[Alfred]

            J’ai sauté dans le premier avion pour m’aérer l’esprit, le ventre vide, sans regarder la destination ; mais d’abord, attendu deux heures, seul sur une rangée de sièges bleus, devant la baie vitrée donnant sur la piste et les coucous mécaniques y roulant – quelques péquins çà et là dans la salle d’embarquement ; un type tout sec aux traits tirés et cheveux gris dans son costume marron, ne lâchant pas sa montre et des doigts tapotant la tranche de son attaché-case ; une hôtesse de l’air rouge à lèvres pimpant à son guichet, sous son calot toute fière ; une famille des plus banales, môme infernal chaussures et sacs de randonnée ; et quelques autres que j’ai oubliés.

Mon estomac a grogné, me suis senti tout faible.

Compté les pièces dans ma poche, puis le tarmac ai continué à regarder – de plus belle gueulant l’estomac.

Enfin, un haut-parleur a crachoté un imbitable charabia – en français en anglais, pour deux fois plus de plaisir – au cours duquel nous nous sommes tous levés pour passivement se diriger – un triste troupeau de bovins – au comptoir d’embarquement à l’entrée de la passerelle menant à l’avion, où l’hôtesse m’a souri – mais à moi comme aux autres.

Suis arrivé au siège traînant les pattes, me collant la tronche au hublot, juste à côté de l’aile et ses loupiottes clignotantes – mon estomac enfin calmé, écrasé au décollage – voyant la terre – champs et bâtiments – s’éloigner, un décor apparaître – deux-trois tremblements –  là où tout se conjugue au blanc, au gris parfois ensemble. Le plus grisant c’est la mer : immense étendue bleue, se perdant aux horizons à cette hauteur, dure comme du béton – on ne peut s’empêcher de se demander « Et si ça capotait ? Un moteur en panne un trou dans la carlingue, le pilote une crise cardiaque, ou n’importe quoi d’autre » ; saloperies de statistiques biaisées – faut pas s’en faire (à dire en ricanant).

[Léilwën]

 

Merci pour l'OVNI de prose poétique qui ne dit "je" que pour démarrer et qui fait ce qu'il veut de la ponctuation !
Je ne saurais expliquer pourquoi, mais j'ai bien aimé... peut-être que la poésie intrinsèque, les virgules manquées et les tirets à foison m'ont fait voyager...

Merci !

Juste 2 remarques :

quelques autres que j’ai oublié

=> +s

où l’hôtesse m’a sourie

=> -e

[Alfred]

Merci pour ces retours chaleureux, je n'peux que cacher mon sourire derrière mon écran.

Et également merci pour les corrections Léilwën — ce foutu verbe "avoir" qui me fait encore boité après toutes ces années.

J'aime bien ce genre de texte. Pas besoin de soucier spécialement du propos, juste jouer avec les mots et les sonorités, à jacter ses phrases seul entre ses quatre murs, pour voir si chaque élément coulisse au mieux avec le précédent et le suivant. Ça a des vertus relaxantes même, comme toute activité minutieuse d'ailleurs.

[Claudius]

nous nous sommes tous levés pour passivement se diriger

j'aurais mis "nous diriger"

C'est un étrange texte, que j'ai eu tendance à vouloir corriger me disant : il oublie des mots ! Et puis non, il est bien comme ça, des bribes de pensées qui suivent le regard, un regard qui balaye autour sans vraiment s'arrêter. Qui suivent l'instant, pas le temps de faire des phrases, pas le temps de se poser, juste effleurer et passer au suivant.

 

[Alfred]

Sur ce point Claudius, je t'avoue que je suis partagé entre "se" et "nous". A posteriori, je mettrais plutôt "nous", mais qui dit texte posté dit texte terminé — sinon on en finit jamais — donc toumpi !

C'est un étrange texte, que j'ai eu tendance à vouloir corriger me disant : il oublie des mots !

Merci — et je me réjouis d'avoir provoqué ce sentiment en toi, héhé.

[Léilwën]

qui dit texte posté dit texte terminé — sinon on en finit jamais

=> hum... je ne suis pas tout à fait d'accord... parfois quand les textes te plaisent et que tu veux les améliorer, tu peux les fignoler grâce au retour de tes lecteurs !

Ou pas !

[Ari]

J'aime bien le rythme et la mélodie des phrases.
Mon mini-bout préféré : "là où tout se conjugue au blanc, au gris parfois ensemble." et puis la mer dure comme du béton. (ancienne phobique de l'avion bonjour  ).

 

mais qui dit texte posté dit texte terminé — sinon on en finit jamais — donc toumpi !

Pourquoi pas... Comme Léilwën j'aurais plutôt tendance à vouloir profiter du forum pour saisir l'occasion de s'améliorer.

La ponctuation ne m'a pas dérangée, sauf curieusement à cet endroit :

on ne peut s’empêcher de se demander « Et si ça capotait ? Un moteur en panne un trou dans la carlingue,

où pour moi il faudrait vraiment ":" avant les guillemets.

L'autre chose qui m'a gênée c'est l'alinéa pour le premier paragraphe et pas pour les suivants.
Mais je suis peut-être atypique dans ma psychorigidité.
En revanche l'utilisation des phrases, virgules, tirets, ne m'a pas fait sourciller !

Au total merci pour ce petit décollage .

[Alfred]

Aaaaah mais je suis d'accord avec vous, le forum sert notamment à s'améliorer, à construire sa plume la perfectionner, en plus d'en découvrir d'autres, ma foi parfois fabuleuses.
Ce que je voulais dire — j'aurais dû développer — c'est qu'en l’occurrence, une fois le texte posté, je le considère comme terminé, sinon je suis capable de m'échiner à le retoucher encore et encore, à n'en plus finir. En r'vanche, je prends toujours les critiques que l'on me fait pour mes futures productions.

Merci beaucoup Ariane, je suis vraiment touché par tous ces retours, forts encourageants. Ça redonne un peu de foi, je l'avoue.

Pour le premier passage cité, à mon avis je n'aurais pas dû mettre de majuscule à "et" — je trouve, étrangement, les deux points bien trop solennels. Et l'alinéa, j'ai tendance à en faire uniquement au début d'un propos, sûrement par habitude de la dissertation, sans pour autant d'ailleurs en connaître les règles d'usages, telles que fixées par les conventions.