[Lock Lamora]

Trafic

L’horloge tourne, je suis en retard, je saute dans ma voiture, une sportive rouge avec un volant sport. Je démarre, mes 450 chevaux hurlant la symphonie en V8 majeur.
Évidemment, tout est encore bouché dans la rue ! Mais que font tous ces gens sur la route en même temps que moi ?! Je colle mon petit bolide à un camion de pompier, échelle sur le toit et sirène actionnée. Malheureusement il est englué comme moi dans le trafic et roule à faible allure.
Dans mon rétro, une grosse Harley tous chromes rutilants vrombit à mon pare-chocs : on n’a pas idée de rouler sur des engins pareils en pleine ville ! Il serait plus heureux sur la Nationale 7 de Charles, plutôt que de se traîner ici à la queue leu leu.
Il faut dire qu’à cette heure, la sortie des écoles, il y a foule, y compris sur les trottoirs. Beaucoup de femmes, des couples, des Papis et Mamies ; ils ont l’air ravis, font des signes, probablement des gens du quartier qui se connaissent et se saluent. Je salue aussi au hasard, je ne suis pas très physionomiste...
Ce rond-point n’en finit pas, vivement que j’en sorte et que je m’échappe de cet enfer.
J’ai l’impression de vivre le rond-point de Raymond Devos : sens interdit. Il ne manque plus que le laitier, l’ambulance et le corbillard...sauf que je n’ai pas envie de faire un tour pour rien.
Tiens... c’est bizarre, j’ai comme une impression de déjà vu, ces gens heureux qui sourient et qui nous saluent sur le trottoir. Il paraît que c’est un bug du cerveau, une microcoupure, qui repasse des images d’il y a quelques nano secondes, ce qui donne cette impression de déjà-vu. On se plait à croire qu’il s’agit d’un souvenir remonté d’une autre vie, alors que ça vient juste de se passer : le besoin d’éternité et de donner un sens au cycle de la vie.
Quelle circulation ! Ça aurait été jour de fête pour Jacques Tati filmant tout ce trafic… « silence ! on tourne. Moteur, action ! ».
Dans le même thème, je repense à Michael Douglas dans Chute libre, ce type qui se retrouve coincé dans un embouteillage monstre à Los Angeles et qui finit par sombrer dans un déchaînement de violence. Il ne tournait pas rond, mais le point de rupture n’est parfois pas loin.
Je me crispe sur mon volant en carbone et cuir, sanglé dans mon fauteuil baquet, bercé par le ronronnement de mon V8 qui tourne comme une horloge.
Ce giratoire va me rendre fou aussi. Edith Piaf chante dans mon auto radio « tu me fais tourner la tête », mais pour ma part je ne suis pas à la fête.
Autour de moi, les autres conducteurs deviennent hystériques, ils sautent et ils crient derrière leur volant, la Harley fait des appels de phare et klaxonne frénétiquement, la sirène hystérique du pompier hurle sur le cheval qui se cabre devant lui, lequel poursuit l’avion qui décolle et atterrit sans cesse, menaçant de percuter le taxi jaune et rouge de Oui Oui !  « Roulez jeunesse, roulez petits bolides ! » hurle une voix dans un haut-parleur.
Et cette boule de laine multicolore qui m’agace à virevolter au milieu de tout ça, alors là, c’est le pompon !

[Delnatja]

Bonjour Lock Lamora, merci pour ton texte.
J'avoue ne pas savoir quoi en penser.
Tu énumères plein de références, mais il manque quelque chose.
La fin n'est pas une fin, en tout cas, je l'ai ressenti comme cela.
Je préfère,une symphonie en V8 majeur.
Belle journée.

[Cendres]

Merci pour ton texte qui est un hommage a la chanson et a l'humour.

Je ne connais pas tout les choses que tu cites, mais c'est intéressant de les mêler dans ton texte. C'est une bonne idée.

[Champdefaye]

Bonjour Lock Lamora,
Ton « Trafic » est vif et bien écrit. L’idée est intéressante, mais il y a quelque chose qui ne colle pas. Je m’explique :
On comprend dans le dernier alinéa que le narrateur se trouve en réalité dans une des voitures d’un manège pour enfants. C’est une chute qui est amusante en soi. Le narrateur est donc un enfant.
S’il est un enfant, il ne peut avoir les reférences que tu cites en nombre — Nationale 7 de Charles, Rond-point de Raymond Devos, besoin d’éternité, Michael Douglas et Chute libre — et qui sont celles d’une personne largement adulte.

[Louvoyage]

Bonjour Lock Lamora!

J'ai bien fait de lire les commentaires, j'étais passé à côté de la chute. Je trouve le texte bien écrit et quelque peu angoissant.

Comme dit plus haut, si le narrateur est très jeune, il y a beaucoup de références qu'il ne devrait pas avoir.

Maintenant toutes ces références pourraient indiquer que le narrateur est pris au piège dans une sorte de jeu télévisé (en mode True man show), ou encore que sa réalité est totalement altérée.

Sinon je suis assez sensible à l'humour glissé dans le texte et surtout à la manière dont est décrit la scène !

Merci !

[Lock Lamora]

Merci Cendres pour tes encouragements, j'en suis heureux.
En effet, je fais quelques références, à la musique, au cinéma, à l'humour.
Route nationale 7 : chanson de Charles Trenet, désuète à souhait.
Sens interdit : sketch de Raymond Devos, tout en finesse.
Jour de fête, et Trafic : 2 films de Jacques Tati, humour et bon vieux temps.
Chute libre: film avec Michael Douglas, dérangé et dérangeant.
Mon manège à moi : chanson d'Edith Piaf, merveilleuse quand elle chante "tu me fais tourner la tête".
Ce n'est pas d'hier! mais justement j'aime cet anachronisme entre cet enfant vintage et l'adulte qui aurait aimé le rester, entre cette âme d'enfant innocent et celle de l'adulte avec son expérience.
Encore merci pour ton message et au plaisir!
Amitiés
François

[Lock Lamora]

Bonjour Champdefaye,
merci pour ton commentaire, il me fait plaisir.
En effet, j'ai voulu jouer sur l'anachronisme entre l'enfant sur le manège, et l'adulte au volant de sa Mustang avec toute sa vie derrière lui.
Qui n'a pas rêvé de retrouver son âme d'enfant? Et si on regardait la vie différemment, justement, que coincés dans des cases: enfant / adulte. Mon manège est en réalité un descriptif de notre quotidien que j'ai voulu voir sous un autre angle, celui d'un enfant à la fête sur un manège. C'est ma thérapie contre ce monde triste et gris.
Merci encore et au plaisir,
Amitiés
François

[Lock Lamora]

Merci Capitaine pour ton commentaire, je suis ravi de t'avoir fait faire un tour sur mon manège.
Oui, la situation est impossible dans la vraie vie, ou alors on a affaire à un surdoué, ou bien à un innocent.
Comme tu le dis, l'action se situe dans une réalité alternée, c'est dire dans la nostalgie de l'enfance rapportée à notre expérience acquise.
Qui n'a jamais rêvé de revenir dans le passé, avec toutes ses connaissances et son expérience, bien entendu!
Je crois que l'on verrait ce manège d'une façon similaire.
Au plaisir de se recroiser, Louvoyage,
Amitiés