Voici une petite anthologie de la poésie à l’époque des Thang.
J’espère qu’elle vous plaira assez pour pouvoir en parler.
Bonne lecture

À+
Versus.
* * *
Li Po (701-762)À Nan-kingToi qui vis tour à tour grandir et périr six royaumes,
Je veux, en buvant trois tasses, t’offrir aujourd’hui quelques vers.
Tes jardins sont moins grands que ceux du pays de Thsin,
Mais tes collines sont belles, comme celles de Lo-yang au sol montagneux.
Ici fut la demeure antique du roi de Ou. L’herbe fleurit en paix sur ses ruines.
Là, ce profond palais des Tsin, somptueux jadis et redouté.
Tout cela est à jamais fini, tout s’écoule à la fois, les événements et les hommes,
Comme ces flots incessants du Yang-tseu-kiang, qui vont se perdre dans la mer.
En bateauUn bateau de cha-tang avec des rames de mou-lan
De jeunes musiciennes sur les bancs, avec des flûtes d’or et de jade ;
Du vin exquis dans des coupes mille fois remplies ;
Emmener avec soi le plaisir, et se laisser porter par les flots.
Les immortel m’attendent, montés sur leurs cigognes jaunes,
Tandis qu’insouciant et tranquille, je vogue au milieu des mouettes blanches.
Les sublimes inspirations de Kio-ping nous restent comme un monument qui s’élève à la hauteur des astres ;
Que sont devenus les tours et les pavillons du roi de Tsou, jadis accumulés sur ces collines désertes !
Quand l’ivresse m’exalte, j’abaisse mon pinceau, j’ébranle de mes chants les cinq montagnes sacrées,
Je suis joyeux et je suis fier, je me ris de toutes les grandeurs.
Puissance, richesse, honneurs, quand vous serez d’assez longue durée pour que je vous estime,
On verra donc le fleuve Jaune partir de l’Occident pour couler vers le Nord.
Le retour des beaux joursDans cet immense palais, dont les pavillons percent l’azur du ciel,
Dont les colonnes étincelantes sont entourées de dragons d'or,
Derrière les stores qui se soulèvent, de belles jeunes filles, fêtant le beau soleil,
Font parler sous leurs mains délicates l’harmonie des cordes et des pierres sonores.
L’air qu’elles jouent, le souffle du printemps le porte aux oreilles du prince,
Cet air, c’est celui de la chanson « Hâtons-nous de jouir ».
On sort, on s’embarque sur le grand lac, pour aller visiter ses îles verdoyantes ;
L’eau monte et jaillit à la proue des barques rapides, couvertes de tentes aux brillantes couleurs.
Trois mille jeunes filles, d’une beauté parfaite, offrent le tribut de leurs jeux et de leurs rires,
Elles frappent des cloches ; elles battent le tambour ;
Elles font un bruit à croire que le palais s’écroule.
Le peuple aussi se réjouit au-dehors ; il danse, il chante l’hymne de la paix.
Le maître contemple son ouvrage :
Le calme et le bonheur de tous.
Les trente-six empereurs immortels viennent au-devant de lui pour l’inviter à les rejoindre.
Ils voltigent çà et là dans l'air, en abaissant leurs chars de nuées.
Mais l’empereur ne nous abandonne pas,
Il ne quitte point son heureuse capitale.
Voudrait-il, comme Hoang-ti,
Partir sans nous pour les demeures célestes !
Moi, son humble sujet, je lui crie : Vivez aussi longtemps que le (mont) Nan-chan !
Et vive à jamais la renommée de votre grand nom !
Strophes improviséesI
(Voit-il) des nuages, (il) pense à (sa) robe ; (voit-il) des fleurs, (il) pense à (son) visage.
Le vent du printemps souffle sur la balustrade embaumée ; la rosée s’y forme abondamment.
Quand ce n’est pas au sommet du Yu-chan (qu’il l’) aperçoit,
C’est dans la tour Yao-taï (qu’il la) retrouve, sous les rayons de la lune
II
Une branche, toute chargée de fleurs, acquiert un parfum plus suave encore sous l’influence de la rosée.
La fée des nuages et de la pluie ne saurait éveiller ici des regrets.
Eh ! je vous le demande, quel souvenir évoquer dans ce palais qui puisse entrer en parallèle ?
La séduisante Fey-yen, peut-être, mais encore après qu’elle eut changé d’habits.
III
La plus célèbre des fleurs et la plus enchanteresse des femmes s’unissent pour charmer les regards ;
Elles font qu’un sourire joyeux ne s’efface jamais sur un visage auguste.
Si le printemps s’écoule et s’en va, que (lui) importe ?
Appuyée, du côté du nord, sur la balustrade aux douces senteurs.
Un jour de printemps,
le poète exprime ses sentiments au sortir de l’ivresseSi la vie est comme un grand songe,
À quoi bon tourmenter son existence !
Pour moi je m’enivre tout le jour,
Et quand je viens à chanceler, je m’endors au pied des premières colonnes.
À mon réveil je jette les yeux devant moi :
Un oiseau chante au milieu des fleurs ;
Je lui demande à quelle époque de l’année nous sommes.
Il me répond : À l’époque où le souffle du printemps fait chanter l’oiseau.
Je me sens ému et prêt à soupirer,
Mais je me verse encore à boire ;
Je chante à haute voix jusqu’à ce que la lune brille,
Et à l’heure où finissent mes chants, j’ai de nouveau perdu le sentiment de ce qui m’entoure
Le palais de Tchao-yang La neige ne charge plus les branches de l’abricotier ;
Le souffle du printemps renaît parmi les rameaux du saule.
Les chants amoureux de l’oiseau yng portent l’ivresse dans les sens ;
L’hirondelle est de retour et voltige au bord des toits, en poussant son petit cri.
C’est le temps des longs jours, c’est le temps où le soleil éclaire la natte des joyeux convives ;
C’est le temps où fleurs nouvellement écloses et danseuses élégamment parées se font valoir mutuellement.
Quand vient le soir on éloigne les gardes aux brillantes cuirasses,
Et les plaisirs de toute sorte se prolongent bien avant dans la nuit.
Un vent tiède et parfumé pénètre au plus profond du palais,
Où les stores blanchissent de grand matin, sous les gais rayons de l’aurore.
Les fleurs du palais rivalisent d’éclat en souriant au soleil ;
Tandis que le printemps reçoit des plantes aquatiques le mystérieux hommage de leur développement,
Dans les arbres verdoyants, on entend gazouiller les petits oiseaux ;
Dans le pavillon de couleur d’azur, on voit danser les femmes du souverain ;
Au mois où fleurissent les pêchers et les pruniers des jardins de Tchao-yang,
Sous les rideaux de soie brodée, on ne songe qu’à s’enivrer d’amour.
Feuillage délicat du saule pleureur, on vous prendrait pour de l’or fin ;
Blanche floraison du poirier, vous semblez une neige odorante.
Si l’hirondelle a fait son nid au faîte du pavillon de jade,
Sous les serrures de cette merveilleuse demeure, sont abrités d’illustres amants.
Les plus belles filles sont choisies pour suivre à la promenade le char impérial.
Elles sortent en chantant du fond des appartements secrets.
Mais enfin, dans ce palais, qui donc occupe la première place ?
Fey-yen ! C’est elle qui règne à Tchao-yang.
À l’heure où les corbeaux vont se percher sur la tour de Kou-souÀ l’heure où les corbeaux vont se percher sur la tour de Kou-sou,
Dans le palais du roi de Ou, la belle Si-chy déploie tout l’entrain de l’ivresse.
Elle chante les plus joyeuses chansons, elle danse les pas les plus lascifs ;
La moitié du soleil a déjà disparu derrière les coteaux verdoyants, mais sa gaieté ne faillit point.
La flèche d’argent de la clepsydre d’or indique vainement que la nuit s’écoule ;
Voyez la lune d’automne comme elle s’abaisse peu à peu vers les eaux du Kiang ;
Voyez comme à l’orient le ciel blanchit, nous annonçant l’aurore.
Le palais est toujours en joie. Quelle joie ! quelle ivresse ! Quels plaisirs !
Offert à un ami qui partait pour un long voyageLe jour d’hier qui m’abandonne, je ne peux le retenir.
Le jour d’aujourd’hui qui trouble mon coeur, je ne saurais en écarter l’amertume.
Les oiseaux de passage arrivent déjà, par vols nombreux que nous ramène le vent d’automne.
Je vais monter au belvédère, et remplir ma tasse en regardant au loin.
Je songe aux grands poètes des générations passées ;
Je me délecte à lire leurs vers si pleins de grâce et de vigueur.
Moi aussi, je me sens une verve puissante et des inspirations qui voudraient prendre leur essor ;
Mais pour égaler ces sublimes génies, il faudrait s’élever jusqu’au ciel pur, et voir les astres de plus près.
C’est en vain qu’armé d’une épée, on chercherait à trancher le fil de l’eau ;
C’est en vain qu’en remplissant ma tasse, j’essaierais de noyer mon chagrin.
L’homme, dans cette vie, quand les choses ne sont pas en harmonie avec ses désirs,
Ne peut que se jeter dans une barque, les cheveux au vent, et s’abandonner au caprice des flots.
La chanson du chagrinLe maître de céans a du vin, mais ne le versez pas encore :
Attendez que je vous aie chanté la « Chanson du chagrin ».
Quand le chagrin vient, si je cesse de chanter ou de rire,
Personne, dans ce monde, ne connaîtra les sentiments de mon cœur.
Seigneur, vous avez quelques mesures de vin,
Et moi je possède un luth long de trois pieds ;
Jouer du luth et boire du vin sont deux choses qui vont bien ensemble.
Une tasse de vin vaut, en son temps, mille onces d’or.
Bien que le ciel ne périsse point, bien que la terre soit de longue durée,
Combien pourra durer pour nous la possession de l’or et du jade ?
Cent ans au plus. Voilà le terme de la plus longue espérance.
Vivre et mourir une fois, voilà ce dont tout homme est assuré.
Écoutez là-bas, sous les rayons de la lune, écoutez le singe accroupi qui pleure, tout seul, sur les tombeaux.
Et maintenant remplissez ma tasse ; il est temps de la vider d’un seul trait.
Libation solitaire sous la luneParmi les fleurs un pot de vin :
Je bois tout seul sans un ami.
Levant ma coupe, je convie le clair de lune ;
Voici mon ombre devant moi : nous sommes trois.
La lune, hélas, ne sait pas boire ;
Mon ombre ne fait que suivre mes pas.
Compagnes d’un instant, ô vous lune et ombre !
Par de joyeux ébats, faisons fête au printemps !
Quand je chante, la lune indolente musarde ;
Quand je danse, mon ombre égarée se déforme
Tant que nous veillerons, ensemble égayons-nous ;
Et, l’ivresse venue, que chacun s’en retourne.
Que dure à tout jamais notre liaison sans âme :
Retrouvons-nous sur la lointaine Voie Lactée !
Question et réponse dans la montagneOn demande pourquoi j’habite la montagne de jade ?
Je souris sans répondre, mon esprit est libre.
Les fleurs de pêcher sur l’eau s’éloignent ;
Il est un autre monde, pas celui des humains.
Donné à une belle rencontrée sur le sentierMon beau coursier, au pas altier, foule un tapis de feuilles tombées.
Ma cravache qui pend va droit frôler la voiture irisée
D’une belle qui, souriant, soulève son rideau de perles,
Et montre un manoir rouge, en disant : « C’est là ma demeure. »
Longues pensées d’amour Les fleurs ornaient la pièce, quand elle était belle ici ;
Une fois la belle partie, il ne reste plus qu’un lit.
Sur le lit déserté, une couette brodée enroulée ;
Son parfum demeure, trois années ont passé,
Pourtant son parfum n’a pas disparu ;
La belle n’est pas revenue.
À terre feuilles jaunies ; d’amour je languissais ;
La mousse verte, la rosée blanche l’humidifie.
Thou Fou (712 – 770)Le départ des soldats et des chars de guerre Ling ling, les chars crient ; siao siao, les chevaux soufflent ;
Les soldats marchent, ayant aux reins l’arc et les flèches.
Les pères, les mères, les femmes, les enfants leur font la conduite, courant confusément au milieu des rangs ;
La poussière est si épaisse qu’ils arrivent jusqu’au pont de Hien-yang sans l’avoir aperçu ;
Ils s’attachent aux habits des hommes qui partent, comme pour les retenir, ils trépignent, ils pleurent ;
Le bruit de leurs plaintes et de leurs gémissements s’élève véritablement jusqu’à la région des nuages.
Les passants, qui se rangent sur les côtés de la route, interrogent les hommes en marche ;
Les hommes en marche n’ont qu’une réponse : Notre destinée est de marcher toujours.
Certains d’entre eux avaient quinze ans quand ils partirent pour la frontière du Nord ;
Maintenant qu’ils en ont quarante, ils vont camper à la frontière de l’Ouest.
Comme ils partaient, le chef du village enveloppa de gaze noire leur tête à peine adolescente ;
Ils sont revenus la tête blanchie, et ne sont revenus que pour repartir.
Insatiable dans ses pensées d’agrandissement,
L’empereur n’entend pas le cri de son peuple.
En vain des femmes courageuses ont saisi la bêche et conduisent la charrue ;
Partout les ronces et les épines ont envahi le sol désolé,
Et la guerre sévit toujours, et le carnage est inépuisable,
Sans qu’il soit fait plus de cas de la vie des hommes que de celles des poules et des chiens.
Bien qu’il se trouve des vieillards entre ceux qui interrogent,
Les soldats osent exprimer ce qu’ils ressentent, d’un ton violemment irrité ;
Ainsi donc, disent-ils, l’hiver n’apporte pas même un moment de trêve,
Et les collecteurs viendront encore pour réclamer ici l’impôt.
Mais cet impôt, de quoi donc pourrait-il sortir ?
N’en sommes-nous pas venus à tenir pour une calamité la naissance d’un fils,
Et à nous réjouir au contraire quand c’est une fille qui naît parmi nous ?
S’il vient une fille, on peut du moins trouver quelque voisin qui la prenne pour femme ;
Si c’est un fils, il faut qu’il meure et qu’il aille rejoindre les cent plantes.
Prince, vous n’avez point vu les bords de la mer bleue,
Où les os des morts blanchissent, sans être jamais recueillis,
Où les esprits des hommes récemment tués importunent de leurs plaintes ceux dont les corps ont depuis longtemps péri.
Le ciel est sombre, la pluie est froide, sur cette lugubre plage, et des voix gémissantes s’y élèvent de tout côté.
Le Fugitif À l’heure où le soleil va se cacher à l’horizon derrière les mûriers et les ormes,
Je me mettais en marche, inondé de lumière par ses derniers rayons ;
J’allais, parcourant le tableau changeant des montagnes et des rivières,
Et tout à coup je me suis trouvé sous un autre ciel.
Devant mes yeux passent toujours de nouveaux peuples et de nouvelles familles :
Mais, hélas ! mon pauvre village ne se montre pas !
Tandis que le grand Kiang pousse vers l’Orient des flots rapides que rien n’arrête,
Les jours de l’exilé s’allongent, et semblent ne plus s’écouler.
La ville à double enceinte est remplie de maisons fleuries,
Et, jusqu’au cœur de l’hiver, les arbres y conservent leur verte couleur.
Le mouvement y est incessant ; tout y révèle la cité fameuse,
Où, de toutes parts, les joueurs de flûte remplissent l’air de sons joyeux.
Elle est certainement belle la ville à double enceinte, mais je n’y ai pas un ami dont le toit soit mon refuge.
J’incline la tête ; je contemple vaguement la perfection du fleuve et de ses ponts.
Les oiseaux, quand le soir vient, retrouvent chacun leur tranquille retraite,
Et, pour moi, ce vaste empire n’est plus qu’un immense désert.
La lune naissante ne jette encore qu’une faible lumière,
Et de nombreuses étoiles rivalisent avec elle d’éclat.
Depuis les temps anciens, que de fugitifs comme moi ont parcouru la terre étrangère !
Ai-je bien le droit de me plaindre de mes malheurs ?
Devant les ruines d’un vieux palaisLe ruisseau s’éloigne en bouillonnant, le vent mugit avec violence à travers les pins ;
Les rats gris s’enfuient à mon approche et vont se cacher sous les vieilles tuiles.
Aujourd’hui sait-on quel prince éleva jadis ce palais ?
Sait-on qui nous légua ces ruines, au pied d’une montagne abrupte ?
Sous forme de flammes bleuâtres, on y voit des esprits dans les profondeurs sombres ;
Et, sur la route défoncée, on entend des bruits qui ressemblent à des gémissements.
Ces dix mille voix de la nature ont un ensemble plein d’harmonie,
Et le spectacle de l’automne s’harmonise aussi avec ce triste tableau.
Le prince avait de belles jeunes filles ; elles ne sont plus que de la terre jaune,
Inerte comme l’éclat de leur teint, qui déjà n’était que mensonge ;
Il avait des satellites pour accompagner son char doré,
Et, de tant de splendeurs passées, ce cheval de pierre est tout ce qui reste.
Je me sens ému d’une tristesse profonde ; je m’assieds sur l’herbe épaisse,
Je commence des chants où ma douleur s’épanche ; les larmes me gagnent et coulent abondamment.
Hélas ! dans ce chemin de la vie, que chacun parcourt à son tour,
Qui donc pourrait marcher longtemps !
Wang Bo (650-676)Le Pavillon du roi de TengLe roi de Teng avait, près des îles du grand fleuve, un pavillon élevé,
À la ceinture du roi dansaient de belles pièces de jade, et des clochettes d’or chantaient autour de son char.
Le jade a cessé de danser, les clochettes ne se font plus entendre ;
Le palais n’est plus visité que, le matin, par les vapeurs du rivage, et, le soir, par la pluie qui ronge les stores en lambeaux.
Des nuages paresseux se promènent lentement, en se mirant dans les eaux limpides.
Tout marche, rien n’est immuable ; les astres eux-mêmes ont un cours.
Combien d’automnes a-t-il passé sur ce palais ? Le jeune roi qui l’habitait jadis, où donc est-il ?
Il a contemplé comme nous ce grand fleuve, qui roule toujours ses flots muets et profonds.
Le Belvédère du prince TengLe haut belvédère du prince Teng donne sur les îlots du fleuve ;
Jade de ceintures, cloches de phénix : chants et danses ont cessé.
À l’aube, vol de nuées du sud entre les poutres peintes ;
Le soir, pluie du mont de l’ouest au-delà du store de perles roulé.
Les nuages oisifs se reflètent dans l’étang, jour après jour, à l’infini ;
Les choses changent, les étoiles bougent, combien d’automnes déjà ?
Hôte de ce belvédère, le prince, à quel endroit se trouve-t-il aujourd’hui ?
Là-bas, le Grand Fleuve coule tout seul au-delà des balustrades.
Chen Zi’ang (661 – 702)Quand on porte une pensée dans son cœur on la loge dans ses yeux, et si les sentiments veulent s’échapper on les confie à la paroleChaque beau jour qui s’écoule s’en va pour ne plus revenir ;
Le printemps suit son cours rapide et déjà touche à son déclin.
Abîmé dans une rêverie sans fond, je ne sais où se perdent mes
pensées ;
Je suis couché sous les grands arbres, et je contemple l’œuvre
éternelle.
Hélas ! toute fleur qui s’épanouit doit mourir en son temps,
Les chants plaintifs du ki-kouey en avertissent mon oreille attristée.
Que d’êtres anéantis, depuis l’âge antique des grands vols d’oies sauvages !
L’homme le plus populaire des siècles passés, s’il revenait aujourd’hui, qui le reconnaîtrait ?
Les fleurs appelées Lân et Jo, depuis le printemps jusqu’à l’été,
Croissent avec vigueur. Oh ! combien elles sont verdoyantes ! combien elles sont verdoyantes !
Solitaires, au plus profond des bois, elles développent leur beauté dans le bosquet désert.
La fleur entrouvre sa corolle odorante, et s’élance sur sa tige dans tout l’éclat de ses vives couleurs.
Cependant le soleil s’éloigne et s’affaiblit peu à peu :
Le vent d’automne surgit au milieu des feuilles tremblantes ;
Les fleurs de l’année s’épuisent et tombent entraînées par lui ;
Mais le parfum de la fleur, enfin, que devient-il ?
En montant sur la terrasse YouzhouDevant, je ne vois pas les Anciens ;
Derrière, je ne vois pas ceux qui viennent.
Songeant à l’infini du Ciel et de la Terre ;
Je fonds en larmes, seul et amer.
Wang Wei (700 – 761) À un ami absentDéjà les araignées de jardin abritent leurs toiles sous mes fenêtres,
Et l’on entend les grillons chanter entre les marches du perron ;
Déjà souffle ce vent froid, qui annonce le déclin de l’année ;
J’ai le cœur triste, et vous, mon maître, quelle impression ressentez-vous ?
Mes yeux demeurent souvent fixés sur votre habitation déserte ;
L’amour de la solitude a conduit au loin celui qui l’occupait.
Mes regards interrogent vainement sa porte oisive et silencieuse :
Le soleil seul y pénètre, éclairant les plantes d’automne de ses rayons affaiblis.
Vous m’avez, il est vrai, fait parvenir de vos nouvelles,
Mais pour m’apprendre qu’aujourd’hui nous sommes séparés par mille li.
Après avoir erré longtemps, comme un étranger, sur des routes inconnues,
Vous avez donc repris le chemin de ces montagnes, où déjà vous vous étiez retiré.
Nous sommes des amis de vingt années,
Et nous ne trouvons pas un jour pour échanger nos sentiments.
Si vous avez eu cruellement à souffrir de la fatigue et de la maladie,
Je n’ai pas eu, de mon côté, de moindres maux à supporter.
Bien que l’automne s’avance, et que vous ne soyez pas de retour encore,
J’espère toujours que l’année ne s’achèvera point, sans que je vous aie revu ;
Mais ce vœu se réalisât-il, combien la réunion durerait-elle !
Ne sera-ce point ma triste destinée de toujours penser à un absent !
En se séparant d’un voyageurJe descendis de cheval ; je lui offris le vin de l’adieu,
Et je lui demandai quel était le but de son voyage.
Il me répondit : Je n’ai pas réussi dans les affaires du monde ;
Je m’en retourne aux monts Nan-chan pour y chercher le repos.
Vous n’aurez plus désormais à m’interroger sur de nouveaux voyages,
Car la nature est immuable, et les nuages blancs sont éternels.
Adieux au printempsChaque jour, hélas ! nous rapproche de l’inévitable vieillesse,
Tandis que chaque année nouvelle voit revenir le doux printemps.
Prenons ensemble le plaisir, aujourd’hui que notre tasse est pleine ;
Si les fleurs se fanent et s’effeuillent, tâchons, ami, de n’y pas songer.
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