Ceci est le début d'un texte que j'ai commencé il y a longtemps et je voudrais me motiver à le terminer. Bonne lecture !Le blanc immaculé de la pièce est éblouissant sous les puissantes lumières des projecteurs. Les yeux plissés, elle ne distingue qu’avec peine les médecins en blouse blanche, bloc-notes à la main, qui l’observent. Une aiguille est plantée dans chacun de ses bras, des électrodes sont posées sur son front. Elle ne sait pas pourquoi elle est ici, ce que les médecins veulent d’elle.
Elle n’a aucun souvenir de ce qu’elle était avant la clinique. Sa mémoire ne peut remonter qu’à un jour pluvieux où elle s’est réveillée dans une grande pièce aux murs blancs, au mobilier tout aussi blanc. Elle ne portait que des sous-vêtements et il n’y avait rien dans la commode. Elle avait marché dans la pièce, puis avait voulu sortir. Mais la chambre, aussi spacieuse soit-elle, était une cellule. La seule touche de couleur était un petit bouton rouge, sur lequel elle avait appuyé après un instant d’hésitation.
Une dizaine de médecins étaient aussitôt arrivés, le visage couvert d’un masque de papier, l’avaient emmenée dans une salle d’examen et avaient commencé les prélèvements. Deux mois plus tard, ces examens sont devenus son quotidien.
Il n’y a pas d’autre patient dans la clinique ou alors ils n’ont pas le droit de sortir de leur cellule. Elle se promène souvent dans les couloirs de son étage et joue seule sur une vielle borne d’arcade. Toutes les autres portes sont toujours fermées et les ascenseurs ne marchent qu’avec les badges des médecins. Les journées sont aussi monotones que les éternels murs blancs.
Un médecin s’approche d’elle pour lui ôter les électrodes et les aiguilles et un autre la prend par le bras pour la ramener dans sa chambre. Elle se laisse conduire sans un mot. Elle n’est pas sûre de pouvoir encore parler. Une fois seule, elle attrape une blouse blanche et se rhabille. Au début, sa nudité la gênait, sans qu’elle ne comprenne pourquoi, mais l’indifférence des médecins a conditionné la sienne et toute pudeur a disparu.
-On a tes résultats.
Pause.
-Nous pensons avoir trouvé le candidat idéal.
Pause.
-Il présente un taux de compatibilité supérieur à quatre-vingt-dix-neuf pour cent.
Pause.
-Il va venir dans quelques jours, le temps qu’on lui fasse subir d’autres tests. Et puis vous pourrez enfin faire connaissance. Tu es heureuse ?
Pause.
-Je ne sais pas.
Pause. Surprise.
-Comment tu ne sais pas ?
-Qu’est-ce que le bonheur ?
-C’est… Ecoute, as-tu envie qu’il vienne ?
-Je crois. Est-ce qu’il est comme moi ?
-Non, pas vraiment, mais je suis sûr que vous allez bien vous entendre.
-Parce qu’on est compatibles ?
-Exactement.
Pause.
-D’accord.
Pause.
-Le docteur Merrill va te raccompagner.
Elle est allongée sur le matelas fin et dur qu’elle a posé par terre pour ne plus sentir les lattes qui appuient contre son dos. Les bras étendus le long du corps, elle fixe le plafond tout en écoutant le silence. Elle essaie de ressentir quelque chose mais elle se sent comme une coquille vide, tout juste capable de rester immobile pendant qu’on l’examine.
Un médecin entre, dépose un plateau sur le bureau et repart. Elle ne tourne pas la tête.
Elle lève timidement une main et la passe sur son crâne rasé, touchant les fins cheveux qui repoussent. Cela la fait se sentir encore plus vide et elle a envie de se recroqueviller sur elle-même. Elle ne parvient pas à identifier cette émotion soudaine.
Elle enlève une goutte d’eau sur sa joue et se lève pour regarder ce qu’il y a sur le plateau. Elle avale d’abord le liquide rouge et chaud, puis mange les petits ronds verts et le morceau filandreux brun. Pour finir, elle dépose les petites pilules sur sa langue et les fait descendre avec le verre d’eau. Elle regarde le plateau vide et reste ainsi assise, les mains sur les cuisses et le dos droit, jusqu’à ce que le même médecin vienne chercher le plateau.
-Je suis ici pour parler avec toi de ce que tu ressens.
Visage souriant. Yeux inquiets.
-D’accord.
-Est-ce que les examens des médecins te dérangent ?
Regard inquisiteur.
-Non.
-Euh… D’accord. Tu es sûre ?
-Ils le font pour mon bien, non ?
-Oui, évidemment. Sinon… Aimerais-tu de la compagnie ?
-Comment ça ?
-Etre avec quelqu’un, pouvoir lui parler.
-Je ne sais pas. Peut-être. Est-ce que c’est bien d’avoir de la compagnie ?
Surprise.
-La plupart des gens aiment être entourés.
-Je voudrais bien voir ce que ça fait.
-Très bien… Que fais-tu quand tu ne passes pas des examens ?
-Je dors. Je mange. Je marche. Je regarde le plafond.
Surprise. Silence.
-J’ai une question.
-Vas-y, pose-la.
-Qui étais-je avant d’être ici ?
Pause.
-Je ne peux pas te répondre, je suis désolé.
-D’accord.
-Je n’ai pas d’autre question, je reviendrais sûrement te voir avant que le candidat n’arrive.
Ses baskets couinent sur le lino. Ce bruit la fait sourire. Elle ne supporte plus les longs silences ; elle a l’impression que le monde autour d’elle s’est effacé, ne laissant que ces couloirs blancs et vides.
Elle accélère le pas, appréciant l’effort dans ses jambes. Elle ne tarde cependant pas à s’arrêter, essoufflée et les muscles douloureux. Elle n’a pas couru depuis longtemps. En tournant dans un autre couloir, elle découvre une nouvelle tâche de couleur. C’est un grand rectangle noir et plat, accroché au mur face à un gros fauteuil.
Elle se laisse tomber dans le fauteuil, heureuse de pouvoir soulager ses jambes. Un étrange objet noir avec des boutons colorés est posé sur l’accoudoir. Elle sait que la fille d’avant savait ce que c’était. Mais sa mémoire est envahie par le brouillard alors elle observe longuement l’objet, puis le pointe sur le rectangle et appuie sur tous les boutons, jusqu’à ce qu’une image apparaisse sur le rectangle.
On y voit un paysage, une étendue d’herbe sur laquelle court un animal. Il va vers de hautes montagnes qui se dessinent à l’horizon. Un humain est monté sur l’animal et se penche le long de son cou, semblant l’encourager à aller plus vite. Elle regrette de ne pas pouvoir sentir également le vent dans ses cheveux.
Ils ont encore poussé ces derniers jours.
-Tu connais le nouvel objet dans le couloir ?
-Non.
-C’est une télévision, un moyen de divertissement. De passer le temps, si tu préfères.
-Est-ce que ça montre le vrai monde ?
-Parfois, oui. A la télévision, tu vois des documentaires et des films. Les documentaires montrent la vraie vie en parlant d’un sujet précis. Les films racontent une histoire inventée mais jouée par de vraies personnes.
-Je n’ai vu personne comme moi.
-Tu es quelqu’un d’exceptionnel.
-Par contre, j’ai vu quelqu’un qui volait. Pouvez-vous voler ?
Sourire.
-Certaines histoires sont moins réalistes que d’autres.
-Je trouve ça…
-Dommage ?
-Je crois que c’est le mot. Est-ce normal si je ressens des choses quand je regarde la télévision ?
-Oui, c’est même pour cette raison que tu y as maintenant accès. Tu dois te familiariser avec le monde, même si tu en es coupée depuis deux mois.
-Merci.
-Pourquoi ?
-Pour la télévision.
Sourire.
-Si tu veux parler de ce que tu vois, appuie sur le bouton.
Elle passe maintenant ses journées assise sur le fauteuil. Les médecins ne l’examinent plus et elle en est heureuse. Elle commence à mieux comprendre les émotions humaines et ce qu’elle doit ressentir face à une situation précise. Dans les films, les humains parlent beaucoup de leurs sentiments. C’est étrange.
Elle aime beaucoup également les documentaires, qui montrent de beaux paysages ou des gens qui lui parlent directement, comme s’ils la voyaient. Ils parlent toujours avec émotion de choses qu’elle ne comprend pas. La famine, la pollution, la corruption, la drogue. Ce sont des notions abstraites pour elle, des concepts qu’elle découvre sur l’écran.
Elle sait que le compatible va arriver bientôt ; peut-être aujourd’hui, peut-être demain. Elle attend.
Elle ne sait pas comment il va être mais elle espère qu’il sera « beau », comme les hommes qu’elle voit à la télévision et sur lesquels les autres humains s’extasient. Elle ne sait pas vraiment ce que la beauté est, mais son corps réagit parfois à la vue de certains humains que les autres considèrent comme « beau ». Elle a hâte.
-Il a passé les tests.
-D’accord.
-Ce taux de compatibilité, tant biologique que psychologique, est très rare alors j’espère que ça marchera.
-Que quoi marchera ?
Pause.
-Plus tard. Je veux que tu l’attendes dans ta chambre. Le docteur Abraham va te donner une tenue plus appropriée.
-Comme à la télévision.
Sourire.
-Quelque chose comme ça, oui.
La tenue est trop moulante et dégage le haut de sa poitrine. Elle se sent mal à l’aise et son cœur bat de plus en plus vite dans sa poitrine. Cela lui fait peur. Elle est allongée sur son lit, appréciant la douleur familière causée par les lattes.
Le plafond est toujours du même blanc immaculé mais la lumière vive qui entre par la fenêtre y dessine des ombres virevoltantes. Ses yeux suivent sans qu’elle ne s’en rende compte ces ombres jusqu’à ce que la porte s’ouvre doucement.
Elle se redresse aussitôt et fixe le docteur, qui est suivi par un jeune humain vêtu comme ceux de la télévision. L’homme en blouse blanche la regarde longuement, puis il sort en fermant la porte derrière lui.
L’humain est incontestablement très beau, plus beau même que tous les acteurs qu’elle a pu voir aux cours des derniers jours. Il a un visage très symétrique, des pommettes dessinées, un regard bleu hypnotisant, des fossettes légères et des cheveux bruns décoiffés.
Les mains dans les poches, il semble mal à l’aise et fixe le sol. Elle se lève et se tient face à lui, l’observant sans pudeur. Il finit par lever les yeux vers elle et la regarde comme si elle était un objet rare et précieux. Son cœur bat encore plus vite. Elle s’empêche de poser la main sur le cou de l’inconnu pour mesurer son pouls.
Ils continuent à se regarder pendant de longues minutes. Elle attend qu’il parle comme les humains le font toujours avec elle.
-Salut. Je m’appelle Holden. Et toi ?
Pause.
-Je ne sais pas.
Surprise.
-Euh… Tu n’as pas de nom ?
-Peut-être avant, mais maintenant, je ne sais pas.
-Je peux…
Hésitation. Regard vers le sol.
-Je peux te choisir un prénom ? Ça me semble trop étrange.
-D’accord.
-Tori, ça te va ?
-Je ne connais pas ce prénom.
-C’est le diminutif de Victoria.
-Ce n’est pas un prénom d’humain.
Surprise. Hésitation.
-Mais il te va bien.
-D’accord. Je m’appelle Tori. Contente de te rencontrer.
Soulagement.
-Moi aussi. Tu sais pourquoi nous sommes là ?
-Nous sommes compatibles.
-Pour quoi ?
-Je ne sais pas. Ils ne te l’ont pas dit ?
-Non. Je peux m’asseoir ?
Hochement de tête.
-De quoi sommes-nous censés parler ?
-Euh… Je m’intéresse au sport. Toi aussi ?
-Sport ? Est-ce que ce sont ces émissions où plusieurs humains courent ?
Etonnement.
-Oui. Tu regardes ?
-Parfois. J’ai la télévision maintenant.
-Tu connais le football ? C’est un sport où deux équipes jouent l’une contre l’autre avec un ballon en ne le touchant qu’avec les pieds.
-Je crois. C’est étrange. Quel est le but ?
Hésitation.
-Je ne sais pas vraiment. C’est pour divertir les gens.
-Et ça marche ?
-Oui. Beaucoup de monde va voir les matches ou les regarde à la télé.
-Tu fais du football ?
-Oui, depuis que j’ai 5 ans.
-Tu as quel âge ?
-26 ans.
-Alors 5 ans, c’est jeune, non ?
Surprise.
-Oui, on est encore dépendants de ses parents et on ne va pas encore à l’école.
-Tout le monde a des parents ?
-Pas toi ?
-Je ne sais pas. Je ne les connais pas.
-Tu es coupée du monde, n’est-ce pas ? Tu n’as aucun souvenir ?
-Non. Tu sais quel âge j’ai ?
-Je pense que tu as à peu près le même que moi. Peut-être 23 ou 24 ans.
Un docteur entre et coupe la conversation. Il demande à Holden de le suivre. Elle reste assise sur mon lit sans bouger. Holden est un humain intéressant, loin de l’idée qu’elle se faisait de lui. Il ne ressemble pas aux humains de la télévision. Mais peut-être est-ce parce qu’elle n’est pas non plus comme les autres.
Une vingtaine de minutes plus tard, un autre médecin vient la chercher et l’emmène dans le bureau du directeur. Holden est assis devant son bureau et la regarde, mal à l’aise. Elle s’assoit sur l’autre chaise et fixe le directeur.
-Vous vous entendez bien ?
-Je crois, oui.
-Très bien. Je viens d’expliquer à Holden la raison de sa présence ici. Ce sera à lui de t’expliquer la situation. Tu t’en sens capable ?
-Oui.
-Parfait. Jeune homme, je veux des résultats rapidement. Ne me déçois pas.
Ils sont de retour dans sa chambre. Elle a ramené ses genoux contre sa poitrine pour se protéger du regard gêné d’Holden. Il n’ose pas lui parler et marche d’un pas rapide dans la chambre. Elle a l’impression d’être dans un de ces films où l’humain doit annoncer une mauvaise nouvelle.
-Alors ?
-C’est compliqué.
-Explique.
-Le problème, c’est que tu ne connais rien à la vie.
-Alors apprends-moi.
Pause.
-Le monde que tu as vu au travers de la télévision n’a pas toujours été ainsi. Avant, les gens comme toi étaient mélangés à nous. Mais un virus vous a tous tués, ne laissant que quelques survivantes comme toi. Au fil des années, elles sont mortes. Tu es la dernière.
-C’est pour ça qu’ils m’ont effacé la mémoire ?
-Tes souvenirs étaient dangereux pour toi.
Pause.
-De quelle espèce suis-je la dernière ? Personne ne me l’a jamais dit.
Pause.
-Tu es la dernière femme.
-Femme ?
-Nous en avons effacé toute trace. Ton espèce est presque une légende. Avant, nous étions les deux parties d’une même espèce et la… reproduction de l’espèce se faisait avec un homme et une femme. Maintenant, nous avons dû inventer des procédés permettant à deux hommes d’assurer la continuité de l’espèce.
-Ils veulent faire renaître l’espèce des femmes ?
-Oui. C’est pour ça qu’ils ont choisi quelqu’un qui aurait le maximum de chances de réussir.
-Toi.
Hochement de tête.
-C’était pour ça, les tests ?
-Oui.
Et oui, il y a une
suite maintenant !