Les amis, je n'ai plus 7, mais 6 défis en cours !
Milora, je te défie.... *balance par terre un gant en caoutchouc rose*... d'écrire un texte autobiographique concernant ton enfance (attention, l'authenticité est requise !)
Ce fut un peu difficile - c'est donc bien un défi ! - et j'ai, comme d'habitude, un petit peu triché. Oui parce que la scène n'a sans doute pas eu lieu
exactement comme je la dépeins, c'est plutôt un pot-pourris de plusieurs moments similaires. J'ai tenté de retrouver l'état d'esprit, les sensations et les sentiments de l'époque... Mais après tout, c'est le propre des autobiographies, non ?
Voilà, c'est assez rare chez moi, mais le résultat est donc un texte assez personnel... ce qui ne vous empêche pas de donner critiques acérées !
_________________________
La traversée de tous les dangers
Je traversai la grange à pas de velours. Le sol de béton ne faisait aucun bruit sous mes pieds. Dans le jardin, le soleil baignait de jaune l’herbe mal tondue et les petits murets. Je parvins sur le seuil en silence, maintenant un équilibre précaire pour ne pas toucher la pelouse. La rumeur des feuilles s’élevait à chaque coup de vent, fraîche et envoûtante. A la moindre alerte, tout était perdu. Je ne donnais pas cher de notre peau s’ils nous rattrapaient. J’avais déjà été punie – souvent. S’enfuir était devenu la dernière, la seule alternative à la résidence forcée entre ces murs ; et elle valait tous les dangers.
Je me retournai pour vérifier que mes amis me suivaient. Il y avait Thomas, Nicolas, Suzanne et Emilie. Suzanne et Emilie, il fallait que je fasse un effort pour me souvenir de leurs prénoms, parce qu’il y en avait tellement, des jolis prénoms pour les filles, que je changeais souvent. Thomas et Nicolas, eux, je ne risquais pas de me tromper : je prenais toujours ceux-là. Quand je serais grande, j’aurais quatre enfants : d’abord deux filles, et puis deux garçons – des jumeaux, pour aller plus vite – et je les appellerais comme ça.
Ils me confirmèrent que tout allait bien par un hochement de tête invisible. C’était le moment.
Silencieux comme des ombres, nous quittâmes l’orphelinat, bondissant de pierre en pierre pour ne pas déclencher les alarmes. Le premier contact sur le sol donnerait l’alerte. Pour ma part, je réussis sans peine ; mais Emilie, la plus jeune d’entre nous, avait du mal. Elle était effrayée, il fallait la comprendre. Mais comme dans
Les Goonies, on ne la laisserait pas en arrière. Je tendis la main pour l’aider et repris mon trajet.
L’après-midi tombait et le vent était frais, mais je n’avais pas envie de mettre le sweat attaché à ma taille. C’était moins pratique que les manches courtes pour ce genre d’aventures. Je glissai de ma pierre, décidai que ça ne comptait pas, et repris mon chemin semé d’embuches.
Voilà, l’allée centrale du jardin était finie. Nous nous trouvions à présent à l’orée d’une forêt sombre et mystérieuse. Dans ma tête, son image se superposa un instant à la large cour herbue où Zizou ronronnait paisiblement. Il faudrait faire attention en passant devant le fauve sanguinaire qui hantait ces bois.
J’échangeai quelques répliques muettes avec Thomas qui était tenté de revenir en arrière, puis nous sautâmes de nos pierres pour rejoindre l’abri tout relatif de la forêt. Soudain, l’alarme retentit avec violence, stridente dans le calme de la nature. Nous étions repérés ! Emilie ouvrit de grands yeux terrifiés et les baissa lentement jusqu’à son pied, incapable de bouger : elle venait de le poser à côté de son caillou. Par terre. Ma respiration s’accéléra.
Il n’y avait pas une minute à perdre. Au point où nous en étions, fouler le sol n’y ferait plus grand-chose. Je saisis Emilie dans mes bras, et nous prîmes le pas de course, tous les cinq, à en perdre haleine, vers le refuge salvateur du sous-bois. Déjà, des gardes ninja armés se présentaient à divers endroits de la propriété, arrachant un petit cri de frayeur à Suzanne. C’était la plus âgée, mais pas la plus courageuse. Emilie l’était bien plus, et Thomas et Nicolas frimaient beaucoup, parce que c’était des garçons. Oups, « frimaient », ça ne se disait pas. Ils
se vantaient beaucoup.
Nous décrivîmes plusieurs cercles dans le jardin, de plus en plus essoufflés. Il ne fallait pour rien au monde nous laisser rattraper. J’avais découvert la vérité quatre jours auparavant : l’orphelinat nous avait enlevés à nos vrais parents sept ans plus tôt. Avec Nicolas, nous nous étions glissés dans le bureau de l’affreuse directrice et nous avions volé les documents indiquant leurs adresses actuelles. Je les avais en ce moment même dans la poche de mon pantalon – même s’il n’en possédait pas.
Les gardes surgissaient de partout, à présent. Les branches craquaient dans tous les sens. Suzanne trébucha sur une racine et il fallut que Nicolas l’aide à se relever, le cœur battant.
« On n’y arrivera jamais », s’affola Emilie, contre mon oreille.
« Si ! », dis-je pour la rassurer, consciente qu’elle n’avait pas tort.
Il restait une solution. Une unique solution. La plus atroce et la plus dangereuses des solutions.
Je consultai Nicolas du regard : il avait eu la même idée. Nous n’avions plus le choix. Evitant à la dernière minute un garde qui se profilait derrière les buissons, nous bifurquâmes à gauche et courûmes de toutes nos forces, heurtant les troncs de l’épaule, enjambant les taupinières, trébuchant dans l’herbe haute. Nos souffles étaient si rauques qu’une peur presque réelle me tenaillait.
Je parvins sur les lieux la première, serrant la main d’Emilie pour qu’elle ne crie pas en apercevant celui dans la tanière de qui nous nous jetions. Il y aurait eu de quoi. Il est là, majestueux, sa fourrure rousse soulevée à chaque inspiration, ses yeux plissés pour profiter du tiède soleil qui tombait depuis la montagne, ses griffes acérées lovées au creux de ses pattes.
Le Félin.
« Tu es folle ! » s’écria Thomas d’un ton suraigu, faisant un pas en arrière. Nous nous disputâmes à mi-voix, mais les autres convinrent que j’avais raison. Il n’y avait qu’un passage pour quitter la forêt sans tomber sur les gardiens de l’orphelinat, et c’était celui-ci. Protégé par l’effroyable bête.
Zizou remua la queue, agacé que je trouble sa tranquillité. Maman me l’avait bien expliqué : les chats qui remuent la queue, ça veut dire qu’ils ne sont pas contents et quand ils ne sont pas contents, il faut être prudent. Je gardai donc mes distances lorsque je mis un genou à terre et que je baissai la tête avec humilité, oubliant complètement qu’Emilie était encore dans mes bras.
« Qui êtes-vous pour troubler mon repos ? » gronda l’animal en se léchant les poils.
« Pardonnez-nous, Votre Altesse, dis-je au nom de mes amis tétanisés. Nous désirons juste passer parce que nous sommes poursuivis ».
« Ton cœur est pur, dit la bête. Je te laisserai passer si tu réponds à une énigme. »
Je relevai la tête pour affronter son regard imaginaire, parce qu’en vrai, Maman m’a dit aussi qu’il ne faut pas regarder les chats dans les yeux.
« Combien font trois fois cinq ? »
Je déglutis. Heureusement que j’avais révisé mes tables de multiplication ! Je ne les savais pas bien après cinq, mais là je n’eus aucun doute.
« Quinze », répondis-je avec superbe, catégorique.
Zizou en eut assez que je lui cache le soleil et se leva, agitant sa queue panachée d’angora, pour s’en aller trouver un coin de jardin plus tranquille.
« Tu as réussi ! s’écria Nicolas, admiratif. Vite, ils viennent par ici ! »
Nous reprîmes notre course. Il fallut faire une pause parce que Thomas était trop fatigué, et j’attrapai des fruits tombés par terre en guise de repas. Je fis bien attention à m’essuyer les mains et à ne les faire manger qu’à mes amis, parce que pour de vrai, les baies de sorbier, c’est toxique. Kelly m’a dit que non, qu’elle en a mangé et qu’il ne s’est rien passé, mais Kelly est un peu peste même si c’est ma copine. Je crois que ce n’était pas vrai. Et puis Maman me l’a expliqué. Alors je reposai la grappe dans l’herbe, attrapai la main invisible de Magali, et courus jusqu’à la petite courette qui ouvrait sur la rue. Je tirai la porte de fer en la soulevant en même temps. Ce n’était pas facile et parfois je n’y arrivais pas toute seule, mais ce jour-là, poussée par les regards de mes amis que je devais sauver, je réussis du deuxième coup. Nous grimpâmes chacun sur les vélos que nous avions abandonnés là, et je me mis à pédaler sur la petite route devant le jardin, flanquée d’un côté par le rugissement continuel de la rivière, et de l’autre par la vigne-vierge dégoulinant du grillage qui entourait le jardin. Parce si on ne l’avait pas plantée, tous les gens qui passaient nous auraient vus quand on mangeait dehors, et ce n’était pas très agréable. Surtout que c’était par ici que passaient les touristes qui logeaient aux gîtes.
Je resserrai mes mains sur le guidon de mon vélo. Je l’avais appelé Kid, parce que c’était écrit dessus et que ça ressemblait à Kit de
K2000. C’était mon fidèle destrier, toujours là pour moi, et dans cette aventure encore il nous emmènerait jusqu’à la gare imaginaire, et je continuerais à pédaler pour faire comme si le train nous faisait traverser la France. Bien sûr, l’orphelinat était dans le Nord, mais nos vrais parents respectifs n’habitaient qu’en bas de Toulouse, parce qu’au-dessus, je ne connaissais pas beaucoup de noms d’endroits.
Comme nous n’avions pas de billets, nous dûmes rouler le long du quai pour rattraper le train déjà parti. Thomas eut le plus de mal à monter, mais nous nous mîmes à l’abri dans un wagon de marchandises, espérant que le contrôleur ne s’inquiéterait pas de croiser cinq enfants tout seuls. Magali s’endormit vite, à mon cinquième aller-retour devant le jardin, et je m’aperçus que je l’avais appelée Emilie au début, mais tant pis, Magali c’était plus joli, et il y avait une Magali très sympa à l’école de Lordat avec qui nous faisions des rencontres.
Nous déposâmes Suzanne à Toulouse, Thomas à Pamiers, Nicolas à Foix, et comme nous n’avions pas retrouvé les parents de Magali, elle allait devenir ma petite sœur si mes parents acceptaient.
Les roues de mon vélo crissèrent quand je m’arrêtai devant la porte du jardin. Je vérifiai qu’aucune voiture ne venait de la route par le pont un peu plus loin, puis m’employai à ouvrir le portail. Je mis plus de temps cette fois ; le vent était froid et me fit frissonner. J’aurais dû mettre mon sweat.
Je rentrai mon vélo dans le jardin, et aperçus Maman en train de ramasser le linge. Elle était là, après toutes ces années, affairée autour d’une corde à linge comme si rien n’était jamais arrivé. Ainsi c’était à cela qu’elle ressemblait ! Remplie de joie, je lâchai la main de Magali et courus vers elle pour la serrer dans mes bras.
- Ma poussinette ! m’accueillit-elle avec un sourire en me passant une main autour des épaules. Tu t’es bien amusée ? Le soir va tomber, on va rentrer.
Je rangeai mon vélo dans la grange et, avec la sensation du devoir accompli, saluai une dernière fois Magali. La prochaine fois que je ferais ce jeu, il faudrait y mettre un peu plus de personnages : cinq, ça ne laissait pas trop de place pour un traître, et puis on n’avait déposé personne à Ax-Les-Thermes. Je partis savourer une tranche de pain avec un carré de chocolat noir. Il fallait reprendre des forces. Demain, je serais la princesse Fantagaro et je délivrerais Romualdo du maléfique Tarabas.