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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » La pelleteuse infernale

Auteur Sujet: La pelleteuse infernale  (Lu 2088 fois)

Hors ligne Kailiana

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La pelleteuse infernale
« le: 28 juin 2008 à 22:59:20 »
Bon, bah Leia voulait le lire, je le poste donc. C'était un texte écrit pour l'atelier des rivages sur je sais plus quel sujet ; il date un peu (enfin ... moins d'un an, tout de même ; décembre 2007 exactement). Voila. Désolée  :mrgreen:
***********


La pelleteuse continue son travail. A mesure que je creuse et cherche désespérément parmi l’amas qui s’entasse sans ordre, les parois s’effondrent sous moi et je me noie dans la marée de savoir qui s’échappe.
La copie blanche s’étale devant moi, m’accuse, quoi ? Pourquoi n’écris-tu pas ? Et j’entends autour de moi les crayons qui s’affairent, qui glissent sans cesse et livrent au papier des réponses que je ne parviens plus à déterminer.
Je suis vide. J’ai cherché pourtant, je les connais ces réponses, oh oui, connaissais du moins, mais … non, plus rien, tout s’est effacé. L’est belle leur technologie. Les machines à apprendre, ben … ça plante un peu. Je ne me suis pas ménagé pourtant, c’est pas mon style, mais là, sur le moment … ben, j’sais pas quoi répondre à leurs foutues questions. Les valeurs propres, c’est quoi déjà ? Si ça continue, je ne vais même plus savoir quand est-ce que j’ai le droit de dire que 1 + 1 = 2.

Quand cela a-t-il commencé ? Aucune idée. Quand quoi a-t-il commencé ? Bonne question.

Après tout, j’arrive pas à faire ce devoir, j’peux penser à autre chose. La pelleteuse deviendra peut-être plus efficace.

Il y a quelques jours – quelques heures – mon savoir était encore parfaitement classé dans les tiroirs de ma mémoire ; je parvenais sans peine aucune à utiliser mes théorèmes, mes exercices corrigés, afin d’en résoudre de nouveaux. Je fonctionnais bien, en quelque sorte ; j’étais fier de moi. Tout était clair.

Je regarde autour de moi. Les autres persistent à maltraiter leur feuille sans raison aucune si ce n’est … si ce n’est, quoi ? Quelle est la raison ? Me la suis-je déjà posée ? Bah. Peu importe. Cela m’amusait – je crois.
Nous sommes l’élite. Nous n’avons pas droit à l’erreur. Les machines ne se trompent jamais … ou bien, si, peut-être ?

Pourquoi dis-je que nous sommes des machines ? Mon cerveau ne fonctionne vraiment plus correctement. Non. Nous sommes … des êtres améliorés. Des humains dont les capacités utiles ont été attisées autant que possible ; nous préfigurons l’apogée de l’espèce humaine. Du moins, je crois. C’est ce qu’on nous a dit. Ce que nous nous disons.

Quand cela a-t-il commencé ? Il y a quelques années, dirais-je. Lorsque le PAS – Projet d’Accroissement du Savoir -  a enfin été accepté. Cinq ans, donc. Les scientifiques auraient souhaités commencer avant cette date, mais les instances politiques supérieures et, plus simplement, le peuple lui-même, considéraient cette nouvelle avancée technologique avec crainte. Tripatouiller dans le cerveau des gens fait peur.
Nous avons fait parti des Elus à travers le monde. Volontaires – qui ne l’aurait pas été après les arguments de choix qui nous avaient été présentés ?, déjà doués pour l’apprentissage, le PAS a encore facilité notre acquisition de nouvelles connaissances.

Une pelleteuse défectueuse.

L’ingurgitation de savoir, la restitution de connaissances, et puis la création, l’amélioration du système par nous-même, nous étions doués après tout. Est venu le temps d’étendre le projet ; une fois lancée, la machine s’emballe, ne peut plus être stoppée. Tout le monde en veut, ne veut pas être pris pour un imbécile. Ca vient, ça vient ! Ca s’étend. Il est maintenant étrange de ne pas s’être fait modifier le cerveau. C’est tellement facile, après tout ! Des génies, ceux qui ont trouvé ça ! Des génies nous aussi – il est vrai que nous avons tout remanié ensuite, tout perfectionné. Nous avons été les premiers Etres Modifiés, et nous continuons à nous instruire, à nous retoucher pour être optimaux.

D’où les contrôles de connaissances.

Feuille blanche ou presque. Quelques réponses au début, ça allait bien, et après ça devient le néant total. Je sais pas c’qui s’passe. M’énerve. Ca grince, ça couine, ça …

J’ai toujours aimé travailler. D’après les souvenirs que j’ai de moi, je n’étais pourtant pas imbu de moi-même et, surtout, je considérais ce que j’apprenais d’un esprit critique. Je ne me lançais jamais dans une tâche sans en avoir considéré toutes les facettes ; j’étais … réfléchi.

Aujourd’hui, je réfléchis mieux qu’auparavant mais suis bien moins réfléchi.

C’était un appât.

Lorsqu’on m’a injecté la dose qui effectuerait les modifications dans mon cerveau, je me suis senti l’espace d’un instant dans une béatitude totale. C’était … mieux qu’agréable. Ne peut pas se résumer en mots. Le cerveau fonctionne bien, tout est connecté, facile, j’avais presque l’impression d’être omnipotent. Les ordinateurs à coté de cela ? Peuh ! Non. Je me suffisais enfin à moi-même. Oh, bien sur, je me suis très rapidement rendu compte qu’il était toujours utile de dialoguer, de partager des points de vue ; ça va plus vite ainsi, on peut davantage repousser les limites du possible. Nous nous sommes regroupés, nous, les Elus, et avons partagé nos impressions – tous nous étions ahuris de nos facilités pour penser, de notre aisance à mener notre cerveau sur le terrain que nous souhaitions.
Nous avons découvert la pelleteuse.
Naviguant sans cesse sur nos pensées, nous avions parfois des difficultés pour nous retrouver dans nos gargantuesques cerveaux qui s’étendaient sans cesse. Nous avons alors eu l’idée d’utiliser une image mentale, qui organiserait nos savoirs et classerait nos connaissances de manière inconsciente.
La pelleteuse, oui.

Qui ne parvenait plus à s’échapper du trou toujours plus profond qu’elle creusait.

Qui était un moyen subtil et intelligent pour nous sortir de l’embarra.

C’est un éradicateur.

C’était notre sauveur. Celui – la chose – qui nous aidait à faire le tri. Lorsque nous ingurgitions une nouvelle connaissance, nous n’avions plus qu’à l’appréhender de bout en bout – pas toujours très simple, mais faisable avec le savoir nécessaire – et elle était ensuite classée sans peine dans nos cerveaux. Si nous en avions besoin par la suite, nous pouvions y accéder automatiquement ; je crois même qu’il n’était pas obligatoire que nous pensions que nous en avions besoin pour que la connaissance inonde notre esprit présent et pour que nous puissions l’utiliser. A mesure que nous nous entraînions, il nous devenait plus facile d’apprendre ; la pelleteuse s’éduquait. Nous la dressions.

Jusqu’à ce qu’elle ait des ratées.

Feuille toujours blanche. Je tourne mon stylo entre mes doigts, me demande quoi faire. J’ai vraiment tout oublié. Je ne sais … plus. Pas.
Ma tête me gratte. De l’intérieur. C’est bizarre.

Nous étions fiers de nous. Comment ne pas l’être ? Nous avons généralisé le PAS – le pas ? le pas comme la négation ? ou le pas de marche, ou encore de porte ? – et chaque personne sur Terre a voulu être comme nous. Nous étions des exemples ; les exemples des futurs humains, des humains du futur, des …

moi, un homme du futur ?


Le PAS s’est généralisé. Nous avons amélioré le programme, afin que tout aille plus vite. Nous devenions des experts en maniement du savoir. Nous absorbions toujours plus rapidement, et utilisions avec toujours plus de facilité notre pelleteuse qui se pliait docilement à notre volonté.

Ca gratte, encore.
Je tente d’atteindre mon cerveau, échoue. A-t-il disparu ?

Je n’ai jamais su comment les premiers scientifiques avaient découvert cette méthode révolutionnaire. Toujours est-il que nous avons continuellement amélioré le procédé ; il était tellement jouissif d’être de plus en plus maître de soi !

Ma vision s’obscurcit, j’ai soudain peur de m’évanouir – moi, l’un des êtres parmi les plus intelligents ! Et le son des feuilles autour de moi s’atténue, ma copie devient floue, je …
La pelleteuse me regarde. Elle ressemble à une mante religieuse, à un prédateur, à … à … un parasite ?
Je me recroqueville, soudain. Non ! C’est toi qui m’obéis, moi qui t’utilise ! Va remettre mon cerveau en état !
Elle se détourne, semble faire ce que je veux. Je soupire, soulagé. Elle commence à ériger des murailles, des coffres dans lesquels classer mes connaissances. Je connais un moment de doute alors que j’ai l’impression qu’elle prend des libertés, n’arrange pas mon cerveau comme avant. Bah, si elle s’y retrouve … C’est elle qui me transmettra ce que je sais, non ? J’espère simplement qu’elle n’a pas perdu ce que je savais, cela m’ennuierait de devoir tout apprendre à nouveau. Mais … si j’arrive à penser, là, maintenant, c’est que tout ne doit pas être égaré.
Je veux retourner devant ma feuille, voir si je peux trouver quelques réponses. J’ai l’impression que, maintenant, j’y arriverais. La pelleteuse a presque fini, elle travaille vite, est efficace.
Plus que moi.
Je suis toujours planté là, regarde bêtement la machine faire son travail. J’ai …?

Mes mains s’agitent, se détendent ; mes doigts étreignent le stylo comme s’il s’agissait d’un ustensile inconnu. Je sens la pelleteuse s’agiter, rassembler les informations. Les doigts se positionnent plus normalement ; puis commencent à écrire, lentement d’abord, peu sûrs d’eux, puis ils accélèrent. Ah, oui ! C’était ça la réponse ! Je souris, fier de moi. Je le savais ! Les doigts continuent, le stylo glisse, glisse, glisse et écrit les réponses. J’aimerais intervenir, je le sais, je peux le faire moi aussi ! Mais reste prisonnier, ne peux pas agir.

L’heure se finit, ils se lèvent, s’échangent les copies pour se corriger entre eux. Je les observe, tente de retenir ce que je vois, c’est difficile, j’ai l’impression de ne plus réfléchir correctement. C’est peut-être comme avant – avant le PAS. Je ne sais plus.
Etait-ce ainsi que vivait la pelleteuse ? Etait-elle vivante ? Nous ne l’avons jamais pensé. Qui fait bouger mon corps, pense à ma place ? Je …
J’aimerais bien savoir comment a commencé ce projet PAS.

Prisonnier, je regarde les images que me transmettent mes anciens yeux. Ils croisent ceux d’une connaissance, un Elu, et je tente désespéré de faire un signe, quelque chose, qui prévienne, qui … Je ne vais tout de même pas rester ainsi ! Prisonnier de mon propre cerveau que j’ai pris tant de soin à améliorer ?

Je vois l’autre regarder attentivement mon corps, sourire en coin. Alors qu’il ne peut être vu que de moi – de mon occupant – il fait un clin d’œil appuyé et laisse échapper un petit rire.

A quoi nous sommes-nous livrés ?

Ne faites pas confiance aux pelleteuses.
Si la réalité dépasse la fiction, c'est parce que la réalité n'est en rien tenue à la vraisemblance.
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Re : La pelleteuse infernale
« Réponse #1 le: 28 juin 2008 à 23:23:33 »
(Quel honneur!  :D)

Eh ben j'aime beaucoup. Ca ne vous dira peut-être rien mais ça m'a rappelé des épisodes de la série TV Doctor Who... Pour tout ce thème de la technologie, modification de cerveau, tout ça...

Et je trouve que c'est bien écrit, y a un bon rythme, un bon cheminement...
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Re : La pelleteuse infernale
« Réponse #2 le: 29 juin 2008 à 01:29:32 »
J'adore :coeur:

déjà l'image de la pelleteuse est vraiment très bien et puis, comme tout le modne est ou a été élève, on peut tous se souvenir de ces instants problématiques de néant total :mrgreen:

Je ne vois rien à redire, c'est vraiment un très bon texte  :)
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Re : La pelleteuse infernale
« Réponse #3 le: 29 juin 2008 à 01:31:07 »
Ben, merci  :-[ Perso je trouve la fin arrachée par les cheveux, mais bon  :D
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Re : La pelleteuse infernale
« Réponse #4 le: 29 juin 2008 à 08:47:30 »
Oui ça m'a fait un peu penser aux Cybermen de Doctor Who :D Bien écrit, entraînant, sympa ^^

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Re : Re : La pelleteuse infernale
« Réponse #5 le: 13 décembre 2008 à 19:23:45 »
Ben, merci  :-[ Perso je trouve la fin arrachée par les cheveux, mais bon  :D
Oh non, justement, je la trouve bien !

Par contre, j'ai trouvé le texte trop long. J'ai décroché par endroits. Quant à la toute fin, peut-être que les deux dernières phrases sont en trop ? Je trouve l'avant-avant-dernière plus choc...
Il ne faut jamais remettre à demain ce que tu peux faire après-demain.

Hors ligne Gros Lo

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Re : La pelleteuse infernale
« Réponse #6 le: 01 février 2009 à 17:36:41 »


Bon, ben je crois qu'aujourd'hui je n'aime pas les textes que je Recueille xD



Citer
Les machines à apprendre, ben …
pourquoi tu mets toujours un espace devant les "..." ? faut pas, si ?

Citer
Les scientifiques auraient souhaités commencer avant cette date
auraient

Citer
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partie

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Qui était un moyen subtil et intelligent pour nous sortir de l’embarra.
embarras

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Jusqu’à ce qu’elle ait des ratées.
ratés (c'est comme ça que je l'aurais écrit en tout cas)


En fait je le trouve trop explicatif... mais bon, tout le monde a aimé, et puis je crois que je devrais pas Recueillir aujourd'hui xD
(ou alors je ne dois pas lire de textes tout de suite après avoir fini un Vera' ?)
dont be fooled by the gros that I got ~ Im still Im still lolo from the block (j Lo)

Hors ligne Marygold

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Re : La pelleteuse infernale
« Réponse #7 le: 27 février 2016 à 16:08:51 »
Hey !

Allez, déterrage pour le Défi Lecture 2016 !

Je ne corrige que cela aux coquilles relevées par Lo :
Citer
Les scientifiques auraient souhaités commencer avant cette date
souhaité

Sinon, j'ai plutôt bien aimé. Tu fais dévier de manière complètement flippante le thème du "trou noir devant page blanche" ;D Et ça a effectivement un petit côté Cybermen de DW !

Par moments, un peu comme Mil, je l'ai trouvé un peu longuet et j'ai décroché. Mais en dehors de ça, une bonne lecture !


PS. Et du coup, tu seras mon "texte publié avant 2010" ! :)
Oh yeah ! 8)

Hors ligne Kailiana

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Re : La pelleteuse infernale
« Réponse #8 le: 27 février 2016 à 16:38:55 »
Oh le déterrage xD Hum oui je relis le texte (en fait dans mon souvenir il était complètement différent  :o ) et effectivement je le trouve bien longuet. C'est marrant, ça me rappelle cette époque bénie où je commençais à écrire sans savoir où j'allais et ça donnait quand même un texte complet... bon ceci dit j'avoue que je ne l'aime plus trop  :-¬?
Merci d'être passée !
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