]Un texte doux-amer, juste pour se détendre...
Arnaque à la lingerie fine.
Les différents épisodes de cette saga infernale me semblent dater d’hier, alors qu’ils remontent à plus de trente ans déjà. C’est dire à quel point cette sordide histoire m’a marqué.
Je revois encore ma femme entrer avec fracas dans cette pièce à l’étage, que j’étais en train d’agencer en bureau. La voix d’Oriane claqua comme un coup de cravache.
-Tu peux me dire ce que ça fichait dans le dressing de notre chambre ? m’avait-elle lancé, l’écume au bord des lèvres.
Elle agitait avec répugnance un soutien-gorge qu’elle pinçait par une seule bretelle, comme si elle tenait un rat mort par la queue.
-Euh non, je ne sais pas, lui répondis-je incrédule et sincèrement surpris. Pourquoi, ce n’est pas à toi ?
-Ne me prends pas pour une idiote ! Tu m’as déjà vue porter un truc pareil ? s’insurgea Oriane.
-C’est peut-être à Laura ? Elle l’a peut-être rangé là par erreur. Je faisais allusion à notre fille unique âgée de 16 ans.
-Laura met des bonnets C, pas des bonnets D ! pesta Oriane. Ce soutif n’est ni à moi ni à ta fille. La vérité, c’est que tu as une maîtresse Ghislain et tu l’as ramenée ici pour... Elle tremblotait, suffoquait, ses yeux me perçaient de cent mile flèches. Ah…Me faire ça après 15 ans de mariage ! Espèce de saligaud. C’est monstrueux ! Elle éclata en sanglots après m’avoir jeté le soutien-gorge en pleine figure. Je voulus la prendre dans mes bras, la rassurer sur ma fidélité.
-Chérie, je ne comprends pas, il doit y avoir un malentendu… Elle me repoussa vigoureusement.
Il me fallut abandonner mes étagères et consacrer le reste de l’après-midi à plaider ma cause, devant l’espèce de tribunal monté par ma femme et ma fille dans la cuisine. Non, il n’y avait pas d’adultère. Je n’avais pas d’amante. Je n’étais pas vicieux au point de ramener une autre femme dans le lit conjugal.
-Mais alors comment ce soutien-gorge est arrivé ici ? braillait ma femme. J’étais pris de court. Je n’avais pas d’explication.
-Et bien appelez mes collègues du lycée ! Allez demander aux voisins si je fais rentrer une femme ici pendant que vous n’êtes pas là ! Ils vous diront tous la même chose. Il n’y a personne dans ma vie. Personne d’autre que vous deux. C’est vous les femmes de ma vie…Et je ne sais pas comment ce truc a atterri dans le dressing. Ma femme continuait à sangloter pendant que ma fille m’inspectait d’un air dur, impitoyable, cherchant dans mes yeux ou mon attitude le moindre signe de trahison. Je soutenais son regard avec orgueil, certain de ma probité.
-Si jamais je te surprends avec une autre enragea Laura, je te préviens Papa, je la crève et toi aussi !
Le reste de la journée se passa dans un climat épouvantable. Ma femme faisait les cent pas dans la maison, claquait violemment les portes des armoires, ouvrait et refermait les tiroirs avec fracas, montait voir ma fille enfermée dans sa chambre en tête-à-tête avec son Tamagotchi. Puis redescendait quatre à quatre en faisant claquer ses souliers dans l’escalier. Elle s’allongeait quelques minutes dans le transat du jardin, puis s‘agitait de plus belle, incapable de calmer ses nerfs… Elle sortit même quelques instants pour acheter un paquet de cigarettes, alors qu’elle avait arrêté le tabac deux mois plus tôt !
L’orage finit quand même par se calmer…Le soir, Oriane me rejoignit dans la chambre. Elle nageait en peine confusion. Elle sanglotait. Peut-être s’était-elle trompée. Peut-être qu’effectivement c’était Laura qui avait acheté ce soutien-gorge pour se mettre en valeur auprès de ses fréquentations au lycée et qu’elle préférait me faire porter le chapeau. A cet âge, les ados vous cachent bien des choses et sont prêts à tous les stratagèmes. Quelques mois auparavant, nous avions retrouvé des préservatifs dans ses affaires…Nous avions passé cela sous silence. Il fallait bien que jeunesse se fasse. Oriane se blottit contre moi, me demandant de lui pardonner ce coup de sang. Ce que je fis, en l’étreignant passionnément.
-Au moins, je suis rassuré, murmurai-je. Si tu es jalouse à ce point, c’est que tu tiens encore à moi après toutes ces années…
L’affaire en resta là. Pour quelques jours seulement. Moins d’une semaine plus tard, une nouvelle crise éclata. Ce soir-là, en changeant les draps de notre lit, ma femme y trouva une culotte en dentelles. Ce fut un tourbillon de colère et de haine. Elle se jeta sur moi, voulut me griffer, me mordre. Ma fille intervint pour nous séparer. Toutes les deux m’agonisaient d’injures et de reproches, comme dans un mauvais vaudeville.
-Sale goret, sale porc, tu as le vice dans le sang ! Tu n’es finalement qu’une vermine, une ordure ! hurlait Oriane.
-Tu n'est qu'un sale bouc ! beuglait ma fille, tu me fais vomir.
Une ambiance glaciale s’abattit sur notre foyer. Ma femme décida de faire chambre à part et installa un lit de fortune dans une petite pièce encore embarrassée de cartons, destinée à devenir une chambre d’amis. Nous avions emménagé dans cette maison le mois précédent et nous n’avions pas terminé de mettre en ordre toutes nos affaires. Ma femme et ma fille s’étaient liguées contre moi et ne m’adressaient plus la parole. Nous étions dans une sorte de cohabitation malsaine. Quand nous étions tous les trois à la maison, nous vivions chacun de notre côté, retranchés dans un réduit plus ou moins délimité.
Elles, dans la salle à manger. Moi sans le salon. Nous ne partagions plus rien. Notre priorité était de nous éviter à tout prix. Nous prenions nos repas à des heures décalées à la va-vite, sur un coin de table de la cuisine ou à l’extérieur… Nous ne sortions plus ensemble. Nous refusions les invitations et nous n’invitions plus personne. C’était intenable. Les seules fois où Oriane et Laura allaient à mon contact, c’était pour me balancer des nuisettes, des bas de soie en hurlant :
-Tiens, on a encore retrouvé ça. Tu pourras le rendre à ta traînée et lui dire de ramasser ses affaires la prochaine fois qu’elle couche avec toi !
-J’ai retrouvé un string dans ma chambre, m’a un jour lâché ma fille. C’est dégueu…J’en ai marre, je vais quitter cette maison.
Dès le lendemain je trouvai un post-it collé sur le réfrigérateur. « On s’installe chez Papy et Mamie. Oublie-nous pour toujours. »
Je me suis donc retrouvé tout seul dans cette grande demeure à peine rangée où je pensais couler des jours heureux avec mon épouse et ma fille, les deux pôles de mon existence. Elles refusaient tout contact avec moi. Quand je les appelais, c’était mon beau-père ou ma belle-mère qui répondaient à leur place. Ils me menaçaient des pires représailles. Je me doutais qu’ils ne m’appréciaient pas beaucoup, ces hypocrites. J'en avais désormais la confirmation.
Chaque soir en rentrant du travail, je cogitais. Ce n’était pas possible. J’étais victime d’une machination. Alors j’ai décidé d’agir et cela a porté ses fruits.
Environ deux semaines après le départ de ma Laura et d’Oriane, j’ai reçu une visite. Cela ne m’a pas surpris. Je m’attendais à ce qu’il se manifeste. Mais peut-être pas aussi rapidement.
L’agent immobilier qui nous avait vendu la maison, un dénommé Loïc Frappart avait un sourire jusqu’aux oreilles. Il ne manquait pas de culot.
-Je passais dans le quartier et je venais voir si vous étiez content de votre petit nid douillet, me demanda-t-il d’un ton mielleux, hypocrite au possible. Je pris un air dépité et je le conduisis en titubant vers salon, où j’avais dissimulé un enregistreur à cassette, assez performant pour l’époque. Il croyait me tenir, mais c’est lui qui avait l’hameçon dans la bouche, il s’agissait juste de le ferrer, au bout moment.
-A vrai dire, cela ne se passe pas très bien, lui annonçai-je en y mettant toute la conviction possible.
-Qu’est-ce qu’il vous arrive ? me demanda Frappart.
Je pris un air dépité.
-Asseyez-vous mon brave, je vais nous chercher un petit remontant et je vais vous expliquer tout cela… Je revins vers lui avec deux grands verres et une bouteille de Sylvaner avant de m’avachir à ses côtés dans le canapé. Il m’indiqua ne pas vouloir de vin. Qu’à cela ne tienne. Je me servis une large rasade de vin blanc, histoire de souligner ma détresse. Je me mis à pleurnicher. J’ai toujours eu certaines prédispositions pour jouer la comédie.
-Ma femme m’a quitté…Ma fille aussi est partie. Je ne sais pas comment je vais faire pour payer les traites de la maison, les factures… Avec mon seul salaire, c’est impossible. Alors je carbure au vin blanc et à la bière. C’est tout de qu’il me reste.
Frappart me regardait narquois, satisfait de constater la réussite de son plan dévastateur. Surpris sans doute que ses effets soient si fulgurants. Il ne tarda pas à se démasquer.
- Je connais quelqu’un qui est prêt à racheter votre maison, me lança-t-il triomphal. Il est prêt à vous la reprendre à bon prix. Ça vous permettra de souffler un peu financièrement vous et votre femme. Quand vous aurez vendu, vous pourrez chacun vous trouver un autre logement, même plus petit. Cela vous permettra de prendre un nouveau départ. Attendez, il n’est pas loin, je vais vous le présenter.
Il quitta la pièce pour appeler quelqu’un depuis le perron. J’en profitais pour jeter mon verre dans le pot de fleurs à proximité et pour enclencher l’enregistrement sur cassette. Les deux hommes me trouvèrent écroulé dans le canapé où je faisais semblant de dormir, en ronflant. C’était inespéré. J’avais réussi à les appâter, il ne fallait pas lâcher.
Frappart essayait de me réanimer. Monsieur ? …Monsieur ? Je suis avec Maxime Lemoine mon associé, il est très intéressé par votre maison.
Je continuais à ronfler.
-Qu’est-ce qu’il fout, il dort ? demanda son complice.
-Il au moins deux grammes dans le sang, lâcha Frappart… Quand je suis arrivé, il était déjà à moitié soûl et il a continué à se remplir devant moi.
Frappart empoigna l’un de mes bras, le leva avant de le laisser retomber.
-Il a son compte, il n’est pas en état de discuter. Alors, ils se sont lâchés. C’était parfaitement ce que j’attendais.
-T’es bien sûr qu’il va la revendre sa bicoque ? demanda Lemoine.
-Ils sont pris à la gorge lui et sa femme, a rétorqué Frappart. Aucun des deux ne peut continuer à payer le crédit tout seul. On propose 60 pour cent du prix, ils accepteront, comme tous les autres. On retape un peu la maison, on la revend et on se fera une sacrée plus-value. Il y a mal de potentiel. Une maison avec un garage et un jardin aussi grand, dans ce quartier, c’est très recherché. Tu le vois bien, on a des tas de demandes pour ce type de bien à l’agence.
Ils se sont tapés dans les mains, emportés par l’enthousiasme de réussir une belle affaire crapuleuse… Sans se douter une seconde qu’ils étaient enregistrés.
La cassette a été remise dès le lendemain à la Police qui a pris ma déposition sans faire la fine bouche. L’agent immobilier escroc et son complice ont été rapidement arrêtés et mis sous les verrous ainsi qu’un notaire qui trempait dans la magouille. J’ai ameuté la presse locale, toujours friande de ce genre de scandale. L’affaire a fait grand bruit. J’ai même eu droit à notre quart d’heure de gloire dans les journaux télévisés du 20 heures. Les deux agents n’en étaient pas à leur coup d’essai.
Leur technique était simple, mais redoutable. Ils gardaient toujours une clé des maisons qu’ils convoitaient après les avoir vendues. Ils s’arrangeaient pour semer la zizanie dans les couples d’acheteurs en venant déposer en leur absence des preuves d’adultère, pièces de lingerie sexy, des mots doux. Et quand les couples étaient séparés, pris à la gorge financièrement, ils passaient racheter les biens à bas prix, pour les revendre beaucoup plus chers et empocher les plus-values. Au passage, ils encaissaient aussi deux fois les frais d’agence pour le même bien.
Un commerce juteux encore possible dans les années 90, avant que l’on soit tous sous surveillance généralisée avec Internet et les caméras, bien avant que les systèmes de vidéo-surveillance se généralisent dans les domiciles privés. Si j’ai pu déjouer ce piège, c’était grâce à Madame Vasset, la voisine d’en face. Cette octogénaire passait ses journées à épier la rue derrière sa fenêtre. Peu après le départ de Laura et Oriane, elle m’avait indiqué voir un homme rôder régulièrement autour de la maison et y entrer parfois quand nous j’étais parti. Elle avait pris soin de noter la plaque d’immatriculation de sa voiture.
Quand je suis allé faire ma première déclaration au commissariat et qu’on m’a dit que cette plaque correspondait à celle d’un agent immobilier, j’ai tout de suite compris. Comme quoi, c’est parfois une bonne chose d’être entouré de voisins curieux. Hélas, je n’ai pas eu le temps de remercier Madame Vasset comme il se devait, car elle est décédée une semaine à peine après que Frappart a été confondu. Ma femme et ma fille sont revenues vivre avec moi. Nous avons décidé de ne plus jamais évoquer cette histoire.
Quand Oriane et moi avons emménagé dans une maison plus petite après le départ de Laura, la première chose que j’ai faite a été de changer les serrures des portes d’entrée. Et je conseille à tout le monde d’en faire autant.
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