Le texte suivant, sous forme de dialogue, est extrait d'une longue série dédiée au monde de la justice. Plus précisément, il s'agit de scènes, de fragments, extrait d'un exercice professionnel que je pratique de longue date. Comme il se dit à la telloche, toute ressemblance avec une histoire vécue dans la vraie vie ne serait que pure coïncidence… quoi que. Le héros qui, quant à lui, ne met pas totalement étranger, répond au nom un tantinet ridicule de « Barnabé », patronyme qu'il arbore non sans fierté.Divorce (1)
Barnabé fait entrer dans son bureau une nouvelle cliente, une jeune femme plutôt élégante, peu maquillée
Barnabé – je vous en prie, chère Madame, prenez place !
(
La femme s’assied sur le bord du fauteuil que lui désigne Barnabé. Elle semble impressionnée. Barnabé s’assied face à elle de l’autre côté de son bureau)
Barnabé – Madame Delubac… Christiane. Madame Christiane Delubac.
(L
a Cliente Reste Muette)
Barnabé – Alors, Madame Delubac, en Quoi Puis-Je Vous être utile?
(
Madame De LuBac ne répond pas. Elle fouille dans son sac et en retire une liasse qu’elle tent à Barnabé lequel s’en saisit pour y jeter un œil)
Barnabé – ah, je vois. assignation en divorce !
(
Madame Delubac fond en larmes)
Barnabé – si je comprends bien, vous n’êtes pas trop d’accord.
Madame Delubac (
dans un sanglot) – non.
Barnabé – vous êtes mariés depuis longtemps ?
Madame Delubac – trois ans.
Barnabé – trois ans. Ah, les fameux trois ans.
Madame Delubac – pourquoi vous dites ça ?
Barnabé – vous n’êtes pas au courant ?
Madame Delubac – au courant de quoi ?
Barnabé – Trois ans !on dit que c’est la durée moyenne de toute histoire d’amour.
Madame Delubac – pas pour moi.
Barnabé – Oui, bien sûr. vous avez des enfants ?
Madame Delubac (
dans un nouveau sanglot) – non.
Barnabé – c’est peut-être mieux ainsi, non ?
Madame Delubac – mon mari n’en voulait pas.
Barnabé – et vous, oui.
Madame Delubac – je ne veux pas divorcer.
Barnabé – pardonnez-moi cette question, mais il a des motifs précis pour demander le divorce ?
Madame Delubac – je sais pas. Ça doit être indiqué dans la lettre
Barnabé – la lettre ? Ah oui, l’assignation. Non non la loi interdit de mentionner les raisons pour lesquelles on veut divorcer dans l’assignation., J’en déduis que vous ne l’avez pas lue
Madame Delubac – j’ai commencé, mais j’ai pas pu finir (nouveau sanglot)
Barnabé – mais, vous, vous savez pourquoi il veut divorcer ?
Madame Delubac – par ce qu’il ne m’aime plus !
Barnabé – Ah…c’est souvent comme ça. Toutefois, aussi étrange que cela puisse paraître, ça ne peut pas constituer un motif de divorce. Vous-même, avez-vous fait quelque chose qui puisse vous être reproché ? Je ne sais pas. L’avez-vous trompé ?
Madame Delubac – jamais. En trois ans, je n’ai même jamais regardé un autre homme.
Barnabé – vous auriez peut-être dû.
Madame Delubac – le tromper !
Barnabé – non, je n’ai pas dit ça. Mais, juste de temps en temps, regardez d’autres visages masculins, lui donner l’impression que vous ne lui étiez pas définitivement acquise.
Madame Delubac – je ne veux pas divorcer, vous entendez, je ne veux pas divorcer.
Barnabé –on peut faire un peu traîner la procédure, mais quand dans un couple l’un des deux veut partir… De nos jours, le divorce est conçu comme l’expression d’une liberté contre laquelle on ne peut rien
Madame Delubac – mais je l’aime, je l’aime vous comprenez (elle a prononcé ces mots avec une certaine colère)
Barnabé – OK, OK, on se calme. Mais s’il veut vraiment se bar… s’éloigner de vous… enfin, vous ne pouvez pas sérieusement imposer à quelqu’un de vivre en votre compagnie, s’il n’en a pas envie. Cela n’a pas de sens.
Madame Delubac – je vois. Vous ne voulez pas m’aider.
Barnabé – mais bien sûr que si. J’essaie simplement de vous faire comprendre…
Madame Delubac (
non sans véhémence) – quoi, qu’est-ce que vous voulez me faire comprendre ? Que j’ai tort de l’aimer, de vouloir donner un sens à ma vie, de croire en certaines valeurs comme la fidélité, la famille et tout ça.
Barnabé – je n’ai rien dit de ce genre. Je dis simplement que dans certaines circonstances, il faut savoir lâcher prise. En amour, c’est souvent contre-productif de s’accrocher.
Madame Delubac – mais qu’est-ce que vous y connaissez, vous à l’amour ? Si j’en crois ce qui se dit, ce n’est pas vraiment une réussite, non plus, votre vie personnelle.
Barnabé – Madame, je n’aime pas trop la tournure que prend cette conversation. Que vous soyez dans la souffrance, je l’entends, mais rien ne vous autorise à me prendre à partie. Je ne vous ai rien dit d’agressif. Je cherche simplement à vous aider comme vous dites.
Madame Delubac – excusez-moi, excusez-moi. Je suis à vif. Mais si vous voulez vraiment m’aider alors, aidez-moi à le reconquérir.
Barnabé – moi, que je vous aide à le reconquérir., Ce n’est pas mon boulot. Allez voir un conseiller conjugal ou, je ne sais pas, un psychologue. Dois-je vous rappeler que je suis avocat.
Madame Delubac – eh bien justement, ça devrait vous changer un peu d’aider un couple à se reconstituer plutôt qu’à se défaire.
Barnabé – mais encore une fois, ce n’est pas mon travail..
Madame Delubac (
se levant brusquement) – très bien ! Je sais ce qu’il me reste à faire.
Barnabé – qu’est-ce que vous faites ?
Madame Delubac – je m’en vais. Adieu.
Barnabé – commença, adieu ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
Madame Delubac – advienne que pourra. Tout m’est égal désormais.
Barnabé – asseyez-vous ! (
Elle reste debout, immobile et silencieuse).Barnabé (
haussant le ton) asseyez-vous, bon Dieu ! Qu’est-ce que c’est que ce chantage ?
Madame Delubac : – comment ça, chantage ?
Barnabé – qu’est-ce que vous sous entendez ? « Adieu » ça veut dire quoi ?
Madame Delubac – ça veut dire ce que ça veut dire !
Barnabé – vous vous rendez compte ?
Madame Delubac – et vous, vous vous rendez compte ? Vous rendez compte de ce que je vis ? Je ne mange plus, je ne dors plus. Comme dans la chanson. Je suis malade. Et quand j’arrive à trouver le sommeil, au réveil, c’est pire encore. La réalité me revient comme un coup de poing en pleine face. J’essaie de ne pas penser, mais c’est comme si j’essayais de ne pas respirer.
Barnabé – Phèdre !
Madame Delubac – quoi ?
Barnabé – Racine ! Vous connaissez ? « C’est Vénus tout entière à sa proie attachée » toujours d’actualité.
Madame Delubac – je ne comprends rien à votre charabia.
Barnabé – c’était juste pour vous dire que vous n’avez pas l’exclusivité de la souffrance.
Madame Delubac – qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse votre Phèdre ou votre Racine ? Toute la littérature du monde ne pèse rien face au deuil de ma rupture.
Barnabé – même pas une petite consolation ?
Madame Delubac – non. Rien je vous dis.
Barnabé – écoutez, Madame Delubac, je ne suis ni professeur de littérature, ni conseiller conjugal, mais je suis certain de deux ou trois choses.
Madame Delubac (
elle s’assoit) – allez-y, dites-moi. Que j’ai au moins l’impression de n’être pas venue pour rien !
Barnabé – la première… vous n’allez pas me croire…
M
adame Delubac – je vous écoute.
Barnabé – la première c’est qu’un jour qui n’est peut-être pas si éloigné, vous allez cesser de souffrir.
Madame Delubac –N’importe quoi ! comment c’est possible ?
Barnabé – par ce que c’est obligatoire. Par ce qu’aucune souffrance n’est éternelle. Parce que la vie est ainsi faite et que les plaies de l’âme sont comme les plaies du corps et qu’elle se cicatrise. Ce qui aujourd’hui vous paraît insoutenable, demain ou après-demain vous paraîtra… anecdotique.
Madame Delubac – anecdotique ! Mais c’est dingue de dire un truc comme ça. Je ne peux pas vivre sans lui !
Barnabé – s’il le faut, vous le pouvez. C’est une certitude et les idées noires qui vous trottent dans la tête vous seront totalement étrangères. Un jour, vous rirez à nouveau, vous aimerez à nouveau.
Madame Delubac – taisez-vous ! Je ne veux pas.
Barnabé – écoutez-moi quand même ! La seconde chose que je peux vous dire…
Madame Delubac – je ne veux plus vous entendre. Laissez-moi partir (
elle se lève).
Barnabé – faudrait savoir ce que vous voulez ! Si vous voulez avoir la moindre chance de le reconquérir vous allez m’écouter.
Madame Delubac (
se rasseyant) – pardonnez-moi. Je vous écoute, je vous écoute.
Barnabé – quand il vous a dit qu’il voulez-vous quitter, qu’est-ce que vous lui avez répondu ?
Madame Delubac – d’après vous ?
Barnabé – vous vous êtes effondrée, vous avez pleuré, vous avez dit qu’il n’en était pas question, que vous ne vouliez pas divorcer…
Madame Delubac – un peu tout ça, oui
Barnabé – depuis lors, que lui dites-vous ?
Madame Delubac – eh bien, toujours la même chose, que je ne veux pas.
Barnabé – il va falloir faire et dire tout le contraire.
Madame Delubac – mais…
Barnabé – il n’y a pas de mais. Vous voulez le récupérer, oui ou non ?
Madame Delubac (
timidement) – oui.
Barnabé – je ne sais pas si vous allez y arriver, mais ce dont je puis vous assurer, c’est qu’il n’y aura pas d’autres moyens.
Madame Delubac – je ne vais pas savoir. Qu’est-ce que je peux lui dire ?
Barnabé – vous allait lui dire que vous avez bien réfléchi, que finalement c’est lui qui a raison.
Madame Delubac – je ne pourrai pas lui dire ça ! Je n’en pense pas un mot.
Barnabé – mais on se fout de ce que vous pensez ; c’est ce qu’il pense, lui, qui est important.
Madame Delubac – mais il va croire que je ne tiens plus à lui !
Barnabé – exactement et c’est ce qu’il faut. Vous allez le prendre à contre-pied. Il va se dire tiens, qu’est-ce qui se passe, elle a changé ? Il y a un truc.
Madame Delubac – mais ça va lui faciliter les choses.
Barnabé – oui, et alors ? C’est ce qu’il faut. Pour l’instant, vous êtes dans un rapport de force ou c’est vous la victime. Vous êtes à pleurer de supplication. « S’il te plaît, s’il te plaît, ne me quitte pas, ne me quitte pas. Je veux devenir l’ombre de ton chien et tutti quanti. Croyez-moi, pour un homme, il n’y a rien de plus insupportable.
Madame Delubac – vous croyez ?
Barnabé – certain !
Madame Delubac – et s’il s’en va…
Barnabé – de moins de
Madame Delubac – vous êtes fou. Vous ne le connaissez pas. Il n’attend que ça. Là, il reste encore un peu parce qu’il a peur que je fasse une bêtise.
Barnabé – c’est bien ce que je disais ; c’est du chantage. Vous l’obligez à rester pour de très mauvaises raisons. Est-ce que vous vous rendez compte que ça ne pourra que mal finir. Soit vous allez finalement la faire cette bêtise, soit il va rester encore un mois ouu deux et vous allez vivre l’enfer. Mais ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas comme ça qu’il redeviendra amoureux.
Madame Delubac – par ce qu’il redeviendra amoureux, vous croyez ?
Barnabé – on a vu souvent rejaillir le feu d’un ancien volcan qu’on croyait éteint !
Madame Delubac – c’est beau, ce que vous dîtes là.
Barnabé – oui, mais c’est pas de moi.
Madame Delubac (
prenant congé) – ça fait rien, c’est beau quand même. Ça me redonne un peu d’espoir. Combien je vous dois ?
Barnabé – on verra ça la prochaine fois.
Madame Delubac – la prochaine fois ? On va se revoir.
Barnabé – bien sûr, qu’on va se revoir. Vous n’allez pas me quitterr comme ça.
– divorce (2)
La scène commence directement dans le bureau de Barnabé en conversation avec Madame Delubac
Madame Delubac – alors, je lui dis : « tu prends tes fringues et tu te barres ! »
Barnabé – c’est peut-être un peu violent, non.
Madame Delubac – mais c’est vous qui m’avez dit…
Barnabé – oui, bien sûr. Mais c’était une façon de parler. Peu importe peu importe. Alors, qu’est-ce qui s’est passé ?
Madame Delubac – eh bien, c’est étrange, mais je me suis senti mieux.
Barnabé – c’est-à-dire ?
Madame Delubac – dans ses yeux, j’ai vu comme une sorte de peur ou en tout cas d’inquiétude.
Barnabé – il a répondu quelque chose ?
Madame Delubac – pas tout de suite. J’ai eu l’impression que dans sa tête, un truc s’était coincé. Vous savez, comme une voiture qui cale.
Barnabé – oui, mais, il a redémarré?
Madame Delubac – il a marqué un temps, puis il a dit : « tout de suite. »
Barnabé – « tout de suite ! » Ou « tout de suite ? »
Madame Delubac – plutôt « tout de suite ? »
Barnabé – intéressant.
Madame Delubac – vous trouvez ?
Barnabé – alors, il est parti ?
Madame Delubac – oui et non. Certaines nuits il dort chez nous et d’autres non. En fait, il prend la maison pour un hôtel .
Barnabé – et vous vivez ça comment ?
Madame Delubac – pas très bien.
Barnabé – il y a quelque chose que je me demande…
Madame Delubac – moi aussi
Barnabé – vous aussi…et si c’était la même question. Vous d’abord
Madame Delubac – non vous, moi je n’ose pas j’ai trop peur.
Barnabé – Je crois deviner . Ma question est probablement une réponse à la vôtre.
Madame Delubac (
agacé) – s’il vous plaît…
Barnabé – d’accord. Votre interrogation à vous, Madame Delubac, c’est de savoir s’il vous trompe. La mienne c’est pourquoi il ne part pas définitivement. Pourquoi revient-il comme ça ?
Madame Delubac – qu’est-ce qui vous fait dire que votre question répondrait à la mienne ?
Barnabé – réfléchissez. Imaginez qu’il file avec une autre le parfait amour.
Madame Delubac (
éclatant en sanglots) – je ne peux pas imaginer ça. C’est au-dessus de mes forces.
Barnabé (l
ui tendant un mouchoir) – OK, OK, donc c’est moi qui vais l’imaginer. J’imagine Monsieur Delubac envahi d’une passion amoureuse, vous savez, de ses passions amoureuses ravageuses qui portent un homme ou une femme à changer de vie.
Madame Delubac – oui, oui et alors. Dépêchez-vous !
Barnabé – donc, il est éperdument amoureux. Votre rival, une jeune femme évidemment, lui a dit ce que disent toutes les rivales : « c’est elle ou moi ! » Tous les deux, vous n’avez pas d’enfant et en quelque sorte, vous lui avez rendu sa liberté. Non seulement vous lui avez rendu, mais pour être clair, vous l’avez fichu dehors. Je vous pose la question.
Madame Delubac (é
nervé) – quelle question ? Quelle question ?
Barnabé – à sa place, vous feriez quoi ?
Madame Delubac – je ne sais pas.
Barnabé – Vous ne savez pas ! Enfin voyons vous venez de tomber amoureuse, rien ne vous retient. Nécessairement vous partez avec votre nouvel amour.
Madame Delubac – ce n’est pas faux. Peut-être.,
Barnabé – mais pas peut-être ! C’est une certitude. Nous avons avancé. Le motif profond de son divorce n’est pas sentimental. Ce n’est pas une autre femme.
Madame Delubac – peut-être une autre qui ne veut pas de lui ?
Barnabé – si déjà elle ne veut pas de lui, c’est plutôt une bonne nouvelle, non croyez-moi, dans ma profession, j’en ai vus des couples se défaire et se refaire et là, y’a pas photo. Quel âge avez-vous ?
Madame Delubac – 28 ans
Barnabé – et lui ?
Madame Delubac – 29.
Barnabé – et bien, je peux vous dire qu’un jeune marié de 29 ans, sans enfant qui tombe amoureux d’une autre femme et qui est payé de retour, il ne tergiverse pas. Il ne revient pas à la maison voir maman. Il se casse et tchao bonsoir.
Madame Delubac (sidéré) – mais alors…
Barnabé – oui, c’est aussi ce que je pense…
Madame Delubac – mais alors, c’est plus grave beaucoup plus grave.
Barnabé – dans un sens.
Madame Delubac – s’il y en avait une autre, je pourrais me battre.
Barnabé – oui, enfin, non, pas vraiment. Vous ne feriez pas le poids. Un amour installé ne fait jamais vraiment le poids devant une passion naissante.
Madame Delubac – mais là, c’est vraiment qu’il ne m’aime plus… (elle sanglote)
Barnabé – vous n’allez tout de même pas vous mettre à regretter qu’il ne vous trompe pas !
Madame Delubac –Siiiiiiiiii…
Barnabé (
lui tendant un nouveau mouchoir) – allons, allons, c’est peut-être une crise comme il y en a dans tous les couples. C’est la première fois qu’il y a un coup de mou comme ça ?
Madame Delubac – une assignation en divorce, vous appelez ça un coup de mou, vous.
Barnabé – franchement ce ne serait pas la première fois que je verrai un couple commencer une procédure de divorce qui tourne court.
Madame Delubac – c’est vrai, c’est déjà arrivé ?
Barnabé – mais bien sûr ! Mais tout le temps, enfin… parfois.
Madame Delubac – vous dîtes ça pour me rassurer.
Barnabé – oui, un peu, mais pas complètement.
Madame Delubac (
en colère)– je veux qu’il parte. Je veux qu’il foute le camp !
Barnabé – vous êtes prêts au grand saut ?
Madame Delubac – d’un côté comme dans l’autre, c’est l’enfer. Je veux mourir.
Barnabé – ah mais, ça ne va pas recommencer ! (Il ouvre le tiroir de son bureau et en sort quelque chose qu’il pose devant lui) tenez !
Madame Delubac – qu’est-ce que c’est ?
Barnabé –du saporate de cyanure. Vous en prenez trois comprimés. Vous allez voir, c’est très efficace.
Madame Delubac – efficace pour quoi ?
Barnabé – pour le grand saut, le vrai, celui-là. Vous prenez ça ce soir avant de vous endormir, et hop, le gros dodo. Demain matin, vous ne vous réveillez pas.
Madame Delubac – mais vous êtes fous ! Vous avez ça dans votre tiroir !
Barnabé – prenez le, puisque vous voulez en finir.
Madame Delubac – au secours !
Barnabé – calmez-vous ce n’est que de l’aspirine
Madame Delubac – vous m’avez fait peur.
Barnabé – ça va, vous avez repris vos esprits ? Vous ne voulez plus mourir ? On peut parler, maintenant, sérieusement, entre adultes ?
Madame Delubac – oui, oui. Je ne sais plus quoi faire. Vous m’aviez dit…
Barnabé (
la coupant) – je vous ai dit que j’étais avocat,. Pas conseiller conjugal, encore moins magicien. Je ne sais pas, moi. Allez mettre un cierge à Saint truc quoi saint machin,
Madame Delubac – merci du conseil. C’est déjà fait.
Barnabé – j’en conclus que ça machin doit être en vacances. Écouter, on va essayer quelque chose.
Madame Delubac – quoi ?
Barnabé – la bonne vieille technique de la jalousie.
Madame Delubac – ça marchera pas. D’une, s’il ne même plus, il ne sera pas jaloux et de deux, je ne connais personne.
Barnabé – de
Madame Delubac – en fait,, depuis qu’on se connaît, il m’a coupé de toutes mes relations. Il est très exclusif, vous savez.
Barnabé – Madame Delubac, je ne vous comprends pas. Vous viviez avec un homme exclusif, dites-vous, qui vous mettait sous cloche, qui vous coupez de tout le monde et alors que vous avez l’occasion de recouvrer votre liberté, vous n’avez qu’une idée en tête, c’est de retourner dans sa dépendance.
Madame Delubac – vous ne pouvez pas comprendre.
Barnabé – non, bien sûr, je ne peux pas comprendre, le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas.
Madame Delubac – oh, c’est beau ce que vous dîtes.
Barnabé – hélas, ce n’est toujours pas de moi.,. Voilà ce que vous allez faire : quand il va venir à l’hôtel, comme vous dîtes, c’est vous qui allez vous y rendre.
Madame Delubac – c’est-à-dire ?
Barnabé – je suis sûr que quand il revient, en fait, vous êtes contente. Il y a toujours quelque chose à manger dans le réfrigérateur. Même, vous devez lui préparer son souper.
Madame Delubac – oui.
Barnabé – et bien, maintenant, fini !Il se débrouille. Vous lui dîtes : « désolé, ce soir je ne serais pas là. J’ai un rendez-vous » et s’il vous demande avec qui, vous lui répondrez que ça ne le regarde pas.
Madame Delubac – mais je ne pourrais jamais.
Barnabé – bien sûr que si. Vous allez voir, ce n’est que le premier pas qu’écoute. Après, vous vous demanderez comment vous avez pu accepter tout ça.
Madame Delubac – et où je vais aller ? Une femme seule à l’hôtel, vous ne vous rendez pas compte, ça fait mauvais genre
Barnabé – Ah parce que ça ne fait pas mauvais genre d’attendre toute seule à la maison que son petit mari rentre ou ne rentre pas selon ses caprices ou ses rencontres d’un soir , d’être la gentille esclave bien soumise qui prépare la sousoupe de son maître pour le cas où.
Madame Delubac – mais je ne suis pas son esclave, vous exagérez.
Barnabé – non ? Mais qu’est-ce que vous vivez de bien dans votre vie. Vous ne vivez que par lui, en fonction de ses passages. Qu’est-ce que vous faites d’autres que de le servir ? Et, au total, comment voulez-vous qu’il reste amoureux d’une servante ?,
Madame Delubac – taisez-vous ! Vous dîtes n’importe quoi. Je ne suis ni son esclave ni sa servante. Je… je… je l’aime, c’est tout. (Elle pleure) vous avez raison. Je vais… je vais. Mais, j’ai peur. Ce sera la première fois.
Barnabé – moi aussi.
Madame Delubac – comment ça, vous aussi ?
Barnabé – eh bien, oui, la première fois que je dis ça à quelqu’un, à une femme.
Madame Delubac – alors, vous ne savez même pas si ça va marcher.
Barnabé – non. Non, mais je vous défends de m’en faire reproche. Demandez-moi de vous divorcer, ça, je sais faire. Mais le reste, on est à égalité de compétences. Vous vous souvenez, quand vous êtes venue dans mon cabinet, au premier rendez-vous, vous m’aviez dit que ma vie personnelle n’était pas forcément une réussite…
Madame Delubac – oui et je m’en excuse.
Barnabé – non, non, ne vous excusez pas. Vous n’aviez pas complètement tort. Mais c’est peut-être pour ça que je continue contre vents et marées ce fichu métier, parce que ça me permet de rencontrer des gens comme moi, comme vous, un peu cabossés, un peu meurtris et de leur dire que la vie, c’est comme la marche à pied, on avance que par ce que l’on vacille d’un pied sur l’autre.
Divorce (3)
Barnabé entre dans un bureau de tabac-journaux-café. Il croise une jeune femme pimpante, habillée sexy et maquillée qu’il ne reconnaît pas. Il s’agit de Madame DELUBAC transformée en bombe sexuelle.*
Scène 1 –
Madame DELUBAC – Maître Barnabé !
Barnabé – je vous demande pardon, on se connaît ?
Madame DELUBAC – Christiane DELUBAC, vous ne vous souvenez pas de moi ?
Barnabé – Madame DELUBAC ! Ça alors ! Justement je me demandais ce que vous étiez devenue, je note avec plaisir une certaine, comment dirais-je… évolution de votre…
Madame DELUBAC – grâce à vous, maitre.
Barnabé – je n’ai pas eu le plaisir de vous revoir après notre dernier rendez-vous. J’en ai conclu que les choses s’étaient arrangées.
Madame DELUBAC – on peut dire ça. Puis-je vous offrir un verre ?
Barnabé – quelle audace ! Vous n’avez pas peur que cela fasse… mauvais genre ?
Scène 2
Barnabé et Madame DELUBAC sont assis autour d’une table de café, verre en mainBarnabé – en voilà une surprise ! Quand même, j’aurais bien aimé savoir ce que vous étiez devenue avec votre polisson de mari.
Madame DELUBAC – polisson, polisson, faut le dire vite.
Barnabé – en tout cas, vous n’avez pas divorcé. Ça fait combien de temps que… ?
Madame DELUBAC –… que je suis passé vous voir ? huit mois.
Barnabé – dites donc…
Madame DELUBAC – vous aviez raison, vous savez.
Barnabé – raison pour quoi ?
Madame DELUBAC – vous vous souvenez. J’étais désespéré et vous m’avez dit : « un jour, ça vous paraîtra anecdotique ». Je n’avais pas aimé. Eh bien, je dois reconnaître que finalement…
Barnabé – tant mieux. Je vous l’avais dit, le temps arrange bien des choses.
Madame DELUBAC – oh, pas seulement le temps.
Barnabé – mille questions me brûlent les lèvres mais je m’en voudrais de vous embarrasser.
Madame DELUBAC – je reconnais volontiers que je vous dois bien une ou deux informations…si si.
Barnabé – si je puis me permettre, vous ne me devez pas que cela…
Madame DELUBAC – mon Dieu ! Où ai-je la tête ? Bien sûr, votre facture !
(elle cherche dans son sac à main un hypothétique carnet de chèques). Vous avez croire que je fais exprès, mais, j’ai oublié mon carnet de chèques.
Barnabé – quel dommage !
Madame DELUBAC – de toute façon, je ne pourrais jamais m’acquitter de tout ce que je vous dois.
Barnabé – dans ces conditions, pas de problème. Mais dites m’en plus.
Madame DELUBAC – vous vous souvenez du conseil que vous m’aviez donné ?
Barnabé – oui, enfin non, pas vraiment.
Madame DELUBAC – vous m’aviez recommandé de prendre mes distances lorsqu’il revenait à la maison et de cesser de lui préparer des petits plats. Alors je l’ai fait.
Barnabé – et ?
Madame DELUBAC – la cuisine, c’est pas trop ça qui l’a gêné. Non, les choses ont commencé à bouger lorsque je lui ai dit que j’avais un rendez-vous.
Barnabé – je suis sûr qu’il vous a demandé avec qui
Madame DELUBAC – exactement
Barnabé – et vous lui avez répondu ?
Madame DELUBAC – je lui ai dit : « ça me regarde ». Il a encaissé. « Tu as raison, vis ta vie » il a fait avec un sourire un peu forcé. Mais j’ai bien vu que ça le grattait quelque part.
Barnabé – bien joué
Madame DELUBAC – n’empêche le lendemain, il est rentré pas trop tard. il avait acheté du jambon et une baguette. Je lui ai refais le même numéro, mais cette fois, je m’étais aspergée de parfum.
Barnabé – très bon le coup du parfum. Ça vous met un homme dans les starting-blocks érotiques. Mais, dites-moi, vous aviez réellement un rendez-vous ?
Madame DELUBAC – non, je n’avais pas de rendez-vous, en tout cas pas ce soir-là.
Barnabé – ah parce que…
Madame DELUBAC – eh bien oui, comme vous dîtes, le parfum, bien géré, c’est fou ce que ça peut amener comme conversations..
Barnabé – si je comprends bien, vous avez fait une rencontre.
Madame DELUBAC – une rencontre ! (Elle éclate de rire) Des rencontres, vous voulez dire.
Barnabé – dois-je en conclure que votre passion pour votre époux s’en est trouvée amoindrie?
Madame DELUBAC – ce n’est pas si simple.
Barnabé – allons donc, qu’est-ce qui est simple de nos jours ? Le passé, peut-être.
Madame DELUBAC – le passé ! Et pourquoi le passé ?
Barnabé – mais parce que « le passé simple » ?
Madame DELUBAC (
elle rit) – Je n’ai jamais été très forte en conjugaison ! cela dit, vous n’imaginez pas à quel point c’est vrai pour moi. j’ai eu un passé très simple, vous savez. J’ai grandi dans l’amour et sous la protection de mes parents. J’ai eu mon bac avec mention. J’ai fait des études d’une traite et je me suis mariée . Tout ça sans la moindre anicroche.
Barnabé – vous connaissez la théorie d’Azaïs ?
Madame DELUBAC – qui ça ?
Barnabé – Azaïs le philosophe préféré de Napoléon.
Madame DELUBAC – c’est à peine si je connais Napoléon, alors, vous pensez, son philosophe préféré…
Barnabé – Azaïs affirme que les épreuves et les succès, les problèmes et les solutions sont intrinsèquement liées et se compensent naturellement. En d’autres termes, le lot de vos ennuis doit correspondre quantitativement au lot de vos satisfactions.
Madame DELUBAC – ce qui voudrait dire alors que mes 28 années de bonheur familial…
Barnabé – devrait avoir pour équivalent 28 années de …
Madame DELUBAC –… d’emmerdements !
Barnabé – Oh, Madame DELUBAC, comme ce vilain mot fait tache sur vos jolies lèvres !. Mais c’est à peu près cela…en théorie. mais vous savez, les théories….
Madame DELUBAC – Une théorie qui avait quand même Napoléon pour adepte et quand on regarde sa biographie, on ne peut s’empêcher d’y apporter un certain crédit.
Barnabé – ne détournez pas la conversation et, si ce n’est pas trop indiscret, expliquez-moi pourquoi vous dîtes que ce n’est pas si simple ».
Madame DELUBAC – Ne m’aviez-vous pas dit qu’il pourrait m’être salutaire de tourner mon regard vers d’autres visages ?
Barnabé – vous n’allez quand même pas me rendre responsable de votre dévergondage !
Madame DELUBAC – il est vrai que vous m’aviez plutôt orienté vers des visages masculins, si mes souvenirs sont exacts.
Barnabé – oui, enfin, d’autres visages, d’autres paysages, d’autres horizons. Vous vous souvenez de cette belle phrase de Saint-Exupéry : l’amour ce n’est pas se regarder les yeux dans les yeux, mais…
Madame DELUBAC –…regarder dans la même direction. Oui, oui, je connais. Faut-il encore savoir quelle direction prendre, à droite, à gauche, en haut, en bas. faut pas se tromper, quoi.
Barnabé – je sens dans votre propos pointer comme une nouvelle crise existentielle.
Madame DELUBAC – vous ne vous trompez pas.
Barnabé – quelque prince charmant, sans doute
Madame DELUBAC – je serais navrée, Maître Barnabé, que vous gardiez de moi l’image d’une belle endormie. Et puis, de vous à moi, il n’y a pas que les princes dans la vie.
Barnabé – vous avez raison, Il rôde encore de dans mon esprit quelque vieux cliché issu d’une génération patriarcale dont je suis le survivant.
Madame DELUBAC – non, ne vous méprenez pas. Mon féminisme naissant n’a pas encore aboli les vestiges en moi de l’ancien monde. Non, quand je dis qu’il n’y a pas que les princes, c’est que je fais référence aux princesses, vous savez, ces princesses qui sur leur destrier combattent les dragons pour venir réveiller d’un baiser la Belle au bois dormant
Barnabé – les princesses… voulez-vous dire que. Enfin, pardonnez-moi, je n’ose comprendre.
Madame de bac – osez, maitre osez.
Barnabé – mettez-vous à ma place,.il y a huit mois, je reçois dans mon cabinet une jeune femme timide et désespérée dont l’angoisse majeure est d’être quittée par son mari. Et me voici en présence d’une affranchie qui tel un papillon sorti de son cocon semble vouloir butiner de fleurs en fleurs.
Madame DELUBAC- eh oui j’ai connu les affres d’un naufrage, mais la mer ne m’a pas emportée. Je suis une rescapée. Après avoir frisé la noyade, j’ai la ferme intention…
(
une jeune femme, Éliette, est entrée dans le café et se dirige vers la table de Madame DELUBAC et Barnabé)
Éliette (
à Madame DELUBAC) – excuse-moi, ma chérie, je suis en retard, mais j’ai bien cru ne pas pouvoir venir. Le patron ne voulait pas me lâcher.
(Les deux femmes échangent un tendre baiser) Madame DELUBAC – maître Barnabé, je vous présente Éliette, ma princesse. Éliette, maître Barnabé, tu sais, l’avocat dont je t’ai parlé, mon coach.
Éliette – c’est donc à vous, Maître, que je dois le plaisir d’avoir rencontré Christiane.
Barnabé – oh, je n’y suis pas pour grand-chose. J’avais juste une vieille boîte d’aspirine dans le tiroir de mon bureau.
Éliette – une boîte d’aspirine ?
Madame DELUBAC – t’inquiète ! C’est un petit secret pharmaceutique entre mon avocat et moi.
Barnabé – oui, j’ai fait médecine avant mon droit.
Éliette – c’est bon à savoir. Il faudra que je vienne vous voir. J’ai souvent des maux de tête après l’amour.
Madame DELUBAC – au fait, maître Barnabé. Le truc-là, l’agitation, c’est toujours valable ?
Barnabé – l’agitation ? Je… je ne comprends pas.
Madame DELUBAC – mais si, vous savez, les papiers que je vous avais remis la première fois que je suis venue dans votre cabinet.
Barnabé – ah, l’assignation !eu oui, oui oui. Enfin, j’espère, il faudra que je regarde. Pourquoi ?
Madame DELUBAC – par ce que je me demande si finalement…
Fin