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10 décembre 2024 à 03:12:49
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Auteur Sujet: Méditations sataniques  (Lu 927 fois)

Hors ligne Arsinor

  • Aède
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Méditations sataniques
« le: 26 octobre 2023 à 22:00:19 »
Librement inspiré de Nietzsche

Méditations sataniques


1. La Pharmacie du surhomme ou l’œuvre au noir
   
Un dragon répandait la terreur dans le pays. Venu d’un antipode, il avait élu domicile dans une caverne, non loin d’un village. Le jour, il portait le mauvais œil, et la nuit, il pouvait manger les enfants. Personne ne s'aventurait dans la forêt et les brigands eux-mêmes contournaient la région.
Un jour, un étranger vint au village. Il se posta au milieu de la place et observa. Bientôt les villageois s'attroupèrent autour en lui jetant des regards.
— Qui es-tu ? lança un téméraire dans la foule.
— Mon nom est Alexandre.
— Qu'est-ce que tu viens faire par ici ?
— Vous délivrer du mal.
— Il n'y a pas de mal ici !
— J’ai entendu parler d’un dragon, dit Alexandre.
— C'est un fou !
— J’ai renoncé au déni. Vous devriez faire de même.
— Va-t’en !
— Nous ne voulons pas de toi ici !
Mais personne n'avait le courage de prendre Alexandre par le col pour le faire déguerpir. Tandis que la piaillerie allait de plus belle, le curé s'approcha de lui comme pour prendre son parti et éviter toute lapidation :
— On dit qu’un dragon s'est installé près de notre village en effet. Parfois on entend un grondement et on dit qu’il commande à la pluie, en asséchant les puits et en déclenchant des inondations. Je ne pense pas que ce soit vrai mais ça terrorise tout le village. 
— Je peux le tuer, dit Alexandre.
— Nous vous savons grés de votre offre, répondit le curé. Mais douze soldats du château ont été envoyés pour le combattre et ils ne sont jamais revenus. On dit que la bête immonde leur fait subir un flot de paroles pour qu’ils se sentent coupables afin de les affaiblir pour ensuite les dévorer. Cette chose saurait parler.
— Je n’ai rien à me reprocher. Je reviendrai vainqueur.
— Les écritures disent que les dragons sont malins, brutaux et effrayants.
— Dites-moi où il se cache.
— C'est nous qui nous cachons quand nous l'entendons. Je ne voudrais pas vous envoyer à la mort...
— Qu'on l'y envoie ! cria quelqu’un.
— Qu'il nous délivre ! dit un autre.
—   Vous voulez qu’Alexandre nous aide à régler notre problème ? dit le curé à la foule.
—   Oui ! fit la foule, unanime.
— Très bien, reprit le prêtre. Montrons à notre ami où se trouve le repaire de la bête.
Des hommes expliquèrent le chemin à Alexandre, qui se mit en route. Quand il arriva près de la grotte, il aperçut le dragon. C’était un gigantesque Teleocrater de trois mètres de haut et sept mètres de longueur, orné d’écailles dorsales, couleur de jades, ors, noirs, blancs et vif-argent, incrusté de pierres précieuses écarlates zébrées de vermillon. Il se réveilla et rugit en crachant une flamme :
— Comment oses-tu te présenter devant ma Face ?
— J’ai renoncé à la peur.
— On ne dirait pas. Qu’est-ce que tu viens faire ici ?
— Te faire entendre raison.
— Ignores-tu qui je suis ?
— La peur que tu suscites est ton arme.
— Drôle, tu es un fétu de paille !
Le dragon prit son souffle pour brûler Alexandre, qui sortit aussitôt son épée et lui coupa une oreille.
— Mon oreille ! hurla la bête en voyant l'écaille virevolter.
— Je n’ai pas eu peur de toi et je me suis servi de mon épée. Tu ne t'attendais pas à ce qu'un homme te fasse mordre la poussière. Tu avais besoin d'une bonne leçon d'humilité. Ce n'est qu'un début. Je te ferai parler pour comprendre comment t’anéantir.
— Quelle horreur ! Regarde ce que tu as fait ! Comment vais-je entendre ce qui se passe, maintenant ?
— C'est ton problème.
— Mon sang se déverse sur le sol !
— Tu l'as cherché, et maintenant, tu te poses en victime.
Le dragon gronda et racla le sol comme un taureau pour effrayer Alexandre.
— Tu vois, c'est toi qui es violent, fit observer notre héros. Tu essaies de me faire mal avec ta patte.
— C'est toi qui as commencé !
— Non, c'est toi.
— Ah oui ? Et qu'est-ce que je t'ai fait ?
— Tu terrorises le pays. Quand tu fais du bruit, tout le monde court s'abriter. Et tu as mangé douze soldats.
— Douze coupables. Ils m’accusaient de façon sous-jacente de vouloir leur mort.
— J’ai renoncé à la culpabilité. Tu tires ta force du sentiment de culpabilité que tu insinues chez ta victime. Un moment de doute, un moment d’inattention, et tes flammes la rôtissent. Inutile de nier. Je sais qui tu es : une machination violente. Tu es nuisible à la race humaine et je vais te supprimer.
— Tu vois, ce sont tes intentions à toi qui sont violentes !
— Je suis pour l'amour entre les êtres et je regrette de devoir recourir à la violence. C’est une situation exceptionnelle.
— C’est l’exception qui fait la règle !
— La violence et son recours légitime exceptionnel font partie intégrante de ce monde : il faut l'accepter.
— Tu n'as jamais entendu parler de négociation ?
— Je négocie avec les êtres que je respecte. En me traitant ainsi d'emblée, avec une flamme, tu as montré que tu ne me respectais pas.
— En voilà une leçon de respect de la part d'un homme qui juge sans connaître !
— Je respecte mes semblables, condition nécessaire à l'établissement d'un dialogue constructif et enrichissant permettant de résoudre les problèmes concrets et relationnels. Je participe à la construction du respect des uns avec les autres et à la paix entre les peuples. Je suis humaniste. Je défends ce type de valeurs et c'est pourquoi je me montre violent envers ceux qui les mettent en péril.
— S'afficher humaniste, c'est la porte ouverte à toutes les dérogations.
— Je le suis et j'annonce la couleur.
— Tu te dis blanc mais tu es noir à l’occasion.
— C’est cela. Mais le noir est inclus dans le blanc.
Le dragon renifla.
— Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter une telle peine selon toi ?
— Tu le sais.
— Je ne sais pas, mais parle, puisque tu es si informé. En faisant semblant de ne pas avoir besoin de répondre, tu ne réponds pas. Ce mutisme te permet de rester sur la croyance qu'il y a une bonne raison. Alors, je te le demande : qu'est-ce que je t'ai fait ?
— Tu es renvoyé à ta propre question et à ta propre tergiversation, répondit Alexandre qui évitait avec une habileté virtuose tous les pièges du dragon. Tu essaies d’amener l’autre à se remettre en question pour l’affaiblir. Il me suffit donc de te faire douter de toi-même pour t’achever.
— Tu es abject !
— Une insulte, déjà ? C'est intéressant. Cela signifie à mes yeux que tu es à court d'argument. Mais je ne t'en veux pas. J'ai le pardon facile et je suppose que ta parole a dépassé ta pensée. Tu es capable de plus de finesse que ça.
— Qu'est-ce que c'est que ce charabia ?
— Je suis clair avec moi-même sur ce point. Si tu es bien avec toi-même, c'est ton problème. Pour ma part, je ne prétends pas être parfait.
— Oui, tu es abject parfaitement !
— Une fois, ça va. Deux fois, une mesure s'impose.
Alexandre joua à nouveau de son épée et coupa une patte au dragon, qui poussa un cri de douleur.
— Tu iras en enfer ! jeta le dragon hors de lui.
— C'est toi qui vas y retourner. Moi, je suis le sauveur.
— Tu es le tueur !
— Il n’est pas plus violent que celui qui l’ignore. Il me suffit de te faire prendre conscience de ta violence.
— C'est toi qui es violent, je suis objectif.
— L'objectivité n'existe pas.
— Je suis objectif, donc l'objectivité existe.
— Plus tu te répètes et plus tu essaies de me convaincre, plus j’ai tendance à me méfier de ce que tu dis. Tant qu'on ne m'a pas prouvé que je me trompe, je continuerai à raisonner de cette façon.
— C’est une mauvaise façon.
— C’est la mienne.
— Tu m’as coupé une patte et une oreille, alors que je ne t’ai rien fait.
— Demande-toi pourquoi. Attention, si tu cherches, tu pourrais bien trouver la réponse.
— Tu crois que l'insulte est une raison suffisante pour me faire violence, mais tu as mérité cette insulte, alors que je n’ai pas mérité cette violence.
— Ton argument est étrangement ridicule. Tu crois qu'il suffit d'émettre une opinion pour avoir raison. Cela s'appelle l'égocentrisme. Si tu veux jouer à ça, soit : à chacun sa vérité. Et ma vérité à moi, c'est que je suis venu libérer le pays de l’empire du Mal.
— Dans ce cas, chacun peut croire ce qu'il veut.
— Tu as tout compris.
— Tu es dans le relativisme absolu, affirma le dragon qui lui aussi était un authentique savant. Tu crois que toutes les opinions se valent. Si tout le monde pose que toutes les opinions se valent et que ce n'est pas la peine de discuter, personne ne pourra sortir de la rivalité. Autrement dit, tu as décidé de faire violence et tu ne discutes que pour t’assurer que ta violence est légitime en trouvant des raisons de la légitimer dans mon discours. Or mon discours ne peut être que violent puisque tu es violent. C’est un cercle vicieux.
— Je suis dans un relativisme relatif, indiqua le héros, sublime de repartie. À l'absolutisme on oppose le relativisme, tel une sorte d'absolu où tout est relatif. Je pratique un intermédiaire nommé relativisme relatif qui inclut l'objectivité et la subjectivité. Par exemple, il est objectif que tu sois le dragon.
— Voilà une rhétorique étrange mais trop peu étrange pour m’impressionner. Tu établis un lien a priori entre le mal et un dragon pour te donner le beau rôle dans le cadre du rapport de force. Le violent se fait toujours passer pour le champion du droit, la victime qui se révolte ou son défenseur. Mais ça ne marche pas et ta tentative de manipulation a échoué.
— Libre à toi de le croire.
— Libre à toi de croire qu’il suffise de le croire.
— Libre à toi de croire qu’il suffise de dire « libre à toi de croire qu’il suffise de le croire ». Maintenant, excuse-moi, mais je dois terminer ta mise à mort.
— C’est ton droit. Fais ce que tu as à faire, au revoir.
Le dragon fit mine de rentrer chez lui, comme pour donner l’apparence qu’il prêtait peu d’attention à la situation, par snobisme, bien qu’il mourût d’envie de continuer à en découdre, et cela en dépit de ses meurtrissures. Alexandre sectionna la grande écaille dorsale centrale rouge et vert du dragon. Du sang métallique en jaillit.
— Au secours !
— Personne ne viendra à ton secours. Si quelqu'un t'entendait, il serait trop content de te voir agoniser.
— Mais j'ai rien fait !
— C'est bien ce qu'on te reproche.
— Et qu'est-ce que tu veux que je fasse ?
— Mourir.
— Tu es immonde.
— Quel joli jeu de miroir entre nous : je te trouve immonde et tu me trouves immonde.
— Quelle douleur abominable !
— C'est trop peu pour tes péchés.
— Ce n’est pas moi qui ai péché ! C’est toi !
— C'est ton opinion personnelle. Tu planes assez pour ne pas voir que tout le monde veut ta mort. Je constate. Il y a forcément une raison à cette haine.
— Tu supposes qu'il y a une raison à la violence collective pour la légitimer et ainsi y adhérer. Tu tournes en rond. Tu as besoin d'expulser la violence que tu ne peux pas exprimer normalement en société.
— Je ne partage pas cette théorie.
— Tu t'abats sur la créature qui déplaît à tout le monde en inventant des prétextes qui te valorisent. Je n’ai jamais fait de mal à personne.
— C’est ce que disent tous les coupables.
— Tu m’agresses et je suis la victime.
— L'agresseur ne peut pas être la victime.
— Je ne te le fais pas dire !
— Tu es le dragon, je te signale. Et je suis le héros.
— Tu n’es pas héroïque.
— Je le suis puisque je vais tuer un dragon. C’est à se taper sur les cuisses.
— Pour vaincre, il faut être fort, donc se savoir dans son droit, ce qui est mon cas.
— Moi aussi je me sais dans mon droit.
— Toi, tu mens. Je suis le seul à dire la vérité.
— Si je n’étais pas le héros, tu m’aurais déjà mangé. Or, je te domine, car je me sais héros. Cercle vertueux. J'ai la volonté et la capacité de tuer un dragon : je le pense et le dis. Il est plus exact de déclarer que je veux être le héros que de prétendre que j'en suis un. Et j'en serai un quand je t'aurai tué. Je m’inscris dans une dynamique de projet. D’ailleurs, tu commences à faiblir. Tu commences à cligner des yeux.
— Pas du tout, dit le dragon en clignant des yeux. Mais puis-je te demander en quoi cette volonté est héroïque ?
— Parce que c'est juste et difficile. Que justice soit faite au mépris du danger, telle est ma devise.
— Cela n'est pas la justice. Tu ne peux rien prouver et je ne suis pas convaincu d'être coupable. C'est ta parole contre la mienne.
— C’est ta parole contre la mienne.
— C’est ce que je viens de dire.
— Moi aussi. Tous les coupables nient. Les uns sont de mauvaise foi, les autres ne se rendent pas compte. À toi de voir dans quelle catégorie tu te classes.
— Ce n'est pas un choix, c'est un dilemme. C'est trop facile de plaquer une catégorisation sur une situation.
— Je n’ai pas dit que c’était un choix, ni que c’était difficile. L'expérience montre que c'est comme ça que ça se passe.
— L'expérience a tort et tu t'es toujours trompé. Tu réinterprètes le monde selon ton système de justification, rétorqua le dragon.
— Oui, et toi selon le tien. C'est ce que j'appelle le relativisme relatif. Les deux propositions sont équivalentes et je choisis celle que je trouve vraie. Tu crois que je suis l'agresseur et je crois que tu es l'agresseur. C’est sans fin, et j’y mettrai un terme.
— C'est faux ! Tu ne crois pas que je sois l’agresseur. La vérité est unique ! L'objectivité existe et c'est toi l'agresseur puisque tu m’as coupé une oreille, une patte et une écaille. Le relativisme conduit au conflit.
— Que le relativisme conduise au conflit, encore une fois, c'est le reflet de ta subjectivité. Tout ce que tu penses est inclus dans la zone de ta subjectivité. La différence entre toi et moi, c'est que j'assume ma subjectivité alors que toi, tu crois détenir la vérité. C'est donc toi qui es aveugle.
— Assumer la violence sous prétexte de relativisme et d'impossibilité de départager deux points de vue antagonistes, voilà le cynisme. Tu dis que je suis l'agresseur mais c'est toi qui es en train de me tuer à petit feu. Regarde, je suis en sang.
— Je me contente de te faire subir ce que tu voulais me faire subir. Je suis ton miroir. À ceci près que je te domine, puisque j’ai raison de dire que tu es l’agresseur. La violence répond à la violence. J’accepte cette règle d’or et c’est pourquoi je n’éprouve pas de sentiment de culpabilité.
— Alors tu devrais savoir ce qui pourrait arriver si tu me tuais. Il se produirait des choses horribles.
— Les choses horribles cesseront à ta mort. Et si je dis que je suis ton miroir, c'est parce que je vais produire la violence ultime.
— C'est ce que tu crois.
— C'est ce que je crois. Maintenant, je vais te tuer car tu as suffisamment faibli devant mon argumentaire.
— Tu dois d'abord me faire un procès. Je le gagnerai et tu me laisseras tranquille.
— Premièrement, tu n'as pas d'ordre à me donner. Donc, tu ne peux pas me dire « tu dois ». Deuxièmement, je ne te laisserai pas continuer à terroriser tout le monde aux alentours. Ton procès est terminé et le verdict est tombé.
— Je ne terrorise personne. Ils se font violence tout seuls.
— Donc, pour toi, les habitants du village, ce n'est personne. C'est sans scrupules que je te porterai le coup de grâce.
— Apporte les preuves à tes accusations au lieu de diffamer.
— Si tu étais innocent, tu ne souffrirais pas en recevant cette lame. C'est l’ordalie du fer, dit Alexandre en brandissant son épée.
— Si tu m'épargnes, je te donnerai le secret du mystère.
— Tu peux le garder.
— Je t'en supplie, homme, aie pitié de moi... Je ne suis qu’un être comme toi. Un reptile… j’ai le droit de vivre moi aussi. Je ne fais pas de bruit si je reste dans la grotte…
— La machine à culpabiliser, les menaces, les ordres, la carotte et maintenant la tentative d'apitoiement. Tu auras tout essayé.
Alexandre enfonça son épée dans l'œil du dragon, qui creva de colère. Œil, patte, écaille, oreille : par généralisation de la reconstitution de la queue du lézard, le dragon répara son corps, prit son envol et déclencha une tempête. Les rafales soufflaient dans les quatre directions à la fois. Alexandre s'était jeté sur le dragon qui prenait des virages abrupts pour le faire tomber. Il s'accrochait aux cornes du Teleocrater et criait dans le vide :
— Les coups d'épée n’ont pas de prises sur toi. La violence fait de toi une victime, ce qui te fortifie. Tu tires ta force de la peur et de la culpabilité insinuée chez l’autre, mais aussi de ta position de victime. La victime a raison et a le droit d’obtenir des bénéfices, par principe moral. Et c’est ce statut de victime qui te donne des privilèges comme le droit à violenter les autres. Je veux que la violence ultime vienne de toi-même. Ainsi elle sera dirigée contre elle-même.
— Vas-tu te taire ? hurla le dragon, furieux.
— Tu ne pourras pas t’empêcher d’être la victime de ta propre violence, perdant ainsi toute crédibilité à tes propres yeux, expliqua Alexandre. Comme je te domine, ta propre colère te mènera au suicide. Ne pouvant t’en prendre à moi, tu retourneras la violence contre toi-même tout en essayant de la retourner contre moi. Et plus tu te révolteras contre ma domination, plus je te dominerai.
Hors de lui, le dragon déchaîna contre son gré un orage, et fonça à travers les foudres jusqu’à heurter un panache de globules terrotromisés d’éclairs. Le jeune homme avait sauté dans le vide. Écarlate d'électricité, la bête fit une chute vertigineuse et frappa le sol dans un fracas de tous les diables. Le choc provoqua le retour du beau temps.
Alexandre, plus léger et ayant visé juste, rebondit sur le ventre du dragon, qui fit un excellent amortisseur. Il respira un grand coup, bailla, s'étira, mit pied à terre et contempla son œuvre.
Un sentiment de triomphe l'envahissait. L'existence du monde l'enivrait et il s'enivrait de l’existence du monde. Il dédaigna les pierres précieuses qui ornaient la peau du teleocrater. Il enfonçait son épée dans le cœur du dragon qui s'épanchait en fontaine de sang. Il buvait le vin intarissable de la vie et de la mort. Il sentait les puissances de la nature inonder son âme, son esprit et son corps. Sa peau devenait dure comme du diamant et souple comme un tissu. Il recevait le don du sang du meurtre de la bête noire de l'humanité qui est la violence du sacré.
Comme les villageois voulaient remercier Alexandre de les avoir débarrassés du dragon, et que celui-ci devait partir dès le lendemain pour accomplir d'autres exploits et sauver d’autres misérables à travers le pays, ils donnèrent une fête en son honneur et firent une chanson à son nom. Le héros profita du séjour pour honorer toutes les jeunes filles du village, l’honneur rejaillissant sur les parents, pour manger comme un cochon, dormir comme un loir et repartir à cheval.


2. La Fontaine intarissable ou l’œuvre au blanc

Il était une fois, dans une contrée lointaine, un village hanté par l'esprit d'un dragon mort. Une rivière de sang coulait dans les rues, changeant les pavés en îlots, souillant les champs, contaminant les puits. Les mouches pullulaient, les remugles étourdissants entêtaient les sens et les gens restaient chez eux.
Des hommes défaillaient, demeurant par terre à souffrir au soleil. Les cadavres se décomposaient et répandaient des maladies qui multipliaient les cadavres. Pour conjurer la malédiction, on donnait des messes tous les jours. L’église ne désemplissait pas. Ce n'étaient que plaintes et lamentations.
— Dieu tout-puissant qui êtes aux cieux, venez nous aider et chassez le mauvais esprit, nous vous en supplions, disaient les uns à genoux.
— Que l'Esprit saint nous donne la force de résister, disaient les autres en joignant les mains.
— Demandez, et vous serez exaucés, disait le curé.
Tous priaient, nuit et jour. Mais Dieu restait sourd et muet, et le dragon mort continuait à régner sur les rêves et sur la réalité.
Quitter le village, c’était une courageuse résolution. Mais beaucoup ne renonçaient pas aux pierres de leur maison, le peu qu’ils possédaient. On se confessait en ajoutant des aveux de péchés imaginaires pour plaire à l'Église. On envoyait les enfants au curé le matin et le soir.
— Le Christ n'a-t-il pas oublié de nous sauver, au village ? demanda un jour une petite fille nommée Sylvette.
— Le Christ sauve tous les hommes, répondait le curé.
— Pourquoi ne sauve-t-il pas le dragon ?
— Dieu ne peut sauver une créature du diable. Et s’il ne la tue pas, c’est l’occasion pour nous de lui prouver notre foi, en dépit de la difficulté accrue de croire.
— Mais comment lui prouver notre foi ?
— Rentre chez toi, Sylvette, et prie. Offre ta présence enfantine à tes parents.
Sylvette sortit. L'église était bondée, tout le village faisait la queue. Sylvette se souvint d’un maréchal-ferrant qui donnait des avis éclairés à la demande. Son intelligence était connue et il était le seul à ne pas prendre part aux lamentations.
Sylvette se dirigea vers sa bâtisse et le vit devant sa porte, s’entraînant à soulever d’une seule main une table sur laquelle étaient posées quatre chaises et où se tenaient quelques chats un peu acrobates.
— Monsieur, qu’est-ce qu’on peut faire pour aider le village ?
— Ce qu’il faut faire pour sauver le village, c’est la bonne question à se poser, Sylvette, dit l’homme, admiratif.
Il reprit :
— Les dragons sont toujours plus forts que ce qu’on croit. Comme tu vois, ils se vengent par-delà la mort même. Aucun meurtre n’est anodin, et entraîne toujours des conséquences. Tout ce sang résulte d’un meurtre, d’un assassinat qu’un héros a cru bon de perpétrer pour sauver son pays. Un grand imbécile ! Mais toi, tu es une philosophe, une petite philosophe, philosophe quand même. Tu cherches à réparer les erreurs.
   — Dites-moi quoi faire, je le ferai.
—   C’est toi qui sais.
   Sylvette réfléchit et dit :
—   Je veux voir la fontaine de sang.
—   Tu n’as pas peur ? dit l’homme.
—   Nous n’avons plus le temps d’avoir peur.
— Remarquable réponse, digne d’un maître ! Je t’emmène près de la source de sang, et il ne faudra pas que tu cries ni que tu sois dans tous tes états.
L’homme posa la table doucement et prit Sylvette par la main. Ils traversèrent le village, suivirent la rivière de sang et entrèrent dans la forêt. Quand ils arrivèrent au milieu des ronces, des vipères et des mares, devant le spectacle de la carcasse monstrueuse, du cœur de laquelle jaillissait la fontaine inversée, Sylvette comprit que le dragon ne pourrait jamais venir à l’église. Elle vit quelque chose se lever lentement. L’homme, effaré, s’apprêta à emporter Sylvette pour la sauver et courir mais celle-ci arrêta son geste d’une voix autoritaire :
— Je préfère mourir plutôt que tu laisses croire au dragon que je considère qu’il me veut le moindre mal.
— Que veux-tu ? dit le dragon dans un râle.
— Dragon, je t'en supplie, pardonne à celui qui t’a plongé dans l’agonie. Sans doute avait-il ses raisons. Mais toi aussi, tu t’es bien vengé. Si tu pouvais venir à l’église, Dieu t’accorderait le pardon, j’en suis sûre et tu pourrais vivre en paix avec nous. Mais tu es coincé ici aussi j’espère que ma prière suffira. Si tu peux lever la malédiction, je suis prête à être mangée.
Elle se laissa tomber à genoux comme le font les chrétiens dans les cas les plus graves devant une statue de la Croix. Le dragon suivit et se changea en amoncellement de perles, qui s'écroula. Les perles se répandirent, les mouches tombèrent, les serpents retournèrent sous terre et l'Esprit s’envola.
De la source intarissable jaillissait maintenant de l'eau miraculeuse, et il se mit à pleuvoir d’un grain dru. Champs, puits et maisons, l'eau purifia tout sur son passage et, en quelques heures, le village fut sauvé.


3. L’alchimiste et la cratophanie ou l’œuvre au rouge

Il était une fois un horrible dragon qui terrorisait une contrée entière. L’alchimiste du village partit à sa rencontre. Quand il arriva près de la caverne, le dragon se réveilla et rugit sans lancer de flamme :
— Comment peux-tu te présenter devant ma Face ?
— Je te prie d'excuser ma témérité.
— Qu'est-ce que tu viens faire ici ?
— Rendre visite à ta grandeur.
— Drôle, tu es un fétu de paille !
— Je suis un grain de poussière.
— Va-t’en, tu me déranges !
— Je demande à ta majesté la faveur d'accepter ma présence quelques instants.
— Imbécile ! Ne vois-tu pas que je vais te dévorer si tu ne déguerpis pas sur l’instant ?
— Si.
— Alors pourquoi restes-tu immobile comme une statue de sel ?
— Je voudrais te poser une question.
— Et à quoi te servira la réponse une fois que tu croupiras dans mon estomac, lentement dissout par des sucs raffinés ?
— Je souhaiterais connaître la vérité avant de mourir.
— Réponds ! À quoi te servira la vérité en enfer ?
— Je ne sais pas.
— Tu ne sais pas ce que tu veux et tu viens te faire dévorer pour savoir quelque chose ?
— Oui.
— Eh bien, soit ! Je te répondrai, je te tuerai et je te garderai pour le repas de cette nuit.
— C’est d'accord.
Le dragon fit un tour sur lui-même.
— Bon ! Pose ta question.
— J'ai sept pommiers, mais six d'entre eux ne donnent jamais de fruit.
— Qu'est-ce que tu veux que ça me fasse ?
— Que dois-je faire pour qu'ils donnent tous des fruits ? C'est ma question.
— C'est ça, ta question ? Tu veux mourir pour un problème de verger ?
— Non, mais s'il faut en passer par là, je l'accepte.
— Ainsi tu veux finir dans les entrailles.
— Tu ne sais pas quoi répondre ?
— Bien sûr que si. C'est élémentaire, mon cher ami.
— Je t’écoute.
— Par une nuit de lune ronde, tu planteras perle ronde au pied du généreux pommier. Un jour suivant, au zénith, tu frotteras la perle chargée à toutes feuilles des arbres ruinés.
— C'est tout ?
— Bien sûr ! C’est mon Maître, l’alouette lulu, qui l’a dit.
— Mais où trouver des perles ? continua l'alchimiste.
— Il se trouve que je suis l’unique propriétaire des perles de ce pays, jeune homme. Ça tombe mal, n'est-ce pas ?
— On peut dire aussi que ça tombe bien. Puis-je avoir une perle ?
— Drôle que tu es ! J'ai répondu à ta question, alors, maintenant, va dans mon garde-manger !
— Dans la caverne ?
— Évidemment.
L'alchimiste entra dans la caverne, simple alvéole creusée dans la montagne.
— Où se trouve le garde-manger ?
— N'importe où.
— Bon, je m'assois là. Il vaut mieux que tu ne me tues pas tout de suite pour que ma viande reste fraîche.
— Tu n'as pas l'air d'avoir bien compris ce qui t'arrive. Tu raisonnes tranquillement, comme si tout allait bien pour toi.
— Un marché est un marché. Tu m'as donné une réponse et maintenant je dois attendre que tu me manges.
— Ah bon. Puisque tout est si clair dans ton esprit, alors c'est parfait.
— Et sinon, où sont les perles, par curiosité ?
— Tu es bien bruyant pour un dessert !
— Ah, excuse-moi. Tu as besoin de silence ?
— Exactement.
Le dragon regarda au loin. Pui il fit un petit dessin sur le sable, avec sa patte, et se mit à méditer. Au bout d'une heure, il déclara :
— Je vais chercher un pépin. Garde la caverne en mon absence.
Le dragon partit dans la forêt et revint avec un pépin de fruit en équilibre entre les narines. Il le posa sur une pierre plate et le contempla avec des yeux ronds, en s'approchant si près qu'il se mit à loucher.
— Toi qui tenais tellement à savoir d'où proviennent les perles, admire plutôt cette magie sublime.
Il fit un tour sur lui-même, se mordit la queue de façon à former un cercle autour de la pierre, et le pépin se changea en perle, dans un minuscule nuage explosif.
— Oh ! Comme c'est admirable ! s'exclama l'alchimiste.
— C'est peu de chose à côté de ce que je sais faire.
— C'est extraordinaire ! Que sais-tu faire d'autre ?
— Beaucoup de choses, je te dis. Tu ne comprendrais pas.
— Je ne me rappelle pas avoir été autant époustouflé de toute ma vie, ni avoir entendu que quelqu'un avait déjà été éberlué à ce point. Les perles naissent donc d’un pépin ?
— Je peux produire une perle à partir de n'importe quel petit objet un peu rond. Il suffit d'un minimum de savoir-faire.
— Et y a-t-il une différence entre une perle faite à partir d'un pépin et une perle faite à partir d'autre chose ?
— Bien entendu. Rien n'est laissé t'au radar, mon petit bo… Rien n’est laissé au hasard, mon petit bonhomme. Cette perle-là concerne les arbres, justement. Malheureusement, elle ne te sera d'aucune utilité, vu que tu as trois jours à vivre.
— C'est dommage, en effet. J'aurais préféré rester vivant jusqu'à la semaine prochaine.
— On aura tout entendu.
— Et à quoi te servira cette perle, au fait ?
— Qu'est-ce que tu veux que j'en fasse ? Tu crois peut-être que je suis devenu herbivore par l'opération du Saint Esprit ?
— Non, bien sûr.
— Alors pourquoi tu poses des questions idiotes ?
— Je ne suis qu'un être humain.
— C'est vrai. Vous êtes des andouilles. Surtout les andouilles dans ton genre.
— Est-ce que, par le plus grand des hasards, tu me permettrais de retourner au village avec la perle pour dire aux miens comment il faut s'y prendre ?
— Non.
— Je te promets de revenir dans trois jours.
— Pas question. Tu ne reviendrais pas.
— Ce serait un marché.
— Tu es fourbe. Ce n'est pas la première fois que j'entends parler de toi.
— Tout à l'heure, tu m'as dit de rester dans la caverne en ton absence et je suis resté.
— Et alors ?
— Cela signifie que je tiens parole.
— Cela signifie que je suis étourdi et que tu en as profité pour essayer de me faire croire que tu étais honnête.
— C'est vrai. J'en ai profité.
— C'est ce que je te dis.
— Tu as raison, excuse-moi.
— Arrête de t'excuser, tu m'énerves.
Le dragon se mit à contempler la perle en la faisant bouger sommairement par son souffle et la journée passa ainsi. Peu avant la tombée de la nuit, il annonça :
— Va chercher des pommes juteuses. J’ai besoin de me laver les dents.
— Tu ne préfères pas me manger avant ? Tu brosseras tes dents après avoir mangé quelque chose.
— Si je te mange, qui va me nettoyer ?
— Tu as raison.
— Que j’aie raison, c’est à moi de le dire ! Obéis et cesse de faire un commentaire de tout et pour tout ! Voilà ton fameux pommier.
Un pommier surgit de terre à quelques mètres de là et l’alchimiste s’arcbouta contre lui. Il était tellement fort qu’il cassa le tronc et le porta sur l’épaule avec la canopée à l’horizontale jusqu’à son interlocuteur.
— C’est à croire qu’il faut des muscles pour devenir un sage, commenta le dragon.
L’alchimiste cueillit les fruits et en détruisit dans ses mains pour frotter les morceaux contre les dents de scie du dragon.
— N’oublie pas les molaires, précisa celui-ci avant d’ouvrir la gueule.
La gueule, gigantesque, exhalait une odeur de volcan et l’alchimiste ne put atteindre les dernières dents qu’en montant à genoux sur la langue.
— Maintenant que tu es propre, est-ce que tu as besoin d’autre chose, tant que j’y suis ? fit l’alchimiste.
— Mmm mmm !
— Comment ? Qu’est-ce que tu dis ? Je ne comprends pas.
— Mmm !
— Ah, excuse-moi, tu ne peux pas parler.
L’homme sortit de la gueule qui cracha du feu, de colère, en direction d’un arbre, aussitôt enflammé.
— Je t’ai dit d’arrêter de t’excuser ! Tu parles trop !
Le dragon indiqua à l’eau d’un étang de se jeter sur l’arbre et l’eau éteignit le feu. Puis, il fit pleuvoir sur l’étang.
— Bon, retourne à ton village et reviens dans une semaine. Profites-en pour manger du bon gras.
— C'est promis. À bientôt !
— Mais d’abord, tu dois rester six jours et sept nuits sans parler ni bouger dans la caverne, ce qui fait treize.
Le dragon s’envola et disparut. L’alchimiste attendit six jours et sept nuits sans parler ni bouger, surmontant faim, soif et sommeil, prit la perle et retourna au village pour manger, boire et dormir. Le lendemain, il revint à la caverne.
— Bonjour, dragon ! lança-t-il joyeusement.
— Encore toi ? rugit le dragon. Qu'est-ce que tu veux encore ?
— Je viens te nourrir.
— Je n'ai pas faim ! Hors de ma vue !
— L’appétit viendra peut-être à l’heure du déjeuner, tu auras envie de goûter un bras ou deux.
— Quand je dis non, c'est non !
— Très bien. Merci pour ta magie, Seigneur dragon. Je viendrai te dire cet été si elle a fonctionné.
— Bien sûr qu'elle va fonctionner ! Qu'est-ce que tu crois ? Je suis un génie.
— Et pas n'importe quel génie ! Puisque nous y sommes, si j'ai d'autres questions, pourrai-je venir te les poser ?
— Ça dépend des questions. Je n'ai pas que ça à faire.
— Parfois, des loups attaquent les brebis et je trouve difficile de les traquer dans la forêt pour les anéantir. Les ennemis du pays voisin ne veulent pas négocier et attaquent. Je suis souvent seul contre tous et il arrivera un moment où je ne pourrais plus les contenir.
— Eh bien, tu viendras me demander tout ça, Alexandre.

φ-φ

Alexandre fit silence. Puis il reprit :
— Tu connais mon nom ?
— Oui.
— Comment ?
— Tu as tué beaucoup de dragons. Mais à chaque fois, c'était moi que tu tuais.
Alexandre fit à nouveau silence.
— Qui es-tu ?
— Ladon, fils de Typhon et frère et antithèse de la Chimère, de l’Hydre et de la Sphynge. Je suis le gardien des Orangers du Jardin des Hespérides. Je suis le dieu des archosaures, et le père des dinosaures et des oiseaux. Ma chair est de soufre, mon sang, du mercure et ma peau, un ouvrage de joaillerie. Mon maître est l’alouette lulu. C’est elle aussi qui m’a fait venir de Chine alors que je négociais avec des dragons chinois pour éviter une guerre. Tu as renoncé à la violence et tu utilises maintenant la ruse. Contrairement à ce que croient tes semblables, j'apprécie cette attitude. Mais nul ne peut être plus malin que le Malin. Pour achever le Grand Œuvre, tu dois passer de la ruse à la connaissance.
Alexandre se tut.
— Comment accéder à la connaissance ? reprit-il.
— Entre dans ma gueule. Je suis chargé de guider les hommes à travers le meurtre, la haine et la colère. Si tu es courageux, tu deviendras ce que tu es.
— Ne suis-je qui je suis ?
— L'homme nouveau soit le Grand Œuvre.
Cela dit, Ladon ouvrit grand sa gueule, qui n’était autre que la Porte des Enfers. Une clameur assourdissante gronda et une chaleur suffocante se répandit aux alentours, desséchant les végétaux. Les fleurs se fanèrent et moururent.
Alexandre entra dans la Gueule et marcha à travers des flammes pendant vingt jours, longeant des fleuves de sang d’où surnageaient des corps disloqués de damnés que tourmentaient des harpies. Il franchit plusieurs portes sans cesser d’avancer. Arrivé au fond de l’Enfer, il aperçut Ladon devant un immense trône en os et en sang séché, surmonté de sept épées : la première de feu, la deuxième de diamant, la troisième d’or, la quatrième de fer, la cinquième de bois, la sixième d’encre et la septième de papier. Ladon lui demanda :
— Alexandre, pourquoi m’as-tu tué ?
— Tu es un démon. Je croyais pouvoir te vaincre.
— N’as-tu pas reconnu ton Dieu ? N’as-tu compris que j’étais le Christ, que tu ne cesses de recrucifier ?
— Tu es un démon, un dieu ancien. Personne n’a commencé les hostilités. Elles ont commencé toutes seules, sur un battement de papillon puis dans une rumeur. Mais il ne faut pas le dire. Il faut dire : « J’ai commencé les hostilités et je m’en excuse. » J’ai voulu combattre des dragons pour sauver le pays. J’ai utilisé la violence pour mettre fin à la violence, ce qui continuait la violence. Pour mettre fin à la violence, il faut cesser les représailles, ce qui signifie accepter de se sacrifier, sans peur ni ressentiment, au bénéfice de l’ennemi.
—   Qui suis-je ?
—    Ladon, le gardien du jardin des Hespérides. Tu es venu de Chine pour me sauver et je suis en train de devenir ton disciple.
— C’est exact. Alors pour me prouver ton allégeance, prends cette épée d’or, coupe-toi la main gauche en signe d’appartenance à mon Ordre et jette-la dans le fleuve.
Alexandre déposa son épée par terre, prit l’épée d’or et dit :
— Je regrette d’avoir combattu comme un fou ; à tort et à travers. D’avoir voulu débarrasser le monde de l’incarnation du mal. Le mal n’est pas incarné mais se trouve entre les êtres. Les démons sont invisibles et dansent autour des guerriers dans le feu de l’action. Je veux défendre mon pays et profiter de ta science.
Ladon ouvrit à nouveau la Gueule et Alexandre y entra pour en sortir de l’autre côté, près de la caverne. La vallée était couverte de fleurs d'orangers. Il rangea dans son fourreau sa nouvelle épée. Le fourreau était parfaitement ajusté à l’épée d’or.
— Tu as bien parlé. Ce que tu as dit sur moi est si beau et si tendre. Tu es le premier à me parler sur ce ton. Maintenant que nous nous sommes rencontrés, je sens poindre en mon cœur une lueur d'espoir. J'ai toujours rêvé d'avoir un ami. Je m'ennuie tellement, tout seul dans la montagne à ne rien faire, méprisé de tous. J'aimerais tant rester près de toi. S'il te plaît, accueille-moi parmi les tiens.
Ladon se changea en chaton et vint se frotter contre les jambes de l'homme en émettant d'imperceptibles miaulements. Étourdi de douceur et comblé de tendresse, Alexandre prit le petit chat tout blanc dans ses bras et l'embrassa. Puis il le reposa par terre et dit :
— Si je prenais l'habitude de te prendre pour un chat, j'oublierais que tu es le gardien du sacré et tu me dévorerais. Je préfère que tu restes dans la montagne.
— Comme tu veux, dit le chat. Donc, tout est fini entre nous ? Tu vas repartir dans ton monde et moi dans le mien ?
— Nous sommes du même monde, dont tu es la forge. Je veux vivre fort et rusé comme toi, et conduire les hommes à travers le mal jusqu’au bien. Quand tu me manipules, je brûle du désir de dominer. Quand je t'affronte, je t’augmente. Mais Celui qui tiendra ton génie dans sa main de fer éclairera les hommes de sa fraternité implacable, et ce sera moi. La violence est l’amalgame entre la force et la destruction ; il faut le séparer, laisser tomber la destruction dans le vide et fusionner la force avec la bonté pour donner l’amour. Je serai celui-ci, mon épée d’or ne servira qu’à trancher les autres épées, pour que plus aucun métal n’entre dans la chair. Je peux combattre à mains nues un régiment désarmé. J’ai renoncé au déni, j’ai renoncé à la violence, mais je ne renoncerai pas à la ruse, de peur que tu ne te jettes sur moi pour me dévorer dans un dernier éclat de rire. Entre nous, Ladon, ce ne sera jamais fini. J’ai une passion pour toi, tu es mon amen adoré, ma flamme absolue, torche absolue, bondissement de fleuves dans les veines et véritable raison d’être. Par toi je suis devenu qui je suis et je ne cesserai de le redevenir toujours encore. J’empêche l’homme de se détruire. Je suis le puissant Alexandre, défenseur de mes frères, qu’ils soient amis ou ennemis.
— Ton initiation est terminée, dit le chat.


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Re : Méditations sataniques
« Réponse #1 le: 30 octobre 2023 à 20:43:23 »
J'ai lut ton premier texte avec le dragon.

C'est un dialogue, une joute verbale entre le héros et l'animal. Il y'a un cote adulte et violent, avec le démembrement du dragon, et un cote enfantin  avec le héros qui atterrit sur le ventre du dragon comme sur un coussin.
La fin m'a fait penser a une légende ou le héros se recouvre de sang du dragon, afin de devenir invincible, et lui vole tous ses objets précieux.
Je pense que tu dois la connaitre.

Sinon  :
"Le héros profita du séjour pour honorer toutes les jeunes filles du village,(...)"
"Honorer" ^^ je pense que nous avons pas lut le même dictionnaire :P


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  • Comète Versifiante
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Re : Méditations sataniques
« Réponse #2 le: 01 novembre 2023 à 18:54:34 »
J'ai lut tes deux autres histoires, qui sont la suite de la première

La seconde montre que  la mort du dragon est plein de conséquence négative. La seule personne courageuse pour changer cela est une simple petite fille
La troisième est une nouvelle rencontre du dragon avec ton héros. On comprend que le dragon est immortel et la fin montre que c'est sous une forme mignonne, le héros lui fait un bisous, que le dragon a réussit a convaincre Alexandre.


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  • Aède
  • Messages: 226
Re : Méditations sataniques
« Réponse #3 le: 01 novembre 2023 à 21:00:51 »
Hello Cendres, merci pour ton passage, toujours apprécié  :)
Oui, il s'agit de la même légende que nous avons en tête... peut-être quelque chose de précis, peut-être un "topos" des contes de fées et des mythes. Pour ma part, je l'ai lue dans le dictionnaire des symboles je crois que Cuchulainn (orthographe non garantie) le fait.
En parlant de dictionnaire, si si, honorer est un terme désuet pour "faire l'amour".
Et oui, à la fin, le héros violent s'adoucit et fait un bisou à un chatounet. :noange:

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  • Aède
  • Messages: 226
Re : Méditations sataniques
« Réponse #4 le: 10 novembre 2023 à 00:41:41 »
Cendres, sur une vingtaine de lecteurs, vous êtes la seule à avoir compris quelque chose !

 


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