[Claudius]

Il est assis sous le Pont de la rue piétonne, comme à chaque fois, lorsque je descends au bord du fleuve pour ma pause déjeuner. Depuis plusieurs jours, je l'observe assise sur un banc un peu plus loin, discrètement. Parfois, il se lève, s'étire, puis se rassoie. Je ne distingue pas vraiment à cette distance ce qu'il peut bien faire, il semble absorbé et je devine le mouvement incessant de ses mains. Ne pensez pas que je m'adonne à cette occupation malsaine des voyeurs, non : c'est juste que cet homme m'intrigue. Aujourd'hui encore, j'hésite à m'approcher, mais demain... peut-être.

Il est midi passé de peu, j'arrive sur le quai, la rivière est calme, sereine, à l'étale. C'est un moment privilégié pour moi, hors du tumulte de la vie urbaine. Ce pont, en dehors de la ville, offre un havre de paix. Mon inconnu est toujours là, rien n'a changé depuis hier. Je fixe machinalement ma gamelle, une salade maison, bien fraîche quand...

— Bonjour Mademoiselle, ou Madame...
Cette voix claire me fait sursauter, je ne l'ai pas entendu approcher. Bouche bée, les yeux en dehors d'orbites, je dois ressembler à une folle, impossible de sortir un son. Il doit le sentir, penser peut-être que j'ai peur, mais non…
— Pardonnez-moi si je vous ai effrayée ! Je vous observe depuis plusieurs jours, assise sur ce banc, seule, à l'heure de la pause repas.

Il est habillé de vieilles fripes, pas vraiment sales, juste élimées. Son visage arbore une barbe de plusieurs jours, mais bien coupée, ses cheveux un peu en bataille, mais sans plus. C'est son regard qui me touche le plus, perçant, puissant, rieur à la fois et ses yeux rivés dans le miens me percent jusqu'au coeur. Je reprends mon souffle, je réussis enfin à articuler une phrase, ou tout au moins un semblant de phrase.

— Bonjour, je... je... désolée... Je ne voulais pas être impolie, je vous observe aussi depuis quelques jours. Je n'ai pas l'impression que vous soyez un sans-abri... Oh ! Pardon, je...
— Mais non, ne vous excusez pas, dit-il en riant de bon coeur, je comprends. Non je ne suis pas un SDF et je ne m'adonne pas à la boisson sous les ponts.

Il sort alors de sa poche un petit carnet et me le tend. Surprise, je tente de refuser, ne voulant pas être indiscrète. Il insiste, je m'excute quand il s'assoie sur le banc près de moi.

J'ouvre le carnet et je découvre une série de portraits. Ce ne sont pas des représentations ressemblantes, plutôt des caricatures reflétant, je le suppose, le caractère de chaque personne. Sur l'instant, je ne reconnais personne, jusqu'à la dernière page noircie du carnet.
— Mais ! C'est moi ! Comment...
— Oui, c'est vous... ce portrait vous plait ?

Le dessin crayonné me représente presque comme un ange, il ne manque que l'auréole. Un sourire triste au coin des lèvres, des yeux un peu battus et les épaules basses.

— Vous m'avez représentée bien défaite et triste...

— Oui, parce que c'est ce qui émane de vous, vous n'êtes pas heureuse dans la vie, votre boulot ? Un problème de cœur ?

Je ne sais pas pourquoi, il est là et d'un coup, d'un seul, je lui confie toute ma vie, tout ce que j'ai enfoui en moi depuis des années. Un inconnu, un vagabond venu de nulle part, je me vide d'un seul trait.

Puis le silence se fait... Il se lève et disparait juste au bout du quai.

Je vais bien, je suis bien...

Mais qui est-il et pourquoi ?

[derrierelemiroir]

Bonsoir Claudius,

Ça fait longtemps 

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.

L'écriture est très fluide, plaisante, donne envie d'aller se promener au bord d'un fleuve.

Merci pour ce texte et bonne nuit 

[Nacas]

Coucou mamie,

Parfois, il se lève, s'étire, puis se rassoie.

C'est adorable, ça. Ce jeu de ponctuation et d'images, d'action

Ne pensez pas que je m'adonne à cette occupation malsaine des voyeurs, non : c'est juste que cet homme m'intrigue.

Je n'ai rien dit.

Il est midi passé de peu, j'arrive sur le quai, la rivière est calme, sereine, à l'étale.

Moi je dis "étale" tout court, c'est faux ?

C'est un moment privilégié pour moi

Il est dangereux, je crois, de nommer comme un objet ("c'est un [ expression commune ]") quelque chose qui est l'apanage du vivant en particulier dans ses instants les plus précieux. A choisir, je ne le nommerais pas, ou alors j'assumerais d'en faire une chose, et ne le nommerais que pour en disposer indifféremment. Là, il me semble que tu lui colle de l'affecct, à ce "moment privilégié", et j'ai déjà entendu cette colle d'affect ailleurs et elle me déplaît.

— Mais ! C'est moi ! Comment...
— Oui, c'est vous... ce portrait vous plait ?

Le dessin crayonné me représente presque comme un ange, il ne manque que l'auréole.

Bombe à poivre. Direct.

Ok je comprends la chute mais ooooooooooooooooooooooooofff mamie je ne marche pas dans ta combine.
J'aime bien le titre qui reparaît en dernière phrase cependant.

Vran,
Nacas

[Cendres]

Merci pour le partage de ton récit.

Alors que ton personnage au début se sent "supérieur" à l'homme sur le banc, la suite du récit inverse les rôles.
Ce n'est pas lui qui est en souffrance, mais elle.
Alors qu'elle aurait pensé que c'était à elle de venir l'aider, ce fut lui qui l'a aidé, et percée son âme pour connaître ses sentiments.

[Claudius]

DLM
Merci pour ce commentaire sympa. Je vais revoir les imperfections.

Explication : SDF et bouteille... c'était sur la couverture, ce qui fait que j'ai glissé ce détail.

La fin abrupte,  oui, le temps était compté.

En fait, j'ai un peu raté ce tic-tac (pour moi) je suis partie sur une idée que je n'ai pas pu développer. Ce qui fait que j'ai changé de voie et ce n'est pas réussi du tout.

Nacas

Tu n'as rien dit mais tu l'as pensé si fort que j'ai entendu... 

Oui, tu as raison : étale - c'est une déformation d'habitude, ma mamie disait ça... je vais corriger.

Ah ! oui, je vais corriger ce détail importun ! Pfff c'est une bourde.

Euh... c'est quoi la bombe à povre ? 

Cendres

Et oui, l'arroseur arrosé... merci pour ta lecture fidèle 

Merci à tous les trois 

[Luna Psylle]

Salut !

Je prends enfin le temps de lire la session pour laquelle j'ai manqué d'inspiration.

A lire le texte, j'ai ressenti comme un entre-deux : pas tout à fait une histoire avec un SDF (comme tu en as déjà proposé dans d'autres Tic-Tac, dans mes souvenirs), pas tout à fait cet autre chose qui se dessine à la fin. Avec ta réponse, je comprends un peu mieux cette sensation. Ca fait que je n'ai pas grand chose à dire : ni déplaisant, ni captivant, quelques questions à la fin, pour lesquelles on peut trouver des réponses, donc pas de fin trop ambigüe. Même le happy end me paraît un peu en demi-teinte ; pas forcé, mais ce "et ensuite, elle décide quoi ?" qui reste en suspens.

Une bonne journée à toi !