Voici venu le moment de parler de mon crime.
J’ai mérité cette confession, qu’il m’a fallu tant d’efforts pour arracher à mon inconscient malade de honte – et à raison.
Depuis ma naissance, je suis vautré dans une débauche de plaisirs compliqués, vains et dispendieux, dont les fastes gras dégoulinent du sang et des larmes arrachés sur tout le globe pour garantir la satisfaction du moindre de mes désirs, et m’épargner tout inconfort. Nanti d’un bel appartement chauffé et climatisé, sis au deuxième étage d’un immeuble bâti à l’âge du charbon et des colonies, j’exploite d’un simple clic deux enfants chinois et trois Bengalis, et brûle du même mouvement des litres de pétrole afin de recevoir, dès l’instant de mon caprice, un ventilateur dernier cri, ma vingtième paire de chaussures, ou un troisième écran d’ordinateur.
Mais j’ai éveillé ma conscience et, bravant préjugés et interdits, ai déconstruit patiemment le colossal système d’excuses, de masques et de mensonges qui m’était imposé, dans le but de me voiler mon crime, de le faire perdurer – me privant ainsi de toute rédemption.
Des enfants hurlent, les dents mangées par le mercure dans les mines du Congo, voyant qu’à quelques pas l’un d’eux agonise dans son sang, le ventre ouvert par la rafale de l’une de ces milices lancées à la conquête de ces plaies qui, afin d’équiper mon iMac de ses semi-conducteurs, meurtrissent les flancs de notre Mère ; et, au large de l’Australie, la Grande Barrière de Corail, ce temple à la beauté élevé par la vie, se meurt dans l’eau trop chaude et polluée, et troublée encore, sans doute, par la saleté du hors-bord qui m’y emmena plonger.
Tout cela était mon crime ; commis en mon nom, pour mon confort, en réponse à mes désirs.
Mais je n’étais pas seul.
C’est tout l’Occident qui est ce vaste radeau de damnés, flottant dans leur luxe sur les rivières du sang des peuples opprimés, et brûlant pour se propulser les visqueuses entrailles de notre planète agonisante, incapable qu’ils sont, dans leur égoïsme, de concevoir qu’ils sont bien plutôt membres de ce minuscule vaisseau qu’est la Terre noyée dans l’Univers infini et, surtout, de cet équipage bigarré qu’est l’Humanité – et même, d’ailleurs, l’entière tribu des vivants. Je ne sais en aucune langue de mot approprié à la hideur de ce suprême méfait qu’est celui, pour un capitaine, d’envoyer par le fond son navire, pour le simple goût d’exploiter autant que possible ceux qui sont ses frères, et qu’il voit comme ses inférieurs.
Tout cela est notre crime.
Car mon crime est aussi le vôtre, et c’est maintenant à vous de le confesser. Et n’essayez pas de me mentir : ayant déjà avoué, je connais mieux encore que vous cette faute que, vous, vous continuez de vous dissimuler, prisonniers que vous êtes encore de nos conceptions surannées et criminelles.
Car seul un changement de nos mentalités pourra sauver le monde de toute cette souffrance, et en extirper cette avidité qui l’engendre, telle une bête immonde accouchant de Belphégor et de son cortège de sectateurs dont je fus, et dont vous êtes encore.
N’ayez crainte : je vous guiderai.
Voici venu le moment de parler de votre crime.