[Champdefaye]

Critique aisée n°66
Le pont des espions (Bridge of spies)
2015-Steven Spielberg
Tom Hanks, Myke Rylance

1957, la guerre froide bat son plein, Berlin Est construit son mur, l’URSS envoie des espions aux USA, les USA le lui rendent bien, avec en plus des avions U-2.
Le FBI arrête Rudolf Abel, espion soviétique, le fait passer en  procès et le met en prison.
Trois ans plus tard, le U-2 de Gary Powers est abattu au-dessus de l’URSS qui récupère le pilote.
Deux ans plus tard, Abel et Powers seront échangés sur le fameux pont de Glienicke, près de Berlin.
Telle est l’histoire.

Un de mes cinéastes favoris, Spielberg, en a tiré un film de 2 heures et 21 minutes. J’aimerais beaucoup dire en dire du bien.
Voilà : on entre très bien dans le film en même temps que dans l’intimité de Rudolf Abel. Ceux qui connaissent Norman Rockwell et son célèbre autoportrait seront comblés. C’est dans cette situation que l’on découvre l’espion, chez lui, en train de s’observer dans un miroir et de peindre son autoportrait. Le cadrage, la lumière, la lenteur et la précision des gestes, l’acteur au physique désuet, qui pousse le talent jusqu’à ressembler à Norman Rockwell, tout cela donne à ce moment du film un aspect doux et serein. Puis arrive Tom Hanks, l’avocat spécialisé dans les assurances, homme moyen par excellence, vivant dans une maison moyenne avec des enfants moyens dans la moyenne banlieue de New York. Ce à ce personnage principal du film, bien campé par cet acteur favori de Spielberg, que la défense de l’espion russe arrêté va être confiée. Le cliché voudrait que cet avocat moyen se révèle un as du barreau et qu’il arrive par quelque moyen de droit subtil à faire acquitter son client. Mais non, le sujet du film n’est pas là. Pour tout dire, et le dire vite, l’avocat sera chargé officieusement par le gouvernement des USA de négocier la libération du pilote de l’U-2 contre celle de l’espion russe. Réalité historique et happy ending obligent, il y arrivera.
Et maintenant, que vaut ce film ? C’est un produit parfait, avec une direction d’acteurs parfaite, une reconstitution de l’époque parfaite et une vérité historique, dit-on, parfaite. Comme je l’ai dit plus haut, on entre très bien dans le film, on s’y sent bien, confortable, tranquille.
On en sort un peu engourdi, un peu ensommeillé, et on réalise d’un coup qu’on s’est un peu ennuyé.

[Milora]

Tiens, j'avais pas donné mon avis sur ce film !
Je suis en fait assez d'accord avec toi, Champdefaye. J'en suis ressortie fort déçue, même s'il est formellement impeccable.

C'est un Spielberg, ce qui implique que le film est bien fait, bien tourné, bien joué, se suit bien. Mais le contenu m'a prodigieusement agacée (pas vraiment ennuyée, pour ma part). J'ai trouvé que faire un film comme ça en 2015 c'était franchement pas excusable. Comment dire ? Le film se présente comme un film sérieux-intelligent (c'est pas un James Bond, quoi), avec des personnages qui se veulent en nuance (notamment l'espion russe, qui d'ailleurs, lui, est plutôt réussi). Mais... en fait non. Les Américains sont tous beaux et gentils et, oh, même le gars manipulateur de la CIA et le juge corrompu ne sont ni déraisonnables ni vraiment méchants, c'est des bons gars au fond. Le soldat américain a vraiment, vraiment essayé de se suicider plutôt que d'être pris, c'est pas sa faute, hein, comme il est courageux ! La petite famille du héros est toute gentille et teeeellement années 50 sans remise en cause. Par contre, les Russes sont tous moches. Ils font peurs aux femmes soumises qui débarrassent la table. Ils sont manipulateurs et d'ailleurs, et heureusement qu'y a le brave Américain pour venir faire des blagues et rétablir la Justice dans ce monde, car la guerre est idéologique, les amis, apprenons-le : les Américains gagnent parce que, eux, sont fidèles à leurs valeurs de justice et d'équité, même en jugeant les ennemis ! (Je n'ai pas parlé des Allemands, qui semblaient insérer un 3e camp qui aurait pu sortir du cliché ; mais non, eux ils sont aussi de pauvres bougres - moches et bêtes, cf. l'assistant et le gang - et de méchants manipulateurs). J'ai pensé un instant que le film allait prendre de la nuance en faisant réfléchir le héros sur la vie difficile vécue par les Allemands de l'Est au moment de la construction du Mur, qu'on allait parler de ce moment qui est pas souvent évoqué dans le cinéma américain - mais non, ça s'arrête à "oh les méchants soviétiques qui tuent les gentils Allemands qui essaient d'aller à l'Ouest". Et là-dedans, aucuuuune remise en cause de toute la chasse aux sorcières anti-soviétiques qui a eu lieu aux Etats-Unis, alors que c'est pile le sujet du film. Les Rosenberg ont bien fait de crever : c'était des sales traîtres. Les Américains traitent suuuuper bien leurs prisonniers, jamais un geste brusque, tout le confort possible.
Bref, le film est bien fait mais le contenu idéologique m'a horripilée. Il aurait été fait dans les années 90 ou même pendant la Guerre Froide, ça m'aurait pas choquée parce que c'était une époque de propagande. Mais là ça fait 20 ans que c'est fini les amis. On fait pas un film qui se veut intelligent sur une période complexe de l'histoire récente, en présentant caricaturalement les gentils Américains et les méchants-moches-idiots ennemis.

Définitivement pas mon Spielberg préféré !

[Kerena]

Beuh, moi je l'ai bien aimé 

J'ai trouvé dommage que ça parle pas plus de la "chasse aux sorcières" qui a eu lieu pendant la guerre froide aux USA. En revanche, j'ai trouvé super chouette tout ce qui concerne le Mur, parce qu'avec tous les témoignages de profs, de parents, de contacts... qui ont connu le Mur, je voyais les choses exactement comme ça. J'ai trouvé qu'on se re-prenait une claque historique que malheureusement la France a tendance à oublier.

On sent bien toutes les tensions politiques entre les trois grandes puissances.

Et surtout : je ne me suis pas ennuyée une seule seconde !

Bref. J'ai trouvé que c'était un bon film. Pas inoubliable, mais j'ai vraiment passé un bon moment.

[Milora]

j'ai trouvé super chouette tout ce qui concerne le Mur, parce qu'avec tous les témoignages de profs, de parents, de contacts... qui ont connu le Mur, je voyais les choses exactement comme ça.

Ben, justement, j'ai trouvé qu'à part resasser le cliché, ça n'apportait pas grand chose. (Ex : la scène où le méchant soldat se fait doucereux pour détruire la thèse de l'étudiant américain. On aurait pu avoir cette scène dans n'importe quel film ou même série où on représente caricaturalement un méchant soldat, de préférence nazi, potentiellement soviétique... Alors que les gentils soldats américains, eux, sont polis et équitables...)

Mais à part le contenu, le film est bien fait et je ne me suis pas ennuyée non plus, hein.