«- “ On peut très bien se réveiller un jour et voir que tout est perdu, que tout est à recommencer. On a l’aube en pleurs. ” C’est une citation de votre dernier livre qui s’intitule “ J’ai peur de la Toussaint ” et c'est pour moi un plaisir et un honneur de vous accueillir parmi nous ce soir Maude d’Emblée pour la parution de votre dernier ouvrage. J’aimerais beaucoup, pour commencer, que vous développiez sur cette formulation : “ l’aube en pleurs ”. D’où vous est venue cette expression qui revient d’ailleurs à plusieurs reprises dans votre livre, qui est d’ailleurs, on peut le dire, plutôt un essai, un regard sur le monde d’aujourd’hui, n’est-ce-pas ?
- Oui, bonjour, oui un essai peut-être, ce n’est certes pas un roman au sens strict.
- Ce n’est pas non plus une pièce de théâtre au sens strict.
- Non, non plus. Ce n’est pas de la poésie non plus.
- Oui mais quand même, il y a des fulgurances poétiques. L’aube en pierre… euh en pleurs (rire) c’est un lapsus que je fais-là.
- Oui c’est possible qu’il y ait là du lapsus. La pierre c’est ce qui ne change pas chaque matin.
- Exactement, c’est ce que je voulais dire et c'est aussi ce qu’en pleurs signifie finalement, on pleure d’avoir à refaire car dans le fond rien ne change jamais. N’est-ce-pas ce que vous développez dans votre livre ?
- C’est une façon de le voir je suppose.
- Et tout est parti de cette peur de la Toussaint que vous exprimez très singulièrement d’ailleurs. C’est venu d’une fête d’Halloween où vous avez été déguisée, contre votre gré, en escargot, et, fortement ralentie par le costume qui vous obstruait aussi la vue, vous avez perdu votre groupe. On peut même dire qu’ils vous ont abandonnés, vous ne le dîtes pas vraiment mais on comprend que c’est ce qu’il s’est passé, n’est-ce-pas ?
- C’est vrai que je ne le dis pas. Je préfère sans doute m’en tenir à ce que je voyais depuis ma coquille. Je n’ai pas vu qu’ils m’abandonnaient, je n’ai pas vu l’agissement de l’abandon, l’acte posé comme tel, j’ai juste senti au fond de moi que j’étais seule, terriblement seule.
- C’est affreux, c’est vraiment une histoire affreuse. Et cela ne s’arrête pas là, vous avez continué à avancer et vous avez pénétré, sans vous en apercevoir, dans les bois.
- Oui c’est ça, sans m’en rendre compte je suis rentrée dans les bois.
- Et le problème était que vous ne pouviez pas enlever le déguisement toute seule à cause d’une espèce de fermeture éclair c’est bien cela ?
- Oui c’est tout à fait juste, la fermeture éclair, telle qu’elle était conçue, m’empêchait d’être autonome de ce point de vue là.
- C’était très régressif finalement comme expérience.
- On peut le dire ainsi je suppose.
- Donc à un moment vous vous êtes sentie en insécurité.
- Oui, j’étais clairement insécurisée. Je pensais être retournée sur mes pas mais jamais je n’aurais imaginé avoir pénétré dans la forêt. J’étais complètement désorientée. J’ai crié…
- C’est ça, j’avais oublié cette partie là, vous avez crié et personne n’a répondu à vos appels.
- Non, personne, en même temps je ne savais pas si le son passait très bien à travers le déguisement. Et puis tout le monde crie à la fête d’Halloween, cela ne veut plus rien dire, c’est un signal parasité.
- Et finalement vous avez passé la nuit dehors, toute seule, dans la forêt, et ce n’est qu’au matin que l’on vous a retrouvée.
- Eh oui…
- Mais ce qu’il y a de formidable c’est que suite à cette mésaventure, vous êtes devenue écrivaine.
- Oui, je me suis racontée des histoires toute la nuit pour ne pas céder à la terreur.
- Et c’est ce tournant que vous racontez dans ce livre, c’est les prémisses, c’est finalement l’aube de votre carrière, une aube qui s’est faite dans les pleurs justement.
- Oui, on peut dire ça. Je suis partie de cette anecdote, donc d’un évènement qui m’est personnel, et j’ai développé à partir de ça pour tendre vers un discours dans lequel d’autres, j’espère, pourront se reconnaitre.
- C’est merveilleux. Je vois une main qui se lève dans l’assistance, un monsieur, oui monsieur levez-vous s’il vous plaît, on va vous apporter un micro. Voilà. Nous vous écoutons.
- Bonjour. Je m’appelle Didier, je suis policier, récemment retraité. C’est ma femme qui m’a offert votre livre pour la Noël et ça m’a complètement retourné j’dois dire. C’est fou parce qu’au moment où j’ai commencé à le lire j’étais sur une enquête qui prenait pas. C’est des choses qu’arrivent bien sûr, mais là c’était ma dernière, à quelques jours de la retraire, ça me foutait le cafard. Pour vous expliquer rapidement, je devais retrouver un chien, un racé, qu’avait disparu d’un élevage. Un chien avec des pedigrees, qu’avait gagné des concours et tout. On est parti sur la piste d’un enlèvement, c’est assez fréquent malheureusement j’dois dire. Mais ça donnait rien. Et puis, croyez-le ou nous, c’est votre livre qui m’a éclairé. À un moment vous écrivez “ qui a laissé la fenêtre ouverte ? ” et paf ! Ça m’est apparu tout de suite. On a fait croire à un recel de chien mais c’est le chien qu’est parti de son plein gré et qui nous a mené sur une fausse piste. Comme je vous expliquais c’était un chien racé avec les pedigrees, c’était pas n’importe quoi. Donc voilà quoi, je voulais vous remercier. J’ai pu partir à la retraite l’esprit tranquille grâce à vous.
- Quel témoignage saisissant ! C’est fou l’effet d’une lecture sur la vie des gens, c’est fou comme ça nous parle, comme ça résonne en nous. Qu’est-ce-que ça vous fait d’entendre ça ? Je vois monsieur qui pleure d’émotion dans la salle.
- Oui c’est… Effectivement on ne peut pas anticiper ce genre de résonance comme vous dîtes. C’est des coïncidences qui paraissent magiques. Oui, forcément cela me touche. Je crois que ça renvoie à ce que j’ai voulu faire passer comme message dans ce livre à savoir que c’est la peur qui donne l’aube en pleurs. Quand on a peur de ne pas réussir, de ne pas changer, quand on est sans cesse harcelé par les mêmes idées, par cette pénibilité du quotidien, on en vient à déprimer. On a l’impression qu’on n’avance pas, comme moi l’escargot. Et finalement on se met à avoir peur de la vie elle-même, et donc de la fête, de cette grande fête qu’est la vie et que nous pourrions célébrer chaque jour.
- Merci beaucoup Maude d’Emblée, avant que nous nous quittions pour ce soir, est-ce-que vous travaillez actuellement sur un nouveau projet ?
- Alors oui, je suis sur un projet littéraire et sociologique autour de la sécurité collective à partir de l’étude des bouches d’incendie.
- Splendide, nous serions très heureux de vous accueillir de nouveau ici lorsque ce projet verra le jour. L’émission des Livres en Short c’est fini pour aujourd’hui, rendez-vous la semaine prochaine où nous recevrons Manuel d’Envers pour son premier roman “ Gracieux comme un hippopotame bourré ”.
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