Le Monde de L'Écriture – Forum d'entraide littéraire

28 mai 2023 à 17:40:42
Bienvenue, Invité. Merci de vous connecter ou de vous inscrire.


Le Monde de L'Écriture » Encore plus loin dans l'écriture ! » L'Aire de jeux » Défis Tic-Tac » Lucas et Mélanie [Défi Tic-Tac 01.02.23]

Auteur Sujet: Lucas et Mélanie [Défi Tic-Tac 01.02.23]  (Lu 290 fois)

Hors ligne Rémi

  • ex RémiDeLille
  • Modo
  • Vortex Intertextuel
  • Messages: 9 506
Lucas et Mélanie [Défi Tic-Tac 01.02.23]
« le: 01 février 2023 à 22:07:15 »
Bon, une heure d'écriture assez intense... C'est pas relu, désolé si y a des coquilles ^^
Pas forcément un texte de ouf, mais j'ai tenté un truc et ça fait du bien d'écrire.


Lucas et Mélanie

Lucas pose son front contre la vitre, les yeux grand ouverts. Là-haut, les nuages se sont amassés, noirs et lourds. La haie d’aubépine frémit puis s’agite ; voilà, la première goutte s’écrase sur le verre. Lucas se recule un peu. Les gouttes crépitent sur la terrasse et foncent obliquement sur la baie vitrée. Le paysage se brouille, se déforme et l’eau dégouline devant le jeune homme qui sourit. Les gouttes se rejoignent, se fondent, se séparent en dévalant la surface verticale ; elles dessinent des ramifications, des chemins, des rues avec leurs carrefours, des flux rapides et d’autres plus hésitants. Dans sa poitrine, Lucas sent les palpitations de son cœur : cette carte vivante fait gicler l’adrénaline dans ses veines. Il se détourne du spectacle et se place face au mur de son salon.
Là, ce sont plusieurs cartes de papier qui sont punaisées les unes à côté des autres, avec les mêmes routes, chemins et intersections que celles qui vivent sur la grande baie vitrée à côté. L’eau tambourine et Lucas se mord les lèvres, son cœur frappe fort. Ses cartes de papier sont pleines de vie, elles aussi. Des punaises de couleur marquent les endroits où il a entendu parler d’elle, les endroits où il sait qu’elle a déjà habité, ceux qu’elle a fréquentés (son école, son université, son ancien club de volley, le fast-food où elle a bossé pendant ses études). Des flèches, des notes, des post-it sous certaines villes, avec des questions non résolues.
Sept ans qu’il l’a perdue de vue.

*

Mélanie se presse, referme les pans de son long manteau contre ses flancs : le vent a forci, il va bientôt pleuvoir. Elle commence à trottiner mais n’échappe pas à l’averse. Elle entre dans le club de tir, se rend directement aux vestiaires, détache sa queue de cheval et secoue la tête. Une myriade de gouttelettes s’envole. Mélanie pose son sac, en sort la petite serviette qui sert habituellement à s’essuyer les mains et se tamponne le visage. Elle renoue ses cheveux, se tapote les joues et sort l’étui de son arme.
Depuis cinq ans, elle s’entraîne au tir. La faute aux connards. Pas qu’elle veuille leur tirer dessus, non, mais se savoir puissante et précise l’aide à traverser la ville la tête haute. L’ironie du truc, c’est qu’elle ne quitte son village et ne traverse la ville que pour venir au club.
Mélanie s’assied sur le banc de bois et démonte les pièces maitresses de son revolver. Elle vérifie la propreté et le graissage de chaque élément. Une fois de plus. Comme elle l’a fait avant de sortir de son appartement. Elle attrape le carton de balles et son casque de protection auditive avant de se diriger vers la zone de tir. Pas grand monde à cette heure-ci. Tant mieux, Mélanie est solitaire.
À trop souffrir, on évite les gens. Et Mélanie ne voit que la souffrance, lorsqu’elle ferme les yeux. Les coups, la main sur la bouche, le tissu déchiré… Elle dégaine son arme et met en joue la cible au bout du couloir de tir.

*

Depuis toutes ces années, Lucas se répète les mots qu’elle a prononcés : « C’est vraiment chouette de ta part de m’avoir tiré de cette embrouille. Il faudra qu’on aille boire un verre un de ces jours, je te trouve trop sympa. » Sur le moment, il était resté bouche bée, se demandant si elle allait l’embrasser avant de tourner les talons. Mais non. Elle avait juste posé sa main contre son épaule, lui avait fait un dernier sourire avant de disparaître dans ce bus rouge et noir. Les images repassent dans sa tête : les deux crétins qui la sifflent et la bousculent, lui qui s’interpose, les deux phrases qu’elle prononce, le bus rouge et noir… et puis plus rien.
Jusqu’à ce qu’il la revoit, quelques semaines plus tard. Après avoir passé des heures et des heures au troquet du coin à regarder l’arrêt de bus, à guetter une éventuelle réapparition. Lucas avait cru mourir lorsqu’enfin il l’avait vue s’asseoir sur le banc en plastique sous l’abri de verre. Il pleuvait ce jour-là et les gouttes dessinaient des enchevêtrements sur la vitre des panneaux publicitaires. Bien sûr, il ne s’était pas montré. Oh non ! Caché au fond du bus, il avait regardé sa nuque sous sa queue de cheval pendant les dix-sept minutes qu’avait duré le trajet jusqu’au pied de son immeuble. Enfin, il connaissait son nom et son adresse.
Lorsqu’après un mois de réflexion, il avait enfin trouvé les mots qu’il pourrait prononcer pour l’aborder, il avait soigneusement peigné sa tignasse, repassé une chemise et il s’était rendu au pied de l’immeuble de la cité des violettes.
Mélanie n’habitait plus là. La quête commença.

*

La cible revient vers Mélanie dans un petit bruit de frottement qu’elle n’entend pas, avec son casque sur les oreilles. Cinq coups au but et les trois autres ne sont pas bien loin du centre. Mélanie préfère les cibles à ronds concentriques aux silhouettes de bonhommes. Elle aime se persuader qu’elle pratique le tir pour le sport, pour la concentration, pour se donner confiance en elle. Que jamais elle n’utilisera son arme en dehors du club. Mais ce soir, elle n’a pas bien compté. Il reste une balle dans le chargeur.

*

Lucas n’a pas payé cher le renseignement qu’il attendait depuis des mois. Un simple billet de dix euros et la promesse d’un deuxième au type qui fait le ménage de la bibliothèque, contre la nouvelle adresse de Mélanie. Des billets de dix contre une information, il en a déjà gaspillé des poignées. Avec son air perdu, lorsqu’il s’adresse à un paumé en promettant de doubler la mise s’il lui donne l’adresse d’une fille à queue de cheval, forcément on l’a dupé plus d’une fois. Mais aujourd’hui, le gars lui a même envoyé une copie de la carte de membre de Mélanie. Lucas reste scotché devant sa messagerie et se demande comment elle a atterri dans ce bled aussi loin de la ville. Lorsqu’il a sillonné le secteur, ça lui paraissait complètement impossible qu’elle ait choisi de s’installer dans ce coin paumé. Le village le plus gros étant doté d’une épicerie, d’une boulangerie et d’une bibliothèque, il avait distribué trente euros.
Alors, ça y est, il va la revoir. Les mots sont prêts, ils tourbillonnent dans sa tête depuis si longtemps. Encore l’adrénaline. Lucas se mâchouille les lèvres. Il se regarde une dernière fois dans la glace : cheveux, chemise, veste.

*

Mélanie gare sa voiture à quelques pas de la bibliothèque, passe devant l’épicerie puis la boulangerie. Impossible de stationner devant chez elle, la rue fait un virage serré que les bus  ont bien mal à emprunter sans grimper sur le trottoir.
Arrivée devant la chapelle, elle entend les pas qui résonnent derrière elle. À vrai dire, elle les entend depuis la bibliothèque.  Un lampadaire clignote au-dessus de sa tête.  Elle se retourne en serrant son sac contre son ventre. Un grand type est là, avec une chemise ridicule et des cheveux gominés plaqués sur le crâne.
— Mélanie…
La bouche de Lucas se met à trembler, ses yeux s’écarquillent.
— Mélanie, répète-t-il, incapable de prononcer les mots qui coincent dans sa gorge.
Mélanie recule, son appartement n’est qu’à quelques mètres. Le type a un filet de bave qui commence à déborder du coin de sa bouche.
— Mélanie… Je suis gentil.
Lucas ne sait pas pourquoi il a dit ça. Ce n’est pas ce qui était prévu.
— Je suis trop sympa.
Mais non ! Ce ne sont pas les phrases préparées. Lucas se frappe la tête. Mélanie recule encore et le type face à elle tend les bras. Il produit des sons inarticulés. Alors, elle fouille dans son sac, ouvre l’étui et en sort le revolver.
— N’approchez pas, je suis armée !
— Je suis là pour te défendre, Mélanie.
Lucas pousse un grognement. Ça cogne dans sa poitrine, ça tape derrière ses tempes. Mélanie est là, juste devant lui, avec sa frange et ses yeux noisettes. Effrayée, comme la fois où il l’a vue, avant qu’elle ne prenne le bus.
— N’ai pas peur, je vais te protéger, te prendre dans mes bras.
Lucas n’a jamais été aussi près du bonheur. Il écarte ses grosses mains, son sourire s’étale sur son visage et il se précipite sur la femme armée face à lui. La Mélanie dont il rêve depuis des années.
Mélanie fait un dernier pas en arrière, se prend les talons dans les pavés. Le coup part.

La pluie se remet à tomber, comme si le coup de feu avait été un coup de tonnerre. Les gouttes lourdes s’écrasent sur le visage de Lucas, mouillent ses yeux tandis que le sang s’écoule de chaque côté de sa bouche.
« Modifié: 05 février 2023 à 10:24:02 par Rémi »
Le paysage de mes jours semble se composer, comme les régions de montagne, de matériaux divers entassés pêle-mêle. J'y rencontre ma nature, déjà composite, formée en parties égales d'instinct et de culture. Çà et là, affleurent les granits de l'inévitable ; partout les éboulements du hasard. M.Your.

Hors ligne Aponiwa

  • Grand Encrier Cosmique
  • Messages: 1 491
Re : Lucas et Mélanie [Défi Tic-Tac 01.02.23]
« Réponse #1 le: 01 février 2023 à 22:46:47 »
Salut Rémi,

Encore un super tic-tac, très chouette ce texte. On suit les deux personnages, chacun de leur côté, avec un vieux sentiment de malaise. Petit à petit, tu glisses des éléments.
Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.

Citer
— Mélanie… Je suis gentil.
:D
Au secours!

Juste un détail :
Citer
Dans sa poitrine, Lucas sent les palpitations de son cœur, cette carte aquatique vivante fait gicler l’adrénaline dans ses veines.
Je trouve la phrase un peu bancale, peut-être avec un adjectif de moins (cette carte vivante/aquatique dans les deux cas on sait que c'est de l'eau et qu'elle "vit" puisqu'elle fait gicler l'adrénaline), je sais pas, à l'oreille ça me branche moins que le reste...

En tout cas, chapeau!
Merci pour ce texte! :)

Edit : après réflexion, le rapport avec le titre est assez sibyllin...  ;)
« Modifié: 02 février 2023 à 10:33:17 par Aponiwa »
« De quoi les gens se soucient-ils depuis leurs langes ? De trouver quelqu’un qui définisse le bonheur et les enchaîne. » Evgueni Zamiatine, Nous

Hors ligne BeeHa

  • Prophète
  • Messages: 704
Re : Lucas et Mélanie [Défi Tic-Tac 01.02.23]
« Réponse #2 le: 02 février 2023 à 16:13:12 »
Salut Rémi,

Citer
À trop souffrir, on évite les gens.
Ca me parle beaucoup ça.

J'ai bien aimé comment tu amenais l'histoire et les différents éléments en parallèle.

Merci pour ton partage ~
“A faint clap of thunder;
Clouded skies;
Perhaps rain comes – if so, will you stay here with me?”

“A faint clap of thunder;
Even if rain comes not;
I’ll stay here, together with you…”

Hors ligne Cendres

  • Palimpseste Astral
  • Messages: 3 478
Re : Lucas et Mélanie [Défi Tic-Tac 01.02.23]
« Réponse #3 le: 02 février 2023 à 18:26:01 »
Merci pour ton texte.

Il est long malgré le temps que tu as eu pour le faire, le sujet a du t'inspiré.

Lucas est très maladroit comment il parle a Mélanie, c'est normal qu'elle a peur. En plus il veut la prendre dans ses bras.

Intéressant de réunir deux personnages, et deux histoire, dans un récit. Même si on se doute qu'ils vont se rencontrer.

Hors ligne Rémi

  • ex RémiDeLille
  • Modo
  • Vortex Intertextuel
  • Messages: 9 506
Re : Lucas et Mélanie [Défi Tic-Tac 01.02.23]
« Réponse #4 le: 02 février 2023 à 20:48:48 »
Merci à vous trois pour vos commentaires ; oui, on devine très tôt ce qui va se passer, et oui le texte n'est pas super raccord avec la couverture et le titre (j'ai eu l'idée que Lucas amène un bouquet de fleurs à Mélanie et j'ai oublié de caser ce truc à la fin ^^).

Ah, et je suis d'accord que l'adjectif "aquatique" est de trop ;)

Citer
À trop souffrir, on évite les gens.
Ca me parle beaucoup ça.
Oui, ça doit être le truc le plus réussi du texte :)
(c'est d'ailleurs là que se cache l'invisibilité... les deux persos sont très seuls, invisibles pour le reste du monde)

A+
Rémi
Le paysage de mes jours semble se composer, comme les régions de montagne, de matériaux divers entassés pêle-mêle. J'y rencontre ma nature, déjà composite, formée en parties égales d'instinct et de culture. Çà et là, affleurent les granits de l'inévitable ; partout les éboulements du hasard. M.Your.

En ligne Luna Psylle

  • Calame Supersonique
  • Messages: 2 328
  • Luna, fille de Psylle
    • Page perso du Monde de l'Ecriture
Re : Lucas et Mélanie [Défi Tic-Tac 01.02.23]
« Réponse #5 le: 03 février 2023 à 08:28:56 »
Salut !

Pour la forme :

Citer
les endroit où il sait qu’elle a déjà habité,
endroits

Citer
Elle attrape le carton de balles et son casque de protection auditive et se dirige vers la zone de tir.
je trouve la suite de et maladroite. Manque peut-être une virgule ou quelque chose pour éclaircir.

Citer
Pas grand monde à cette heure-ci, tant mieux, Mélanie est solitaire.
Ici, je trouve qu'il y a un soucis de ponctuation : pour moi, tant mieux sonnerait mieux avant ou après un point.
Ex : Pas grand monde à cette heure-ci. Tant mieux, Mélanie est solitaire.

Citer
Et Mélanie ne voit que la souffrance, lorsqu’elle ferme les yeux.
Je trouve que la virgule est en trop.

Citer
les deux crétins qui la sifflent et la bouscule
bousculent

Citer
La cible revient vers Mélanie dans un petit de frottement qu’elle n’entend pas,
un petit de frottement ?

Citer
Effrayées, comme la fois où il l’a vue, avant qu’elle ne prenne le bus.
Effrayée ou effrayés ? les deux se valent, mais j'arrive pas à rattacher effrayées.

Sur le fond :

J'ai chipoté, mais en vrai, cette histoire est sympa. Enfin... je sais pas si le mot est sympa pour un mec qui donne des billets à tout-va pour retrouver une fille, une inconnue de surcroît. J'ai eu du mal à accrocher au début, j'étais un peu larguée. Et puis, ça se dénoue petit à petit, jusqu'au final qu'on n'aurait pas imaginé autrement.

Une bonne journée à toi !
If the day comes that we are reborn once again,
It'd be nice to play with you, so I'll wait for you 'til then

En ligne Basic

  • Calame Supersonique
  • Messages: 1 692
Re : Lucas et Mélanie [Défi Tic-Tac 01.02.23]
« Réponse #6 le: 04 février 2023 à 07:58:35 »
Bonjour Remi

j'ai bien aimé toutes tes phases descriptives, les lignes que tu as tirées le long du texte avec l'eau et son aspect graphique, lignes, cartes, dynamique des gouttes etc
Je me dis ça souvent quand je lis tes textes plus longs,  "tiens, si on avait une description là , purée le diable de Remi sait bien faire ça mais là, y 'en a pas." C'est mon côté contemplatif, ou mon côté peintre du dimanche, moi, qui ne suit pas peintre... t'es t'y pas un peu peintre ?

B
Tout a déjà été raconté, alors recommençons.

Page perso : https://monde-ecriture.com/forum/index.php?topic=42205.0

blog d'écriture : https://terredegorve.blogspot.com/

Hors ligne Rémi

  • ex RémiDeLille
  • Modo
  • Vortex Intertextuel
  • Messages: 9 506
Re : Lucas et Mélanie [Défi Tic-Tac 01.02.23]
« Réponse #7 le: 05 février 2023 à 10:28:38 »
Salut Luna et Basic :)

J'ai corrigé les coquilles, merci pour ton relevé, Luna. Y a juste une virgule que tu trouvais de trop que j'ai gardée finalement.

Et oui, je suis un peu peintre, quand j'ai un peu de temps (dernièrement, je préfère la gravure en fait). Dans mes textes courts, et notamment en tic-tac, je me laisse porter et les descriptions sortent toutes seules. Faut croire que quand j'écris vite, quand je cherche l'idée en même temps que la formulation, et ben mon cerveau est plus lyrique ^^
Bref, faut effectivement que je réussisse à trouver cette spontanéité visuelle dans certains passages de mes textes longs (quand j'écris en nano, ça marche déjà mieux, sous la pression du chrono).

Merci de vos retours,
à bientôt,
Rémi
Le paysage de mes jours semble se composer, comme les régions de montagne, de matériaux divers entassés pêle-mêle. J'y rencontre ma nature, déjà composite, formée en parties égales d'instinct et de culture. Çà et là, affleurent les granits de l'inévitable ; partout les éboulements du hasard. M.Your.

 


Écrivez-nous :
Ou retrouvez-nous sur les réseaux sociaux :
Les textes postés sur le forum sont publiés sous licence Creative Commons BY-NC-ND. Merci de la respecter :)

SMF 2.0.19 | SMF © 2017, Simple Machines | Terms and Policies
Manuscript © Blocweb

Page générée en 0.019 secondes avec 19 requêtes.