[Mic Ester]

Les livres.
Karine fait son petit tour dans la librairie juste pour sentir l’ambiance. Et puis voir un peu qui est là, qui lit quoi ? Parfois, elle se dit que le livre ne va pas trop avec la personne ou l’inverse.
Et surtout trouver une bonne âme pour le bavardage du samedi après-midi.
Au coin des fictions historiques, avec une moue hésitante, sa vieille copine Charlotte soupèse un pavé de six cents pages, presque un kilo surement. Karine ne résiste pas.
- Alors, t’achètes au poids maintenant ?
Charlotte lui sourit en remontant ses lunettes.
- Ah c’est toi, il n’y a pas que le poids, le volume aussi, tu me vois avec ça dans mon sac, moi, il me faut quelque chose à lire dans le métro, alors, je fais comment !
- Attends qu’il sorte en poche, de toute façon, y a pas urgence !
Charlotte ne sentit pas l’ironie. Elle avait craqué sur la couverture et sur le titre, « le galant de la reine » une romance historique surement bien ficelée, bien dramatique, mais aussi bien longue. Pas le style d’écriture à Karine, mais bon, çà fatigue pas, et faut tout essayer se dit-elle.
- je te revois tout à l’heure, j’ai plein de choses à acheter
Karine préféra s’enfuir, elle connaissait Charlotte, ses hésitations, ses tourments littéraires, elle choisissait un livre comme si sa vie en dépendait.
Madame Lefranc, au rayon nouveautés lui fait un petit signe
- alors, le dernier Bussi ?
- Ah, il fait chier celui-là, j’avais bien juré que je me laisserai plus prendre, rien à faire, j’ai pas pu décrocher, toute la nuit, sans lever la tête.
- ah quand même ! toute la nuit ! mais pas déçue j’espère ? lui répondit la responsable tout en installant le « coup de cœur de la semaine »
- non, pas déçue, on repère un peu les ficelles à force, mais ça tient la route, j’en parlerai au club mercredi.
Cette librairie de quartier est le passage obligé du samedi pour Karine, elle se sent chez elle au milieu des bouquins. Elle a tout essayé pour la détente du week-end, le shoping, la salle de sport, la balade vélo, rien ne vaut sa virée dans cette boutique de passionnés de lecture. Ce qui ne l’empêche pas à la belle saison de trainer sur les quais pour les bouquinistes, ou discrètement d’aller à la FNAC comme une délinquante.
Doucement le magasin se remplit. Certains qui cherchent un beau livre pour offrir au papy ou d’autres le Routard du Malawi pour rêver. Des autres qui craquent pour la « meilleure vente ». Karine adore cette ambiance, les regards, les interrogations des gens avec l’ouvrage dans la main.
Elle a des commandes pour son père. D’abord un livre d’histoire, la bio de Clémenceau, pourquoi pas, et puis en récompense un policier, du lourd, Connelly ou Coben. Karine hésite et sent une présence toute proche.
Monsieur Morand, un adhérent de son club de lecture tient à venir la saluer, c’est un fidèle du samedi et du mercredi, un peu raide, un peu vieille France, pas mon membre préféré, se dit souvent Karine quand elle est de bonne humeur.
- Bonjour, chère amie, vous êtes déjà en recherches, vous préparez votre exposé ?
- Non, j’ai des commandes, pour mercredi je suis prête. Vous aurez un policier cérébral pour commencer et un chef d’œuvre, « les graciées » de Kiran Millwood, vous allez adorer !
- j’ai hâte de vous entendre !
Ce doit être un prof d’université en retraite ou pas loin, il vient des beaux quartiers, pas vraiment le genre du club. Un jour Karine, un peu bourrée lui avait lancé très fort dans la boutique pour rigoler.
- Non monsieur, nous ne faisons pas ce genre de littérature, voyez vers Saint-Denis !
Il lui en avait voulu un peu pour la forme, mais juste comme çà, sans arrières pensées, derrière la cravate restait un peu d’humour.
Et puis dans le groupe, tout le monde l’adore, c’est un puits de science, très bon critique, curieux de tout malgré la carapace, et surtout, un jour, il avait dit à Karine,
- les livres, je n’ai que ça ! et cette phrase-là, elle lui trotte dans la tête, tout le temps.
Karine est plus qu’une habituée, elle a son coin à elle à l’entrée ou elle empile ses achats du jour. La caissière lui claque la bise avec deux trois mots de courtoisie. Parfois, des clientes lui demandent un conseil, elle a tout lu et elle a un avis sur tout. Un avis un peu superficiel parfois, un peu orienté souvent, mais toujours tellement drôle, décalé, jamais pédagogique, jamais chiant.
Charlotte hésite encore avec son pavé dans la main.
- Parce que, tu comprends, dans mon sac….
Karine appréhende la re-rencontre, elle lui dirait bien dit de prendre une liseuse, mais elle se ravisa, deux mois avant, les deux amies s’étaient presque engueulées sur ce sujet.
- un livre c’est du papier, pas du binaire, s’était emportée Charlotte.
- Faut vivre avec son temps, moi aussi, je préfère le papier, mais au moins, j’essaye
 -Et les piles…
Une fois par an, elle se force à lire un bouquin anglophone, c’est un martyr, mais ça entretient son anglais. Elle a son vieux dico papier plein de notes, et un traducteur sur son mobile. Mais ça reste laborieux et si le livre est mauvais, c’est la cerise. Bientôt, elle va devoir y passer, mais, elle repousse ce moment et évite le rayon étranger.
Deux, trois mots avec madame Lefranc aux prises avec des lycéens qui doivent lire un roman français pour un exposé. Karine l’abandonne à son calvaire.
Car au fond, elle a repéré ce vieux facho de Clément devant la vitrine de la Pléiade.
- Monsieur a les moyens, monsieur aime les livres bien rangés, monsieur aime l’ordre, Drieu La Rochelle c’est sur commande !
- Monsieur aime surtout ne pas être emmerdé par l’intendance, ah, pardon c’est toi !
Karine éclate de rire, elle l’adore, ils ont eu une petite aventure, mais rien de sérieux, plutôt un coup de circonstance pour parler d’un bouquin.
- C’est vrai que j’aime bien cette collection, je me fais un petit plaisir de temps en temps, un peu suranné je te l’accorde comme plaisir, mais bon, on a la classe ou pas !
- Oui, je peux comprendre, donc tu vois ça comme un placement, pas comme un livre !
Karine aime bien le titiller, un jour il lui a avoué qu’il lisait Michel Onfray, alors elle le surnomme le maréchal. lui, il dit qu’il est centre-gauche, elle lui répond que la gauche du centre, c’est couille-molle, il rétorque qu’il est plutôt au centre de la gauche, qu’il a lu Régis Debray….
En général pour finir, il lui dit qu’elle est chiante tendance insoumis.
- tu viens au club mercredi ? bien sûr !
- Pour toi, je viendrais tous les jours
Hou là ! toujours vert le maréchal, je vais le garder sous le coude, ça peut dépanner, se dit-elle
Karine n’arrive pas à partir, elle a encore deux trois choses à faire. Sa fille lui a demandé un livre de cuisine, Hosanna ! mais choisir un livre pour sa fille, c’est comme aller à l’abattoir, on n’en sort pas indemne. Sa fille adorée trouve les choix de sa mère toujours consternants, sans âme, même un livre de cuisine, elle va le trouver mal écrit, verbeux, sans parler des recettes qu’elle ratera à cause de l’auteur, imprécis.
Parfois et même souvent, elle se dit qu’avec une fille comme elle, elle n’a pas le droit d’être médiocre même si au quotidien c’est usant, qu’on doit mettre sa superbe bien au fond de sa poche. Une fille de vingt ans, il faut la mériter !
Maintenant, un peu de courage pour récupérer Charlotte et boire un café sur le boulevard. Comme d’habitude, en sortant, sa copine est morose, toujours à se poser des questions existentielles. Aujourd’hui, elle se prend la tête sur ce que vont lui apporter toutes ces lectures, tous ces moments de bonheur, qu’elle oubliera peut-être, hélas.
- je devrais arrêter de lire, pour prendre un chien, au moins ça me ferait sortir !
- un chien « nouveau roman » ou « classique russe » ?
Charlotte retrouve le sourire, avoir Karine comme amie, c’est une assurance vie, on est obligé d’être heureux, avec elle rien n’a d’importance, sauf le scandale des prix littéraires et le déclin des librairies de quartier.
- Je jette un œil dans la boite à livres, tu viens !
Un jour, dans ses réunions du mercredi, Karine a fait une envolée lyrique sur les boites à livres. Ces jolies caisses en bois placées dans des lieux de passage où l’on dépose des bouquins en espérant qu’ils continueront leur vie.
La plus belle expérience de lecture depuis Gutenberg d’après elle, et puis le partage, la communauté, elle arrêtait plus !
Les poubelles aussi parfois, mais ça, elle l’a pas dit !
Toujours pareil dans ces boites, de vieux livres scolaires, des Arlequins, des oubliés, Gide, Mauriac…
Karine, avec sa curiosité et sa passion d’enfant retourne la boite.
- Regarde, un truc récent, je le prends, on ne sait jamais…
« Un jour viendra couleur d’orange », beau titre, en souvenir d’Aragon.
Un peu plus loin, à une terrasse, elle feuillette distraitement le bouquin et à la page soixante, un carton oublié ou laissé là comme une bouteille à la mer.
« Bon courage, moi j’arrête ! Pour ceux qui iront au bout, mes hommages au 06.76 ….. »
Belle écriture, un smiley dessiné, pas jeune donc, un mec surement…
Karine est enflammée comme toujours quand son quotidien dérape.
- Je lis le bouquin ce soir, et je l’appelle demain, c’est trop drôle, et puis on ne sait jamais…
- toi, au fond de la mine, tu chasserais encore ! répond Charlotte maintenant vraiment de bonne humeur.
À fond dans son délire, Karine se tape son nanar en une soirée. Comme ça, d’une traite, juste pour continuer cette histoire, pour en lire un de plus aussi, bien sûr.
Rien de bien nouveau, vite lu, vite oublié, la bonne soupe des prix littéraires, du cul pasteurisé, de la pub sournoise, une intrigue dans l’air du temps, mais bon, du talent, des beaux mots.
Pour son premier coup de fil du lendemain, elle est en feu !
- Dites donc, vous, on n’abandonne pas le navire comme çà, dans le Titanic, vous auriez fait quoi ?
Quelques secondes, puis il comprend avec le sourire.
- Je me serai sauvé, je suis un lâche, et puis je préfère la trahison à l’ennui !
Belle réponse, Karine la joue indignée juste pour faire durer encore un peu.
- la trahison c’est trop facile, le courage, ça vous parle ?
- le vrai courage, c’est de savoir dire non, mais, dites-moi, j’ai raté quelque chose ?
Karine soupire, vaincue.
- En fait, non, mais, l’espérance, ça existe aussi, une belle fin et tout est oublié !
- Et si vous me la racontiez la fin, …. autour d’un verre ?
Belle écriture, belle voix, le reste doit être à l’avenant, c’est prometteur.
-Ben .., oui, bien sûr, répond Karine impatiente.

[Basic]

Bonjour,

j'ai passé un moment étrange en lisant ton texte.
Je me disais, c'est quoi, qu'est ce que ça veut, où ça va... et puis je suis arrivé à la fin.
C'est super quand ça rentre dans le propos les livres/gens... un peu d'érudition cachée derrière un côté un rien vulgaire, un rien survolé.
Non, ce n'est pas une nouvelle vraiment, malgré la chute, c'est comme un moment passé derrière une fenêtre ouverte.
Peut-être un peu de boulot au niveau de la forme, majuscules et ponctuation du dialogue mais là je suis mauvais.
Des commentaires au fil du texte.
Si tu veux un peu plus de commentaires sur tes textes, n'hésite pas à commenter les autres, peu à peu des liens se tissent, des échanges se produisent... normalement.


B

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[Mic Ester]

Bonjour
C’est juste un portrait de femme, drôle, érudite, décalée, peut-être enseignante, surement de gauche qu’on a tous rencontré ! avec en toile de fond un panorama de la chose écrite, auteurs, librairie, liseuses, etc. j’ai mis les deux bouquins que je venais de lire pour m’en rappeler. La chute ! un peu tirée par les cheveux, je le concède, mais il en faut bien une.
J’ai bien compris que le forum est un lieu de partage et qu’on doit donner pour recevoir, mais je suis nouveau et j’ai un peu de mal à entrer dans le dialogue bien établi entre les membres. Tout le monde se connait, on dirait. Je lis les textes courts, il y a de tout, parfois de bons moments !
Merci pour tes conseils sur la forme

[Basic]

Bonjour,

il peut se tisser des relations privilégiées... malgré ce qu'on peut penser, il y a peu de monde sur le forum, peu d'actifs ( plus en plus vrai en suivant la longueur des textes), donc il se crée des petites communautés de joueurs par exemple, de piliers de rubrique poésie autre exemple... je trouve ça un peu dommage, ça peut donner l'impression et parfois c'est vrai de groupe un peu fermé, moins curieux.
ça peut être simple. On lit un texte, il nous intéresse ou non... pas nécessaire de faire un commentaire détaillé si on se sent illégitime ( toutefois personne ne détient les codes, ni la préséance, on est tous des écrivailleurs), mais on laisse quelques lignes pour tenter d'expliquer son ressenti et pas non plus essentiellement entre soi, par pure réciprocité, mais dans le forum en général.

N'hésite pas,

B

[BeeHa]

Bonjour Mic Ester,

J’ai bien compris que le forum est un lieu de partage et qu’on doit donner pour recevoir, mais je suis nouveau et j’ai un peu de mal à entrer dans le dialogue bien établi entre les membres. Tout le monde se connait, on dirait. Je lis les textes courts, il y a de tout, parfois de bons moments !

Il "suffit" de laisser quelques mots après une lecture et de fil en aiguille, on apprend à "connaître quelques personnes" et l'émulation se fait.
Pis comme on dit, c'est en commentant qu'on devient commenteur.


Pour en venir au texte, j'ai trouvé que tu faisais beaucoup de retour à la ligne, parfois trop. Couper les paragraphes, c'est une bonne chose, mais par moment, ça semble couper "pour couper". Par exemple ici :

Charlotte ne sentit pas l’ironie. Elle avait craqué sur la couverture et sur le titre, « le galant de la reine » une romance historique surement bien ficelée, bien dramatique, mais aussi bien longue.
Pas le style d’écriture à Karine, mais bon, çà fatigue pas, et faut tout essayer se dit-elle.

- ah quand même ! toute la nuit ! mais pas déçue j’espère, lui répondit la responsable tout en installant le « coup de cœur de la semaine »

Ce serait plutôt avec un point d'interrogation après j'espère, non ?
Sinon, tu as des petits soucis de ponctuations/majuscules.
Pour les dialogues, soit tu mets que des tirets (en théorie, des cadratins), soit tu ouvres la première réplique par des guillemets avec les répliques suivantes débutant par un cadratin et en fermant les guillemets à la fin du dialogue.

Karine appréhende la re-rencontre

Pas très fan de la "re-rencontre", je ne trouve pas ça très joyeux comme formulation. (C'est subjectif, bien sûr.)

Car au fond, elle a repéré ce vieux facho de Clément devant la vitrine de la Pléiade.

Un peu curieux de "l'appellation" facho pour quelqu'un qui se revendique de gauche. Sauf si c'est un autre sens qui m'échappe totalement. Ou peut-être est-ce lié un peu au registre du texte qui oscille un peu et que ça se veut plus "plaisanterie" ?


D'un point de vue un peu global, j'ai en effet la sensation que le registre n'est pas fixe sur l'ensemble du texte.
Les enchaînements entre les situations sont parfois très rapides, un peu "brutales" même, du coup, pas toujours très "fluide". J'ai un peu une sensation divisée entre l'aspect très "au contact" du personnage de Karine, et en même temps très "lointain", j'ai la sensation que l'on s'arrête toujours à l'orée d'une relation, sans vraiment rien poser : l'amie indécise un peu moribonde, le vieux un peu raide, l'ancien/future/ex amant...

L'idée globale est sympathique malgré tout, plus qu'une nouvelle, c'est plus une incursion dans un moment de vie.

Bon courage pour les différentes modifications que tu voudras faire. ~

[Mic Ester]

Bonjour BeeHa
Merci pour ton ressenti et tes remarques, je vais corriger tout ça !
Pour les coupures de paragraphes, c’est un peu voulu, j’ai voulu saccader le récit, pas trop partir dans de longs portraits, garder l’idée d’une chronologie de rencontres rapides autour du livre.
« Re-rencontre » ok, ce n’est pas joli, ça sonne pas bien, mais je n’ai rien trouvé d’autre dans le contexte !
« facho » Peut-être pour amener un personnage fan des choses bien ordonnées, des livres de valeur, des auteurs disciplinés. Pour une fille comme Karine, excessive, de mauvaise foi, tout ce qui est un millimètre à droite de sa pensée unique suscite moqueries et sarcasmes et il y a aussi un peu de provocation envers un ancien amant.
Le registre variable, je ne sais pas ? Dans l’ensemble, le ton reste léger, superficiel, rien de dramatique, la drague finale pas trop lourde, enfin j’espère ! Au départ, ce n’est rien qu’un petit texte pour parler de livres, d’auteurs, des librairies, et puis le personnage de Karine s’est imposé, elle veut toujours être dans la lumière, le centre du centre !