Avertissement : si vous voulez zapper tout mon blabla qui répond sur divers points à l'ensemble du fil et qui contextualise ma modeste contribution (d'un point de vue plutôt socio-anthropologique qu'historique, ça parle d'identité, de nation, d'inclusion par droit du sang et droit du sol.), vous pouvez aller directement à l'essentiel, les extraits d'Amin Maalouf concernant une réflexion sur les identités (meurtrières), post ci-dessous.
L'identité nationale est un concept politique mobilisé dans un contexte historique particulier. Je rejoins complètement l'avis d'Alan concernant les nuances et méfiances qu'il manifeste à l'égard du concept d'identité (et ce qu'il argumente avec l'idée que l'identité se révèle indéniablement dans un rapport d'altérité et de collectivité est fondamental). La mobilisation de l’identité nationale par les idéologies de l'exclusion et de la stigmatisation de l'autre ne peut pas ne pas être souligné. Elle a besoin de puiser dans le passé idéalisé les matériaux de ses mythes identitaires, carburant du sentiment identitaire nationaliste.
De plus, cette mobilisation tend à réifier, pour mieux l'instrumentaliser, le concept d'identité, qui est un concept très creux, très liquide et très dangereux. Ici, donc, réduit de manière univoque à la dimension nationale. En effet il est presque toujours mal mobilisé, mal défini, mal pensé et tend à l'essentialisation des êtres qu'il identifie. Les chercheurs en sciences humaines et sociales ont appris à se méfier comme la peste de tels concepts (comme celui de culture), et à toujours les interroger.
Gaulois pour une nation de sang:Par ailleurs, il apparaît que la question initiale qui portait sur « L’ascendance gauloise, culturelle ou génétique, est un sujet récurrent encore repris par des personnalités politiques. » d'après l'expression « nos ancêtre les gaulois » et la formation du roman nationale français est bien moins une question scientifique qu'une préoccupation politique instrumentale. La science ne pouvant se soustraire aux enjeux sociétaux de la société qui la produit, le savoir produit est toujours à replacer dans un contexte historique particulier, et certainement à relativiser (Latour).
En effet, il s'agit de visions opposées de la nation qui s'affrontent autour de l'idéologie du droit du sang et l'idéologie du droit du sol. Toutes les nations intègrent de manières différentes et inégales des modes d'inclusion par le sang ou le sol. Le roman national ethnocentré, fondé sur une ascendance ethnique, est un puissant ciment identitaire au service de la conception de l'intégration par le sang, (modèle allemand) soit-elle symbolique. En cela, la fabrication d'un tel roman sert toujours un pouvoir nationaliste, et produit, à mon humble avis, un appauvrissement des identités des membres du groupe, une propension à l'exclusion des Autres, et un affaiblissement de la conscience de classe au profit d'un sentiment identitaire partagé. Dans une société de classe, elle participe donc à la reproduction de la domination de la nation par une « haute culture » bourgeoise à laquelle s'identifient les membres (Gellner). C'est une condition primordiale de la naissance des États-nations et de la légitimation de leur pouvoir.
Comme le formulent Baptiste, puis Milora
« Du coup, pour moi, la nation c'est simplement un mythe. Un espèce de fantasme collectif. Une espèce d'idéologie qui fait tenir »
« Non, justement ! C'était tout le sens de mon post. Le fait de se sentir gaulois (ou tout autre point de référence) est une construction identitaire de l'époque dans laquelle on vit.»
Reste à défendre, dans le monde qui se transforme, une conception de la nation tournée vers le droit du sol (modèle français). Le retour sur le devant de la scène du roman national gaulois peut peut-être se comprendre dans un contexte de crispation identitaire et d'instrumentalisation politique de cette crispation, qui n'a d'autre effet que de l'augmenter pour toujours plus l'instrumentaliser (mouvements d’extrême droite). Ainsi, c'est la conception du droit du sang qui fait son retour.
Or, il faut affirmer avec force que, si les pouvoirs étatiques ont fabriqués les nations à l'image d'une haute culture hégémonique (qu'ils ont soigneusement choisie ou fabriquée de toute pièces – cf la formation du français national) permettant la domination et l'assimilation des classes/cultures dominées , les sociétés humaines sont fondées sur l'échange du sang à travers les relations d'alliances entre les communautés (Levi-Strauss). Il n'y a pas une société consanguine !
Pour finir, en ce qui concerne la langue :Néanmoins, j'ai l'impression que les récentes réformes et en particulier celle de l'écriture servent en fait un but négationniste à visée purement et bassement libéral.
Le français a été normé sur la langue de l'élite de l'époque, et beaucoup de mots on été volontairement reconstruits ou complexifiés à partir d'étymologies grecques et latines. L'harmonisation linguistique dont la classe dominante avait besoin pour moderniser l'économie ne devrait pas entraîner, pour elle, une égalité entre les classes sociales, tout au moins au niveau symbolique, linguistique. Le français a donc été fabriqué par des intellectuels bourgeois de manière volontairement compliquée, afin de discriminer la bonne société de la mauvaise, la bourgeoisie du prolétariat, la capitale de la province. (Discrimination par le langage : une violence méconnue :
https://www.franceculture.fr/conferences/universite-bretagne-loire/discrimination-par-le-langage-une-violence-meconnue )
Il faut avoir tout cela à l'esprit je le crois, lorsque l'on évoque les réformes de la langue écrite. A qui profite une langue compliquée ? Derrière le charme romantique et nostalgique de la tradition, le refus de simplification ne dissimule-t-il pas un passéisme identitaire, un élitisme bourgeois, l'expression d'un sentiment de supériorité durement acquis et revendiqué comme relevant du mérite de l’ascension sociale et de la conformité avec l'académisme, le formalisme, l'exclusivisme de la (haute) culture bourgeoise ?
Les espagnols ont simplifiés leur langue et ça ne nous rend pas l'espagnol moins « espagnol », moins « authentique », si tant est que ce mot puisse avoir le moindre sens pour une langue vivante.
« la diluer au point d'en perdre le patrimoine»
Ce n'est pas parce qu'une langue se transforme qu'elle se perd ! C'est dramatique de penser une langue vivante comme « patrimoine ». La langue ne cessera jamais d'échapper à la prison de l'académisme et de la patrimonialisation. N'en déplaise aux conservateurs. L'histoire des langues le démontre : l'outrage d'aujourd'hui est la norme de demain et le patrimoine d'après demain.
une fracture entre les "anciens" qui ne comprendront plus du tout les "jeunes" (si ce n'est pas déjà fait) ?
Il me semble que la « fracture » linguistique est beaucoup plus marquée entre les classes sociales qu'entre les classes d'âges. Et révèle un problème bien plus grave qu'un universel processus de transformation sociale d'une générations à l'autre. Il y a des parlés français, mais un seul qui triomphe symboliquement. On pourrait également parler du statut des langues nationales minoritaires (et non étrangères) comme l'arabe et ses parlés métissés en France, qui n'ont pas droit de citer au chapitre des symboles de la nation.
Impressions sur le filJ'ai beaucoup aimé ceci :
« Si je dois comparer... Je porte des lunettes. Je n'en ai pas honte, je n'en suis pas fière. C'est juste comme ça. Je suis contente que ça existe parce que sinon je ne verrais pas grand chose, mais c'est tout. A la limite si c'est moi qui avais fabriqué mes lunettes je pourrai en être fière (mais c'est pas moi non plus qui ai fait de la France ce qu'elle est actuellement, en bien ou en mal) »
J'ai trouvé ça très triste :
« Et là, il sera trop tard pour dire "Je veux lire Montaigne en langue française". On vous dira : "Tu lis le Coran en arabe ou le petit livre de Mao en chinois". Mais ce ne sera pas grave, ce ne sera que l'évolution. »
Qu'on puisse être dans une telle insécurité culturelle, tellement raide, comme un feu qui après avoir brûlé son bois, voudrait brûler ses propres cendres , n'acceptant pas de bois nouveau. Un tel feu meurt d’orgueil, dispersé par le vent qui attise les autres feux.
« Les apports d'origine arabes de la période coloniale »
L'arabe n'a pas attendu la période coloniale pour perfuser le français (alcohol). Et le français n'est qu'un mot contemporain pour désigner une langue en perpétuelle transformation, nourrie de dynamiques culturelles internes et externes. Comme toutes les langues depuis l'apparition du langage.
L'aviateur:Et enfin, j'aimerais bien connaître les sources de la « fable » d'avistodenas. Elle me parrait bien plus renseigner les représentations de ceux qui l'on écrite ou rapportée à propos des « autochtones », qu'une quelconque situation s'étant réellement produite. Avec son lot d'ethnocentrisme et de propagande raciale (conquête des femmes par les blancs, fuite des hommes autochtones). Cette histoire est bien plus une métaphore de l'inconscient colonial.
Il me semble que certains passages extraits de
Les identités meurtrières, d'Amin Maalouf, peuvent faire écho à certaines questions soulevées par ce fil de discussion :
« L'identité n'est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l'existence. Bien des livres l'ont déjà dit, et abondamment expliqué, mais il n'est pas inutile de le souligner encore : les éléments de notre identité qui sont déjà en nous à la naissance ne sont pas très nombreux — quelques caractéristiques physiques, le sexe, la couleur... Et même là, d'ailleurs, tout n'est pas inné. Bien que ce ne soit évidemment pas l'environnement social qui détermine le sexe, c'est lui néanmoins qui détermine le sens de cette appartenance ; naître fille à Kaboul ou à Oslo n'a pas la même signification, on ne vit pas de la même manière sa féminité, ni aucun autre élément de son identité... »
(...)
« Tant il est vrai que ce qui détermine l'appartenance d'une personne à un groupe donné, c'est essentiellement l'influence d'autrui; l'influence des proches — parents, compatriotes, coreligionnaires — qui cherchent à se l'approprier, et l'influence de ceux d'en face, qui s'emploient à l'exclure. Chacun d'entre nous doit se frayer un chemin entre les voies où on le pousse, et celles qu'on lui interdit ou qu'on sème d'embûches sous ses pieds ; il n'est pas d'emblée lui-même, il ne se contente pas de « prendre conscience » de ce qu'il est, il devient ce qu'il est; il ne se contente pas de «prendre conscience» de son identité, il l'acquiert pas à pas. »
(...)
« A l'inverse, dès lors qu'on conçoit son identité comme étant faite d'appartenances multiples, certaines liées à une histoire ethnique et d'autres pas, certaines liées à une tradition religieuse et d'autres pas, dès lors que l'on voit en soi-même, en ses propres origines, en sa trajectoire, divers confluents, diverses contributions, divers métissages, diverses influences subtiles et contradictoires, un rapport différent se crée avec les autres, comme avec sa propre « tribu ». Il n'y a plus simplement « nous », et « eux » — deux armées en ordre de bataille qui se préparent au prochain affrontement, à la prochaine revanche. Il y a désormais, de « notre » côté, des personnes avec lesquelles je n'ai finalement que très peu de choses en commun, et il y a, de « leur » côté, des personnes dont je peux me sentir extrêmement proche. »
(...)
« oui, partout, dans chaque société divisée, se trouvent un certain nombre d'hommes et de femmes qui portent en eux des appartenances contradictoires, qui vivent à la frontière entre deux communautés opposées, des êtres traversés, en quelque sorte, par les lignes de fracture ethniques ou religieuses ou autres.
Nous n'avons pas affaire à une poignée de marginaux, ils se comptent par milliers, par millions, et leur nombre ne cessera de croître. « Frontaliers » de naissance, ou par les hasards de leur trajectoire, ou encore par volonté délibérée, ils peuvent peser sur les événements et faire pencher la balance dans un sens ou dans l'autre. Ceux parmi eux qui pourront assumer pleinement leur diversité serviront de « relais » entre les diverses communautés, les diverses cultures, et joueront en quelque sorte le rôle de « ciment » au sein des sociétés où ils vivent. En revanche, ceux qui ne pourront pas assumer leur propre diversité se retrouveront parfois parmi les plus virulents des tueurs identitaires, s'acharnant sur ceux qui représentent cette part d'eux-mêmes qu'ils voudraient faire oublier. Une « haine de soi » dont on a vu de nombreux exemples à travers l'Histoire... »
(...)
« Aussi, le statut du migrant n'est-il plus seulement celui d'une catégorie de personnes arrachées à leur milieu nourricier, il a acquis valeur exemplaire. C'est lui la victime première de la conception « tribale » de l'identité. S'il y a une seule appartenance qui compte, s'il faut absolument choisir, alors le migrant se trouve scindé, écartelé, condamné à trahir soit sa patrie d'origine soit sa patrie d'accueil, trahison qu'il vivra inévitablement avec amertume, avec rage. »
(...)
«chacun admettra que l'avenir d'un pays ne peut être un simple prolongement de son histoire — ce serait même désolant pour un peuple, quel qu'il soit, que de vénérer son histoire plus que son avenir ; avenir qui se construira dans un certain esprit de continuité, mais avec de profondes transformations, et avec des apports extérieurs significatifs, comme ce fut le cas aux grandes heures du passé. »
(...)
"Chacun d'entre nous devrait être encouragé à assumer sa propre diversité, à concevoir son identité comme étant la somme de ses diverses appartenances, au lieu de la confondre avec une seule, érigée en appartenance suprême, et en instrument d'exclusion, parfois en instrument de guerre. Pour tous ceux, notamment, dont la culture originelle ne coïncide pas avec celle de la société où ils vivent, il faut qu'ils puissent assumer sans trop de déchirements cette double appartenance, maintenir leur adhésion à leur culture d'origine, ne pas se sentir obligés de la dissimuler comme une maladie honteuse, et s'ouvrir parallèlement à la culture du pays d'accueil."
(...)
"De la même manière, les sociétés devraient assumer, elles aussi, les appartenances multiples qui ont forgé leur identité à travers l'Histoire, et qui la cisèlent encore ; elles devraient faire l'effort de montrer, à travers des symboles visibles, qu'elles assument leur diversité, afin que chacun puisse s'identifier à ce qu'il voit autour de lui, que chacun puisse se reconnaître dans l'image du pays où il vit, et se sente encouragé à s'y impliquer plutôt que de demeurer, comme c'est trop souvent le cas, un spectateur inquiet, et quelquefois hostile.
"Les massacres ethniques se déroulent toujours sous les plus beaux prétextes — justice, égalité, indépendance, droit des peuples, démocratie, lutte contre les privilèges. Ce qui s'est passé dans divers pays ces dernières années devrait nous rendre méfiants chaque fois qu'une notion à vocation universelle est utilisée dans le cadre d'un conflit à caractère identitaire."
Texte intégral en pdf :
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Musique : La Canaille,
Jamais Nationalehttps://www.youtube.com/watch?v=qkt_8S7uomU
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