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Auteur Sujet: Rouvrir la campagne [Tic-Tac 07102025]  (Lu 236 fois)

Hors ligne Nacas

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Rouvrir la campagne [Tic-Tac 07102025]
« le: 07 Octobre 2025 à 21:03:21 »
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        Un ruisseau filerait sous une arche que des végétaux auraient ensevelie. Il courrait vers des tréfonds qu’il n’atteindrait que très, très longtemps en aval : il aurait traversé l’horizon de part en part, avant de se reposer. Une mare l’accueillerait, et plongerait sous la terre comme ailleurs la terre elle-même : toute l’eau qu’il aurait volée aux moutons, à chaque orage qui serait passé sur notre campagne, toute sa masse se jetterait dans un grand puits, un minuscule volcan étroit et profond, inversé : une gorge qui boirait la rivière, et recracherait des nuages. Plus loin. Ailleurs. J’aurais eu envie qu’il m’avale, bien sûr, bien sûr, et j’aurais été prêt à sacrifier le paysage, pour cela.
J’aurais disparu, englué dans un boyau de pierre et d’humide, je n’aurais pas eu peur, pas eu si peur que maintenant, pas sans aucune raison. J’aurais su que je tombais, je n’aurais pas eu cette fichue impression de n’appartenir à personne ni nulle part. J’aurais disparu dans les plaines.
Comme un soldat espagnol à l’époque où disparaître était encore dans le temps. Possible. D’après le médecin, ce serait jeudi ; qu’on m’ouvrirait. On fermerait mes yeux d’abord, de sorte que je ne puisse plus voir le paysage, puis on endormirait mon crâne tout entier aussi, de sorte que je ne puisse plus rien regarder. Que le néant.
Puis avec des ciseaux, il m’a montré, sur un dessin, il découperait la mue de mon cou d’abord. Puis le coin de ma joue. Il regarderait, longuement, si une boule de moi cherchant à me nuire se terrerait là, en surface, facile à attraper, à enlever, à arracher. A détruire. Si elle n’était pas proche de la peau, si elle devait se trouver juste un peu plus profondément, alors il creuserait.
Depuis quelques semaines, c’est comme si le clocher découpait le ciel. Comme si la boîte aux lettres, au bord de ma route départementale – enfin, pas vraiment la mienne, mais j’aurais joué à l’épervier dessus que cela n’aurait dérangé personne – et qui tutoie, toutes les saisons durant, les mêmes trois voyageurs journaliers et le facteur, découpait la voie en deux. Un côté en amont, encore sain, refermé, recouvert, couvant la boule de ma gorge ou de la terre, la campagne de mes pères, et un côté en aval : ouvert. Un ruisseau lui passant sur le cou. Un ciseau lui ajourant les bajoues.
Ah, si la rivière m’emportait ce soir, je ne refuserais pas mon corps à ses flots, non, je nagerais avec eux. J’aurais l’impression de retrouver un vieil ami. Un de ceux qu’on aurait perdus sans s’en souvenir pour autant : un de ceux qui habiteraient encore les coulisses de notre mémoire, mais qu’on n’apercevrait qu’à la dérobée, au hasard d’un rêve que nous aurions eu la chance de décrypter, avant qu’il s’enfuie. J’aimerais que mon corps ne lutte pas contre moi.
Mais j’ai oublié la dernière fois que j’ai lutté avec lui.
« Modifié: 07 Octobre 2025 à 23:02:01 par Nacas »
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Re : Rouvrir la campagne [Tic-Tac 07102025]
« Réponse #1 le: 07 Octobre 2025 à 21:37:45 »
Re,

Citer
    Un ruisseau filerait sous une arche que des végétaux auraient ensevelie.
Chouette première image !

Citer
Une mare l’accueillerait, et plongerait sous la terre comme ailleurs la terre elle-même : toute l’eau qu’il aurait volée aux moutons, à chaque orage qui serait passé sur notre campagne, toute sa masse se jetterait dans un grand puits, un minuscule volcan étroit et profond, inversé : une gorge qui boirait la rivière, et recracherait des nuages.
Les deux points dans les deux points, je trouve ça too much dans une seule phrase !

Citer
Comme un soldat espagnol à l’époque où disparaître était encore dans le temps.
dans l'air du temps ?

Citer
D’après le médecin, ce serait jeudi ; qu’on m’ouvrirait. On fermerait mes yeux d’abord, de sorte que je ne puisse plus voir le paysage, puis on endormirait mon crâne tout entier aussi, de sorte que je ne puisse plus rien regarder. Que le néant.
Puis avec des ciseaux, il m’a montré, sur un dessin, il découperait la mue de mon cou d’abord. Puis le coin de ma joue. Il regarderait, longuement, si une boule de moi cherchant à me nuire se terrerait là, en surface, facile à attraper, à enlever, à arracher. A détruire. Si elle n’était pas proche de la peau, si elle devait se trouver juste un peu plus profondément, alors il creuserait.
Là tu m'as perdue...  :-[

Autant j'adhérais bien au début, le petit ruisseau, ton corps emporté par les eaux puis après j'ai perdu le fil... Déso, ptet la fatigue !
N'empêche, là aussi, super respect de la contrainte ! Chapeau !

Merci pour ce tic-tac ! :)
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Re : Rouvrir la campagne [Tic-Tac 07102025]
« Réponse #2 le: 07 Octobre 2025 à 21:44:49 »
Bonsoir

Citer
Un ruisseau filerait sous une arche que des végétaux auraient ensevelie.
:coeur:

Citer
Il courrait vers des tréfonds qu’il n’atteindrait que très, très longtemps en aval
longtemps ne me paraît pas être le bon adverbe ici, si ? Ou peut-être si, si associé à aval.

Citer
Une mare l’accueillerait, et plongerait sous la terre comme ailleurs la terre elle-même : toute l’eau qu’il aurait volée aux moutons, à chaque orage qui serait passé sur notre campagne, toute sa masse se jetterait dans un grand puits, un minuscule volcan étroit et profond, inversé : une gorge qui boirait la rivière, et recracherait des nuages.
Ça. C'est. Magnifique.

Citer
Plus loin. Ailleurs. J’aurais eu envie qu’il m’avale, bien sûr, bien sûr, et j’aurais été prêt à sacrifier le paysage, pour cela.
j'aime bien le bien sûr bien sûr et la douleur qu'on ressent dans cette envie

Citer
J’aurais disparu, englué dans un boyau de pierre et d’humide, je n’aurais pas eu peur, pas eu si peur que maintenant, pas sans aucune raison. J’aurais su que je tombais, je n’aurais pas eu cette fichue impression de n’appartenir à personne ni nulle part. J’aurais disparu dans les plaines.
ça reste très bien

Citer
On fermerait mes yeux d’abord, de sorte que je ne puisse plus voir le paysage, puis on endormirait mon crâne tout entier aussi
pourquoi les yeux avant le crâne ? Ils ne s'endorment pas en même temps?

Citer
Puis avec des ciseaux, il m’a montré, sur un dessin, il découperait la mue de mon cou d’abord.
c'est beau douloureux

Citer
– enfin, pas vraiment la mienne, mais j’aurais joué à l’épervier dessus que cela n’aurait dérangé personne –
cette incise m'a un peu nuie par contre la compréhension de la phrase en entier

Citer
et qui tutoie toutes les saisons durant les mêmes trois voyageurs journaliers
pas compris  >< J'aime beaucoup, par contre, l'image de la boîte aux lettres qui coupe la voie en deux

Citer
Ah, si la rivière m’emportait ce soir, je ne refuserais pas mon corps à ses flots, non, je nagerais avec eux. J’aurais l’impression de retrouver un vieil ami. Un de ceux qu’on aurait perdus sans s’en souvenir pour autant : un de ceux qui habiteraient encore les coulisses de notre mémoire, mais qu’on n’apercevrait qu’à la dérobée, au hasard d’un rêve que nous aurions eu la chance de décrypter, avant qu’il s’enfuie. J’aimerais que mon corps ne lutte pas contre moi.
j'aime comme la dernière phrase réhausse tout ce passage

et triste douce amère la dernière phrase

Bravo tout doux pour ce texte

humblement, dlm



"[...] alors le seul fait d'être au monde
  remplissait l'horizon jusqu'aux bords"
  Nicolas Bouvier

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Re : Rouvrir la campagne [Tic-Tac 07102025]
« Réponse #3 le: 07 Octobre 2025 à 22:49:55 »
Salut !

Je ne sais pas. Peut-être l'heure, peut-être moi.

Je ressens la poésie, il y a ce quelque chose que je retrouve dans quasiment toutes mes lectures de tes textes mais que je n'arrive pas à cerner. C'est là, c'est bien, c'est beau, mais je reste comme en retrait, peut-être parce que je réfléchis encore à la question que j'ai posée à dlm sous son texte, la raison du conditionnel, le fameux si qui implique plusieurs chutes, et qu'en fait j'ai la sensation d'avoir fait un dérapage. Bref, je rumine ce soir, il vaut mieux que je revienne lire demain. Même si je sens bien que demain, mon commentaire restera sensiblement le même : Je ressens la poésie, il y a ce quelque chose que je retrouve dans quasiment toutes mes lectures de tes textes mais que je n'arrive pas à cerner. C'est là, c'est bien, c'est beau,
Désolée de ne pas pouvoir dire mieux de ce texte :-[


Une bonne soirée/nuit à toi !



Au petit matin, donc :

Citer
Il courrait vers des tréfonds qu’il n’atteindrait que très, très longtemps en aval :
les verbes du troisième groupe, je déteste leurs pièges :relou: j'ai cru lire un imparfait...

Citer
Une mare l’accueillerait, et plongerait sous la terre comme ailleurs la terre elle-même :
écrit comme tel, je comprends que la mare plongerait (ou bien le ruisseau) sous la terre, comme ailleurs la terre elle-même plongeait sous la terre ?
j'ai presque la sensation de grottes de spéléologie, ou dans certains jeux vidéos (Skyrim, mon meilleur exemple, je crois), quand on suit un boyau dans la terre, dans lequel s'écoule un ruisseau, et qu'au bout du chemin, c'est comme si on venait de trouver un portail vers un autre monde. Et pourtant, c'est le même monde, mais sous le monde, dans le monde, dans ses entrailles. L'image que ça me renvoie est juste sublime, j'ai pas envie d'en changer, même pour une meilleure explication de ce que tu as voulu exprimer, je crois :-[
mais je demande quand même : est-ce que j'ai pris le mauvais boyau sous la terre ?
à lire la suite, je retrouve un peu cette sensation d'envers à l'endroit, ou d'endroit à l'envers. Labyrinth me manque, ça y est :s

Les deux dernières phrases sont d'une tristesse sourde, à ma lecture.

Et du coup, mon commentaire du matin rejoint un peu celui d'hier : de la poésie, ce petit quelque chose propre à tes textes. Mais je suis quand même contente d'être repassée commenter, parce que j'ai pu retrouver un peu de Labyrinth grâce à ma lecture, grâce à ton texte, grâce à toi, donc merci :calin:

Une bonne journée à toi !
« Modifié: 08 Octobre 2025 à 10:07:53 par Luna Psylle »
If the day comes that we are reborn once again,
It'd be nice to play with you, so I'll wait for you 'til then.

Hors ligne Nacas

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Re : Rouvrir la campagne [Tic-Tac 07102025]
« Réponse #4 le: 14 Octobre 2025 à 22:34:22 »
Tandis que je cherche des idées d'approche pour commenter ton texte de ce soir, je remarque je n'avais pas lu ton retour du matin. (Et je ne t'avais pas répondu non plus, parce que je suis aussi orgueilleux que malpoli !)

Il s'agit de ce ruisseau-là qui vivait en moi, oui. Mais ce serait voler un petit bout un peu trop grand, que de ne pas dire d'où il me venait : il s'agit de la fin du roman Déracinées, de Naomi Novik (mon péché-mignon de fantasy un peu populaire moderne). Un roman qui m'a beaucoup beaucoup beaucoup infiltré, et qui s'est fait délogé d'ailleurs tout récemment dans mon coup de coeur de l'année par Malou dit vrai ! Hahahah, surtout parce que Déracinées se trahit complètement, pas de bout en bout mais largement, vers les 3/4 de ses 500 pages. Il reste de loin le concurrent au titre, parce qu'il est fort fort fort, intense fortiche et capiteux et solide et j'aime trooooop la sève dans des humains. Mais je n'en dis pas plus.
Sa fin, son ruisseau, comme tu l'as décrit, est étourdissant à m'habiter encore. Et en vrai, je ne désavoue pas Naomi pour ce qu'elle a écrit. On ne peut pas sans injustice exiger l'impossible d'une autrice puis pleurer qu'elle n'y tienne pas.

Merci pour ton passage, Luna, je suis content de sentir la texture de tes mots.
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