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Le Monde de L'Écriture » Sous le soleil des topics » Discussions » La culture de l’effacement

Auteur Sujet: La culture de l’effacement  (Lu 924 fois)

Hors ligne Grégor

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La culture de l’effacement
« le: 16 avril 2022 à 09:09:51 »
Une polémique m’a interpelé, s’agissant de dessins animés de notre enfance, remis en cause par certains groupes, qui en critiquent certains aspects. La critique est toujours saine. En effet, ces dessins animés véhiculent des idéologies diverses, qui doivent être élucidées, interrogées, remises en question. Car, comme l’écrivait Platon, le cerveau des enfants est malléable, comme de la cire à laquelle on imprimerait une forme. Cette forme est celle de leur âme. Celle-ci sera plus ou moins juste selon que la forme imprimée aura été plus ou moins parfaite (toujours selon Platon).
Les mythes grecs n’étaient pas moins scandaleux que les dessins animés en question, faut-il pour autant exclure les poètes de la cité ?
Je ne le pense pas.
Pour autant, les enfants imitent les personnages que les adultes leur présentent comme modèles.
Or, si ces modèles sont pervers, le risque est grand qu’ils adoptent de mauvais comportements. Ceci étant, une partie de l’éducation peut et doit consister à regarder des œuvres sans chercher à s’identifier aux personnages mais en adoptant un point de vue critique.
J’ai eu l’occasion de faire jouer à des enfants l’histoire de Blanche Neige.
Or, la version du conte que j’ai utilisée ne contenait aucun baiser non consenti, puisque c’est en heurtant une racine, lors du transport du cercueil de verre, que le morceau de pomme est recraché par la princesse, ce qui lui permet de reprendre connaissance.
Je comprends que cette scène du baiser non consenti puisse poser problème. Si un enfant reproduisait cette scène il serait sévèrement réprimandé.
La meilleure solution, il me semble, est d’en discuter avec les enfants. Pourquoi ce baiser ? Quel en est la signification ?
D’où vient-il dans la tradition des contes ?
La lecture que nous faisons des contes est sans doute fallacieuse, il ne s’agit pas de personnes réelles, mais d’un autre monde, allégorique.
Qui plus est, c’est dans la version du dessin animé que le baiser apparaît, pas dans le conte.
On peut imaginer que le désir du réalisateur était de montrer un baiser parce que cela produit un certain effet au cinéma, afin donc de réjouir les spectateurs.
Tout le monde sait que la princesse va épouser le prince, c’est un secret de polichinelle, leur destin est scellé, il n’est pas de libre arbitre, si elle n’était pas endormie ils se reconnaîtraient au premier regard, donc ce baiser n’est pas véritablement volé, il est évident pour tout le monde. Ce genre d’histoire n’existe pas dans la réalité et c’est ce qu’il faut expliquer aux enfants.
La réalité est plus complexe, les amoureux ne sont pas liés par un destin qui les réunit mais par un choix mutuel.
Confondre personne et personnage est une erreur que commettent souvent les étudiants de première année en littérature.
On peut toujours se demander s'il s'agit véritablement d'une erreur.
Disons plutôt qu'erreur, qu'il s'agit d'une lecture.
Mais il en existe une autre et c'est celle qui prévaut auprès des professeurs de Lettres.
Dans les romans d'amour, ce qui réunit les amoureux est aussi important que les obstacles à leur amour.
On unit, on désunit, on réunit etc.
Ces montagnes russes émotionnelles (par exemple Manon Lescaut) font le plaisir du lecteur et c'est avant tout cette émotion que recherche l'auteur.

Le danger de supprimer ces « mauvais exemples » est de priver des générations entières de leur patrimoine culturel.
On ne peut pas juger des bienfaits d’une œuvre d’après le seul registre moral.
Les œuvres de pure morale peuvent d’ailleurs être fort ennuyeuses et pénibles à regarder. L’esthétique de ces vieux dessins animés, le dessin, la couleur, la musique, les voix, le registre de la langue, sont d’une grande qualité et méritent l’attention des jeunes gens.
Au-delà donc de la morale qui est véhiculée, ces œuvres méritent d’exister, mais elles peuvent être critiquées et il faut avertir le public de leur possible idéologie néfaste.
Une autre idéologie de Blanche Neige, cette fois selon une interprétation marxiste, peut nous permettre de réfléchir sur l’impact d’une œuvre et sur les liens sous-jacents qui tissent notre représentation du monde.
En effet, le mythème que l’on retrouve dans le conte de Blanche Neige consiste en ceci qu’une jeune femme, qui symbolise le pouvoir d’une partie, la bonne, de l’aristocratie est détrônée par la mauvaise et retrouve son dû grâce à l’appui du peuple, dans notre conte : les sept nains.
Cela signifie que loin d’être subversif, les mythes qui reprennent cette trame, renforcent l’idéologie d’une caste dominante qui ne s’en remet au bon peuple que lorsque sa meilleure part est menacée. Cet arbitrage du tiers état érige le pouvoir à la plus haute légitimité.
Les contes peuvent être interprétés et doivent l’être de bien des manières. Ne nous révèlent-ils pas au bout du compte, davantage de nous-mêmes que de leurs auteurs ? Et n’est-ce pas là leur fonction ?
Une société qui ne tolérerait que des histoires correspondant à ses valeurs ne risquerait-elle pas de s’appauvrir considérablement ?
Certes, les enfants doivent être préservés de certains travers et de certains vices, mais ne devons-nous pas, en tant qu’adultes, nous confronter à ce que peut être l’homme, par-delà nos propres croyances et nos propres coutumes ?
Ceux qui connaissent leurs lettres classiques savent de quoi je veux parler.
Lisez un peu Ovide ou quelques tragédies grecques.
Vous trouverez un aspect formel sublime, la perfection du style, un raffinement d'une subtilité inouïe, mélangé à des histoires parfois très choquantes.
Donc pour conclure, mieux vaut développer un esprit critique que d'effacer les histoires qui nous dérangent.
« Modifié: 16 avril 2022 à 09:22:31 par Grégor »

Hors ligne Meilhac

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Re : La culture de l’effacement
« Réponse #1 le: 16 avril 2022 à 11:59:08 »
il faut faire avec les oeuvres comme montaigne faisait avec ses textes, quand il disait, "je ne me corrige pas. je rajoute"


Hors ligne Dot Quote

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Re : La culture de l’effacement
« Réponse #2 le: 16 avril 2022 à 12:24:22 »
mais 'conclure' n'est-ce pas contraire à 'l'esprit critique' ? 'ne pas effacer l'histoire' consiste en partie pour moi et pour approuver les guillemets par Meilhac, à laisser des portes ouvertes... d'autant plus que tesdites lettres classiques ne profitaient pas de ce qu'en contexte technologique déterminant, le web, nous avons aujourd'hui et fièrement, des modalités d'écritures qui permettent un échange et qu'il est aisé de considérer comme augmentées... cet espace 'discussion' sur un forum libéré de plein de contraintes majoritaires aliénantes, j'ai envie de nous en servir comme un terrain où soulever efficacement la pensée dialoguée ; je pourrais troller sur le paradoxe de ton incitation, que je trouve tristement parallèle à ce qu'elle critique, et je ne sais jusqu'où ton envie rationnelle de remettre en question la trop évidente dynamique sociale de remise en question, s'embourbe dans une utilisation de la morale comme pourtant il t'est, comme à d'autre, judicieux d'inciter à trouver des solutions ; oui, il est facile de critiquer aujourd'hui, il y a tellement de phénomènes communicationnels qui jouent là dessus, donnant l'illusion satisfaisante d'être en droit de s'offusquer, et pourtant, en solution-contre à ton propos, je crois que la tentative maladroite, l'inefficace essai, le courage modéré vers une intuition à découvrir, pour justement dépasser l'effacement et y faire suivre la (re?)construction, ce qui n'apparait pas toujours sous le terme mépris trop souvent, 'positif', qui d'un point de vue définitionnel porte le notion d''ajout', et non, contre-intuitivement, de 'réception' ; un sourire forcé est 'positif', un sourire provoqué ne l'est pas, selon mes petites conceptions relatives qu'il serait intéressant de soupeser, et là où je ne souhaitais pas m'étaler, quoique un petit peu huhu, c'est que ouais... ouvrons les portes ! j'ai l'impression tu peux nous en créer des beaux couloirs avec le classique, je t'avoue qu'étant distant d'une activité savante à la proximité d'une action grossomodo artistique, je serais ravi de voir cet échange prolongé par une teneur conversationnelle dont je mesure une qualité dont seule l'intuition irrationnelle et inexpliquée à l'heure, me lui fait entrevoir des avantages éternels...

en toute surface initiale des choses...
:)
"i don't care if your world is ending today
because i wasn't invited to it anyway
you said i tasted famous, so i drew you a heart
but now i'm not an artist i'm a fucking work of art"

(s)AINT - marilyn manson

Hors ligne Grégor

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Re : La culture de l’effacement
« Réponse #3 le: 17 avril 2022 à 08:35:32 »
Bonjour Meilhac,
Oui c'est exactement ça !

Hors ligne Grégor

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Re : La culture de l’effacement
« Réponse #4 le: 17 avril 2022 à 08:36:17 »
Bonjour Dot Quote,
Ouvrons donc des portes !

Cordialement

Hors ligne Dot Quote

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Re : La culture de l’effacement
« Réponse #5 le: 07 mai 2022 à 10:29:01 »
heu wè... bon bin moi aussi je reste sur le seuil alors '_'
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