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27 avril 2024 à 10:01:57
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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » La colère du dieu blanc (mythologie)

Auteur Sujet: La colère du dieu blanc (mythologie)  (Lu 249 fois)

Hors ligne Marie Czarnecki

  • Tabellion
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La colère du dieu blanc (mythologie)
« le: 25 février 2024 à 16:38:42 »
Pour ceux qui m'ont déjà lue, il paraîtra évident que j'aime la mythologie, j'aime en lire et j'aime en écrire. Ce texte-ci s'éloigne des deux précédents ("Caïn" et "Noé") car il ne s'appuie pas sur un mythe existant mais sur mon imagination. "La colère du dieu blanc" s'inscrit dans l'univers d'un roman que j'ai écrit, "Orgueil".



   Le feu crépitait dans l’âtre et éclairait d’une lueur rouge et mouvante les visages tannés des villageois.
Dehors, la neige avait pris possession des flancs abrupts des montagnes et des champs en terrasse. Le village était à peine plus qu’un hameau et ne possédait pas de salle commune. Alors les villageois s’étaient réunis dans la maison la plus vaste et chacun avait amené une bûche pour alimenter le feu.
Blottis les uns contre les autres, jeunes et vieux, hommes et femmes, reniflant, toussotant, ils se réchauffaient aux flammes grondantes et attendaient, patients comme des agriculteurs, attentifs comme des montagnards.
Le conteur observa les visages usés par le soleil et le vent qui espéraient, en paiement de leur hospitalité, quelques bonnes histoires qui occuperaient leurs pensées jusqu’au printemps prochain.
L’hiver était une saison faste pour les ménestrels car l’hospitalité hivernale était une loi sacrée. Abandonner un homme dehors en hiver, c’était maudire son âme et sa lignée, rien de bon ne pouvait arriver à qui ne respectait pas les lois de l’hiver.
Le ménestrel se redressa et prit le regard vague de celui qui voit au-delà de la simple réalité. Il s’était décidé à commencer par un conte traditionnel.

   Vous connaissez Ankmar le Premier, Ankmar le Deuxième et Paramal le Fou, les trois rois sans foi. Ils gouvernèrent il y a de cela des lunes et des lunes et leur règne inconséquent mena les Montagnards à l’impiété et la folie.
Paramal avait un fils, un unique héritier mâle, dont la faiblesse maladive faisait dire qu’il n’atteindrait jamais l’âge où l’on obtient son nom d’adulte.
Cette année-là, l’hiver fut terrible. On aurait dit que le dieu blanc voulait nettoyer le Royaume des Monts de tous les impies. Le froid fut si intense que les montagnes se fissurèrent, la neige fut si abondante que des villages entiers furent engloutis. Mais la folie des hommes d’alors était telle qu’ils ne pensèrent même pas à implorer les dieux.
L’hiver fit des ravages chez les gens du peuple comme chez les puissants. Aucune caste ne fut épargnée. Le prince lui-même, l’unique fils de Paramal le Fou, mourut, emporté par le froid qui avait gelé son cœur dans sa poitrine.
Nul homme n’est au-dessus des lois sacrées. Mais Paramal, fils et petit-fils d’impies, crut qu’il pouvait s’élever jusqu’aux dieux et leur commander. Cette année-là, Paramal interdit à quiconque de faire des sacrifices au dieu blanc.
Il est bon qu’un peuple obéisse à son roi, mais il est meilleur qu’il obéisse aux dieux. Cependant le peuple prend exemple sur son roi, comme l’enfant sur son père. Et si le roi ne respecte pas les dieux, pourquoi le peuple les respecterait-il ?
Cette année-là, aucune obole, aucune prière, aucune cérémonie ne fut accordée au dieu blanc. Alors le dieu blanc se retira. Paramal crut qu’il avait vaincu le dieu de l’hiver et tout le peuple l’acclama et chanta la puissance du roi.
Le printemps vint beaucoup plus tôt, et les marchands, hommes avides et de peu de foi, se réjouirent les premiers de pouvoir à nouveau prendre la route et commercer.

Ici le conteur adaptait son discours. Aux marchands, il disait que les paysans étaient bornés et stupides, pressés de semer ; aux guerriers, que les dirigeants ne pensaient qu’à la saison des fêtes et des jeux ; aux dirigeants, que les guerriers avaient bien trop hâte de reprendre les tueries et les pillages.

   Si le printemps fut long, l’automne fut interminable. Le dieu blanc refusait de redescendre sur les montagnes. Les hommes crurent que cela était bon pour eux, mais il n’y a pas pire sot que celui qui refuse de comprendre.
Oh, certes, la douceur qui régnait permit d’économiser le bois, de continuer le commerce, de semer à nouveau les champs, elle épargna les faibles que le froid, sans cela, aurait précipités vers le Gouffre. Mais bientôt, au lieu de neiger, il plut, il plut tant que les sols furent lessivés, emportant les nouvelles semailles et la terre avec elles ; les insectes pullulèrent, harcelant bêtes et hommes, jour et nuit ; des fièvres inconnues rongèrent les faibles et les forts.
Malgré les morts et les malades, les désastres et les catastrophes, le roi Paramal s’entêta dans sa folie. Les Fils du Givre reprirent en cachette leurs prières, mais le dieu blanc ignora ses prêtres. Le Royaume des Monts semblait voué à disparaître.
La plus jeune fille de Paramal, la princesse Nimbayé avait une nourrice particulièrement pieuse, et la jeune fille avait sucé en même temps le lait et la piété. On disait de la princesse qu’elle était la plus belle des enfants du roi Paramal. Elle avait le visage aussi clair que la lune et les cheveux aussi sombres que les plumes du corbeau. Ses dents avaient l’éclat de la neige et ses yeux étaient riants comme un matin d’été. Il ne faisait aucun doute que la princesse Nimbayé était promise à un grand mariage, car, en plus d’être princesse, sa beauté exceptionnelle l’avait rendue célèbre dans tout le Royaume des Monts et même au-delà.
Nimbayé offrit humblement sa belle chevelure sombre au dieu blanc. Elle ôta ses beaux vêtements de draps si finement tissés qu’ils ne pesaient pas plus qu’une brise et dont les fils colorés dessinaient des motifs élaborés, et elle enfila une simple robe d’adorateur du dieu blanc, une robe écrue de drap grossier. Puis Nimbayé se prosterna et resta ainsi, immobile, sans rien consommer, trois jours durant. Le dieu blanc fut touché par son sacrifice. Il daigna lui envoyer un songe : si elle venait jusqu’à lui, sur le sommet de la plus haute montagne, avec un cadeau digne d’un dieu, il pardonnerait au Royaume des Monts.
Au nord, s’élèvent les Hauts Sommets qui resplendissent hiver comme été, car le dieu blanc y répand ses neiges les plus précieuses. C’est là que le dieu de l’hiver a sa demeure, c’est de là qu’il envoie la bise froide annoncer sa venue et c’est de là qu’il entame sa marche à travers le Royaume pour répandre l’hiver. Avant la princesse Nimbayé, nul n’avait réussi l’ascension des Hauts Sommets ; après elle, nul n’osa la faire.
Le trésor royal contenait un diamant énorme et magnifique. On le disait plus gros que le poing d’un forgeron et plus resplendissant que la neige éternelle en été. La princesse Nimbayé le prit pour l’offrir au dieu blanc.
Aidée par sa nourrice, elle s’échappa du palais de son père avec deux suivantes pieuses et courageuses comme la princesse, et quelques gardes dévoués.
Le voyage fut périlleux. La première suivante, Binti, trébucha au bord d’un gouffre. Son pas léger ne l’empêcha pas de glisser dans la boue traîtresse du chemin. Sa fine cheville se tordit et elle aurait été précipitée dans l'abîme sans la rapidité d’un garde qui la retint par le bras. Sauvée de justesse mais blessée, Binti dut rentrer au palais. Nimbayé lui accorda le garde comme protecteur et continua son chemin.
Le chemin était long, difficile, la nourriture était rare. La deuxième suivante, Vamayaté, fut si épuisée au bout de longues journées d’ascension dangereuse qu’elle renonça. Elle pleura beaucoup et supplia la princesse de lui pardonner. Nimbayé la rassura et demanda à l’un de ses gardes de raccompagner et protéger sa suivante.
Le plus dur cependant restait à faire. Au-delà de la frontière du Royaume des Monts et avant celle du domaine du dieu blanc, vivent des créatures sauvages, soufflent des vents violents et la mort rôde et se cache derrière chaque caillou. Les gardes se sacrifièrent les uns après les autres pour sauver leur brave princesse.
Le premier garde, Campak le fort se battit contre un chat des neiges. Ces chats sont grands comme des chèvres, leurs griffes acérées et leurs crocs tranchants sont des armes redoutables. Campak sauva la princesse et y laissa la vie.
Le second garde, Méliak le hardi vola de la nourriture dans le nid d’un aigle géant. Il put ainsi nourrir la princesse et ses compagnons qui mouraient de faim, mais l’aigle se vengea en l’emportant dans les airs et en le projetant contre la montagne.
Le troisième garde, Eskelpel le vif se sacrifia lui aussi pour permettre à la princesse de poursuivre son voyage. Il y avait un pont de pierre que le temps avait fragilisé. Eskelpel le traversa en courant et en tenant un grappin accroché à une corde. Malgré sa vitesse, le pont s’écroula sur ses pas, et il n’eut que le temps de lancer le grappin avant de sombrer dans le vide.
La princesse et le garde restant durent traverser en s’accrochant à cette unique corde.
Le dernier garde, Gélino le furtif repéra un groupe de démons des pierres. Afin de détourner leur attention de la princesse il s’élança vers eux en les interpellant. Les démons, furieux, se jetèrent à sa poursuite. Gélino les entraîna le plus loin possible, mais il fut rattrapé et déchiqueté. La princesse cependant était passée inaperçue.
Nimbayé n’était plus très loin du domaine du dieu blanc, mais elle était seule, en haillons, épuisée, émaciée par la faim et le danger. Pourtant elle n’avait que de pieuses pensées envers le dieu blanc.
Les Hauts Sommets sont balayés par des souffles impensables, là-haut les démons du vent jouent sans contrainte. La pauvre princesse marchait avec difficulté, penchée en avant, luttant à chaque pas. Elle était à peine plus qu’un fétu de paille tant elle était frêle, mais sa foi lui permettait de tenir bon. Agacés, les démons du vent soufflèrent plus forts, au point de déplacer des pierres. L’éboulement entraîna la princesse. La pauvre enfant crut qu’elle allait mourir sans avoir pu accomplir sa mission, mais le sac qui contenait le cadeau pour le dieu blanc s’accrocha à un roc et cela lui sauva la vie. Nimbayé réussit à escalader la paroi rocheuse, mais le sac se déchira et le joyau disparut dans l’abîme.
Nimbayé se présenta malgré tout au dieu blanc. Certains disent que c’est un géant à la peau pâle. Ses sourcils et sa barbe sont fournis. Ses cheveux sont de glace. Son haleine exhale le froid. Quand il secoue les mains, de la neige tombe de ses doigts.
— Que m’apportes-tu, princesse Nimbayé, comme offrande digne d’un dieu ? tonna le dieu blanc.
La princesse n’avait plus le cadeau, alors humblement elle s’agenouilla.
— Ô puissant dieu blanc, roi de l’hiver bienfaisant, maître des glaces miroitantes, je ne sais si mon cadeau te satisfera, mais je n’ai plus que ma vie à t’offrir et sache que je te l’offre avec joie.
Sur ces paroles pleines de piété, elle se planta un couteau dans le cœur.
Le dieu blanc fut ému par le sacrifice de Nimbayé. Il souffla dans ses narines avant qu’elle ne meure et en fit l’Esprit des Glaces, celui qui guide les voyageurs perdus dans les tempêtes.
Le dieu blanc agréa l’offrande de la princesse, il pardonna aux hommes et répandit l’hiver sur le Royaume des Monts.
Les suivantes, Binti et Vayamaté, devinrent alors les premières prêtresses itinérantes du dieu blanc et répandirent l’histoire de la princesse Nimbayé. Les Fils du Givre louèrent le dieu blanc et organisèrent une grande procession en son honneur.
À la place du roi Paramal, on ne trouva sur son trône qu’une statue de glace qui fondit au printemps. Quand le dernier glaçon se fut évaporé, un nouveau roi monta sur le trône.
Plus jamais les Montagnards ne manquèrent de respect au dieu blanc et les ménestrels n’oublièrent jamais de raconter le courage et la piété de la princesse Nimbayé.

   Le ménestrel se tut et pendant quelques instants la magie du conte flotta dans l’air, laissant les villageois aussi silencieux que des enfants sages.
— Loué soit le dieu blanc pour ses bienfaits, chevrota la doyenne du village avec respect.
— Loué soit le dieu blanc, reprirent les villageois craintivement.
Le conteur laissa passer encore quelques secondes, puis il dit d’une voix douce :
— Voulez-vous que je vous raconte l’histoire de l’Étranger sage ? Comment, venu du Royaume des Plaines, il est arrivé jusque chez nous, comment le dieu blanc le sauva et fit de lui le héraut de l’hiver ?
— Oui, raconte-nous cela, conteur, et bien d’autres encore car l’hiver est là pour un moment encore.
« Modifié: 26 février 2024 à 09:42:56 par Marie Czarnecki »
Les mots, "ces passants mystérieux de l'âme", sont de grands magiciens et de redoutables entraîneurs de foules. (Raymond Poincaré)

Hors ligne Basic

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Re : La colère du dieu blanc (mythologie)
« Réponse #1 le: 26 février 2024 à 08:48:43 »
Bonjour

ah, que ne vont pas inventer les religions pour cadrer les peuples !

J'ai bien aimé ce conte, description, ambiance générale, tonalité... nous sommes dans l'écrit mais tu parviens à nous laisser entrevoir la personnalitè du conteur ( un gars qui fait du commerce, quoi)

des bricoles

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.


B
Tout a déjà été raconté, alors recommençons.

Page perso ( sommaire des textes sur le forum) : https://monde-ecriture.com/forum/index.php?topic=42205.0

blog d'écriture : https://terredegorve.blogspot.com/

Hors ligne Marie Czarnecki

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Re : La colère du dieu blanc (mythologie)
« Réponse #2 le: 26 février 2024 à 09:44:04 »
Merci Basic pour ta relecture attentive.
Je suis contente d'avoir réussi à donner un côté visuel à mon histoire.
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Hors ligne jonathan

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Re : La colère du dieu blanc (mythologie)
« Réponse #3 le: 26 février 2024 à 13:25:10 »
Bonjour. Un petit coté "Monde de Narnia - La Sorcière Blanche" Joli texte, j'ai bien aimé et pis moi, j'adore les contes étant encore un grand petit enfant.  ;)
Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur... [Pierre Augustin Caron de Beaumarchais]
Le silence est l'expression la plus parfaite du mépris... [G.B. Shaw]
-----------------------------------------------------------
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Hors ligne Delnatja

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Re : La colère du dieu blanc (mythologie)
« Réponse #4 le: 27 février 2024 à 09:50:03 »
Bonjour Marie Czarnecki, j'ai bien aimé ton texte, mais il faudrait que tu aères un peu, car c'est un gros pavé et cela peut faire peur. C'est peut-être pour cela que tu as peu de commentaire.
Belle journée.
Michèle

Hors ligne Marie Czarnecki

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  • Messages: 38
Re : Re : La colère du dieu blanc (mythologie)
« Réponse #5 le: 01 mars 2024 à 19:26:25 »
Bonjour Marie Czarnecki, j'ai bien aimé ton texte, mais il faudrait que tu aères un peu, car c'est un gros pavé et cela peut faire peur. C'est peut-être pour cela que tu as peu de commentaire.
Belle journée.
Bonjour Delnatja. C'est un élément dont je n'avais pas tenu compte. La présentation sur le site demande effectivement plus d'aération. Merci du conseil.
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Hors ligne Joachès

  • Calliopéen
  • Messages: 480
Re : La colère du dieu blanc (mythologie)
« Réponse #6 le: 06 mars 2024 à 17:54:41 »
Ton texte est original. J’aime bien ce genre d’historiennes, même si je ne suis pas du tout amateur du sujet religieux. J’ai été un peu surpris par la manière dont tu as amené le récit du ménestrel, du moins le passage entre ton texte et le récit de l’homme de l’art.

Hors ligne Marie Czarnecki

  • Tabellion
  • Messages: 38
Re : Re : La colère du dieu blanc (mythologie)
« Réponse #7 le: 06 mars 2024 à 19:02:51 »
Ton texte est original. J’aime bien ce genre d’historiennes, même si je ne suis pas du tout amateur du sujet religieux. J’ai été un peu surpris par la manière dont tu as amené le récit du ménestrel, du moins le passage entre ton texte et le récit de l’homme de l’art.

Merci pour ton retour Joachès. Tu dis avoir été surpris, est-ce que tu peux expliquer en quoi et si c'est une surprise positive, négative ou neutre ?
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