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Ce mercredi matin d’avril, la porte de son bureau s’ouvre et là, en face d'elle, un sourire illumine des yeux pétillants de malice.
— Bonjour Madame, excusez-moi de forcer votre porte, mais il n’y a personne à l’accueil, pourriez-vous me renseigner ?
Elle acquiesce avec un sourire, et répond bien volontiers à cet homme charmant et courtois.
Elle ne sait pourquoi, elle a ce pincement à l'estomac en l'apercevant. Les yeux pétillants se font inquisiteurs, la voix est douce et elle se sent mal à l’aise.
Le visiteur explique son problème et après avoir noté, elle lui précise que sa collègue, absente le mercredi, traitera son dossier dès le lendemain.
— Merci pour votre aide, je rappelle votre collègue dans la semaine.
— Monsieur, il n'y a pas de problème, nous sommes à votre service, mais rappelez-vous elle ne travaille pas le mercredi, dit-elle d’un ton mal assuré.
Le mercredi suivant le téléphone sonne :
— Bonjour je ne sais si vous vous souvenez, je suis Monsieur Bousquier, je suis venu mercredi dernier.
C’est sûr qu'elle se souvient, elle n'a pu l’oublier et étrangement sa voix provoque en elle le même le trouble que celui né de son regard.
— Bonjour, je me souviens oui, mais ne vous avais-je pas dit que ma collègue était absente le mercredi ?
Un rire franc percute ses tympans ;
— Oui, oui... je le sais bien, mais…
Un silence suit cette phrase...
— Je suis désolé, mais c’est à vous que je voulais parler, à vous seule...
De nouveau le ton de sa voix la perturbe, les mots lui échappent...
Il hésite, le ton emprunté ne colle plus avec le personnage jovial et ouvert qu'elle avait rencontré la semaine passée. Dans un effort qui parait surhumain, il lâche d’un trait :
— Je suis à Bordeaux demain, voudriez-vous déjeuner avec moi ?
Cet aveu, jeté comme une prière à je ne sais quel Dieu, la laisse sans voix sur l’instant puis, regroupant ses esprits en essayant de garder un ton léger, elle s'entend répondre bêtement :
— Euh... mais pourquoi ?
Il rit, plus calme, et lui explique que c’est pour la remercier de l’avoir si bien reçu la semaine passée, que sa collègue a bien réglé son problème ce lundi même avec beaucoup d’efficacité. Elle répond, troublée, qu'elle est mariée et qu’il n’est pas très bien venu d’accepter une invitation d'un inconnu. Il retrouve vite sa verve naturelle, elle sent dans sa voix qu’il sourit à pleines dents, il lui rétorque que lui aussi est marié, et que cette invitation n’est ni une arnaque aux sentiments, ni un prétexte pour draguer, mais qu'il souhaite vraiment la remercier pour son intervention.
Elle ne sait pourquoi, mais elle accepte son invitation. En fait si, elle sait pourquoi : cet homme l’a charmée, elle a envie de le connaître mieux, simplement par amitié peut-être, ou plus. Il n’est pas dans ses habitudes d’aller regarder ailleurs. Elle n'est pas volage, même si son couple bat de l’aile comme on dit. L’habitude après vingt-cinq ans de mariage, la lassitude de supporter un mari râleur, et qui a une fâcheuse tendance à boire un peu trop lors de repas professionnels. Jamais il ne lui est venu à l’idée de vivre une aventure.
Le lendemain midi elle arrive devant le restaurant, il est là devant la porte, il l'attend.
Depuis ce jour, ils se voient souvent, rien dans leurs rapports ne dépasse l’amitié jusqu’à ce lundi de fin août où elle rentre de trois semaines de congés : il l'appelle.
— Bonjour, je passe trois jours à Bordeaux, j'arrive demain, on peut se voir ? Il faut que je te parle.
Toute la soirée ses mots reviennent en boucle : de quoi veut-il me parler ? Elle est à la fois impatiente et dans le doute.
C'est la plus belle déclaration qu’il lui est donnée d’entendre, trois semaines sans se voir ni même se parler, trois semaines si longues où il a compris que la vie sans elle serait un calvaire.
Tendrement sa main tenant la sienne, il dit :
— Je t’aime, depuis le premier jour, je t’ai aimée. Je te sais fidèle et respectueuse de ta vie de famille, je te sais droite, mais je t’aime et je voudrais refaire ma vie avec toi. Réfléchis à ça, prends ton temps, laisse mûrir, ne me réponds pas tout de suite, mais sache que mon amitié te sera acquise quelle que soit ta réponse.
Sur le moment elle ne sait que dire, elle l'aime aussi depuis le premier jour, mais la raison l’emporte sur ce sentiment et elle n'a jamais laissé paraître ce qu'elle ressent.
La tête pleine elle le quitte à regret, ses lèvres effleurent juste les siennes, doux signe d’un respect et d’un amour véritable. Elle rentre chez elle.
Fait étrange, son mari est exécrable ce soir là, le repas du midi au restaurant n’a sûrement pas été léger en breuvages alcoolisés. Elle se surprend à penser fortement à Michel, elle réalise qu'elle l'aime profondément, qu'il lui apporterait tout ce qu'elle n'a plus depuis longtemps.
La semaine passe, jamais il ne lui repose la question, il sait que seul le temps apportera la réponse.
Un mois plus tard, son mari franchit les limites du supportable et menace de la frapper, pour une broutille, concernant un accessoire de son ordinateur qui a disparu. Il la bloque contre le mur et lève un bras menaçant, qu'elle bloque in extremis, il finit son geste sur la cloison. Cette brutalité qu'elle connait bien, qui n'avait jusqu'à ce jour jamais dépassé le stade de la menace, est le point de départ d’une décision qu'elle retardait inconsciemment, tant elle était dure à prendre.
Ce dimanche matin, avant que l’alcool ne brise sa raison, elle lui annonce son intention de partir, de le quitter, qu'elle n’en peut plus de ce que l’alcool a fait de lui, que tout l’amour qu'elle avait pour lui s’évanouit chaque jour un peu plus, un peu plus à chaque verre de trop.
— Je ne bois pas !!! Je ne suis pas alcoolique ! Tu cherches une excuse ! Tu as quelqu’un avoue !
Elle n'a personne non, juste un ami, un ami cher, mais pas de chair, car ils sont simplement amis. Jamais il n’a esquissé le moindre geste qui aurait pu modifier cet état, seul ce baiser effleurant ses lèvres un mois auparavant.
Après les insultes, les menaces, les pleurs, les supplications, son mari admet enfin qu’il est malade et qu’il faut qu’il se soigne. Mais elle ne le croit plus et elle aspire à une vie heureuse : sa décision est prise.
Dans la semaine, ils se retrouvent. En la voyant il n'a plus de doute, il sait qu'elle est prête à partager sa vie, leurs mains alors, leurs bouches et leurs corps se découvrent. Tant de tendresse et tant d'amour, jamais elle n'a connu ça, ni tant de douceur et de complicité.
Elle commence à préparer son départ, proprement, pour que tout se passe bien, que ce qu'ils ont construit son mari et elle, ne soit pas vain. Il est difficile de jeter au panier vingt-cinq ans de vie commune. Au début ils étaient heureux, tout à changé depuis quelques années, depuis que l'alcool a fait ses ravages, depuis ces repas chaque jour, depuis qu'il a plongé dans cet alcoolisme que l'on qualifie de mondain.
Ils se voient maintenant deux jours par semaine, elle ne découche jamais et contrairement à ses idées anciennes elle n'a aucun remord et elle ne culpabilise pas : elle a ce droit au bonheur, enfin après tant de patience et de don de soi. Ses enfants sont grands, ils n’ont plus besoin d'elle, il est temps qu'elle pense à elle.
Et puis un jour, il l’appelle tout joyeux :
— Je passe toute la semaine à Bordeaux, j’ai un gros dossier à régler, nous nous verrons tous les jours si tu veux…
Le lundi midi ils doivent se retrouver à l’appartement qu’il occupe, elle entre et prépare le déjeuner comme chaque fois qu’il vient, il est toujours ponctuel, vers midi et demie, elle entend toujours le cliquetis de la clef dans la porte d'entrée et son pas dans l'escalier. Moment divin avant l'étreinte.
A treize heures il n'est pas là. Inquiète elle s'empresse de l’appeler sur son portable, mais ne peut joindre que la messagerie — ils ont convenu qu'elle ne doit jamais laisser de message compromettant, eut égard à ses difficultés pour aller au bout de son divorce. Règle qui est réciproque, leur liaison ne doit pas paraître pour que les séparations soient claires. Ils ont décidé d’ailleurs de ne pas vivre ensemble au début, de garder un peu leur liberté afin de réapprendre à vivre.
Tout l’après-midi elle ne cesse d’appeler, rien, son téléphone est éteint. Elle est dans une angoisse folle, dans ces moments là tout passe par la tête, la peur, l’inquiétude, la colère, le doute.
Quinze jours maintenant qu'elle est sans nouvelle. Quinze jours qu'elle souffre en silence. Elle avait promis de ne jamais appeler son entreprise à Paris, quoiqu’il arrive : elle tient sa promesse. Mais quinze jours c'est plus qu'il n'en faut pour craquer quand on a la peur au ventre, qu'on est tiraillé par des sentiments divers d'incompréhension, d'ignorance et parfois de haine.
Ce matin là, n’y tenant plus elle appelle en se faisant passer pour une quelconque société :
— Allô ! Bonjour, pourrais-je parler à Monsieur Bousquier je vous prie ?
— De la part de qui ?
— La Société Untel, merci
— Je vous le passe
— Allô ? Monsieur Bousquier bonjour...
Sur le moment elle ne reconnait pas la voix, elle hésite, puis dit :
— Bonjour Monsieur Bousquier Michel ?
— Non je suis Bousquier Bernard son frère, je suis désolé Madame, mais vous ne semblez pas informée, mon frère est décédé dans un accident de voiture en descendant à Bordeaux. Nous avons adressé un faire-part de décès à tous ses clients, nous avons dû oublier votre entreprise, j'en suis navré. Que puis-je pour vous ?
Elle balbutie de vagues excuses et raccroche, anéantie.
Elle accuse le coup, maudissant ce destin qui lui assène le coup de grâce, ne serait-elle donc jamais heureuse ? N'a-t-elle pas droit au bonheur ? Des jours entiers à pleurer en silence, surtout ne pas laisser paraître, surtout ne rien dire à personne, surtout ne pas devenir folle.
Elle rentre chez elle chaque soir, part bosser chaque matin, étrangère à tout ce qui l'entoure. Elle ne parle plus de divorce, plus de partir, elle ne parle plus à personne ou presque. Juste le strict minimum quand il le faut. Sauf, à ses enfants lors de leurs visites où elle essaye de faire bonne figure, de rire, de vivre.
Est-ce à ce moment là que son mari a compris ce qu'il perdait ? Est-ce le déclic qui lui a permis de prendre conscience ? Il a pris sa vie en main, il a refusé les repas professionnels du midi, il a suivi une thérapie en cachette. Petit à petit il a changé, ses crises de colère se sont estompées, il a su combattre pour gagner de nouveau sa confiance et laisser renaître ces sentiments presque oubliés.
Le destin est facétieux.
Est-ce un bien, un mal, jamais elle ne le saura, mais ce qu'elle sait, c’est que l’amour que son mari lui porte a été plus fort que sa maladie. Que cet amour lui a donné la force de combattre pour la garder. Mais qu’il a aussi fallu cet épisode dramatique pour qu'elle ait le courage de forcer cet amour à éclore.
Edit pour correction suite aux commentaires et à l'aide efficace de Léilwën
Un texte touchant, une histoire classique mais qui traite avec justesse de l'usure du couple et des aléas de la vie.
Un beau jour le destin (le titre est bien choisi) place sur notre route une belle rencontre, et nos sentiments jouent aux vases communicants : plus on s'attache à l'un, plus on s'éloigne de l'autre. Jusqu'à devoir faire un choix.
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