Bonjour à tous et toutes, ceci est mon premier texte posté sur le forum, une ébauche encore. Merci à celles et ceux qui prendront le temps de le lire ou de faire des retours, votre temps est précieux et je reconnais votre effort.
GRAND RIEN
Elle avait vu qu’il ne faisait rien. Elle lui fit lister toutes les cravates… il devait les archiver, les nommer, les trier, les accrocher avec plus de technique qu’un homme de musée tenu au vertignieux devoir de la conservation. Il se serait marré, fendu en deux, il aurait même relativisé sur sa situation, quand même « le travail, c’est pas une cinécure mais au moins on se tamponne », s’il avait déjà vu sa patronne blaguer ou feindre des tâches aliénantes. Athanase songea sincèrement à la démission, avant de sortir sur le palier de la boutique et d’admirer le Grand Rien depuis les modestes hauteurs de son village. Un vent froid vint balayer juin et un frisson parcouru le jeune homme. Il visualisait de l’argent… puis une plus petite quantité d’argent… qui ne devint qu’un timide monticule dans son esprit… il passa le regard sur la maison abandonnée, de l’autre côté de la route, lovée dans le creux de la falaise, à l’ombre éternellement. Athanase rentra derrière son comptoir, sa patronne le lâcha dès qu’elle fut convaincue de sa docilité, elle partit en claquant des talons portés par professionnalisme malgré l’allure altérée qu’ils lui procuraient. Elle s’affala dans son SUV, sous l’oeil vengeur de son employé, condamné à ronger sa chique dans son Grand Rien, puis partit. Jackie Tar, ahuri champêtre qui squattait la maison de l’autre côté de la route, filant comme l’air par les fenêtres et les portes béantes, roulait au bord de la départementale en hurlant « Moussaillon ! Moussaillon ! Moussaillon ! ». Velue, sa camarade de chambrée le regardait faire comme une chronique télévisée. Elle buvait un jus d’café couleur goudron, alvéolé pétrole, moins sombre que ses yeux encore trempés dans la nuit. Il était 8h et les premières bagnoles pressées charriaient les travailleurs. Athanase aurait adoré aller discuter avec Velue et Jackie Tar mais, mystérieusement, se gargarisait de mépris à chaque contact visuel. Un jour, Velue lui avait fait un signe de main, il cracha au sol avant de s’éclipser, orner un cou frippé d’un jabot crème. Sur le panneau à balançoire était écrit « Cravates Theroux : garanti 100 % embauche ! ». Le vent le poussait puis il rebondissait et repartait sur le gravier désert. Un coup de pétoire retentit au loin. Elle tint la note dans l’esprit d’Athanase.
Il savait, de par le village, qu’il existait deux tromblons sûrs cachés dans le plan cadastral. Le premier ronflait sous le comptoir de Landry, l’aubergiste et servait à effrayer les costauds qu’il tenait en haine. Le deuxième était à Robin Bablin, l’ardoisier, une escopette venue de la ville uniquement pour le cas Jackie Tar dont les bottes d’une lieue trouvaient trop facilement le chemin de la mine des Bablin. Personne n’avait vu le premier fusil tiré, celui de Landry, au point que certains doutaient de sa fiabilité… Cependant, la bille logée au plus profond du mollet de Jackie Tar prouvait que l’arme de l’ardoisière tirait bien et sans sommation. Jamais le tireur, inconnu par bénéfice du doute, n’avait été inquiété car l’on embastille pas les chasseurs de fantômen on les sermonne tout au plus. Ceci dit, Jackie Tar ne se retint jamais de sauter de son Annexe aux mines par goût du risque, envie d’en finir ou mémoire défaillante.
Athanase ne faisait rien, il contemplait par la vitre constellée de tâches de doigts, pensait chevrotine accoudé au comptoir et voyait, de temps à autre, de vieilles camionnettes éreintées lever des poussières éthérées. Dans leurs bennes d’acier, le son scintillant des ardoises qui s’entrechoquent. Les premiers doigts du soleil parvinrent à escalader la falaise surplombante, ils s’approchèrent d’Athanase et déchirèrent sa comtemplation d’un air malin. Il s’attaqua au tri… Tira des placards calfeutrés de vieilles cravates mitées et une boîte de nœuds papillon marrons à motifs bleus clairs. Il les étala sur le comptoir, quelques unes par terre, et ne sut pas quoi en faire. Le gravier du fronton frétilla d’un coup de vent. Athanase listait, étiquettait, essayait de s’organiser en tableau qu’il griboullait au dos d’un ticket de caisse froissé… il sortit d’autres affaires, sa vision s’obscurcit et il mit le doigt sur son problème : On avait confié cette tâche à un parfait souillon, lui-même, incapable parmi les incapable, hissé au sommet du mont désoeuvré par tous et toutes. Il tourna vite en rond, sans se soucier du désordre. La boutique exigüe se tenait à l’embout d’un petit complexe commercial dont l’ossature portait une boulangerie de renommée ingrate, un tabac fréquenté et un local vacant, le plus grand, brassant à perte l’air chaud par les fenêtres cassées. Athanase alla manger un croissant et une pinte de café à la minuscule terrasse-béton de la boulangerie. Personne ne vint acheter des cravates, car personne n’achetait rien de laboral le dimanche au village. Jackie Tar se récurait les doigts assis dans la rosée. Athanase restait aphone, tirant son temps en silence. Son antipathie gardait les turbulences sur le palier. Il en fut peu qui trouvèrent sa compagnie sympathique et il n’était d’utilité à personne. Il enfonça ses dents sur la table, gémit.
A la pause de midi, le caissier patibulaire de la boulangerie prit une pause clope à l’arrière, près des poubelles. Velue et Jackie Tar traversèrent la route dans les volutes du goudron armés de clef Allen, ils entourèrent la table, Velue tint le meuble, Jackie Tar le déboulonna, ils partirent, la portant à deux, les dernières miettes de croissant tombantes encore dans le gravier… Athanase les regardait partir, fasciné, il se sentait créateur de chaos… il alla fumer sur le rebord en béton, attendant avec impatience le retour du caissier. Il ne le vit par revenir rapidement, alors Athanase sortit par derrière demander une cigarette au boulanger, qui refusa tout net. Le grigou écrasa son encens sur le crépi et attisa la garrigue avec son mégot. Il se mit à mâchouiller nonchalemment une réglisse avant de rentrer derrière son comptoir enfariné, sous les yeux enragés d’humiliation d’Athanase. Il retourna s’asseoir sur le rebord en béton et écopa d’un fond de poche son tabac égaré qu’il coinça dans un bout de journal déchiré. Il s’affala, fumant-crachant sa salade.
Jackie Tar et Velue s’étaient évanouis à l’ombre. Athanase tapait du pied. Une dame toute de carreaux à l’aspect fuyard, arriva en trottinant quêtait son pain.
- Bonjour, madame ! Hurla Athanase, les yeux plissés, comme si la chaleur distordait les sons. La dame tourna vers lui ses lunettes de soleil qui dardaient d’un regard vide l’insolent, puis le balayèrent d’ignorance. « Personne ne voyait-il qu’il manquait une table? » Elle sortit en rythme, trois baguettes molles sous l’aisselle, puis s’évanouit à pas de rongeur. Une, puis deux heures au vide… les cravates décoloraient lentement sur le carrelage brun. Athanase était parti entrouvrir la porte dérobée de la boulangerie qui donnait sur le vestiaire du grigou… il attrapa d’un coup sûr le paquet-clope écrasé sur une commode et en tira sa dernière cigarette en trois bouffées avant de fourrer le carton dans sa poche. Athanase resta assis sur les marches ombragées de l’arrière boutique. Lorsque le caissier vint échouer sa carcasse pour clôturer sa journée, il tenait déjà sa cibiche toute neuve au coin des lèvres et la savoura, sans qu’il n’eut tourné les yeux une seule fois vers Athanase, aux oubliettes.