Bonjour tout le monde !
Voilà, je participe à un appel à texte ayant pour thème "Dragon et paresse" et j'aimerai bien avoir quelques avis sur mon texte (qui ne doit pas dépasser les 12 000 caractères), ce que vous avez apprécié, moins apprécié, si la paresse du dragon est visible ou pas assez, enfin tout ça-tout ça, quoi ! :)
Je remercie d'avance ceux qui prendront 5 minutes de leur temps pour m'aiguiller. ^^
Bogatyr l’Intrépide descendit de la selle de son cheval, avec la lenteur bienveillante des hommes à la détermination sans faille. Par les fentes de sa visière, il remarqua la présence d’Axazareth l’Invincible, couchée sur le pont menant à la tour. Les légendes allaient bon train au sujet du dragon rouge, gardien du donjon de la Vertu. On racontait que ses écailles ne dépassaient guère l’épaisseur de la chair humaine, que son souffle ardent peinait à durcir un œuf et qu’il n’était pas rare de voir Axazareth être distancé en plein vol par une cohorte d’oies. Cependant, malgré la faiblesse évidente du dragon, aucun chevalier digne de ce nom ne réussit à libérer Malafé la Maladroite, la princesse prisonnière des murs de ce funeste donjon.
Le valeureux chevalier avança sur le pont à grands pas carillonnant, sa main tenant, avec toute la noblesse qui le caractérisait, le pommeau de son épée engainée dans un épais fourreau de cuir. Cependant, plus il s’avança et plus il s’aperçut que le dragon rouge dormait profondément, et ce malgré l’heure avancée de la journée.
Une fois la bête à portée d’estoc, il dégaina dans un claquement cristallin l’arme de son étui. Bogatyr l’Intrépide était connu pour avoir occis plus de dragons que n’importe quels autres chevaliers. Et devant la faible menace que pouvait représenter le dragon rouge, son opiniâtreté aurait bien vite raison de celui-ci. Bogatyr jeta son bouclier par terre et agrippa son épée à deux mains, puis hurla avec hardie sse:
- Axazareth, je te défis, viens tâter de mon épée, vil serpent !
Un léger mouvement de queue, ce fut la seule réponse que Bogatyr reçut de la part du dragon rouge continuant de sommeiller, sa tête paisiblement posée sur ses deux pattes amorphes.
- Je vais te pourfendre comme tous tes autres congénères avant toi !
La bête réagit cette fois-ci. Dans un grondement sourd et prolongé, Axazareth, roula sur lui-même et se coucha sur son flanc, indifférent aux imprécations du valeureux chevalier, à qui il tournait désormais le dos. Bogatyr fut interloqué.
- Axazareth l’Invincible, je viens délivrer Malafé la Maladroite de tes griffes ! Reprit-il.
- Par le saint dragon Bulgurn, vous n’apprenez jamais à vous traire, vous, les chevaliers, rétorqua-t-il d’un ton apathique.
Tournant soudainement sa longue tête décharnée par-dessus son épaule, il observa à l’aide de ses deux yeux jaunes peinant à s’ouvrir, l’élégant chevalier à l’armure étincelante retranché derrière sa longue lame.
- Et puis vous ne pouvez pas faire une pause avec cette princesse ? Demanda-t-il, ce n’est pas une hirondelle, elle ne va pas s’envoler dans un pays chaud ! Vous êtes le troisième chevalier qui vient me chauffer les oreilles aujourd’hui, j’ai ainsi été dans l’obligation de renoncer à ma sieste de dix heures, à ma collation de onze et à ma sieste de début d’après-midi.
Le chevalier resta là, la bouche grande ouverte et les yeux écarquillés devant le laïus de mécontentement du dragon, qui retourna aussitôt à ses rêvasseries.
- La crainte de devoir m’affronter te trahit, dragon ! Ta seule échappatoire se trouve à la pointe de mon épée, gronda-t-il.
- Vous ne le sentez pas le moment où il faut partir ? Je n’ai pas le cœur à combattre, ni même à cracher mon feu. L’énergie que me demande chaque jour cet abominable travail me provoque d’abominables maux d’estomac, si vous saviez.
Une silhouette apparut subrepticement par la plus haute lucarne du donjon. Malafé la maladroite et sa splendide peau saine et dorée ! Elle observait le chevalier d’un œil plein d’entrain. En voulant décocher un signe d’encouragement à son prétendant, elle fît cependant tomber le pot de magnolias posé sur le rebord de la fenêtre, qui se fracassa en contre-bas.
- Je viens vous sauver, princesse des confins d’Arabie ! Hurla-t-il d’un ton chantant.
- Fichez le camp… Grommela-t-il en se retournant une nouvelle fois. Qu’est-ce que vous lui trouvez à cette femme, d’abord ? Pour peu que votre bourse soit pleine, il y en a de plus belles et de plus accessibles à l’auberge des Frères Bontruands, un peu plus au nord.
- Elle me fascine par sa maladresse et bien maladroitement je l’aime, comme jamais je n’aurai cru aimer, confessa le valeureux chevalier.
- Aimer… Le destin galvaudé d’un mot à la puissance pourtant si démesurée… Aller, partez, et revenez lorsque vous connaîtrez l’amour véritable. Votre sottise attise mon mal d’estomac.
Bogatyr l’Intrépide était désabusé. Il ne savait que faire pour attiser la rage de son adversaire qui, à ce moment précis, préférait les affres de l’inactivité à l’écriture d’un pan héroïque de la fantastique épopée du chevalier. Du reste, il pensait faire preuve d’une infinie sagesse quant à ses réflexions sur l’amour, tandis qu’il semblait témoigner d’une incommensurable indulgence face au rejet catégorique de la seule et unique responsabilité qui lui incombait.
- Veuillez cesser cette insolente oisiveté, Axazareth ! Traitez-moi avec tout le respect que vous me devez de par mon rang.
- Parce que vous croyiez que votre “respect” peut m’aider à affronter les courroux quotidiens de ma dragonne ? Toujours à se plaindre que le tas d’or sur lequel nous dormons n’est pas assez volumineux ou que je ne mange plus que je ne dépense d’énergie…
- Je… je ne sais que dire…
- Si elle n’est pas contente, on a qu’à échanger nos obligations, elle verra ce que c’est ! Geignit-il. Quant à moi, je pourrai enfin rester pénard, les griffes en éventail sur mon rocher à regarder les nuages passer dans le ciel.
Lorsqu’il s’agissait de se montrer critique envers les défauts de la dragonne partageant sa grotte depuis des centaines d’années, Axazareth paraissait soudainement éveillé. Au demeurant, l’épineux sujet relatif à son statut salarial se révélait être le second point sur lequel le dragon déchaînait tout son mécontentement.
- Et quand je vois tout le travail que j’abats pour les trois malheureux ronds que le capital me jette à la figure, je ne sais pas ce qui me donne envie de poursuivre dans cette branche, avoua-t-il. Qui plus est, le système de rémunération des gardiens de donjon, tout comme celui de gardiens de trésors, connaît un véritable bouleversement. Soi-disant qu’on passe nos journées à ne rien faire et que cela ne peut plus durer… Qu’ils aillent surveiller ces princesses capricieuses et risquer leur vie chaque jour que le saint dragon Bulgurn fait ! Quand je pense qu’il me reste encore 435 années à tirer avant d’avoir le droit à une misérable retraite à taux plein, ça me désole.
- Cela suffit ! Tempêta Bogatyr l’Invincible. Je m’aperçois que ta véritable arme n’est pas ton souffle mais bien ta langue. Tu ne m’hypnotiseras pas avec tes inepties, j’arracherai chacune de tes insignifiantes écailles jusqu’à ce que tu me laisses rejoindre ma dulcinée.
Axazareth arrêta d’écouter le flux de paroles que débitait le valeureux chevalier à partir de “ta véritable arme”, laissant son esprit vaquer à d’autres occupations. Il pensa à cette maquette qu’il avait commencé, il y a de cela quelques mois, une fidèle reproduction du saint dragon Bulgurn. Mais du modèle réduit, seule une griffe de sa patte droite fut complétée, le reste des pièces gisant çà et là au quatre coins de la grotte. Il comptait terminer cette maquette un jour, lorsque cesseront ses satanées brûlures d’estomac provoquées par le stress du travail et le caractère irritable de sa dragonne.
- Bon, finissons-en, dragon, s’écria Bogatyr. Tu n’as rien de terrifiant et je n’arrive pas à comprendre comment on en est arrivé à t’appeler l’Invincible.
Axazereth resta muet devant les agressions répétées du chevalier. Parfois, il rêvait d’une autre vie. Une vie où les chevaliers ne rouleraient pas des mécaniques, où les dragonnes ne seraient pas d’une humeur suffocante, où les maquettes se monteraient toutes seules. Il repensa soudainement à son ami Vhagar. Ce dernier et Axazareth, qui a toujours manifesté un attrait certain pour les arts de la comédie, s’étaient connus en licence d’art dramaconnique du spectacle, un chemin qui devait le mener droit à la célébrité. Cependant, il arrêta malheureusement bien rapidement ses études, justifiant à qui voulait l’entendre, mais à lui-même principalement, que les cours dispensés à l’université draconnique étaient “en inadéquations avec les transformations abruptes du marché du travail”. De plus, d’incontrôlables épisodes intestinaux se présentaient dès lors qu’un dossier devait être rendu au plus vite. Vhagar, quant à lui, termina ses études. Puis, afin de se construire une renommée dans ce secteur, il tourna dans une série de petits films à petits budgets, qui lui permit un jour de se faire repérer par la chaîne F.B.O, qui l’employa dans un feuilleton. La série connue un fulgurant succès, et des posters à son effigie parsemaient désormais chaque chambre des dragolescentes en fleur. Mais à y repenser, Axazareth ne regrettait rien. De tout de façon, son estomac n’aurait jamais supporté un train de vie si violent.
- Si tu veux me tuer, très bien, chevalier. Mais fais ça vite.
- Axazareth, la paresse est si présente en toi, te grignotant durant toutes ces années comme une vigne sur un mur, que même ta vie n’a plus d’importance à tes yeux. Bats-toi !
- Mes pattes me sont douloureuses, j’ai certainement de l’arthrite, déplora-t-il.
- Je devais affronter un féroce dragon au péril de ma vie, et je me retrouve à supplier une bestiole affalée sur un pont de bien vouloir jouter.
- Vise le cœur, chevalier.
- Seigneur, quels victoires trouvent-on à vaincre sans péril ? Adjura-t-il. Qu’en deviendrait-il de mon honneur, si j’allais colporter le bruit que ma lame vint à bout d’une bête aussi agitée qu’un lac gelé. Je refuse de malmener ma bravoure de la sorte.
- Tu refuses de me tuer, chevalier ? Demanda le dragon.
- Evidemment ! S’indigna-t-il, me prends-tu pour un mouflet de me demander de t’abattre, comme ça ? Non, mais c’est humiliant, enfin…
Bogatyr remonta sur son cheval blanc, la bouche froncée d’arrogance. Il baissa cependant ses yeux devant l’attitude désabusée de Malafé la Maladroite, l’observant depuis les sommets de sa prison. Axazareth, ne pensant pas un seul instant aux innombrables calomnies que Bogatyr colporteraient à son sujet, ouvrit ses paupières et fît rouler ses grands yeux jaunâtres en direction du ciel, sans remuer le reste de son corps atone. Sa journée de travail se terminait généralement lorsque le soleil s’éteignait à l’ouest. Il lui restait donc encore deux bonnes heures de garde avant d’espérer pouvoir rejoindre sa grotte. Cependant, il décida dans un pénible effort de se relever afin de regagner dès maintenant son foyer, motivé par l’absence de sa dragonne à la grotte, lui permettant ainsi de profiter d’une accalmie afin de calmer ses maux d’estomac au cours d’une sieste réparatrice.
A ses débuts dans la profession, Axazareth était si valeureux et si cruel, qu’il frôla la mort plus d’une fois en combattant des chevaliers aguerris. Cependant, il s’aperçut que l’indifférence et la passivité se révélaient être les meilleurs artifices face à la bravoure des hommes, dédaignant la victoire sans avoir à braver la mort. Cette inaction qui, au départ, n’était qu’une simple ruse contre les cœurs les plus hardis, finit par l’envahir jusqu’à dominer le moindre de ses gestes. Il ne chercha nullement à combattre l’ennui et le désintérêt notable pour les choses de la vie, il s’en accommodait, se détournant de ses tâches en usant d’excuses infondées, et substituant ses journées de combat par des siestes si longues que le sommeil finissait implacablement par entretenir le sommeil.
Il interpela Malafé avant de s’envoler, arborant le sourire triomphant des perdants.
- Voilà, une bonne journée de travail qui se termine. Dites-moi princesse, avec les trois braves chevaliers d’aujourd’hui, à combien se porte le total ?
- 198, répondit-elle avec toute la lassitude du monde.
- Bien ! Cependant, je ne sais pas si je serai présent demain dès l’aube, princesse. Mon estomac ne cesse de me mener la vie dure en ce moment...
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