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09 Octobre 2025 à 18:05:51
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Auteur Sujet: [Fantasy / Aventure] Le prix de la liberté  (Lu 156 fois)

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[Fantasy / Aventure] Le prix de la liberté
« le: 30 Septembre 2025 à 18:31:45 »
Salut,
Je compte présenter ce texte à un AT (clôture au 31/10)
•   Thème : Liberté
•   Longueur : jusqu’à 40k signes

Avertissement : Contient de la violence (combats)

Pitch : Une équipe felxiroise combat les pirates en Mer du Sud. Une aventure maritime dangereuse, qui leur apprendra le prix de la liberté ...

Questions :
- Est-ce que le récit est suffisamment fluide ? prenant ? rythmé ?
- Par ailleurs je prends tous les retours que vous pouvez me faire !



Le prix de la liberté


Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.
Charles Baudelaire

Sidi 30e Tonte (21 avril), Anno Domini 1539.
Vingt-et-unième jour de mer, c’est le calme après la tempête. L’océan qui s'étire à perte de vue respire doucement comme un monstre assoupi. Les flots scintillent sous le soleil avec le satiné d’un drap de soie bleue que le vent n’ose plus froisser ; miroir du ciel clair désormais complètement dégagé. Notre pauvre chebec, l’Hourriya, a bien souffert des intempéries : son grand mât penche dangereusement vers tribord, retenu par des drisses de fortune, tandis que sa voile latine en lambeaux évoque un linceul déchiré. Le bastingage est brisé par endroits et les cordages effilochés pendent lamentablement. La coque elle-même porte les cicatrices de la tempête, avec ses planches disjointes, gonflées d’eau salée, que les calfatages précipités ont bien du mal à tenir. Artus le charpentier est déjà à l’ouvrage : les manches retroussées, les bras noueux luisants de sueur, il manie son maillet et ses chevilles de bois avec une précision obstinée. Autour de lui s'éparpillent les copeaux blonds et l'odeur résineuse du pin, tandis qu'il marmonne dans sa barbe noire des jurons colorés à chaque planche récalcitrante.
Je l’observe en fumant nonchalamment ma pipe sur le château arrière. Je suis Paul de l’Yser, mage maîtrisant les arcanes blancs et aquatiques. Notre capitaine, François de Reitrac, un trentenaire d’une belle prestance, marin accompli et gentilhomme, tient la barre. Le bosco Jean-Louis, un grand blond musculeux, houspille les hommes pour qu’ils s’activent. Comme toujours, le matelot Alban montre l’exemple. Le reste de notre équipage est composé de marins Amottons basanés. À la cale, les prisonniers sont silencieux, sans doute se remettent-ils de leurs émotions de la veille : la tempête les a rudement secoués.
Que font cinq Albyï (comme nous appellent les Suderons) avec des misulmites à bord d’un chébec, me demanderez-vous ? C’est une longue histoire, aussi me permettrez-vous de rester concis : nous chassons les pirates sur ordre du Kalif. Cela ne satisfait pas pleinement votre curiosité, je le sens, aussi ajouterai-je quelques explications.
Nous sommes partis de Felxir l’an dernier avec la permission royale de conduire une expédition vers les mers inconnues de l’hémisphère sud. Nous suivons François (présentement en train de piloter), qui n’est autre que le neveu du grand explorateur felxirois Kaj de Reitrac (auquel nous devons nos colonies dans le Nouveau Monde, s’il est besoin de le préciser). Cela n’a rien à voir avec notre situation présente, j’en conviens, mais patience, vous allez comprendre. Notre périple fut malheureux et notre épopée tourna vite au désastre. Après une énième tempête, notre caravelle, l’Indicible, se fracassa sur les récifs de la côte athalane ; mes compagnons et moi fûmes les seuls rescapés. Suivirent moult péripéties dont je vous épargne le détail, sachez simplement que nous avons finalement débarqué à Bùltanis, capitale de l’Empire Amotton. Nos pays étant alliés (le régent Enric entretenant d’excellentes relations avec les milsumites) nous sommes entrés au service du Kalif comme corsaires. Il s’agit pour nous de retrouver un navire et de nous reconstituer un pécule pour reprendre notre expédition interrompue. Le moyen d’y parvenir étant de traquer les pirates qui menacent le commerce en Mer du Sud. Nous avons donc embarqué, il y a vingt-et-un jour de cela, sur le Maktoub, un ganja (une sorte de boutre) de cent-cinquante tonneaux, armé de six canons, sous le commandement du raïs Moussef ben Nàhel, un sympathique mélomane. Cela n’explique pas encore ce que nous faisons sur ce chébec avec nos captifs, me direz-vous. Patience, nous y sommes presque.
Nous parlons tous correctement le rhabza depuis notre hivernage à Bùltanis, ce qui nous a permis de nouer de bonnes relations avec les autres officiers du bord. Il y a six jours, nous nous sommes illustrés lors de l’abordage simultané de deux navires pirates. L’affaire fut chaude, mais enfin, nous en sortîmes vainqueurs. Notre entregent, nos compétences et notre vaillance, décidèrent le raïs à nous confier quelques hommes et le commandement de l’Hourriya, un navire pris à l’ennemi. Voilà le pourquoi du comment.
Hélas la tempête d’hier nous a séparé de notre vaisseau-amiral et nous voici à réparer les avaries sur une mer d’huile et sous un ciel immaculé. Enfin, les hommes réparent ; moi je fume et je rêvasse.
N'allez pas me prendre pour un fainéant, j’ai donné de ma personne au plus fort de la tourmente, manipulant le mana pour tempérer la violence des flots. La nuit fut courte et éreintante, je jouis simplement d’un repos bien mérité. Je vous l’ai dit, je maîtrise les arcanes de l’eau et du soin, je suis donc très sollicité sur un bateau. Cette expédition devait être mon voyage initiatique, celui qu’entreprend tout jeune mage à la fin de sa longue formation universitaire, avant de se choisir un nom de praticien du Grand Art et de s’installer. Mais je ne suis pas sûr d’avoir envie de me poser. Je veux vivre libre comme le vent marin, celui que rien n’arrête.
La mer azur s’ouvre devant moi, immense et indifférente. Je contemple cette étendue qui ne connaît ni roi ni maître. L’air sent l’iode, la poix et la sueur, la coque craque, les hommes travaillent et jurent, mais au-delà de cette rudesse, il y a l’horizon : ligne mouvante, promesse qui ne se laisse jamais atteindre. Je songe souvent que la liberté n’existe pas à terre. Là-bas, elle est troquée contre l’impôt, la hiérarchie, la loi du plus riche, la lutte pour le pouvoir ou la survie. La mer ne connaît que deux catégories d'hommes : ceux qui la respectent et les morts. Le noble et le manant sont égaux devant la tempête qui se lève ; le sage et l'ignorant subissent pareillement les éléments déchaînés. La mort est la grande égalisatrice ; l’océan est simultanément mort et vie. Ici, sur ces planches fragiles jetées à la merci des flots, l’existence prend une autre forme : rude, salée, mêlée au risque de sombrer à chaque tempête. Cette vie au gré des vents est pleine et entière parce qu’elle ne se négocie pas, elle se conquiert. Les pirates croient acheter la liberté par l'épée et le sang, en arrachant sur les mers l’or qu’on leur refuse à terre. Mais l'or n'affranchit personne, il ne fait qu'échanger une prison contre une autre, plus dorée peut-être, mais tout aussi exiguë. Nos captifs ne sont guère philosophes.
Il me semble que mon esprit s’élève au contact de l’océan, du Sublime. Nous ne sommes rien face à ce tout liquide, toujours beau, perpétuellement changeant. Je crois entendre dans chaque ressac la voix d’un dieu ancien. La mer me murmure : « On n’est jamais libre qu’au bord de l’abîme. » Et peut-être est-ce vrai : la liberté n’est pas un état, mais un vertige. Chaque jour en mer est un défi lancé à la mort, chaque nuit une victoire arrachée au néant. Et dans cette danse perpétuelle avec l'abîme, nous trouvons une intensité d'existence que jamais les terriens ne connaîtront. La véritable liberté, elle naît dans l'acceptation de l'impermanence. Comme ces vagues qui naissent, grandissent et se brisent en une éternelle renaissance, nous autres mortels ne pouvons être libres qu'en embrassant notre fragilité. L’esprit humain navigue entre les récifs de la folie et les abysses du désespoir. Dans quelques heures, la nuit tombera sur notre petit monde flottant, et nous serons seuls sous l'immensité étoilée, fragiles comme des lucioles dans l'obscurité cosmique. Mais nous serons libres de choisir notre route, libres de défier les éléments, libres de mourir debout plutôt que de vivre à genoux.
Car c'est cela, la leçon de la mer : la liberté ne se conquiert pas, elle se mérite. Jour après jour, vague après vague, dans la sueur et l'écume. Et quand viendra l'heure de sombrer (car elle viendra, inéluctablement), nous pourrons dire que nous avons vécu. Vraiment vécu.

Je suis interrompu dans mes divagations métaphysiques par des Ondins. Vous voyez à quoi ils ressemblent ? Des créatures humanoïdes aquatiques avec une peau écailleuse aux teintes bleu-vert ou argentée, des doigts palmés et des nageoires souples sur l’échine, les jambes et les avant-bras. Leurs cheveux flottent comme des algues, ils ont des branchies sur le cou, des dents pointues et de grands yeux noirs adaptés à la vision sous-marine. Parés de coquillages, ils portent des tridents, des lances ou des harpons.
Ces créatures sont des naufrageurs et ils abordent notre navire, jaillissant des flots pour escalader le bastingage. C’est aussitôt le branle-bas de combat, mais ils ont l’effet de surprise et l’avantage du nombre.
« Aux armes ! » hurle le capitaine qui lâche le gouvernail pour dégainer sa rapière.
Plusieurs marins sont embrochés avant d’avoir pu s’équiper.
Concentrant mon énergie magique, je prononce des mots de pouvoir avec d’amples mouvements de bras et j’enveloppe une douzaine de mes compagnons d’une aura aqueuse pour les aider à dévier les coups.
Cependant je ne suis pas le seul à manipuler le mana : je sens les fluctuations des esprits de l’eau et j’aperçois le chamane ondin. Drapé d’algues et de coquillages, il chante dans une langue abyssale, enveloppant ses guerriers d’une phosphorescence turquoise. Il est plus puissant que moi, il va nous donner du fil à retordre. À chaque syllabe de sa mélopée, les Ondins sur le pont semblent puiser de nouvelles forces, l’eau les protège tel un bouclier liquide et leurs coups gagnent en violence.
Artus abat son marteau de charpentier sur l'épaule d'un assaillant qui s'effondre. Mais ces créatures sont coriaces et celui-ci se redresse déjà, tandis qu’un autre perce mon compagnon de sa lance et l’oblige à reculer, ensanglanté.
Un harpon siffle près de mon oreille. Je plonge derrière le gouvernail tandis que deux Ondins convergent vers moi, leurs gueules béantes découvrant des rangées de dents acérées. Le premier bondit ; je roule sur le côté. Je me retrouve en mauvaise posture. Je parviens à me redresser alors que son trident s’enfonce violemment dans le plancher en éclatant le bois. Heureusement, le deuxième est déjà tombé sous le fer de François de Reitrac, autrement je ne donnais pas cher de ma peau. Mon adversaire dégage son arme et se tourne vers le gentilhomme. Tout se déroule alors en un instant : ce dernier se jette sur lui dans une attaque basse qui me parait une erreur. Effectivement, l’humanoïde aquatique chasse la lame, le capitaine emporté par son élan se retrouve pratiquement à portée de crocs. Je veux plonger sur l’ennemi pour lui venir en aide mais je n’en ai pas le temps : de sa dague main-gauche, il poignarde le monstre de bas en haut, frappant sous le sternum pour chercher le cœur. La créature titube en arrière, François bloque son trident du pied droit et l’égorge d’un coup de taille en pleine carotide.
L’attaque maladroite était donc une ruse ! Stupéfait un instant, je me reprends rapidement.
« Le chamane ! crie-je à mon chef en désignant celui-ci du doigt. Il faut le neutraliser ! »
Mais comment l'atteindre ? Il reste prudemment à l’autre bout du bâtiment tandis que nos hommes sont débordés de toutes parts. Trop d’obstacles entre nous pour tirer.
Un hurlement me détourne de ma cible. Un jeune matelot, Ahmed, vient de se faire lacérer le visage par les griffes d'un Ondin qui s'apprête à l'achever. Je clame une incantation, je sens la magie crépiter au bout de mes doigts et un jet d’eau jaillit de ma paume, frappant l’assaillant en pleine poitrine, l'envoyant valdinguer par-dessus bord dans un cri aigu. Néanmoins trois autres prennent déjà sa place.
« Ils sont trop nombreux ! » crie Artus qui, malgré ses propres blessures, vient aider Ahmed à reculer.
Jean-Louis charge les trois combattants ennemis dans un rugissement, le sabre haut. Le premier n’a pas le temps de lever son trident : la lame courbe s’abat en travers de sa gorge, dans un geyser de sang vermeil ; il bascule à la renverse.
Le deuxième Ondin riposte, mais le bosco pare le coup de justesse, pivote sur ses talons et son sabre remonte en diagonale, ouvrant le ventre écailleux de la créature d'un mouvement brutal. Les entrailles de celle-ci se répandent sur le pont dans un bruit mou.
Le troisième, plus prudent, tente de contourner le corsaire par la gauche. Celui-ci, haletant, fait mine de reculer, puis pivote brusquement et abat sa lame de toutes ses forces sur le crâne. L'os craque avec un bruit sec et le fer s'enfonce jusqu'aux yeux. L’ennemi s'affaisse comme un pantin désarticulé.
Jean-Louis arrache son arme d'un geste brusque, le souffle court mais le regard dur.
Malgré la cacophonie du combat, j’entends des cris étouffés provenant de la cale. Il ne s’agirait pas que les pirates prisonniers se libèrent maintenant ! Nous avons déjà assez d’adversaires !
François de Reitrac ordonne :
« Regroupez-vous ! Au château arrière ! »
Artus entraîne Ahmed. Je me porte en avant de nos ennemis. Je concentre tout le mana dont je suis capable. Si je me rate, je suis mort : ce n’est pas le moment de me tromper dans la formule ou d’avoir une gestuelle brouillonne. Les Ondins attaquent, les pointes de leurs armes filent vers mon visage, mon cœur, mon ventre ... Je libère le sort juste avant qu’elles ne touchent : une gigantesque vague se matérialisa devant moi et balaye le pont. Les ennemis sont renversés cul par-dessus tête, quelques-uns précipités par-dessus bord.
Je suis vidé, il me faut quelques secondes pour récupérer. Des cris et une cavalcade derrière moi : le capitaine charge avec nos hommes. Il me dépasse, évite une lance d’un pas de côté et se fend aussitôt, perçant la poitrine du guerrier adverse de sa rapière. La mêlée reprend, furieuse.
Une colonne d’eau s’élève à tribord, dessinant un énorme serpent qui fond sur nos matelots et traverse le champ de bataille en sinuant pour replonger à bâbord. Youssef, Farid, Samir et Omar sont bousculés, écrasés par l’impact torrentiel du flot. Salim et Nadir sont emportés par-dessus-bord : le sort est scellé. Maudit chamane !
Le carnage se poursuit. Les Amottons luttent contre les Ondins dans un fracas terrible, cimeterres contre lances. Mehmet tranche la gorge d'un assaillant d'un geste fluide tandis qu'à ses côtés, Hassan est embroché par deux créatures en même temps. Les combattants des deux camps sont aguerris, ils esquivent et frappent à bon escient, leurs armes scintillant au soleil. Un Ondin bondit sur le dos d'Orhan, qui se jette en arrière et l'écrase contre le mât. La créature lui arrache l’oreille de ses dents pointues. Le corsaire se dégage d'un coup de coude avant d'éventrer le monstre de son poignard courbe.
C’est alors que quelqu’un s’élance de la vergue de misaine, agrippé à un cordage ; il décrit un large arc de cercle jusqu’à la proue et frappe à pieds joints le sorcier ondin, qui est renversé, le souffle coupé. C’est Alban, notre gabier ! Sabre à la main, il tente de trucider le jeteur de sort qu’il a étalé. Les Ondins ne l’entende pas ainsi et protègent leur chef. Il faut l’aider !
J’invoque une nouvelle vague, plus compacte, qui creuse profondément les lignes ennemies, ouvrant un chemin pour mes compagnons, et finit sa course en lessivant mon compatriote et son adversaire. Désolé Alban, mais je ne peux pas faire dans la dentelle. François de Reitrac et Jean-Louis se précipitent dans la brèche à son secours.
Un bruit sourd derrière moi et je me penche par réflexe : le fer d’un trident passe à un cheveu de ma tête. J’ai bien failli me faire embrocher en traitre ! Heureusement, Artus était là, il abat à nouveau son maillet sur l’Ondin qui s'effondre pour ne plus se relever.
Tandis que le capitaine et son second se démènent comme de beaux diables, tenant en respect les créatures, Alban conclut son duel en décapitant le chamane. Nous hurlons un cri de victoire.
En moins d'une minute, c'est terminé. Les survivants plongent par-dessus bord et disparaissent dans les profondeurs, fuyant vers leur royaume sous-marin.
Je m'effondre, épuisé. Le pont est jonché de corps et de sang. Les Amottons poussent des exclamations de joie, essuient leurs lames, puis récitent une prière pour remercier leur dieu de la victoire.
Nous avons survécu. Cette fois encore.
Je me bourre une pipe. On va très vite me solliciter pour soigner les blessés.

***

Undi 9e Fauche (10 mai), Anno Domini 1539.
Quarantième jour de mer, l’averse tombe drue, le vent souffle en rafales, les vagues s’agitent violemment en moussant d’écume. Nous sommes très inconfortablement ballotés, notre piteux esquif roule et tangue au gré des flots. C’est la quatrième tempête que nous essuyons depuis l’attaque des Ondins. Nous ne sommes plus qu’à deux jours de Bùltanis (enfin, si Dieu le veut), vers laquelle nous rentrons pour réparer nos avaries. Voici une huitaine que nous faisons du cabotage, notre périple est devenu plus lent mais aussi plus sûr depuis que nous longeons la côte. Le capitaine vient de mettre cap au large pour empêcher l’océan furieux de nous drosser contre les récifs.
Le ciel n’est plus qu’un gouffre noir crevé d’éclairs et le vent hurle comme une meute invisible. Le rugissement de la mer couvre tout, et mes sortilèges eux-mêmes se dissolvent dans le tumulte, impuissants.
Une lame de fond nous frappe par tribord avec la force d'un bélier. Le navire gîte si violemment que je suis projeté hors de ma couchette. Sur le plancher de ma cabine, un pressentiment me fait craindre le pire. À quatre pattes, je vérifie que mes grimoires sont bien emballés dans leur toile cirée et je fourre mes affaires dans mon havresac, que je glisse dans mon dos.
Le pont de l’Hourriya, lessivé par les vagues, n’est plus que chaos : des voiles arrachées tournoient tels des spectres, les cordages claquent comme des fouets infernaux. La pluie martèle le bateau tambour battant.
Un craquement sinistre résonne dans le bâtiment. Les réparations d'Artus cèdent sous la pression. La mer s’infiltre par les joints malmenés de la coque.
« On prend l'eau ! » crie un matelot en rhabza, la terreur dans la voix.
« Aux pompes ! » ordonne Jean-Louis. « On écope ! »
Les hommes se mettent à l’ouvrage.
Je renforce mes sorts de protection sur le chebec, mais la magie elle-même semble dérisoire face à la colère des éléments.

Une nouvelle vague nous soulève pour mieux nous laisser retomber. Mon estomac se retourne. Le grand mât oscille dangereusement, ses haubans tendus à se rompre. Frappé par une vague, le beaupré casse net et disparait dans les flots. Mehmet pousse un cri, une écharde d’un pied de long l'a touché au visage, il s'effondre, une lame l’emporte par-dessus bord.
Nous luttons pour survivre. Dans la cale, je manipule des masses d’eau que je renvoie à l’extérieur pour permettre à mes compagnons d’effectuer des consolidations de fortune. Je patauge néanmoins jusqu’aux chevilles. Mes robes trempées me collent aux jambes. Je suis couvert d’ecchymoses à force de me cogner partout et j’ai rendu mon déjeuner.
Nous avons déjà subi pire, il faut tenir. C’est un combat d’endurance entre la mer et nous, que nous avons déjà remporté maintes fois. Seulement, les fois précédentes, notre navire n’était pas si mal en point …
L’océan ne frappe pas, il écrase, mur liquide qui s’abat sans répit, noyant nos efforts, ensevelissant nos prières. Des collines à crêtes d'écume blanche nous assaillent. Quelques marins ont été enlevés par les flots. Dans le fracas des éléments déchaînés, j’ai entendu les cris d’hommes que je ne reverrai jamais. Néanmoins je ne peux pas me permettre de relâcher ma concentration.
Soudain, le tangage me fait perdre l’équilibre et je me retrouve à quatre pattes dans l’eau. Le bateau se cabre, je fais une culbute, heurte un obstacle et me raccroche à une poutre pour me stabiliser.
Dans un craquement épouvantable, la coque cède sous les coups de butoir de l’océan. La mer s’engouffre, les flots furieux s’en prennent à tous et à tout. Le bois éclate en se déchirant. Autour de moi, les marins sont emportés. Je me cramponne à ma poutre. Le bâtiment se disloque.
« Abandonnez le navire ! » hurle le capitaine dans le vacarme.
Mon regard se pose sur un tonnelet de tabac qui flotte près de moi (mon précieux tabac du Comté Hafling). Je me jette dessus et l'agrippe à deux mains.
Une lame monstrueuse s'abat sur nous. L’impact me broie, l’air quitte mes poumons, je suis précipité dans une spirale glacée où je ne distingue plus le haut du bas. Je m’accroche avec l’énergie du désespoir, mes ongles s’enfoncent dans le bois gonflé d’eau. Mes jambes s’agitent vainement dans le néant : le monde est devenu liquide et tourbillonnant.

Quand je refais surface avec ma bouée de fortune, suffoquant et crachant, je rends une eau salée qui m’arrache la gorge et me pique les yeux. Autour de moi, des silhouettes se débattent, disparaissent, reparaissent une seconde, puis sont avalées pour de bon.
Il n’y a plus de navire, seulement des débris ballottés que la mer engloutit et des vagues hautes comme des montagnes dans un climat d’apocalypse. L’une d’elle me soulève, m'emporte, me rejette. La pluie me transperce comme des aiguilles de glace. L'eau froide s'est infiltrée dans mes vêtements, tire sur mes muscles. Le sel pique cruellement mes multiples égratignures. Le tonnelet glisse entre mes doigts gourds ; je resserre ma prise, désespérément. Sans lui, je coule à pic. Combien de temps un homme peut-il tenir ainsi ?
Un éclair déchire les nuages ; dans la lueur fugace, j'aperçois une forme sombre qui danse sur les flots : un autre survivant, peut-être ? Une nouvelle vague m'engloutit. Quand je reparais, toussant et crachant, la forme a disparu. Il ne reste que moi, mon tonnelet de tabac, et l'immensité hostile qui veut ma peau, hérissé de vagues furieuses.
Mes forces s'amenuisent. Mes doigts ne sentent plus le bois auquel ils s’accrochent. Mais je tiens bon. Je dois tenir bon. Car quelque part, au-delà de ces eaux démontées, m'attend peut-être la terre ferme.
Peut-être, si Dieu le veut.

***

Troidi 11e Fauche (12 mai), Anno Domini 1539.
Le soleil me réveille, son feu ardent chauffe ma nuque brûlée. Mes lèvres sont craquelées par le sel, ma peau fripée par l’eau de mer, et mes bras n’ont plus de force ; pourtant mes doigts s’agrippent encore au tonnelet. La tempête s’est apaisée depuis longtemps. Les heures s’étirent, interminables. Deuxième jour (ou deuxième siècle ?) à dériver au gré d’une mer redevenue docile, indifférente à mon agonie. Deuxième jour à dériver sous un soleil impitoyable, la langue gonflée par la soif.
Pour tromper mon ennui et ma faiblesse je me demande ce qui me fait le plus souffrir : la soif inextinguible, la fatigue, mes nombreuses ecchymoses salées, le deuil de mes camarades ou le manque de tabac ?
La mer clapote doucement autour de moi, paisible, lisse comme un miroir d'azur. Le ciel est d’un bleu éclatant, sans un nuage. L'océan me berce avec la douceur d'une nourrice, comme pour se faire pardonner sa colère d’avant-hier. Amabilité trompeuse, car me laisser aller, m’abandonner à ses caresses, signerait mon arrêt de mort.
Cependant ce matin (est-ce le matin ?), quelque chose a changé. L'eau sous moi n'est plus ce bleu profond de haute mer. Elle verdit, s'éclaircit. Et là, dans le lointain, une ligne brune se dessine à l'horizon.
« Terre » croasse-je doucement.
La houle me pousse doucement vers cette promesse de salut. Mes bras ne répondent plus, mais les courants font le travail. Peu à peu, la ligne brune grandit, se précise. Des rochers. Une plage de sable blond. Des goélands qui planent, leurs cris perçant l’air pur.
Le fond remonte. Mes pieds touchent le sol. Le ressac m’entraîne, mes genoux raclent le sable. Je rampe vers la grève, chaque mouvement est une torture, chaque grain sous mes paumes une bénédiction.
Je me traîne au sec et je m'effondre sur la plage chaude. Au-dessus de moi, le ciel s'étend, d'un bleu si pur qu'il en fait mal aux yeux. Les mouettes criaillent.
Je suis vivant. Je reste allongé, incapable de bouger, les membres raidis, mais vivant. Contre toute attente, contre toute logique, je suis vivant. Chaque inspiration est une victoire, chaque battement de cœur un miracle. Mes larmes rajoutent un peu d’eau salée sur mon visage.
La mer est calme et belle, moi je suis brisé mais libre.

Je me suis assoupi ; je suis réveillé par des voix et des pas qui s’approchent. Trois hommes me rejoignent. Des silhouettes familières : François de Reitrac, Jean-Louis et Artus. Je suis heureux de les voir mais pas complètement surpris : j’avais senti le Pouvoir de leur destinée ; si j’ai pu survivre, eux aussi. Il manque encore Alban ; lui aussi est né sous une bonne étoile. Le capitaine me tend une outre en peau de chèvre, je le remercie et bois avidement.
Nous voici naufragés en terre étrangère. Il faut que je fume une pipe.

***

Huiti 24e Fauche (25 mai), Anno Domini 1539.
Nous sommes tous rétablis et nous nous apprêtons à prendre la route. Il y a encore huit jours de marche jusqu’à Bùltanis. Nous n’avons retrouvé aucun autre survivant hormis Alban, qui nous a rejoint. Le reste de nos compagnons a malheureusement péri dans le naufrage.
Les blessures d’Artus sont refermées et, après une bonne huitaine de convalescence, je suis enfin remis du choléra dont j’ai failli mourir. Une épidémie sévit en effet dans la région. Dans la famille de pêcheurs qui nous a hébergé, le père a survécu après avoir été bien malade, deux de ses enfants s’en remettent aussi, mais la mère et l’aîné ont succombé.
On nous a également mis en garde contre des bandits qui rôdent aux environs et réduisent en esclavage les gens qu’ils capturent. Nous promettons aux villageois d’être vigilants et nous nous mettons en marche.

La route de terre battue serpente entre les collines ocre, poussiéreuse sous le soleil implacable. Nous avançons en file indienne, l’air résonne seulement de nos pas et des stridulations des cigales. Le capitaine François de Reitrac ouvre la marche, sa main reposant par habitude sur le pommeau de sa rapière. Derrière lui, avancent Jean-Louis et Alban, qui siffle un air de taverne, je suis leur rythme comme je peux (je ne suis guère sportif) et Artus m’accompagne.
C’est alors qu’ils surgissent : des rochers, des buissons d'épineux, des fossés. Une trentaine d'hommes en armes, le visage mangé par la crasse et les cicatrices, brandissant des sabres piqués de rouille, des arcs, des haches, des houes ou des gourdins noueux.
« Embuscade ! » rugit Jean-Louis en dégainant son sabre.
Le capitaine se met en garde et fait face. Sa rapière perce la gorge du premier assaillant qui s'effondre dans un gargouillis. Notre bosco se bat comme un lion. Son sabre d'abordage fend l'air en sifflant, parant ici, tranchant là. Un brigand s'écroule, le crâne fendu. Un autre recule en hurlant, la main sectionnée. La mêlée est terrible. Alban n’a qu’un couteau mais le gabier a la force et l'agilité d'une panthère, esquivant les coups, surinant ses assaillants Artus fait tournoyer son marteau de charpentier, tenant en respect trois ennemis. Je libère un jet d’eau contre un bandit, le projetant à plusieurs mètres, la cage thoracique enfoncée. Malheureusement, j’ai besoin d’incanter pour lancer mes sorts, et les malandrins ne m’en laissent pas l’occasion. Un coup de gourdin sur le poignet m’arrache un cri de souffrance. J’espère qu’il n’est pas brisé : je n’arrive plus à le bouger sans une vive douleur. Acculé à la défensive, je ne parviens ni à effectuer la gestuelle, ni à prononcer les formules magiques sans être interrompu.
Nous combattons dos à dos, encerclés, coupant, frappant, esquivant. Le capitaine exécute chaque botte avec la rapidité et la létalité de la foudre. Mais ils sont trop nombreux.
« Rendez-vous ! » crie leur chef, un colosse borgne en armure d’écailles, équipé d’un cimeterre et d’un bouclier rond.
« Va au diable ! » gronde Jean-Louis en parant un coup de masse.
Dans le même mouvement, il pivote et imprime toute la force de son corps à son sabre. Celui-ci décrit un arc parfait et la tête d'un soudard roule dans la poussière. Mais avec ce geste, il expose son flanc gauche et un coup de pioche le frappe entre les côtes. Le bosco vacille, mais reste debout. Une flèche l’atteint en pleine poitrine. Il crache du sang, arrache le trait d'un geste rageur et transperce le ventre du bandit à la pioche, mais trois autres se jettent sur lui. Notre second disparaît sous les coups.
« Jean-Louis ! » hurle le capitaine.
Le monde se resserre sur ce cri. Les brigands nous submergent. Une flèche me perce l’épaule. C’est la fin.
« Assez ! » crie le capitaine, la voix brisée par la rage et la douleur.
Il jette sa rapière au sol et lève les mains en signe de reddition. Artus, couvert de plaies, lâche son maillet avec un juron. Alban, encerclé, laisse tomber son couteau. Le gabier est jeté à terre et frappé au sol. Des mains rudes m’empoignent et me forcent à m’agenouiller.
Le corps de Jean-Louis, criblé de blessures, git à terre dans une mare de sang, sa main encore crispée sur son sabre. Ses yeux vitreux fixent le ciel, mais un mince sourire étire ses lèvres : il est mort en combattant, comme il l'avait toujours souhaité.
Ainsi, en dépit de toutes nos aventures, son destin était de mourir les armes à la main dans l’Empire Amotton ... La confiance que je plaçais dans notre bonne étoile malgré le naufrage vient de voler en éclat. C’est une leçon d’humilité : le Pouvoir m’avait rendu arrogant. Nul ne sait ce que l’avenir lui réserve, ni quand son heure viendra. La liberté naît de l'acceptation de l'impermanence, à commencer par celle de notre propre existence.
Le borgne s'approche, un rictus mauvais déformant sa face balafrée. Il donne un coup de pied dans le cadavre du bosco.
« Sale chien d’Infidèle ! » crache-t-il à l’encontre de celui qui lui a tué quatre hommes et en a blessé autant.
« Touche encore à mon second et je te saigne comme un porc ! » gronde François de Reitrac malgré sa mauvaise posture.
Le chef des brigands éclate de rire devant cette menace vide et fait signe à ses hommes. Des cordes apparaissent. En quelques minutes, nous voilà ligotés.
« Vous êtes désormais des esclaves, » explique-t-il à notre intention. « Si personne ne paie pour votre rançon, vous finirez aux galères. »
Cette idée semble le réjouir. Pas moi. Je sais que les galères sont un enfer : les rameurs y sont enchaînés et exploités jusqu’à épuisement. Leur espérance de vie est de l’ordre de trois ans. Ils meurent de malnutrition, de maladies, des coups ou du travail éreintant. Un tiers décède dès la première année, très peu survivent plus de cinq ans. Nous marchons peut-être vers un destin pire que la mort. En plus, j’ai perdu ma pipe dans la bagarre.
Le capitaine avance devant moi, la tête haute malgré les liens. Artus grommelle des malédictions à l’encontre des bandits et Alban pleure en silence la perte de Jean-Louis.
La fortune tourne vite, en mer comme à terre.

La cave où nous sommes enfermés pue la moisissure et la pisse. Au-dessus de nous, les pas lourds des brigands résonnent sur les planches disjointes.
La nuit est tombée. Nos liens commencent à être douloureux.
« Paul, murmure le capitaine dans l'obscurité, votre magie peut nous tirer de là ?
—   Sûrement, mens-je pour leur donner de l’espoir, mais je ne peux rien faire tant que je suis entravé.
—   Alors nous allons vous aider à vous libérer. »
Mes compagnons desserrent mes liens avec leurs dents. Mon poignet et mon épaule me font affreusement souffrir, j’ai toutes les peines du monde à ne pas hurler. Enfin, la corde tombe. Je les détache à leur tour.
Accomplir la gestuelle de mes sorts avec mes blessures est une gageure, mais nous n’avons pas le choix. C’est réussir ou périr.
Je médite quelques minutes pour me mettre dans les meilleures conditions possibles. Pendant ce temps, mes compagnons s’étirent et s’échauffent. Je me concentre et je murmure l’incantation : le sort réussit et le jet d’eau qui jaillit enfonce la trappe de la cave.
Le bruit alerte nos gardiens. Mes amis se précipitent sur eux et luttent au corps à corps. Alban en étale un d’un uppercut. François de Reitrac en désarme un autre d’une clé de bras. Artus s’empare de sa hache et entaille la jambe d’un troisième jusqu’à l’os. Mes compagnons me couvrent, je suis le premier dehors.
« Les prisonniers s'évadent ! »
Le hameau s'éveille dans un concert d'aboiements et de jurons. Des lumières s'allument aux fenêtres.
« Courez ! » ordonne François de Reitrac.
Nous détalons aussi vite que nos blessures nous le permettent. Derrière nous, les cris se multiplient. Des brigands en armes sortent de leurs repaires. Les plus rapides nous rattrapent.

« Paul ! Faites quelque chose ! »
Je puise dans mes réserves pour lancer une Vague afin de balayer nos poursuivants. Mais, soit gestuelle incorrecte à cause de mes blessures, soit incantation hachée par mon souffle court, le sort échoue.
Le capitaine prend la hache des mains d’Artus et tient deux adversaires en respect pendant que le charpentier et le gabier affrontent un troisième.
Je retente de lancer mon sort. Nouvel échec.
D’autres bandits nous rejoignent. Nous allons être submergés. Mes compagnons font tout ce qu’ils peuvent pour me gagner du temps. François coupe un bras, un long hurlement déchire la nuit. Alban encaisse un coup de gourdin pour permettre à Artus de crocheter la jambe de leur opposant, qui est envoyé au tapis. Quatre hommes viennent remplacer les deux bandits tombés.
Je ferme les yeux, prend une grande inspiration et souffle longuement. Ne pas paniquer. Les brigands sont trop nombreux, une Vague ne servirait à rien désormais, il faut changer de tactique avant que mes amis ne succombent.
Je chante une mélopée en dansant avec des mouvements très amples. Je brasse des fumerolles vaporeuses qui se condensent en brume. Bientôt, un brouillard épais comme du lait enveloppe les combattants. Les bandits hésitent, craignant un mauvais coup : avec la nuit, ils n’y voient plus guère.
Mon sort ne me gêne pas, nous en profitons pour rompre l’engagement et nous éclipser. Nous courons sur la terre dure, nos blessures nous ralentissent et nos poumons haletants sifflent. Derrière nous, cavalcade désordonnée, imprécations et jurons. Nous nous éloignons du hameau en trébuchant dans l’obscurité qui nous protège. Quand enfin les bruits de poursuite s’éteignent, il ne reste plus que nos souffles brisés et le battement affolé de nos cœurs.
Nous marchons des heures, surpassant nos limites. Nous fuyons aussi loin que nos jambes veulent bien nous porter.

Undi 25e Fauche (26 mai), Anno Domini 1539.
À l’aube, nous trouvons un abri de fortune, une crevasse dans la roche, sèche et cachée par des ronces. Épuisés, nous nous y glissons comme des bêtes traquées. Nous nous allongeons sur le sol rocheux, serrés les uns contre les autres. Nous devrions avoir semés les brigands depuis longtemps, il me semble improbable qu’ils nous rattrapent. Plus tard, il faudra trouver de la nourriture, des armes, un plan. Mais ce matin, nous dormons libres. C'est déjà un miracle. Abrutis de fatigue, le sommeil nous saisit rapidement.

Reposés, nous nous concertons au sujet de la suite. Nous sommes blessés, dépouillés, le ventre vide, avec une hache pour quatre. Nous pourrions reprendre notre route jusqu’à Bùltanis mais ce n’est pas notre genre. Nous décidons de mettre fin aux exactions de ces bandits. Nous allons récupérer notre équipement et venger Jean-Louis, ou mourir en essayant …
L’après-midi, nous retournons prudemment vers le hameau. En battant la campagne, nous trouvons de quoi nous sustenter : des fèves fraîches, des abricots, des œufs d’oiseau, des herbes sauvages et de l’orge.
La nuit tombe. La lune se lève, à peine un croissant dans le ciel. Parfait : l'obscurité sera notre alliée. Nous surgissons de l’ombre comme des loups et approchons silencieusement du hameau.
François surgit derrière le premier guetteur et lui fend le crâne avec la hache. Le corps s'affaisse mollement. Nous traînons le cadavre derrière un mur et nous nous emparons de son sabre.
Deuxième sentinelle. Artus l'attrape par-derrière, l’empêche de crier, Alban lui transperce le cœur. Le corps rejoint le premier dans l'ombre.
Troisième garde, en train de pisser. Mon jet d’eau lui tape violemment la tête contre le mur. Il s’effondre dans une position grotesque, le visage en sang et le cul en l’air.
Nous voilà armés. Il doit rester encore une vingtaine de brigands dans leurs masures. Trop nombreux pour un combat frontal. Mais endormis...
Nous nous séparons : chacun prend une maison.
Je me glisse dans l’une d’elle, le cœur battant, et me repère aux ronflements. J’invoque une Vague. Mes incantations alertent un des dormeurs. Trop tard. L’eau les balaye avec l’ensemble du mobilier. Plutôt brutal comme réveil ! Je ne leur laisse pas le temps de reprendre leurs esprits : je réussis une deuxième Vague qui les écrase au mur avec la force d’un bélier. Il ne me reste plus qu’à achever les survivants, s’il y en a.
Forcément, notre sale besogne ne passe pas inaperçue. L’alerte est donnée et des cris d’alarme retentissent dans le hameau en même temps que des hurlements d’agonie.
Les bandits convergent vers nous. Le capitaine ressort d'une masure, son sabre dégoulinant. Artus émerge d'une autre, le visage fermé et la hache poisseuse. Alban fait un signe avec ses doigts : trois de moins.
Le chef ennemi fait irruption, vêtu seulement d'un pantalon, son cimeterre dans une main et son bouclier dans l’autre.
« Vous ! crache-t-il en nous reconnaissant. Je vais vous écorcher vifs ! »
Il charge comme un taureau furieux. François esquive le premier coup, pare le second, et riposte d'une botte au visage. La pointe de la rapière ouvre la joue du borgne qui recule en jurant.
« C'est pour Jean-Louis, » siffle le capitaine entre ses dents.
Il attaque avec une furie froide, enchaînant les coups avec une précision chirurgicale.
Pendant ce temps, la bataille éclate. Artus lève et abat sa hache avec une efficacité terrifiante, dans un bruit d'os cassés et de chair tranchée. Le sang éclabousse sa barbe noire, il débite les bandits comme il fendrait du bois. Alban est partout à la fois, bondissant d'un adversaire à l'autre, frappant dans les ventres et les gorges : ses années dans les gréements semblent lui avoir donné une agilité surhumaine. Quant à mes jets d’eau, ils font leur office quand je les réussis, mettant un adversaire hors combat à chaque fois.
Le borgne pare, riposte, mais il perd du terrain. Une feinte, une estocade, et la lame de François trouve son chemin jusqu’au cœur. Le chef des malandrins s'effondre à genoux en crachant du sang avant de tomber face contre terre.
Autour de nous, les quelques criminels qui le peuvent encore fuient dans la nuit, abandonnant leurs camarades morts ou agonisants.

Nous pillons le hameau. Armes, provisions, vêtements, argent, nous récupérons tout. Nous retrouvons ainsi notre équipement. Nous mangeons voracement et pansons nos plaies. Artus vide une outre de vin. Je me bourre une pipe.
Dans une grange, nous découvrons dix-huit captifs hagards, hommes, femmes et enfants, les yeux rougis de larmes et de peur.
« Vous êtes libres. » annonce le capitaine d'une voix ferme.
Certains prisonniers pleurent de joie, d'autres s'effondrent, incapables de croire à leur délivrance, quelques-uns tombent à genoux pour remercier le Ciel, d’autres nous serrent les mains avec une reconnaissance éperdue.
« Prenez des armes, de la nourriture, tout ce que vous pouvez porter. » ordonne François de Reitrac. « Nous ramènerons ceux qui le souhaite jusqu’à Bùltanis. »
Après un repos bien mérité, alors que l’aurore illumine l'horizon, nous quittons les maisons silencieuses de ce lieu de mort. Les dix-huit esclaves libérés nous suivent, formant une troupe hétéroclite mais déterminée.
La bande de routiers a été exterminée. Jean-Louis a été vengé. En pensant à notre destinée, je songe que sa mort n’a pas été vaine. Elle nous a appris le coût de la liberté.
« Modifié: 30 Septembre 2025 à 18:36:05 par Auteur »
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Re : [Fantasy / Aventure] Le prix de la liberté
« Réponse #1 le: 02 Octobre 2025 à 16:53:26 »
Bonjour Auteur,

de beaux passages dans ce texte. Une belle écriture, appuyée sur des descriptions précises. Le rapport à l'imaginaire est suffisement dosée, explicite pour qu'il ne nuit pas à la compréhension.
Toutefois, je me suis posé la question de la "cohérence" de la narration. Ce récit au présent (c'est peut-être une partie du problème) m'a causé un sentiment étrange. Tu verras dans les commentaires au fil du texte, à quel moment ça m'a questionné.

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.


B
Tout a déjà été raconté, alors recommençons.

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Re : [Fantasy / Aventure] Le prix de la liberté
« Réponse #2 le: 06 Octobre 2025 à 15:55:01 »
Merci beaucoup Basic pour ta lecture et tes corrections !

Effectivement le passage que tu soulignes m'a posé question, je vais réfléchir à faire autrement.

A très vite !
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