ?
ELISE POINTCARRE : Caire.
PENELOPE ALDUS: Non, nous revenons de Tunis.
ELISE POINTCARRE : Merci pour les pralines. (
à Anna) Anna, veuillez servir le café.
ANNA : (
en se courbant) Bien, madame. (
elle sort par la porte de gauche)
ALPHONSE ALDUS : (
dépité) Vous servez le café avant le repas ?
BERNARD POINTCARRE : C’était bien, Tunis ?
ALPHONSE ALDUS : (
désignant Madame Aldus) Voici ma femme, Pénélope.
PENELOPE ALDUS: Enchantée.
ELISE POINTCARRE : Demain, il fera encore mauvais.
BERNARD POINTCARRE : (
à sa femme) Tiens, chérie, tu n’aurais pas vu ma montre ? (
Anna réapparaît, sans café)
ANNA : (
à Madame Pointcarré) Madame, il n’y a plus de café.
ELISE POINTCARRE : Ho, c’est fâcheux.
ANNA : En fait, il n’y a plus de cafetière.
ELISE POINTCARRE : Ho, c’est dommage.
ANNA : Sinon, votre ami, il en a une.
BERNARD POINTCARRE : Qui donc, ma chère ?
ANNA : (
désignant Monsieur Zebriewitch) Le clodo là.
ELISE POINTCARRE : (
outrée) Ho, Anna ! Votre langage ! Monsieur le clodo est un grand antiquaire respectable !
MONSIEUR ZEBRIEWITCH : Je Zebriewitch.
ALPHONSE ALDUS : Vous quoi ?
MONSIEUR ZEBRIEWITCH : Moi Zebriewitch. Je vends samovars.
ANNA : (
en désignant le samovar de Monsieur Zebriewitch) Oui, ben en attendant si vous voulez du café, il faudra me passer votre machin là.
MONSIEUR ZEBRIEWITCH : Ca trésor grands-parents. Grande valeur. Pas donner. Payer.
ANNA : Bon. Il faudra se passer de café alors. (
elle quitte la pièce)
SCENE IVMonsieur et Madame Pointcarré, Monsieur et Madame Aldus, Monsieur ZebriewitchELISE POINTCARRE : (
en parlant de Anna) Ne faites pas attention à elle.
BERNARD POINTCARRE : Non. Elle est gentille mais difficile. Sa vie n’est qu’une succession de malheurs. A quatre ans, elle est la seule rescapée d’un accident d’avion. Tandis que la moitié de ses cheveux étaient déjà partis en fumée, les secouristes peinent à la sauver. Dans la précipitation, l’un d’eux lui sectionne trois doigts, la mutilant à vie. Deux ans plus tard, un train manque de lui arracher un bras. Mais en voulant s’éloigner des rails, elle se fait percuter par une voiture, qui l’envoie pendant six mois à l’hôpital. A peine sortie, une des béquilles qui la soutenaient craque et elle se fracture trois côtes. Un nouveau séjour s’impose mais les médecins se trompent durant l’opération. Ils lui greffent un troisième rein mais il est rejeté après deux jours car le groupe sanguin ne correspond pas. La faute est réparée vingt-quatre heures après, alors que notre chère Anna est à l’agonie. Durant l’opération, un défibrillateur trop chargé la foudroie et des séquelles irréversibles apparaissent. Tout cela devient rapidement un mauvais souvenir. Jusqu’au jour où, en voulant rattraper un morceau de pomme de terre coincé sous un radiateur, elle s’enfonce une fourchette dans l’œil. Depuis lors, la pauvre porte un œil de verre. A ses douze ans, Anna fait une chute de cheval et l’ambulance qui se charge d’elle fonce dans un arbre. Tout le corps médical étant indisponible, c’est un corbillard qui passait par là qui l’emmène à l’hôpital. Inutile de préciser que ses parents sont morts quand elle avait deux ans et qu’on l’a recueillie à ses quinze ans. Dernièrement, elle s’est électrocutée avec le grille-pain, alors qu’elle voulait récupérer une biscote qui y trainait depuis deux mois.
PENELOPE ALDUS: C’est très intéressant.
ALPHONSE ALDUS : Oui, vraiment. C’est terrible aussi.
BERNARD POINTCARRE : C’est encore plus terrible si je vous dis que j’ai tout inventé.
MONSIEUR ZEBRIEWITCH : Je connaître peintre comme ça.
BERNARD POINTCARRE : Ha oui ?
MONSIEUR ZEBRIEWITCH : (
agitant les bras) Oui. Il être Baradov. Peintre du tsar, malade et enfoui. Grands tableaux grande valeur. Je vendre à vous ?
ALPHONSE ALDUS : Bizarrement, son histoire manque de piquant.
ELISE POINTCARRE : C’est certain.
BERNARD POINTCARRE : (
tendant le bras vers la table) Et si nous passions à table ?
MONSIEUR ZEBRIEWITCH : J’ai mangé déjà. Mais si gratuit, alors d’accord.
ELISE POINTCARRE : (
criant) Anna !
SCENE VMonsieur et Madame Pointcarré, Monsieur et Madame Aldus, Anna, Monsieur Zebriewitch
(Anna entre par la porte de gauche, tous les autres prennent place autour de la table)ANNA : Madame ?
ELISE POINTCARRE : Veuillez servir le plat.
ANNA : (
repartant par la porte de gauche) Bien, madame.
PENELOPE ALDUS: Le plat ?
BERNARD POINTCARRE : Ce qui est plat n’a pas de volume.
PENELOPE ALDUS: C’est vous qui n’avez pas de volume.
BERNARD POINTCARRE : (
mitigé) Je ne sais pas si je dois vous remercier… ou pas…
ANNA : (
revenant avec le plat) Le thon naturel dans sa sauce chocolatée.
ALPHONSE ALDUS : (
dégoûté) Ca se mange, ça ?
ANNA : Vous avez intérêt si vous ne voulez pas passer pour un impoli.
ELISE POINTCARRE : (
révoltée) Anna ! Ce n’est pas parce que tu as raison que tu as le droit de le dire ! Sers plutôt le bain.
ANNA : Le vin, madame.
ELISE POINTCARRE : Non. C’est l’heure du bain de…
ANNA : (
interrompant Madame Pointcarré) Haaa, oui. Madame veut laver sa chatte.
ELISE POINTCARRE : (
dépitée) Anna… J’espère qu’il ne s’agit pas là d’une blague douteuse… (
Anna effectue une courbette et se dirige vers la commode)
BERNARD POINTCARRE : Excusez-la.
ALPHONSE ALDUS : Elle a souffert, on sait.
BERNARD POINTCARRE : (
à Monsieur Aldus) Tu ne manges pas ?
ALPHONSE ALDUS : Hé non. Mon médecin m’a défendu de consommer du chocolat.
ELISE POINTCARRE : Oui mais il s’agit ici d’une sauce chocolatée.
PENELOPE ALDUS: Tellement chocolatée qu’on dirait du cacao cent pour cent.
MONSIEUR ZEBRIEWITCH : C’est quoi truc blanc ?
BERNARD POINTCARRE : Le thon.
(Anna récupère l’animal dans la commode et quitte la pièce)SCENE VIMonsieur et Madame Pointcarré, Monsieur et Madame Aldus, Monsieur ZebriewitchELISE POINTCARRE : (
à son mari et Monsieur Aldus) Rappelez-moi comment vous vous êtes connus ?
BERNARD POINTCARRE : C’est simple. On s’est connu à l’école primaire.
ALPHONSE ALDUS : Il y a longtemps.
BERNARD POINTCARRE : (
pensif) Oui, oui, oui.
ELISE POINTCARRE : Mais encore ?
BERNARD POINTCARRE : Si je me souviens bien, la première chose qui m’a frappé chez Alphonse, c’est sa main.
ALPHONSE ALDUS : Il faut dire que tu avais une tête à claques aussi.
BERNARD POINTCARRE : Non, ça c’était mon frère.
ALPHONSE ALDUS : Ton frère jumeau, oui.
BERNARD POINTCARRE : Bon, peut-être. Enfin, en tout cas on est devenu amis surtout parce que tu avais des bonnes notes.
ALPHONSE ALDUS : Moi ? Non. J’étais le dernier de la classe. Tu confonds avec Henry.
BERNARD POINTCARRE : (
s’interrogeant lui-même) Henry ? Henry… Ha oui ! (
confus) Heu… Dans ce cas… Qui êtes-vous monsieur ?
ALPHONSE ALDUS : Alphonse Aldus. Enchanté, monsieur.
BERNARD POINTCARRE : De même. Bernard Pointcarré. (
désignant Madame Pointcarré) Et voici mon épouse, Elise.
SCENE VIIMonsieur et Madame Pointcarré, Monsieur et Madame Aldus, Anna, Monsieur Zebriewitch
(Anna réapparait avec un plumeau et remet l’animal dans la commode. Elle commence à nettoyer le meuble)ELISE POINTCARRE : Anna ? La suite est-elle bientôt prête ?
ANNA : Bientôt, madame.
ALPHONSE ALDUS : Pointcarré ? Ha oui, je me souviens maintenant.
ELISE POINTCARRE : Ho mais vous n’avez pas encore vu notre collection de papillons séchés. Nous avons le temps de l’admirer pendant ce temps.
(tout le monde se lève, Madame Pointcarré passe par la porte de gauche et en revient aussitôt avec sa collection. Personne n’y fait attention. Elle pose l’objet sur une table)ALPHONSE ALDUS : (
à Monsieur Pointcarré) Tu te rappelles de la blague que te sortait toujours notre professeur ?
BERNARD POINTCARRE : J’ai bien peur que oui.
ALPHONSE ALDUS : (
fier et imitant son ancien professeur) Pointcarré ! Cicéron… (
long temps d’attente, tout le monde sauf Anna le fixe, puis toujours sur le même ton) C’est que c’est rond !
BERNARD POINTCARRE : On vient d’éviter un incident diplomatique.
ELISE POINTCARRE : Oui, surtout qu’en cherchant bien, nous aussi on peut trouver quelque chose sur votre nom.
ANNA : (
criant) Al fonce à l’anus ! (
tout le monde se tourne lentement vers Anna et la fixe pendant un temps. Elle fait semblant de rien)
PENELOPE ALDUS: (
réjouie et tapant dans ses mains) Ho, c’est amusant. Et moi ? Et moi ?
ANNA : Pénélope Aldus ? Salo…
BERNARD POINTCARRE : (
criant et interrompant Anna) Bon, ça suffit !
ANNA : Je dessers ?
ELISE POINTCARRE : Non, nous n’avons pas fini de diner.
ANNA : Je disais : « J’apporte le dessert ? »
ELISE POINTCARRE : (
lasse) Ha. Oui.
(Anna quitte la pièce et y retourne aussitôt avec un nouveau plat)PENELOPE ALDUS: Déjà ?
ELISE POINTCARRE : Il est tôt.
ALPHONSE ALDUS : Ce qui ne répond en rien à la question.
BERNARD POINTCARRE : De quoi vous plaignez-vous ? Si vous n’aimez pas le chocolat, le dessert devrait vous plaire.
ANNA : (
en déposant le plat) Anchois grillés à la confiture de prunes sur son lit de paprika.
PENELOPE ALDUS: Vous êtes très poissons, n’est-ce pas ?
ELISE POINTCARRE : Non, gémeau pour ma part.
MONSIEUR ZEBRIEWITCH : C’est pas très cuisine naturelle tout ça.
ELISE POINTCARRE : Ha, vous n’aimez pas la nouvelle cuisine ?
ALPHONSE ALDUS : Je n’aime pas beaucoup le style Ikéa, non.
BERNARD POINTCARRE : (
désignant son assiette à Anna) Il faut avouer que ce truc ne ressemble à rien de connu. J’ai du mal à différencier la confiture du paprika.
ANNA : Ni l’un ni l’autre. Ce que vous me montrez là, c’est un anchois. (
regardant de plus près) Ha non, tiens. C’est une boule de poils de la chatte. (
voyant le regard soupçonneux de Monsieur Pointcarré) Quoi ? Je n’ai rien dit cette fois. (
coup de sonnette)
SCENE VIIIMonsieur et Madame Pointcarré, Monsieur et Madame Aldus, Anna, Monsieur Zebriewitch, Le docteur, Le facteur
(Anna va ouvrir et laisse entrer le docteur)LE DOCTEUR : (
entrant et tendant la main à Monsieur Pointcarré) Bonjour, je suis le docteur.
BERNARD POINTCARRE : (
serrant la main du docteur et s’adressant à lui) Et vous avez presque brisé le quatrième mur.
LE DOCTEUR : Ce que vous venez de faire, mon cher. (
regardant autour de lui) Bon, où est le malade ?
BERNARD POINTCARRE : Quel malade ?
LE DOCTEUR : (
sentencieux) Hé bien, le malade qui n’est pas en bonne santé.
BERNARD POINTCARRE : (
perplexe) Parce qu’il y a des malades sains ?
LE DOCTEUR : (
offusqué) Si vous êtes d’humeur à sortir un calembour, je vous en prie. Ne vous gênez pas.
BERNARD POINTCARRE : Il ne manquerait plus que ça. Et comment peut-on être malade et sain en même temps ? Malade des seins ?
LE DOCTEUR : En étant médecin, tiens.
BERNARD POINTCARRE : Ha ? Je pensais plutôt à une salade de mains. (
se reprenant) Bref ! Que nous vaut…
LE DOCTEUR : (
interrompant Monsieur Pointcarré, las) … le plaisir de votre visite et tout ça. J’allais vous le demander.
ELISE POINTCARRE : C’est logique…
LE DOCTEUR : Ha oui, le malade ! Il s’agit peut-être de l’homme allongé juste devant votre porte ?
ALPHONSE ALDUS : Ca se peut.
LE DOCTEUR : (
aux hommes présents dans la pièce) Venez m’aider.
(Monsieur Zebriewitch pose son samovar sur la table et rejoint les autres. Ils transportent le corps du facteur à l’intérieur et l’allongent sur le sol)PENELOPE ALDUS: Tiens, c’est l’homme qu’on a vu tout à l’heure. Qu’est-ce qu’il fait encore là ?
ALPHONSE ALDUS : Tu veux dire le même homme qui était déjà allongé devant la porte, tout à l’heure ?
PENELOPE ALDUS: Je ne crois pas en avoir vu d’autre.
ALPHONSE ALDUS : Alors c’est lui.
ELISE POINTCARRE : (
surprise) Ho, c’est le facteur !
LE DOCTEUR : Lui non plus n’a pas de nom ?
BERNARD POINTCARRE : C’est cela, oui.
(Le docteur pose sa mallette sur la table et pousse le samovar plus loin)MONSIEUR ZEBRIEWITCH : (
furieux) Hé ! Pas toucher merveille Sainte Patrie ! Plus cher que l’or et plus beau que cristal !
LE DOCTEUR : (
confus) Désolé, j’ignorais que votre pot de chambre avait une valeur sentimentale.
BERNARD POINTCARRE : (
soutenant le facteur par le torse et le posant délicatement sur le sol, tout en s’adressant au docteur) Dites, au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, on a un mourant sur les bras.
LE DOCTEUR : Cet homme est loin d’être mort.
BERNARD POINTCARRE : Ha ? C’est un mourant sain, alors ?
LE DOCTEUR : (
reniflant) Ca sent le chocolat, ici.
BERNARD POINTCARRE : Je ne vois pas le rapport.
LE DOCTEUR : Quelle heure est-il ?
BERNARD POINTCARRE : (
à sa femme) Chérie, où est ma montre ?
ELISE POINTCARRE : (
à Anna) Anna, tu es ta mormone.
ANNA : Pardon, madame ?
ELISE POINTCARRE : Où est ma montre ?
ANNA : Je ne sais pas, madame.
PENELOPE ALDUS: C’est fâcheux.
BERNARD POINTCARRE : Peut-être dans la commode ? Anna, allez voir.
ANNA : La chatte dort. Il vaudrait peut-être mieux ne pas la déranger.
BERNARD POINTCARRE : (
criant) Anna !
ANNA : (
s’approchant de la commode) Bien, monsieur.
(Alors qu’elle touche la commode, un miaulement sourd sort de la commode. Tous sont pétrifiés de peur. Anna ne bouge plus)BERNARD POINTCARRE : (
impatient) Anna !
ANNA : (
calme) Non, monsieur.
BERNARD POINTCARRE : (
de moins en moins patient) Anna, je veux ma montre ! Tout de suite !
ANNA : (
toujours aussi calme) Allez-vous faire voir, monsieur.
ALPHONSE ALDUS : (
choqué) Anna !
PENELOPE ALDUS: (
en aparté avec Monsieur Aldus) Tu te trompes de rôle.
LE FACTEUR : (
levant la tête (son képi reste au sol)) Ma tête… Où suis-je ?
ELISE POINTCARRE : (
surpris et pointant Le facteur du doigt) Ho ! Le mort se relève !
PENELOPE ALDUS: C’est qu’il ne devait pas être très mort.
ALPHONSE ALDUS : Il n’a pas l’air tout à fait vivant non plus.
BERNARD POINTCARRE : C’est un vivort, alors.
LE DOCTEUR : (
écartant les autres et s’agenouillant près du facteur) Place ! Place ! Laissez-moi l’ausculter. (
il sort de sa mallette une panoplie d’objets bizarres, tâte le thorax du facteur et pousse une série de gémissements) Mmmh, mmmh, mmmh ! Oui, je vois. Oui, d’accord. Je vois.
MONSIEUR ZEBRIEWITCH : Quoi vous voir ?
LE DOCTEUR : (
réfléchissant tout haut) Ha tiens ? Oui. (
un temps) Je vois, je vois…
ELISE POINTCARRE : (
au docteur) Mais que voyez-vous à la fin ?
LE DOCTEUR : (
exaspéré) Je vois, c’est tout. (
un temps) Peut-être que le diagnostic vous intéresse ?
BERNARD POINTCARRE : (
haussant les épaules, parlant à peine assez fort pour que les autres l’entendent) Non…
LE DOCTEUR : Ca ne fait rien, je vous le donne quand même. Cet homme souffre d’une déchirure au niveau du pancréas gauche, aggravée par un trop plein de fibres de verre au niveau des clavicules sous-hormonales. Mais ce n’est pas tout. Je remarque qu’il a avalé un bol de riz trop rapidement il y a deux jours. Je crains des complications au niveau des avant-bras. Et… (
soudainement surpris) Ho ! Je viens de déceler un taux trop important d’acide désoxygyrorgaturique. (
il réfléchit quelques secondes, puis abasourdi) Ce qui signifie qu’il risque de fondre dans les minutes à venir ! Tout ceci provient très certainement de sa calvitie naissante. (
normalement) Et voilà.
ALPHONSE ALDUS : (
admiratif) La médecine, c’est prodigieux tout de même. (
Anna quitte la scène par la porte de gauche)
MONSIEUR ZEBRIEWITCH : Lui vrai docteur ?
LE FACTEUR : Sinon, j’ai plutôt mal à la tête.
BERNARD POINTCARRE : Pas normal ça. A force de tout oublier, il ne doit pas y avoir grand-chose dedans. (
il remarque le képi) Tiens, vous semez encore des képis ? (
il s’approche du képi pendant qu’Anna réapparait par la porte de gauche)
LE FACTEUR : Non. Enfin, je ne sais pas. Je crois que j’ai pris votre porte sur la tête tout à l’heure. (
il se masse la tête)
ANNA : (
posant sur la table un plateau rempli de bols) La soupe aux canards crevés, sur son lit de boyaux de chats. (
tout le monde la regarde)
ELISE POINTCARRE : (
à Anna, confuse) Anna, on vous avait dit « une description romantique et alléchante » …
ANNA : C’est tout ce que m’a inspiré cet espèce de fond d’égout, madame. (
un temps) Il n’y a plus de biscote.
ELISE POINTCARRE : Ce n’est pas grave. Apportez les pralines des Aldus à la place.
ANNA : Pour la soupe ?
ELISE POINTCARRE : Oui. C’est de la nouvelle nouvelle cuisine.
BERNARD POINTCARRE : (
sortant sa montre du képi, joyeux) Haha ! Elle est là ! (
au facteur, furieux) Et pourquoi je trouve ma montre dans votre képi ?
LE FACTEUR : (
observant la montre) Tiens, c’est curieux. Il est déjà si tard ?
BERNARD POINTCARRE : (
hors de lui) Pourquoi ma montre est dans votre képi ?
LE FACTEUR : (
se relevant enfin) C’est vous qui êtes piqué.
BERNARD POINTCARRE : (
empoignant Le facteur) Je vais vous boxer et ça va être épique !
ANNA : (
les bras croisés, lasse) Ha, ces casse-pieds… Ils forment une belle équipe…
ELISE POINTCARRE : (
affolée) Séparez-les !
MONSIEUR ZEBRIEWITCH : Tout ça pas très bien. Je partir maintenant. Au revoir tous. (
il s’en va par la porte de droite, tout le monde le fixe)
ELISE POINTCARRE : (
lançant le samovar par la porte de droite) Monsieur Zevaisvitch ! Vous oubliez votre urinoir ! (
bruit d’objet brisé, Monsieur Zebriewitch hurle en coulisse tandis qu’Anna ferme la porte)
ANNA : (
se frottant les mains, satisfaite) Une bonne chose de faite.
SCENE IXMonsieur et Madame Pointcarré, Monsieur et Madame Aldus, Anna, Le docteur, Le facteurLE FACTEUR : (
à Monsieur Pointcarré) Et maintenant, vous pouvez éventuellement me lâcher ?
BERNARD POINTCARRE : Pas tant que je n’ai pas de réponse ! Pourquoi votre képi s’est retrouvé dans ma montre ?
LE FACTEUR : (
pensif) Parce que les nœuds de papillon en duvet d’autruche se font rares ?
BERNARD POINTCARRE : Ha, n’essayez pas de m’embrouiller l’esprit, hein. C’est déjà assez dur comme ça.
LE DOCTEUR : C’est même rude.
ELISE POINTCARRE : Demain, il pleuvra même dru.
PENELOPE ALDUS: (
déconfite) Ca ne va pas recommencer…
ANNA : (
sarcastique) Si vous comptez avaler vos soupes froides, dites-le. C’est certainement bon avec du chocolat tiède.
ELISE POINTCARRE : (
à Anna) Pff, vous n’avez aucun goût, ma pauvre.
LE FACTEUR : (
à Monsieur Pointcarré) Je tiens à vous signaler que j’ai du courrier à distribuer. Ce serait un comble que je sois en retard sur l’horaire à cause d’une montre.
BERNARD POINTCARRE : Je croyais que vous ne distribuiez pas de courrier à vingt-et-une heures.
LE FACTEUR : A vingt-et-une heures, non. Mais à vingt-deux heures et seize minutes, oui.
PENELOPE ALDUS: Comme c’est étrange.
LE FACTEUR : Les insomniaques ont aussi le droit de recevoir du courrier.
BERNARD POINTCARRE : (
lâchant enfin Le facteur, triomphateur) Haha ! Voilà qui explique tout ! (
il remet sa montre dans le képi et donne le tout au facteur)
LE DOCTEUR : Quoi donc ?
BERNARD POINTCARRE : Si ma montre a fait le tour de la ville, c’est parce que les autruches ne s’accouplent plus lorsqu’il pleut. Or, comme le café a tendance à faire disparaître les souliers et que le mauvais caractère des domestiques est intimement lié au nombre de coups de sonnette, il fait de moins en moins beau. Tout ceci provoque une augmentation de nuages et donc plus de précipitations qu’avant. Ce qui réduit encore le taux de fécondité des autruches. Et donc j’ai de moins en moins de chances de revoir ma montre. C’est un cercle vicieux.
PENELOPE ALDUS: C’est pervers.
ALPHONSE ALDUS : C’est une conclusion intéressante.
LE DOCTEUR : Mais hâtive.
LE FACTEUR : (
parlant de Monsieur Pointcarré) Ce pauvre homme ne sait plus ce qu’il dit.
BERNARD POINTCARRE : (
s’énervant un peu plus à chaque remarque, s’adressant à tous) Vous m’énervez. (
les six prochaines répliques s'enchaînent sans interruption)
ALPHONSE ALDUS : C’est certain.
ANNA : C’est malsain.
LE DOCTEUR : C’est la vie.
ELISE POINTCARRE : C’est ainsi.
PENELOPE ALDUS: C’est un fait.
LE FACTEUR : C’est vrai.
BERNARD POINTCARRE : (
poussant les autres vers la porte de droite, énervé) J’en ai marre de vos képis, de vos phrases pas finies, de votre thon au chocolat et de vos soupes aux pralines. Laissez-moi en paix ! (
Monsieur et Madame Aldus, Le docteur et Le facteur quittent la scène par la porte de droite, en réclamant. Anna et Madame Pointcarré quittent la scène par la porte de gauche sans rien dire)
SCENE XMonsieur Pointcarré et Madame Pointcarré (coulisses)
(Monsieur Pointcarré traverse la scène d’un pas pressé. A mi- parcours, il s’arrête et tâte nerveusement les poches de son smoking.)BERNARD POINTCARRE : (
reprenant la marche) Mais où l’ai-je mis, bon sang ?
ELISE POINTCARRE : (
des coulisses) Où tu as mis quoi ?
BERNARD POINTCARRE : Cette question… Mon nœud en duvet d’autruche…
(Noir, le rideau se ferme)