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On a fait l’amour et puis après c’est parti, on n’avait pas rallumé la lumière pourtant, et la mer patientait toujours dehors, mais on ne venait plus. J’ai refermé mes yeux, tu t’es allongée un peu plus loin de moi, le drap faisait sur ta peau une mue que j’adorais. L’air nous ensevelissait depuis la fenêtre, toute la Méditerranée voulait profiter de nos intimités, qui peu à peu se refermaient. C’était la même sensation que tout à l’heure, je te racontais, la même sensation que tout à l’heure, lorsque tu me disais :
« Tu arriveras à l'accueillir. »
Et je t’ai crue, et tu voulais que je te croie, et j’adorais ça, moi, que tu veuilles. Et pendant une seconde, une solide seconde, j’ai cru aussi, j’ai cru que ça suffirait. Tu as joui, j’ai eu mal j’étais tendu depuis trop longtemps, j’ai essayé de lécher ta peau, je t’ai murmuré que je t’aimais.
C’était vrai. Oh, j’aurais pu jurer sur tous les astres du ciel, c’était vrai. Mais j’ai pleuré un peu, dans mon cœur, en le disant, je n’ai su dire pourquoi, j’étais nu. Plus nu que je ne le suis jamais.
Il n’y a qu’en toi que je suis aussi nu. La nuit est tombée, j’ai joui aussi, mais moi-même, mais sans toi, mais un peu plus tard, pas vraiment en te touchant, parce que cela était impossible. J’ai eu honte lorsque tu as tiré le drap. Juste un peu. J’étais encore nu, et toi aussi, et t’avais un peu peur, et j’ai senti tout ça, et je me démenais pour… T’as tiré un peu le drap, l’air de dire Ce n’est pas la peine. Ce n’est pas la peine de te forcer, tu l’as pensé, t’as eu peur de me vexer, j’ai eu tellement honte. Comme la dernière fois.
Comme les fois d’avant.
Je fume une cigarette face à la fenêtre, par-delà la mer on devrait deviner une autre terre, par-delà la fenêtre je ne vois rien. Rien que les étoiles. Et l’écume que j’entends mais que les étoiles ne suffisent pas à éclairer. T’es parti loin de moi, à plusieurs mètres au moins, j’espère que tu t’endormiras mais probablement que tu feras semblant une bonne moitié de la nuit. Le temps que je m’éteigne. Le sommeil ne te viendra pas, j’imagine, j’imagine parce que je ne peux pas imaginer que tu dormes pendant que je me brûle à l’intérieur. Pendant des heures. C’est comme ça. J’expire, l’air en fumée le plus loin possible. Il se perd dans les étoiles.
Je t’aime.
Je le sais. Je le ressens dans la plus petite de mes joies, tu sais, dans la plus petite de mes joies. Je suis désolé. Je dois me concentrer pour retenir mes larmes ; la lueur des milliers de lampadaires, au loin, baignent la crique d’une distante présence citadine.
« Je crois que personne n’aime quiconque autant que je t’aime. »
Je murmure. Mais cela doit être le cas pour tout le monde. L’amour, c’est juste ce qui dépasse ce qu’on peut ressentir avec des mots. Je chasse les mots, qui envahissent ma tête. J’éteins ma cigarette sur le cendrier. Tu n’as pas entendu mon murmure. J’espère.
« Viens. »
Tu me dis. Alors je viens, je te rejoins. Tu enfouis ma tête sous le drap, je suis toujours nu, mais un peu moins. Tu sens bon, tu sens la chair. Tu me caresse le crâne. Je m’apaise. J’ai toujours une jambe en-dehors du lit double que je connais par-cœur pour avoir passé une semaine entière dessus, tu me gratte le cuir chevelu. En cercles. Je sombre contre ton sein, alors. Alors.
Je grimpe sur le lit double, tu te décales et te redresses : pour me faire un peu plus de place, sur ton ventre, je le comprends beaucoup plus tard, parce que tes doigts tournent et tournent et tournent à la racine de mes cheveux. Je ne l’aurais jamais compris, je n’aurais jamais plus rien compris, si tu ne t’étais pas arrêtée un petit instant dans leurs mouvements, pour m’accueillir. J’ai l’impression que je pourrais m’endormir.
Je me sens égoïste, un instant, et puis je remarque la tendresse, la douceur, l’abnégation avec lesquelles la peau de ma tête se sillonne, et je laisse tomber d’avoir honte. Il est trop évident que tu es avec moi. Être égoïste, c’est penser à toi d’une autre manière.
Tournent, tournent, tournent…
L’odeur de la pièce rentre dans ma tête.
Et les vagues de la Méditerranée.
Je ne me réveille que bien plus tard. Les grattements de caresse, infiniment lents, ont cessé. Je m’en rends compte tard, tard, ils m’ont accompagné dans mon sommeil, jusqu’à si tard. Et la honte s’est enfuie. Mais toi aussi. Le lit est vide. Je me recroqueville. Toute la tristesse affluait, n’a jamais cessé d’affluer, la honte n’était qu’un barrage.
C’est dommage.
Je pleure. J’ai mal, tout entier.
J’ai mal à pleurer des larmes entières. Tu m’as laissé le drap. Il ne suffit pas, ni mes genoux ni lui ni le plafond ni ouvrir la bouche en serrant la mâchoire, de la façon qui appuie sur mon larynx et hurle en silence.
Je me lève. J’ai soif, je pense, je pense, j’ai soif, j’ai soif.
Je me concentre sur autre-chose. Tu dors sur le canapé du salon de la maison de location.
Des années plus tard, l’idée m’effleurera que peut-être, peut-être, à ce moment-là tu avais honte toi aussi.
Des années plus tard je ne saurai trancher. Je sais juste que ce qu’il aurait fallu c’est que là, maintenant, je t’en parle. Mais parler, parler… C’est trahir, c’est tellement compliqué.
Tellement friable. Dangereux. Parler, alors que de quelques doigts tu avais accès à tout mon crâne, je ne l’imaginais pas.
Je m’imagine, mais peut-être que cela n’aurait rien changé. Le problème, c’est que je n’arrive pas à aimer ton corps autant que je t’aime.
Qu’une seule pensée dans le trou qu’est devenu ma tête, qui ne parvient pas à chasser le burin qui l’a creusée. Un verre d’eau, avalé à grands traits. Tu fais semblant de dormir derrière moi, j’ose même pas te regarder : j’aurais peur de tes yeux. S’ils sont ouverts sur moi, maintenant, je fondrais en larmes et te déshonorerais encore.
Égoïste.
Je referme l’eau du robinet, qui coulait, depuis trop longtemps. J’attends que ta respiration, soit parfaitement régulière, et ample, pour m’échapper revenir dans la chambre. Le petit matin ne poindra pas tout de suite.
Des points sous l’horizon, le dessinent, l’horizon. Des points verdâtres, lumineux. J’ai envie de les rejoindre. Ils font des remous, se posent et repartent en vol, s’emmêlent. Échangent de place. Tu places tes deux mains sur mon dos froid. Je sursaute, et tu appuies pour m’apaiser, alors je m’apaise, je tressaille. Tu plaques ta joue entre mes omoplates. Tu écoutes mon cœur.
J’essaie de murmurer avec la voix la plus grave possible pour que tu l’entendes aussi, à travers ma poitrine. Mais le moins fort possible, pour que ces mots ne t’appartiennent qu’à toi :
« Je savais que tu ne dormais pas encore. »
…orrre. Tu ne réponds rien. Je ne sais pas si tu m’as entendu, si tu m’as compris, mon dos me paraît immense. Tellement large. Je ne savais pas qu’il pouvait accueillir tes bras entiers, ton buste, et tes cheveux. L'air froid nous enveloppe, j'aurai des engelures avant de renoncer à toi contre ma peau, et ta propre peau tiédit ; je comprends que toi aussi.
« Je me suis imaginé dans dix ans. »
Je parle plus haut, avec une voix pour toi et pour les lucioles au loin. Tu ne réponds toujours pas, et cette fois je comprends qu’avant aussi tu m’avais entendu.
« Merci d’être revenue. »
Tu me serres plus fort, tu tressailles, ta solitude transperce ma peau et c’est tout à nouveau comme il y a quelques heures. La nuit naissait. Cruelle position, penché sur le rebord de la fenêtre et toi penchée pour moi, je ne peux pas me retourner pour te regarder ; tu enfonces tes doigts dans les échancrures que mes contorsions ouvrent sous mes omoplates, ils ont refroidi eux aussi. Un spasme m’ébranle, et avant que je n’aie pu m’en rendre compte, je sanglote.
« Je suis désolé. »
Me transperce comme une lance, un jet de pierre. J’avais retenu ces mots pour que surtout ils ne sortent pas, mais ils ont finalement embouti ma gorge et tombent, gros comme la main, de mes sanglots pleins de salive sur le champ qui précède à la plage. Les lucioles jouent, lumineuses. Se secouent et s’embrouillent dans ma vue qui se dissipe, s’humidifie. Et toi toujours silencieuse, toi qui ne dis pas un mot quand je parle des heures, tu relèves ton oreille de mon dos qui la repousse par à-coups sans le faire exprès.
Ta voix émaillée m’inonde autant que les flots de salive me quittent.
« Ce n’est pas grave. »
Tu dis. Tu cherches tes mots, je le sais car une syllabe de plus traîne sans que tu n’aies pu la vocaliser, tu la cherches une minute entière. Une minute durant laquelle l’eau me fuit et ta voix m’emplit. Comme une lumière sur un vieil appartement extirpé des profondeurs.
Tu ne la trouves pas.
Tes bras quittent mon dos. Se rejoignent sous mes tétons. Tu t’attrapes tes propres poignets comme un secouriste reprendrait contre lui le poids de son compagnon. Tu serres fort, pour faire prisonnier l’indicible qui refuse de sortir de ta gorge.
Moi aussi, je t’aime.
Je peux le sentir partout sur ma peau. Tes mots, ils s’écrivirent en moi et ils ne sont jamais ressortis.
Jamais.
Ils sont restés piégés avec les vagues les lucioles et le son des étoiles. Sur l’écume de ma salive. Mes sanglots, s’estompèrent.
Le lendemain, et les jours qui suivirent, nous nous sommes couchés sans faire l’amour. Enlacés.
Nous nous sommes réveillés ensemble, nous n’étions pas dissociés, tes jambes passées ensemble au-dessus des miennes, et mes bras autour de ton buste, je tressais tes cheveux.
Dans mes paumes.
Les années ont passé, et les temps après chacun de tes derniers messages ne cessent jamais de s’étirer. Les mois suivent aux saisons. Tu le sais.
Pourtant, je n’ai pas encore pu faire l’amour à un homme. Ça viendra avec le temps, j’imagine. Pour l’instant chaque été me rappelle les mots que tu as gravé sur ma nudité.
Et je n’ai pas encore rencontré de garçon qui avait la même poigne que toi.
Je t’aime.
Orivia.