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Autopsie de Monsieur X
Par licence artistique, par souci stylistique, je commencerai par le bas et monterai vers le haut. Je sais que le commun préfère le mouvement ascendant, il vénère la sueur et bande de Sisyphe. Il admire l’effort et la souffrance – pas moi, moi j’aurais préféré une descente toboggan, sans effort, mais là encore : se conformer au commun.
Aussi je commencerai par les pieds. Ils sont bleus et tachés de la terre foulée. Se devinent les cals et les crevasses façonnés par de longues heures de marche : il était marcheur, randonneur, juif errant, vanupied et vagabond. Je devine les morsures des coquillages sur les plages qu’il a traversées, le tarmac brûlant au soleil de juillet, les braises d’un volcan qu’il a piétiné – mais je ne saurais dire si l’Etna ou Edna, le Vésuve ou Valérie, le Fuji ou Félicie. Ces pieds d’homme seul et léger, léger, au ventre vide : ils sont à peine aplatis, il devait voler, cet homme, il devait planer un peu au dessus du sol. Ce sont des pieds de danseur.
Genoux égratignés d’enfant. Il grimpait aux arbres, c’est sa grand-mère qui le lui a appris. Je sais, j’énonce à ces genoux la jeunesse passée dans les branches des cerisiers, la joie de s’imaginer chat, le corps étiré comme un grand arc pour saisir les fruits les plus lointains. J’entends, je raconte l’histoire : son grand-père tombé amoureux d’elle le jour où il l’a vue jouer à la fée de l’air dans ses arbres fruitiers. Je viens de là, je suis né de ceux qui grimpent aux branches. Il est parfois tombé, genou écorché, vite dorloté et soigné d’un baiser. Ce sont des genoux d’enfant adoré.
(On lit un corps comme un livre ouvert, ici pourtant je m’interroge sur la pertinence de cette opération, je me demande, vraiment, où ça va, tout ça.)
Fémur brisé ? Non. L’os porte seulement le souvenir d’un autre : le père est mort. Accident de voiture et artère fémorale percée, douleur et noir qu’il accueille en son corps. La jambe du deuil car sur ce même fémur mille fois rebrisé et réparé il a été porté lui bébé, à dada tagada, c’est l’os au goût des larmes et de l’absence, au goût du vide : te me manques. Une jambe d’orphelin. (il a appris un jour que l’état avait versé une pension à sa mère parce qu’il était orphelin, et a voulu vomir)
Sexe d’homme. On ne parle jamais vraiment du sexe des hommes quand il n’est pas gonflé en arme. Je n’en parlerai pas non plus – ça n’intéresse personne et ça vexe tout le monde à la fois. Ce sexe-là n’a connu que deux femmes. J’y lis la chaleur des fleurs et le goût salé, la douceur d’une langue, les frustrations parfois qu’est-ce qu’il y a je sais pas ça marche pas.La gêne – oh pitié, que ça ne se voit pas. J’y lis la tendresse, le désir un peu égoïste. « Prendre ». C’est un sexe d’homme.
Le ventre est mangé de vers et je me demande s’il n’était pas mangé de vers déjà avant la mort, si ce n’est pas toutes les angoisses, toutes les douleurs et les envies qui ont percé des trous dans ses chairs, il a un ventre de mort. Ventre serré, peur au ventre, à plat ventre, mal au ventre, rage au ventre, ventre à terre ? Ventre jamais rempli il n’aimait pas manger et vomissait facilement tout ce qu’il ingérait, c’est ça qui me fait penser, qui me fait dire, qu’il était déjà un peu ailleurs, qu’il était déjà un peu mort.
Les mains sont belles, blanches et fines et pourtant masculines, des mains qui savaient créer, un peu calleuse là où il tenait le stylo – je vois, j’entends le grattement de sa dernière lettre, laissée sur la table et tachée de rouge. J’y lis également le parcours, le chemin tracé par l’eau, par toutes les eaux du monde qu’il a caressées, dans lesquelles il a nagé. Les joues de sa mère tenues en coupe alors qu’il embrassait son front. La main d’un ami, les cheveux d’une sœur et les seins ronds, lourds, tendus de celle qui a fait battre son coeur.
Épaules tannées par le soleil. Marquées au fer blanc par les jambes d’une femme à qui il a fait l’amour, de qui il a léché le sexe. Le commun voudrait que je m’attarde à cette image mais je m’enfoncerai plus loin. Je noterai plutôt le jour où un oiseau, par surprise, s’est posé sur son épaule et il s’est senti roi du monde. Je noterai le poids de sa sœur encore enfant qu’il aidait à chaparder des pommes, qu’il faisait sauter dans l’eau glacée des rivières. Épaules de grand frère.
Le coeur est brisé. Il n’y a rien d’autre à en dire : le coeur, trop fragile, est brisé.
Le cou est porteur de mille écharpes qu’il a empruntées et jamais rendues, ici et là. C’est un cou d’aventurier, un cou de voleur, dans lequel a coulé du miel.
(Je me rends bien compte à présent qu’il faut accélérer, qu’il n’y a plus vraiment à dire, que l’on arrive à la fin)(m’attarder à décrire le corps au détriment de la tête, à décrire l’histoire au détriment des pensées aussi pourra-t-on toujours se demander, l’entreprise terminée, qui était-il ? Que pensait-il ? Je lui laisse ce sanctuaire. Personne ne veut voir ses rêves dévoilés.)
La bouche entrouverte porte les baisers et les chansons qu’il a apprises : il les chantait un peu faux aux uns et aux autres, il a la bouche d’un menteur – les menteurs chantent toujours faux, c’est à ça qu’on les reconnaît. Mais je devine aussi le fantôme de son sourire et je sais que son sourire-soleil faisait toujours pardonner ses mensonges.
Les yeux ont pleuré. Ils sont si rouge qu’on n’y lit plus rien d’autre, toutes les merveilles qu’ils ont contemplées se sont effacées, et ils n’ont plus de direction.
Le front – c’est là que sa balle est passée.
Extaaaa !
Je trouve que t'as écrit tellement mieux ici en fait :coeur: (et c'est le premier cœur que je mets à un texte depuis que chui revenu :huhu:)
gzbfjmrntusrm :-[ :-[
( :coeur:)
C'est rigolo du coup, parce que j'ai l'impression d'avoir été beaucoup plus "en roue libre" sur ce texte-là que sur l'autre, de m'être laissée divaguer et d'avoir juste rempli les blancs jusqu'à ce que ça soit un truc plus ou moins complet et acceptable (c'est pour ça que je suis pas sûre d'en être contente en fait, pour moi il est juste un peu facile, ça fait popote d'ingrédients qui marchent bien mais sans réel enjeu derrière, y a pas de défi)...
Et puis comme toujours dans les travaux d'urgences comme ça j'ai l'impression d'avoir laissé beaucoup trop de "moi" dedans, d'avoir utilisé des éléments qui m'appartiennent trop plutôt que d'en inventer (je sais pas comment expliquer ça) ou au moins de les polir un peu.
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Et donc merci beaucoup pour ton premier coeur depuis ton retour, en vrai je suis très contente que ça t'ai plu :)