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20 Novembre 2025 à 19:17:04
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Auteur Sujet: De la glaise sur les chaussures  (Lu 79 fois)

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De la glaise sur les chaussures
« le: Hier à 16:01:29 »
Hello les amis ! :D
J'espère que vous allez tous bien !

Après longue réflexion, j'ai décidé de poster pour une fois dans la section textes mi-longs un texte qui appartient pourtant à la même veine que mon texte long actuellement en cours d'écriture, Me(d)mories.

Il y a deux principales raisons à ce choix :
- D'abord, le texte ci-dessous est un texte que je viens d'écrire, lié à mon contexte actuel. Or, dans Me(d)mories, je suis encore en train de poster des textes beaucoup plus anciens (j'en suis au chapitre 22, et celui-ci serait le chapitre 60, pour vous donner une idée), et j'aimerais que l'ordre sur ce fil-là reste chronologique. Donc, pour éviter de chambouler complètement l'ordre de publication, je préfère poster ce chapitre-ci à part.
- Ensuite, parce que je ne suis même pas sûre que ce chapitre-ci fera partie du même recueil. Je suis en train de sérieusement envisager de couper mon recueil en deux, parce qu'il devient simplement beaucoup trop long >< J'hésite même à partir sur un tout autre modèle pour le "deuxième recueil", c'est encore en cours de réflexion, mais bref, il n'est même pas dit que ce texte-ci intégrera Me(d)mories au final.

Malgré tout, j'ai vraiment eu envie (ou peut-être même besoin, peut-être ?) de poster ce texte-ci maintenant. C'est peut-être ma manière d'exorciser, je ne sais pas trop. Toujours est-il qu'il est lourd, plus lourd encore que ce que je poste d'habitude, donc à lire en connaissance de cause :

Trigger warning : ce texte parle de maladies sévères et de décès chez des enfants en bas-âge.

Pour le contexte, pour ceux qui ne le connaîtraient pas : je suis médecin généraliste, je travaille pour le moment dans le milieu humanitaire. Je suis actuellement dans un projet au Nigéria qui traite la malnutrition sévère chez des enfants en bas-âge. C'est intéressant, mais aussi difficile, par moments, et ce texte explore un peu pourquoi.

Pour ce qui est des commentaires attendus : comme d'habitude, sur le fond comme sur la forme, tous les commentaires sont utiles, en particulier ceux qui me permettent de savoir si le texte a un impact ou pas, lequel, quelles sont les phrases qui marchent ou pas, etc. Toutefois, comme cela peut peut-être se sentir, les épisodes relatés ici sont encore assez vifs dans ma mémoire et portent pas mal d'émotion pour moi - un peu de tact et de délicatesse dans la manière de formuler les commentaires seraient donc très appréciés ;)

Sur ce, bonne lecture ! :D



[60?].   De la glaise sur les chaussures
5ème année de pratique - Octobre

      Il y a de cela un an, lorsque je travaillais encore à Kinshasa, en République Démocratique du Congo, les responsables du projet dans lequel j’étais ont décidé de profiter d’un long week-end férié national pour organiser une excursion en équipe. Tous les employés qui désiraient visiter la région étaient bienvenus ; nous avons été une petite vingtaine à signer avec enthousiasme, staff local et international confondus.
      Trois énormes 4x4 blancs ont donc été chargés de matériel de camping, de sacs de vêtements, d’eau et de vivres et, jeudi matin dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, nous avons pris la route qui s’éloignait vers le sud-ouest de la capitale, les yeux brillants de fatigue et d’expectative. Notre programme était chargé : nous voulions aller admirer les fameuses chutes de Zongo, nous baigner dans les piscines naturelles de la rivière Inkisi, visiter le jardin botanique de Kisantu ou encore découvrir les grottes aux poissons aveugles de Mbanza-Ngungu…
      Toutefois, la saison des pluies battait son plein, et ça n’a pas loupé : dès le deuxième jour de notre périple, des trombes d’eau se sont déversées du ciel. Elles ont inondé les larges rigoles creusées à même la terre argileuse des routes étroites que nous suivions, ont dévalé les pentes escarpées que nos véhicules tentaient de grimper, ont rendu la glaise sur laquelle nous roulions aussi traître que du verglas…
      Bien sûr, l’une des voitures a fini par s’embourber.
      Coup de bol pour moi : la première fois de ma vie que je me retrouvais coincée au beau milieu de nulle part avec une voiture embourbée, c’était entourée d’une équipe dont le métier consiste justement à partir dans la brousse avec les exactes mêmes voitures, et de les tirer de tous les bourbiers possibles et imaginables.
      Je n’étais pas particulièrement stressée.
      Après avoir tenté à plusieurs reprises de treuiller la voiture embourbée avec celle qui ne l’était pas, et n’avoir obtenu pour seul résultat que de presque parvenir à piéger aussi cette dernière, il a fallu se rendre à l’évidence : cette histoire allait devoir se régler à l’ancienne.
      Dans la joie et la bonne humeur, les pieds pataugeant gaiement dans la gadoue, nous nous sommes donc tous mis en branle d’un même mouvement, suivant les instructions des plus expérimentés d’entre-nous, et avec un objectif clair : trouver de quoi faire en sorte que les roues adhèrent de nouveau à la route.

      Je revois comme si c’était hier l’ardeur avec laquelle nous nous lancions à l’assaut des monticules de terre qui bordaient les routes, pour leur arracher branches et tiges et feuilles – n’importe quoi que l’on puisse aller glisser sous les roues de la voiture en difficulté.
      Je me souviens de l’émerveillement que j’avais ressenti devant la résilience de mon équipe, qui devant un imprévu choisissait de rire et de chanter, plutôt que de se plaindre : nos incessantes glissades sur l’argile mouillée déclenchaient notre hilarité, nos maladroites tentatives pour nous rattraper à la végétation environnante étaient sources de taquineries, et la boue qui maculait nos vêtements était exhibée fièrement, comme autant de cicatrices durement gagnées au combat…
      Lorsque l’un des membres du staff international, ignare, arrachait de terre une tige de manioc, l’erreur était accueillie par un mélange de cris horrifiés et de rires ahuris de la part de nos collègues locaux : le manioc, on n’y touche pas, enfin ! Vous les blancs, vous n’y connaissez vraiment rien à rien !

      Le déluge n’avait heureusement pas duré et s’était mué en une fine bruine qui nous rafraîchissait le visage et les bras. Une légère brise agitait la brousse autour de nous, et charriait des odeurs qui m’étaient inconnues.
      La sensation, toutefois, qui restera pour moi toujours indissociable de ce souvenir, c’est celle de cette terre glaise sous mes bottines. La manière dont elle se dérobait sur mes semelles, rendant chaque pas vacillant et incertain, transformant chaque petite enjambée en un pari sur le meilleur endroit où poser le pied, quel poids mettre dessus, à quelle vitesse faire le pas suivant… Une petite erreur de calcul, et c’était le dérapage, voire même une chute le long de la pente raide.
      Et puis, non contente d’être parvenue à aliéner le sol même sous nos pieds, l’argile se collait à nos chaussures avec un rare entêtement : à chaque contact avec le sol, elle s’y accumulait un peu plus. Et un peu plus. Et encore un petit peu davantage.
      Les premiers pas, en descendant de voiture, n’avaient été que traîtres en raison de la patinoire en pente raide sur laquelle nous évoluions. Plus le temps passait, toutefois, et plus nos enjambées se faisaient aussi lourdes, laborieuses, ralenties par le poids toujours grandissant du limon qui s’agrippait à nos semelles.
      Et, une fois qu’une motte de terre s’était accrochée à vos pattes, impossible de l’en chasser : si vous tapiez du pied au sol pour l’en déloger, vous ne réussissiez qu’à en accumuler plus ; si vous tentiez de la dégager avec un morceau de bois, vous n’en retiriez qu’une petite quantité, en prenant le risque au passage de perdre votre précaire équilibre unijambiste.
      Bref : il fallait se résoudre à ce que chaque pas soit un peu plus ardu que le précédent, et continuer à avancer, un pied devant l’autre, malgré tout.

      C’est surtout devenu un problème lorsque, après une bonne heure et demi d’effort, nous n’avions encore obtenu aucun résultat tangible. La journée avançait et, si la nuit n’étais pas encore proche, il fallait commencer à anticiper – les consignes de sécurité du projet exigeaient notre retour au camp de base avant la tombée du jour. L’équipe a donc décidé de se scinder en deux : les plus expérimentés resteraient sur place pour continuer à essayer de dégager la voiture, tandis que les autres rebrousseraient chemin, et marcheraient la dizaine de kilomètres qui nous séparaient du dernier point de civilisation que nous avions croisé, en espérant y trouver de l’aide ou, au moins, suffisamment de réseau pour en appeler.
      Nous nous sommes donc mis en route, en deux groupes de cinq ou six personnes : les plus rapides (dont j’étais) devant, et les autres qui suivaient plus tranquillement derrière.
      Dans l’ensemble, je garde aussi un très bon souvenir de cette balade forcée. Les paysages de la campagne congolaise étaient somptueux : de vastes collines verdoyantes sans la moindre trace de civilisation qui s’étendaient à perte de vue, et dont la végétation drue tranchait sur la terre ocre et le ciel tourmenté. L’air qui emplissait nos poumons était frais et pur, un vrai bonheur après la pollution omniprésente de Kinshasa. Et surtout, le fait de simplement pouvoir marcher, se dérouiller les guibolles sans se soucier du reste… j’en ai profité autant que j’en pouvais.
      Mais, malgré tout, cette foutue argile continuait de nous coller aux basques.
      Sur les premiers kilomètres, ça n’a pas fait grande différence, et nous trouvions suffisamment de tronçons plus secs pour nous débarrasser de la masse accumulée de temps à autres… mais, au fil du temps, l’impact de ce poids supplémentaire a commencé à se faire sentir. Les blagues se sont faites plus rares, les conversations se sont tues, les respirations se sont accélérées…
      Quand, enfin, nous sommes arrivés en vue de notre destination, j’étais épuisée. Alors que nous apercevions tout juste en contrebas d’une pente raide les bâtisses où nous avions prévu de demander de l’aide, nous avons reçu un appel : l’autre équipe avait entre-temps réussi à désembourber la voiture, et était en route vers notre position.
      S’ils avaient du réseau pour nous en informer, c’est qu’il n’étaient plus très loin. Mes co-équipiers se sont alors mis au défi d’arriver au point de rendez-vous avant eux, afin de pouvoir conserver malgré tout notre fierté : ni une ni deux, ils se sont tous mis à courir comme des dératés dans la descente.
      Quant à moi, j’étais probablement la plus faible du groupe – et très certainement la moins sportive. J’ai tenté de les suivre, mais je n’en pouvais plus, et cette dernière ligne droite était particulièrement boueuse : mes bottines s’y enfonçaient d’une quinzaine de centimètres, en ressortaient chargées d’argile, dérapaient le pas suivant. Après avoir manqué de me tordre la cheville à trois reprises, j’ai décidé de ralentir le rythme.
      Tant pis si j’arrivais la dernière : l’important c’était d’y arriver…

      Cet épisode me revient souvent en tête, ces derniers temps.
      D’une certaine manière, il illustre bien ce que je ressens, dans cet hôpital Nigérian où je travaille actuellement pour tenter de sauver des enfants en bas-âge des conséquences de la malnutrition qui ravage la région. Je repense à la joie générale qui imprègne ce souvenir, au choix de rire et de chanter face à l’adversité, à l’esprit d’équipe, à la bonne humeur et à l’espièglerie qui ont prévalu tout du long…
      Mais je repense aussi à cet argile, glissante, collante, qui s’accumulait sur mes semelles à chaque enjambée, rendant chaque mètre parcouru un peu plus difficile que le précédent et qui, sans avoir réussi à gâcher mon souvenir, lui a donné une teinte plus nuancée.

      Tu n’en es qu’à tes deux premières semaines de vie, Bébé.
      Ta tête est tournée sur le côté droit, comme pour exhiber fièrement les deux jolis anneaux noirs qui ornent ta minuscule oreille. Un masque à oxygène beaucoup trop grand pour toi te bouffe la moitié du visage, et un cathéter s’enfonce sans merci dans ta main à peine plus grande que lui. Je ne sais même pas comment les infirmiers ont réussi à te trouver une veine, Bébé : elles ne doivent pas être plus épaisses que du fil à coudre.
      Tes côtes, nettement visibles sous ta peau fine comme de la soie, se soulèvent avec force. Chaque inspiration est un défi, et ton visage est crispé par l’effort. Tu gémis, tu protestes, tu pleures, mais tu te bats, à chaque seconde qui passe, toute seule dans cet immense lit d’adulte qui fait dix fois ta taille.
      Ta mère ne t’a pas abandonnée, ma petite, rassure-toi : elle est juste partie laver vos vêtements, et sera de retour bientôt. Mais en attendant, tu n’as personne auprès de toi pour t’apaiser, et tu cries ta frustration et ta détresse, et je n’ai pas d’autre patient dont je dois urgemment m’occuper… alors, en passant par hasard dans le service où tu es hospitalisée, je me suis approchée de ton lit et je me suis penchée vers toi, en me demandant si je pouvais faire quelque chose pour t’aider.
      Et, tandis que tu te bats de toute la force de tes deux petits poumons, ta main droite s’est enroulée autour de mon index et tu serres, serres, avec une force que je ne te soupçonnais pas. Tu t’accroches à mon doigt comme si ce support t’aidait à mieux respirer.
      Moi, tout ce que je peux faire là tout de suite, c’est passer mon pouce sur ton front, de la racine de ton nez à celle de tes cheveux, et te murmurer dans une langue qui n’est pas la tienne : « Ça va aller, Bébé. Je sais, je suis désolée. Je suis désolée, ça va aller. »

      Tu as un an, Gamin, et ta mère veut quitter l’hôpital contre avis médical.
      Pas qu’elle ne soit pas contente de nous, non ! Elle a bien vu que ton état s’est amélioré depuis que tu as été admis aux soins intensifs. Tu nous es arrivé inconscient, avec de la fièvre à 40°C, incapable de respirer sans l’oxygène que nous te donnions. À présent, tu es confortablement assis sur son lit, tu manges ta pâte d’arachides thérapeutique tout seul comme un grand et, depuis ce matin, tu n’as même plus besoin d’oxygène…
      Mais voilà, ton frère et ta sœur sont malades aussi, à la maison, il paraît qu’ils toussent. Alors, ta mère veut rentrer s’occuper d’eux, parce que pour le moment ton père est seul à prendre en charge toute votre grande famille, mais il doit aller travailler pour pouvoir tous vous nourrir… Et personne d’autre dans votre entourage ne peut venir prendre le rôle de garde-malade ici à l’hôpital pour toi : si ta mère part, tu pars avec elle.
      Sauf que nous, on pense qu’il est encore un peu trop tôt. Tu n’as pas encore fini ta cure d’antibiotiques, ta saturation reste un peu limite, tu as encore par moments des signes de détresse respiratoire… Certes, tu vas mieux, mais tu n’es pas tiré d’affaire – d’expérience, tu pourrais de nouveau avoir besoin d’oxygène d’un moment à l’autre.
      Finalement, en discutant avec elle, mon confrère et moi parvenons à convaincre ta mère de rester encore un petit peu, ne fut-ce qu’un ou deux jours, pour être sûrs que tu sois vraiment stabilisé.
      Le lendemain, quand j’arrive pour la passation du matin entre l’équipe de nuit et l’équipe de jour, on m’annonce qu’un des patients du service est mort. Pas un des miens, un de ceux de mes collègues, que je n’ai pas pris en charge – je ne vois même pas qui c’est… On me dit en revanche que de mon côté, j’ai eu un « LAMA1 » : une mère est partie contre avis médical avec son enfant, une de celles pour laquelle je ne m’y attendais pas. Je m’étonne :
      — Ah ? Elle était fâchée à cause de quelque chose ? Elle n’avait pas l’air de se méfier trop de nous, pourtant, et sa fille évoluait bien. Elle n’était pas là depuis trop longtemps non plus…
      — Non, non, c’était pour une raison personnelle, elle ne nous a pas précisé quoi, mais ce n’était pas à cause de sa perception des soins. Et tu vas en avoir une autre qui va aussi partir contre avis médical, d’ailleurs : celle avec laquelle on a discuté hier.
      On parle de toi et de ta mère, Gamin. J’écoute un peu plus attentivement.
      — Ah bon, elle a décidé de s’en aller aussi, finalement ?
      — Oui, son fils aîné – le grand-frère de celui qui est chez nous – est mort pendant la nuit. Elle veut aller à son l’enterrement, ce sera ce matin… c’est la coutume ici de faire ça le plus vite possible.

      Je le vois bien que t’as mal, Petite.
      Franchement, tu as de quoi : tous tes muscles se contractent à la moindre stimulation. Lumières, bruits, courants d’air, contact avec la peau de ta maman ou le gant d’une infirmière… Un rien intensifie les spasmes intenses dont tout ton petit corps est parcouru. Chaque fois que je ne fais même qu’effleurer ton crâne, je te vois te tendre de plus belle.
      « Tétanos », je pense.
      — Non, on me répond. Séquelles de méningite, probablement tuberculeuse.
      Devant ma mine dubitative, on ajoute patiemment :
      — Elle est là depuis plus d’un mois. Si c’était le tétanos, elle serait morte depuis longtemps…
      Et pourtant, de loin, on y croirait, Petite. Ta tuberculose a brillamment réussi son déguisement – un « opisthotonos » comme dans mes bouquins de médecine : tous tes muscles sont crispés, des orteils à la nuque. Tes jambes sont tendues, serrées l’une contre l’autre. Tes pieds alternent entre pointes et flexions, selon le groupe de muscles qui remporte le combat du moment. Tes bras sont repliés comme des ailes de poulets, les poings serrés contre tes épaules. Et, surtout, les muscles de ton dos sont contractés au point de transformer ta colonne vertébrale en petite arche, dont les seuls points de contact avec le lit sont tes fesses et tes épaules. Parfois, tes fesses ne touchent même plus le lit, et tout ton poids repose sur ta nuque et tes talons.
      Ta respiration est irrégulière, saccadée, et ta fréquence cardiaque est élevée depuis ton admission.
      Tu m’étonnes, Petite.
      Ton corps tout entier n’est qu’une immense crampe, et ça fait plus d’un mois que ça dure. Ça fait plus d’un mois que tu es hospitalisée aux soins intensifs, où les projecteurs blancs du plafonnier sont en permanence braqués sur ton visage ; où le bruit des portes qui claquent s’ajoute à celui des dix-neuf autres patients du service qui pleurent à tour de rôle, aux bips incessants des machines, aux conversations des infirmières, des médecins, des patients ; où ton lit se situe juste en-dessous de l’air conditionné qui te souffle de l’air froid de manière cyclique, toutes les deux minutes environs ; où tu es sans cesse piquée, manipulée, changée de position, nourrie, examinée, et où tes paramètres sont pris toutes les heures.
      Et tu ne peux même pas protester, Petite, tu ne peux même pas pleurer, parce que tes mâchoires sont tout aussi contractées que le reste et ne laissent pas passer le moindre son.
      — Ce n’est peut-être pas le tétanos, argumenté-je en présence de deux de mes superviseurs que j’ai presque traînés par le coude pour venir te voir, mais je pense qu’il faudrait le traiter comme tel, au moins sur le plan symptomatique. La présentation est similaire. Cet enfant crève probablement de mal, ça doit s’apparenter à de la torture pour elle, d’être ici. Elle a déjà des anti-spasmodiques et des anti-épileptiques, mais ça n’aide visiblement pas beaucoup. Il lui faut des anti-douleurs et un endroit calme, sombre, silencieux, en attendant qu’elle ait son bilan neurologique.
      — Il n’y a qu’à l’Isolement qu’on a des chambres individuelles comme ça, me répond-on. Et pour l’instant, il n’y a aucune place à l’isolement. Elle va devoir rester ici.

      Ta mère t’allaite, le regard vide.
      Sa tête ne se tourne plus vers nous quand on lui parle, elle ne répond plus à nos questions. Le seul signe qui indique encore qu’elle écoute ce qu’on lui dit, c’est qu’elle ferme un peu plus lentement les paupières quand on arrive à la fin d’une phrase.
      Elle est épuisée.
      Je suis inquiète pour toi, Gamine, c’est sûr, mais je suis presque plus inquiète encore pour elle. Cela fait plus d’un mois qu’elle est à l’hôpital, seule, à s’occuper de sa dernière-née malade et à surveiller que son fils de six ans en pleine forme ne détruise pas notre service. Plus d’un mois qu’on la réveille toutes les trois heures pour te nourrir, et qu’elle nous regarde te piquer de partout : qu’on te prélève prises de sang, hémocultures, tests rapides, urines, selles, et tout ce qu’on peut tirer de ton petit corps chétif qui a l’audace de ne pas daigner guérir malgré nos soins.
      Alors, depuis une semaine, c’est de plus en plus difficile de la convaincre, cette mère, que tout ce que nous faisons est dans ton intérêt. Elle ne supporte plus de te voir souffrir et pleurer à chaque nouveau prélèvement, n’en peut plus d’avoir peur de te perdre à chaque nouveau lever de soleil, et elle ne nous fait plus confiance.
      Et je dois dire que je la comprends un peu.
      Il y a deux jours, il a fallu longuement lui expliquer les choses pour qu’elle accepte qu’on te mette un masque à oxygène. Hier, on a dû insister pour obtenir des hémocultures. Mais aujourd’hui, nous avons été mis face à un ultimatum : elle accepte de rester jusqu’à-ce que nous obtenions les résultats des hémocultures, c’est à dire deux jours de plus. Mais ensuite, si nous n’avons toujours pas d’idée claire du problème, elle s’en va, et t’emmène avec elle.
      Seulement voilà : l’infection nosocomiale2 résistante, j’y crois… Un peu. Mais pas au point de parier tous mes sous dessus. C’est un bon cheval, il l’air fringuant, c’est sûr, et p’têt bien qu’il ira loin dans la course. Mais j’ai l’impression de le voir discrètement boitiller de temps en temps, et je veux aller me renseigner d’un peu plus près sur les autres concurrents.
      Alors, je me retrousse les manches, et je plonge dans ton dossier, en mode archéologue. Je traite les différentes feuilles que j’y trouve comme les pièces d’un puzzle, que j’assemble patiemment, une à une, pour tenter d’en tirer une image d’ensemble qui ait du sens.
      Quand l’image est encore fractionnée, mais que j’ai l’impression d’en avoir les principaux composants, j’appelle le superviseur du jour. Ensemble, nous allons revoir ta radiographie de thorax, effectuée la veille. Nous discutons avec deux autres médecins des diagnostics différentiels, de leur probabilité à chacun, de notre raisonnement, des tests disponibles, du délai pour obtenir une réponse… Nous nous rendons ensemble au laboratoire pour nous assurer que notre idée est réalisable.
      C’est le cas. C’est bon, nous avons un plan, Gamine. Un qui pourrait peut-être bien marcher.
      De retour dans le service, je prends l’infirmier à part. Je lui explique que nous avons encore besoin d’une prise de sang et d’un prélèvement de suc gastrique, mais que je ne veux qu’on ne le fasse qu’après que l’équipe de soutien psycho-social soit passée pour expliquer notre démarche et soutenir ta maman.
      Ensuite, je pars prendre ma pause de midi. Quand je reviens, ton lit est vide.
      « LAMA ».

      « Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Staying alive, staying alive ! »
      Les paroles de la célèbre chanson universellement utilisée pour garder le rythme lors d’une réanimation cardio-pulmonaire résonnent dans ma tête tandis que, les mains enserrant ton petit thorax, mes pouces tentent de faire redémarrer ton cœur… pour la deuxième fois.
      Je n’ai pas protesté quand, une demi-heure plus tôt, on m’a assigné le rôle de cheffe d’équipe en cas de nécessité de RCP3. J’avais encore un peu la tête dans le cake ce matin d’avoir été malade la veille, mais cela ne me semblait pas être une excuse suffisante pour refuser. Ni ça, ni ma peur bleue de me planter.
      Dix minutes plus tard, quand on a appelé à l’aide à ton chevet, au lit numéro onze, j’étais donc prête, fidèle au poste endéans les cinq secondes, mon ABCD4 bien en tête pendant que les infirmiers s’agitaient comme des abeilles autour de toi.
      Faut dire aussi qu’il n’y a rien de tel que l’adrénaline d’un arrêt cardiaque à gérer chez un enfant de cinq mois pour vous réveiller un toubib.
      Avec l’aide d’un autre médecin du service qui s’était vu attribuer le même rôle, on a donc balancé la sauce : ventilation au ballon-masque, supervision du massage cardiaque, vérification de la perméabilité du cathéter, injections d’adrénaline, suivi du chronomètre…
      Et on a réussi à te récupérer un pouls. Un cœur qui pompe, un diaphragme qui se contracte. Tu étais toujours en détresse sévère, certes, mais plus tout à fait aussi mort que quelques minutes plus tôt.
      Ensuite, on t’a de nouveau perdu.
      Entre-temps, le pédiatre superviseur des trois services de soins intensifs était arrivé, et il a donc repris la main. J’ai été me rendre utile à un autre poste : un massage cardiaque, c’est toujours fatiguant, il faut se relayer pour ne pas s’épuiser et perdre en efficacité. Je suis devenue l’une des relayeuses. Et c’est comme ça que je me suis retrouvée à chantonner dans ma tête.
      « Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Staying aliiiiiiiiii… aiaiiiiiiiiiiiiii… aiaiiiiiiiiii… aiaiiiiiiiive ! »
      Mais rien à faire. On a beau appuyer sur ton sternum parfaitement en rythme, l’enfoncer bien ce qu’il faut, se coordonner avec nos collègues du ballon-masque pour les insufflations d’air qui soulèvent bien tes côtes comme il se doit et voir passer bolus après bolus d’adrénaline, ton foutu cœur ne repart plus, ton satané diaphragme reste obstinément flasque.
      Le pédiatre finit par annoncer la fin de la réa. Heure du décès : 10 heures et 23 minutes du matin.
      Ta mère, qui nous regardait faire depuis le lit d’à côté où elle s’était assise, se redresse, inquiète de ne plus nous voir nous agiter. Elle s’approche, presque sur la pointe des pieds, comme par peur de nous déranger. Elle nous interroge du regard, incertaine, perdue, lit nos expressions, pose une question en trois mots à peine soufflés, reçoit une réponse à mi-voix.
      Elle se rassied, le regard fixé sur toi, sur son fils dont un infirmier ferme doucement les paupières.
      Elle ne hurle pas. Elle ne tape pas des pieds sur le sol de dalles blanches, ne nous menace pas de ses poings. Son expression est vide, son corps immobile, comme si c’était une partie d’elle qui venait de quitter ce monde avec toi. Ses yeux sont secs : ils nous suivent presque distraitement tandis que nous nous éloignons du lit l’un après l’autre, en silence, ne laissant auprès de ton corps que les infirmiers qui vont le laver. Des paravents sont installés autour d’eux tandis qu’ils font leur office, puis t’emballent avec soin dans un tissu bleu délavé.
      Du coin de l’œil, tandis que je reprends le dossier que j’étais en train d’écrire avant d’être appelée, je la vois enfiler son khimar brun, se lever, puis se diriger vers la sortie du service comme une ombre.
      Le battant de la porte se referme sans bruit derrière elle.

      Et splotch, splotch, splotch.
      À chaque nouveau pas, de la glaise s’agglomère sur mes bottines. J’ai beau être plus résistante qu’avant, j’ai beau savoir mieux gérer, j’ai beau avoir appris à profiter du paysage, à savourer la bruine sur ma peau, et avoir plus ou moins compris où poser les pieds pour ne pas me laisser happer par la boue… au fil du temps, au fil des patients, je fatigue. Mes jambes s’alourdissent, glissent, dérapent…
      Jusqu’au moment où je marche de nouveau sur quelques mètres de sol sec.
      Jusqu’à cet après-midi où, en rentrant dans le service après ma pause de midi, je t’ai retrouvée, Petite, allongée dans un autre lit que celui où je t’avais laissée. Toi dont la tuberculose s’était déguisée en tétanos, toi qui ne connaissais pas le moindre moment de répit dans notre service, stimulée de partout, tout le temps… tu étais à présent confortablement positionnée sur des coussins, recouverte par un essuie coloré pour te protéger des courants d’air, déplacée dans un coin un chouia plus calme de la grande salle commune, les lumières directement au-dessus de toi éteintes.
      Endormie.
      Presque détendue.
      L’infirmière est venue me rejoindre près de ton lit. Elle avait assisté à toutes mes discussions avec les autres médecins, hoché la tête avec vigueur quand je parlais du calvaire que tu subissais, et écouté attentivement quand je parlais de prendre des mesures pour que tu sois plus confortable. Après avoir téléphoné au service d’Isolement et confirmé qu’il n’y avait pas de place là-bas pour toi, elle a pris les choses en main et tenté de faire ce qu’elle pouvait avec ce qu’elle avait.
      — Je lui ai donné les antidouleurs que vous aviez prescrit dès que j’ai pu, me murmure-t-elle pour ne pas te réveiller, et je l’ai installée au mieux. J’ai chronométré : ça fait quarante minutes qu’elle dort. Même pendant mes gardes de nuit, je ne l’ai jamais vue s’assoupir plus de dix minutes de suite.
      Et je sais que ton pronostic est encore catastrophique, Petite, mais je ne peux pas m’en empêcher : mes yeux s’embuent et j’effectue une petite esquisse de danse de la victoire là, devant tout le monde, au milieu du service, malgré la trentaine de regards qui suit avec curiosité les moindres mouvements de ma peau blanche.
      Tout au long de l’après-midi, mon regard est irrésistiblement attiré par ton coin du service. Par le sourire de ta mère qui y répond au mien et qui rayonne comme un phare dans la pénombre, parce que sa fille a enfin pu dormir pendant près d’une heure d’affilée, maintenant, parce qu’elle a enfin l’air presque détendue. Presque confortable.
      Et ce n’est rien, rien du tout… mais c’est tout, aussi.
      Et ce petit rien qui est tout, Petite, aujourd’hui, je m’en contente.

1 LAMA = Left Against Medical Advice : parti contre avis médical.
2 Une infection nosocomiale est une infection induite par les soins ou acquise à l’hôpital. Elle est généralement plus grave qu’une infection dite « communautaire » parce que les germes responsables sont souvent très résistants aux antibiotiques.
3 Réanimation Cardio-Pulmonaire : l’ensemble des procédures suivies lorsque quelqu’un a ce qu’on appelle communément un « arrêt cardiaque » (en langage médical : arrêt cardio-respiratoire) et qu’il faut essayer de « faire redémarrer le cœur ».
4 ABCD : à la fois un moyen mnémotechnique et une procédure stricte reconnue de manière internationale pour procéder par étapes (et par ordre d’urgence) lors d’une RCP.
« Modifié: Hier à 22:44:41 par Ocubrea »
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Re : De la glaise sur les chaussures
« Réponse #1 le: Hier à 18:00:16 »
Hello Ocubrea,

Voilà un écrit fort intéressant. Et je respecte ton choix de le proposer ici, parmi des textes dont certains ne dépassent pas "dix lignes". Cependant, vu sa longueur mais aussi sa valeur et le sérieux de sa densité, je me demande, si toutefois ce ne serait pas mieux de le publier dans la section "Textes mi-longs" ?
« Les heures glissent comme des plumes légères, caressant mes souvenirs, là où chaque souffle devient un murmure d’éternité. »

https://monde-ecriture.com/forum/index.php?topic=17257.msg279434#msg279434

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Re : De la glaise sur les chaussures
« Réponse #2 le: Hier à 18:10:49 »
Hello Robert-Henri,

Bien vu, oups !
Je ne sais pas pourquoi, j'avais en tête que la limite de mots pour la section des textes courts était plus élevée que ça, (je pensais que c'était 4000 ou 5000 mots, auquel cas j'étais tout juste dedans), mais après vérification effectivement il a plus sa place dans les mi-longs !

Haha ça me fait bizarre parce que pour moi c'est juste un chapitre, j'ai du mal à le considérer déjà comme un mi-longs ;) Mais comme ça je respecte les règles du forum.

La modification a été faite :) Merci pour ta remarque !
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Re : De la glaise sur les chaussures
« Réponse #3 le: Hier à 18:40:25 »
Oba !

Contente d'avoir de tes nouvelles !

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dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne
Hé hé ! J'adore la rèf !  :coeur:

Citer
Coup de bol pour moi : la première fois de ma vie que je me retrouvais coincée au beau milieu de nulle part avec une voiture embourbée, c’était en compagnie de vingt personnes dont le métier consiste justement à partir à l’aveugle dans la brousse congolaise avec les exactes mêmes voitures et de les tirer de tous les bourbiers possibles et imaginables.
Je la trouve un peu longuette, cette phrase !

Citer
n’importe quoi que l’on puisse aller glisser sous les roues de la voiture en difficulté pour créer un revêtement sur lequel elle cesse de patiner.
On l'a déjà compris, je pense que tu peux virer.

Citer
  Je me souviens de l’émerveillement que j’avais ressenti devant la résilience de mon équipe, qui devant un imprévu choisissait de rire et de chanter, plutôt que de se plaindre :
:coeur:
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Lorsque l’un des membres du staff international, ignorant qu’il était, arrachait de terre une tige de manioc
J'ai pas saisi ce bout de phrase.

Citer
l’erreur était accueillie par un mélange de cris horrifiés et de rire ahuris de la part de nos collègues locaux
rires

Citer
le manioc, on n’y touche pas, enfin ! Vous les blancs, vous n’y connaissez vraiment rien à rien !
:D

Citer
Le déluge n’avait heureusement pas duré, et s’était mué en une fine bruine qui nous rafraîchissait le visage et les bras.
Je pense que tu peux virer la virgule.

Citer
Les premier pas, en descendant de voiture, n’avaient été que traîtres en raison de la patinoire en pente raide sur laquelle nous évoluions.
premiers

Citer
Ta mère est partie laver vos vêtements, tu n’as personne auprès de toi pour t’apaiser pour l’instant, et je n’ai pas d’autre patient dont je dois urgemment m’occuper alors, en passant par hasard dans le servie où tu es hospitalisée
service / hospitalisé

Citer
Comme si tu t’accrochais à mon doigt comme à un support pour t’aider à respirer.
Pas très joli, je trouve.

Citer
Tes pieds alternent entre pointes et flexions, selon le groupe de muscle qui remporte le combat du moment.
muscles ?

Citer
j’étais donc prête, fidèle au poste endéans les cinq secondes
Je connaissais pas ce mot ! Merci Oba ! :)

Citer
Faut dire aussi qu’il n’y a rien de tel que l’adrénaline d’un arrêt cardiaque à gérer chez un enfant de cinq mois pour vous réveiller un toubib.
:'(

Citer
  Ta mère, qui nous regardait faire depuis le lit d’à côté où elle s’était assise, se redresse, inquiète de ne plus nous voir nous agiter. Elle s’approche, presque sur la pointe des pieds, comme par peur de nous déranger. Elle nous interroge du regard, incertaine, perdue, lit nos expressions, pose une question en trois mots à peine soufflés, reçoit une réponse à mi-voix.
      Elle se rassied, le regard fixé sur toi, sur son fils dont un infirmier ferme doucement les paupières.
      Elle ne hurle pas. Elle ne tape pas des pieds sur le sol de dalles blanches, ne nous menace pas de ses poings. Son expression est vide, son corps immobile, comme si c’était une partie d’elle qui venait de quitter ce monde avec toi. Ses yeux sont secs : ils nous suivent presque distraitement tandis que nous nous éloignons du lit l’un après l’autre, en silence, ne laissant auprès de ton corps que les infirmiers qui vont le laver. Des paravents sont installés autour d’eux tandis qu’ils font leur office, puis t’emballent avec soin dans un tissu bleu délavé.
      Du coin de l’œil, tandis que je reprends le dossier que j’étais en train d’écrire avant d’être appelée, je la vois enfiler son khimar brun, se lever, puis se diriger vers la sortie du service comme une ombre.
      Le battant de la porte se referme sans bruit derrière elle.
:'(

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tu étais à présent confortablement positionnée sur des coussins, recouverte par un essuie coloré pour te protéger des courants d’air
Encore un mot que je connais pas... !

Citer
Et ce petit rien qui est tout, Petite, aujourd’hui, je m’en contente.
:coeur:

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Re : De la glaise sur les chaussures
« Réponse #4 le: Hier à 19:32:22 »
Merci pour le partage de ton texte et contente d'avoir de tes nouvelles.

Sur les premiers kilomètres, ça n’a pas fait grande différence, et nous trouvions suffisamment de tronçons plus secs pour nous débarrasser de la masse accumulée de temps à autres… mais, au fil du temps, l’impact de ce poids supplémentaire a commencé à se faire sentir. Les blagues se sont faites plus rares, les conversations se sont tues, les respirations se sont accélérées…
Ce passage décrit vraiment bien la fatigue des personnes. Ils n'ont plus l'énergie pour tout cela et se concentre sur l'essentiel. Ce passage nous renvois a quelque chose que l'on connaît, qu'on a tous vécu un jour. Il est parlant.


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Re : De la glaise sur les chaussures
« Réponse #5 le: Hier à 20:33:06 »
Hello Aponiwa, hello Cendres !

Argh, mince, nooon ! ><
Vos réponses confirment un peu ce que je craignais, à savoir que poster ce genre de texte, c'était prendre le risque de passer pour une "héroïne", ou pour quelqu'un qui veut se faire passer pour une "héroïne"... Or, ce n'est pas du tout le cas ! Je ne suis pas du tout "la sauveuse blanche qui va aider les pauvres petits Africains qui meurent de faim", je vais travailler là-bas parce que c'est ce que j'ai envie de faire, mais je n'ai pas plus de mérite que mes confrères et consoeurs qui pratiquent en Belgique !

Il y a beaucoup d'idées préconçues et de mythes associés à l'humanitaire, et je réalise que le présent texte n'aide pas beaucoup à les casser mais, dans ce texte, j'espérais surtout mettre l'accent au contraire sur le sentiment d'impuissance, la fatalité qui n'en a rien à foutre de nos bons sentiments, et sur cette question qu'on ne peut pas s'empêcher de se poser quand on est ici : "Mais qu'est-ce que je fous là, en fait ? Et à quoi ça sert, tout ça ?"

Mais merci, du coup, parce que vos commentaires m'aident à voir que je transmets peut-être magré tout ces idées, et je vais pouvoir réfléchir à comment faire pour éviter ça...

Pour vous répondre individuellement, maintenant :
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Re : De la glaise sur les chaussures
« Réponse #6 le: Aujourd'hui à 00:26:48 »
Chère Ocubrea,

Je ne vais pas m'exprimer sur la forme car il me semble que notre amie Aponiwa l'a fait probablement mieux que moi… Et puis de toute manière, nos styles respectifs d'écriture divergent de beaucoup (mais si, mais si !) Alors, je me dis que c'est pas mal non plus de me faire à l'idée du tien, afin d'en prendre de la graine (ne serait-ce que pour m'auto cultiver). Reste néanmoins le fond… qui m'entraine à échafauder d'autres idées d'aventures.

Bien sûr, l'épisode de l'embourbement, je l'ai vécu aussi, et plus particulièrement durant mon service militaire... sauf que ton récit m'a d'avantage rappelé des rêves que je fais, conscient de ces sentiments où l'on progresse aussi péniblement que si l'on se trouvait à devoir parcourir un interminable sentier boueux. Il est vrai que notre chemin de vie ne nous préserve en rien de ses difficultés et autres obstacles qui semblent derrière nous s'estomper alors qu'avec l'âge, ce sont des montagnes qui nous font face !
 
Nos objectifs se rient de notre situation actuelle. Nos doutes font de la résistance ! Ils sont le reflet d'obstacles tant émotionnels que matériels. Lesquels nous ralentissaient hier, et demain le feront encore. La boue nous colle aux basques ! Quel que soit l'âge, elle est collante et salissante au point d'entacher jusqu'à nos efforts les plus remarquables.

La suite de ton récit le montre trop bien : comment faire pour bien faire ? sinon que pour avancer encore, au moins se sentir utile, sans pour autant espérer voir de résultat immédiat.

Ce bébé qui se bat et crispe sa petite main sur ton doigt en guise de SOS est une situation très dure !

Le sentiment d'épuisement se juxtapose à celui d'impuissance. Trop souvent, l'on se sent dépassé par une situation difficile.

Et ces personnes qui contre l'avis médical s'en tiennent à leurs coutumes, au risque de  mettre leur progéniture en difficulté quand ça n'est pas elles-mêmes.

Tout ça nous entraîne à perdre confiance en nous : la difficulté à marcher dans mon rêve sans glisser ou tomber peut suggérer en cela un manque de stabilité autant que le sentiment d'une perte de capacité dans la gestion de situations où il est malaisé d'atteindre un but que l'on s'est promis d'atteindre pourtant.

Comme tu le soulignes avec justesse, l'aide humanitaire est un véritable engagement qui peut forger l'âme et le corps tout autant que parvenir à les briser. C'est, à mon sens, un chemin qu'il convient d'entreprendre en va-t-en guerre. Et je ne suis pas loin de penser que moult gens qui on choisi de troquer la boue contre le gravier crissant de chemins plus que routiniers, feraient bien mieux leur métier en s'inspirant de ton texte.

Amicalement de Robert.
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https://monde-ecriture.com/forum/index.php?topic=17257.msg279434#msg279434

 


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