Mon cher maître (
scènes de la vie d'avocat) 1 – le gigot –
Le texte suivant, sous forme de dialogue, est extrait d'une longue série dédiée au monde de la justice. Plus précisément, il s'agit de scènes, de fragments, extrait d'un exercice professionnel que je pratique de longue date. Comme il se dit à la telloche, toute ressemblance avec une histoire vécue dans la vraie vie ne serait que pure coïncidence… quoi que. Le héros qui, quant à lui, ne met pas totalement étranger, répond au nom un tantinet ridicule de « Barnabé », patronyme qu'il arbore non sans fierté.Première scène
La scène se passe dans le cabinet de Maître Barnabé, lui à son bureau achevant de feuilleter un dossier et face à lui un homme d’âge mûr à moustache, coiffé d’une casquette.
L’avocat – j’ai bien étudié votre dossier, Monsieur Duclos et… sincèrement, j’ai bien peur que…
Monsieur Duclos – est pas possible ! Avec qu’est-ce que je vous ai payé, Maître Barnabé, est pas possible !
L’avocat – enfin, Monsieur Duclos, je vous ai déjà dit que ce n’était pas une question d’argent. Le droit, c’est le droit. Quand un dossier n’est pas bon…
Monsieur Duclos – pas bon, mon dossier ! Il y a deux mois, vous me disiez le contraire Vous me disiez qu’on allait gagner. Faudrait savoir.
L’avocat – c’est vrai, Monsieur Duclos, c’est vrai, mais vous ne m’aviez pas tout dit.
Monsieur Duclos – quoi que c’est que je vous avais pas dit, Maître Barnabé.
L’avocat – eh bien, par exemple, que vous étiez allé chez votre locataire avec un fusil de chasse et que vous l’aviez menacé.
Monsieur Duclos – c’est des menteries !
L’avocat – des menteries… il y a quand même le procès-verbal de gendarmerie. C’est aussi des menteurs, les gendarmes ?
Monsieur Duclos – je l’avions point menacé avec le fusil. Je revenais de la chasse et j’ai passé chez lui pour y donner un lapin. C’est pas pareil.
L’avocat – ce n’est pas exactement ce que dit votre locataire.
Monsieur Duclos – Quoi qui dit cte pour…, euh, ce malhonnête ?
L’avocat – il dit que vous êtes rentré chez lui avec le fusil et que vous l’avez menacé pour qu’il signe son accord de sortie des lieux.
Monsieur Duclos – est des menteries !
L’avocat – c’est également ce que sa femme a dit quand elle a été entendue à la gendarmerie.
Monsieur Duclos – la belle affaire ! qui que vous voulez qu’elle dise , c’est sa femme. Est une menteuse itou.
L’avocat – et le voisin ! Lui aussi, c’est un menteur ? Il vous a vu. C’est lui qui a appelé la gendarmerie. Vous êtes parti avec le papier cinq minutes avant qu’ils n’arrivent.
Monsieur Duclos – ils se sont donnés la main. C’est toujours pareil, ces gars-là, y se connaissent tous les deux… est des bons à rien. Ah, c’était pas comme ça dans le temps. On respectait les propriétaires. Je leur ai dit aux gendarmes.
L’avocat – Non, il faut être réaliste, Monsieur Duclos. Ce papier a été obtenu sous la menace. Il n’a aucune valeur. Ce procès est perdu d’avance. Nous ferions mieux d’abandonner.
Monsieur Duclos – est pas possible ! Doit ben y avoir une solution…
L’avocat – s’il y a une solution, cher Monsieur; elle n’est pas judiciaire. En plus, je connais le juge Lambert, un homme très rigoureux, très droit. Un dossier comme ça, ça ne va pas trop lui plaire.
Monsieur Duclos – et si j’y donnais un beau gigot au juge. Les juges, c’est des gars qui aiment bien manger…
L’avocat – quoi ! Mais vous êtes fou ! Alors la ! Votre procès n’est déjà pas bon, mais comme ça, vous êtes sûr et certain de le perdre avec un maximum de dommages et intérêts.
Monsieur Duclos – vous croyez ?
L’avocat – certain !
Monsieur Duclos – on verra ben…
L’avocat – je vous en conjure, Monsieur Duclos, ne faites pas ça.
Monsieur Duclos – on verra ben.
(Le vieil homme formule cette dernière tirade en prenant congé)
Scène 2
la scène représente le secrétariat du cabinet de Maître Barnabé. Derrière son ordinateur Lydia, la secrétaire, s’affaire. Entre l’avocat, fébrile.
L’avocat – Lydia, vous ne devineriez jamais.
Lydia – le compte bancaire du cabinet positif
L’avocat – très drôle ! L’affaire Duclos !
Lydia – mon Dieu, combien ?
L’avocat – comment ça, combien ?
Lydia – les dommages et intérêts, combien ? Il va falloir lui dire avec précaution, maître. Il vous attend.
L’avocat – mais vous n’y êtes pas du tout. On a gagné !
Lydia – vous plaisantez ?
L’avocat – pas du tout. (Il sort de sa serviette un document) j’ai le jugement, là. (Il lit)
Le tribunal, vu les dispositions de l’article L ‘12 – 7 du code rural et maritime, fait droit à la demande de Monsieur Duclos, dit que Monsieur Lemarié et tout occupant de son chef, devra quitter la ferme de la Bollardière.
Lydia – incroyable. Alors là vraiment, je ne comprends pas.
L’avocat – eh bien, moi non plus, figurez-vous. J’ai lu les motifs du jugement. C’est un peu étrange, mais ça se tient.
Lydia – vous qui aviez prédit une catastrophe à Monsieur Duclos… ça va lui faire drôle.
Scène 3
Dans le bureau de l’avocat
L’avocat – asseyez-vous donc, Monsieur Duclos. J’ai une bonne nouvelle !
(Monsieur Duclos ne semble manifestement pas étonné. Il s’assied, arborant un petit sourire)
Monsieur Duclos – ça serait y qu’on aurait gagné m’affaire, maître Barnabé ?
L’avocat – tout juste. Gagné, sur toute la ligne. Si je m’attendais à ça !
Monsieur Duclos – ben moi si !
L’avocat – comment ça ? Alors là, faut m’expliquer.
Monsieur Duclos – ben j’y ai envoyé un beau gigot de 5 kg au juge.
L’avocat – vous avez fait ça !
Monsieur Duclos – vous m’aviez bien dit que si j’y envoyais quelque chose comme ça, j’étais sûr de perdre le procès vu que le juge, il était incorruptible.
L’avocat (d’une voix un peu étranglée) – oui, je vous ai bien dit ça
Monsieur Duclos – vous aviez bien raison
L’avocatt – attendez, attendez. Vous lui avez envoyé un gigot et…
Monsieur Duclos – et on a gagné l’affaire.
L’avocat – mais alors ?
Monsieur Duclos – ben c’est pourtant pas difficile, le gigot, j’y ai envoyé de la part de mon locataire…