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Auteur Sujet: Algèbre (Yan Pradeau) [Roman biographique]  (Lu 937 fois)

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Algèbre (Yan Pradeau) [Roman biographique]
« le: 26 août 2020 à 22:25:02 »

Algèbre, de Yan Pradeau

Editions Allia, 144 pages, 2016.

Ce court roman retrace la vie d'un personnage dont on dit souvent que la vie fut un roman : Alexandre Grothendieck, mathématicien, militant antimilitariste, et l'un des pères de l'écologie radicale. Très peu connu du grand public, né en 1928 à Berlin, et décédé en novembre 2014 dans l'indifférence quasi générale après s'être retiré en ermite depuis les années 90 dans les Pyrénées, avoir interdit la publication de milliers de pages de travaux et cherché à se faire oublier en tentant de détruire sa propre oeuvre.

Celle-ci est monumentale ; pour donner une idée de l'ampleur de ses travaux, certains mathématiciens s'accordent à dire que Gauß est le plus grand mathématicien de tous les temps. D'aucuns leur répondent "Non, c'est Grothendieck". L'un de ses confrères, Serre, a décrit sa méthode comme "pour résoudre des problèmes, il faut les laisser se dissoudre dans une marée montante de théories générales". Grothendieck a développé des milliers de pages de théorie unifiant ou dressant des ponts entre certains domaines des mathématiques fondamentales (analyse fonctionnelle, topologie, géométrie algébrique, algèbre homologique) et procédé entre autres à une refonte complète de la géométrie algébrique. Des solutions à des problèmes concrets que personne ne savait résoudre apparaissaient alors comme simples conséquences de ses développements. Un autre mathématicien, Zariski, aurait dit "Moi, j'ai des problèmes et pas de méthodes. Lui, il a des méthodes et pas de problèmes". Ce qui est certain, c'est que cette approche est complètement inédite sur toutes les mathématiques du vingtième siècle : en général, les mathématiciens résolvent des problèmes, ou éventuellement des cas particuliers de ceux-ci, et ces solutions sont ensuite généralisées, permettant éventuellement, plusieurs dizaines d'années plus tard, de développer une théorie générale dans laquelle inscrire ces solutions. C'est comparable à Einstein en physique en termes d'impact sur le domaine, à ceci près qu'un certain nombre d'idées d'Einstein sont aujourd'hui remises en cause, là où l'on peine à mesurer l'impact exact des travaux de Grothendieck dans les domaines cités plus haut : on ne cite pas un résultat précis de Grothendieck, on utilise une théorie et des façons de penser révolutionnaires qu'il a introduites ou qui sont des conséquences plus ou moins directes de ses travaux.


Environ 18'000 pages (!) de notes inédites de Grothendieck ont été récemment mises à disposition de la communauté scientifique sur le site web de l'université de Montpellier (où il fut professeur avant de se retirer dans les Pyrénées).

Ce qu'en dit l'éditeur

Avec la pugnacité d'un véritable enquêteur, Yan Pradeau tente dans ce récit à la croisée de l'autobiographie et du roman de comprendre comment on devient Alexandre Grothendieck, mathématicien de génie. Enfant déjà, celui qui est aujourd’hui considéré comme le refondateur de la géométrie algébrique se trouve sur la piste de la découverte du nombre Pi. À l'âge de 20 ans, il résout en quelques mois quatorze problèmes demeurés jusqu'ici irrésolus. De tous les mathématiciens du siècle, il est celui qui s'avère seul capable de généraliser un problème, d'apercevoir avec recul et démonter les liens possibles entre des figures mathématiques. Ce fils d'anarchistes, dont le père a péri à Auschwitz et la mère a succombé à une tuberculose contractée dans les camps, est férocement revêche à toute autorité et farouchement solitaire. En 1966, il refuse la très convoitée médaille Fields. Un temps enseignant au Collège de France, il est à compter de 1973 professeur à l'université de Montpellier. Mais il choisit de rompre rapidement avec le milieu scientifique pour vivre reclus en Ariège au début des années 1990, avant de tirer sa révérence en novembre 2014.
Se détachent sous la plume alerte de l'écrivain la silhouette, puissante, de l'homme, son histoire personnelle et ses idéaux, et avec elle un siècle entier. Car Yan Pradeau ne retrace pas seulement la vie du mathématicien : il nous entraîne dans le tourbillon d’une époque, dans des milieux réputés fermés, qui apparaissent soudain dans toute leur vérité sous les yeux du lecteur. Entre le récit d'une vie et la grande histoire gravée sur le papier avec la finesse du burin et la phrase qui claque sans concession tel un couperet, cet Algèbre tient de la saga familiale comme de la grande histoire, depuis les camps de la mort jusqu'à nos jours.


Extraits sur la page de l'éditeur


Mon avis


Je me suis toujours étonné qu'on trouve si peu de textes destinés au grand public sur Grothendieck, là où ils abondent lorsqu'il s'agit de parler d'autres mathématiciens dont on dit aussi que la vie fut un roman (je pense notamment à Evariste Galois). Je ne sais pas très bien donner de réponse à cela : d'une part, il est possible que, Grothendieck ayant de son vivant interdit la publication de ses notes ou de n'importe lequel de ses textes et tenté de façon assez virulente de se faire oublier, beaucoup étaient frileux à l'idée d'en parler avant 2014. D'autre part, le personnage est extraordinairement complexe, aux multiples facettes et aux prises de positions pleines de rebondissements, et compliqué à appréhender. Dans un texte-fleuve (comme il avait coutume de le faire également avec ses productions scientifiques), intitulé Récoltes et Semailles, réflexions et témoignage sur un passé de mathématicien, jamais publié car il y attaque un certain nombre de ses collègues mais disponible en ligne, il parle pêle-mêle de sa vie de mathématicien et d'un certain nombre d'autres sujets qui lui tenaient à coeur ; le texte, fait 929 pages... la table des matières, 21 pages ! Ces mêmes collègues parfois attaqués sont ceux qui parlaient beaucoup de lui, livrant une série d'anecdotes à son propos. Je m'attendais à retrouver ces anecdotes dans ce texte, or pas du tout (ou de façon très épisodique).

Il y a aussi une aura un peu mystique, un profil de gourou, souvent associé à Grothendieck, et avec laquelle le texte aurait pu jouer. Or, plutôt que de s'amuser avec des anecdotes et clichés associés au personnage ou de s'en inspirer pour romancer le récit, tout le début du texte replace le cadre historique de l'enfance de Grothendieck (de façon très précise et pas rébarbative), et qui consiste en une fuite du régime nazi en tentant de cacher ses origines juives : son père était un militant anarchiste ukrainien et juif qui a fui la Russie, a placé son fils dans une famille allemande près de Hambourg, l'a retrouvé ensuite en France avant de partir rejoindre les anarchistes espagnols avec sa mère, pour finalement finir déporté à Auschwitz.

Les quelques premiers chapitres du livre posent ce contexte, bien avant de parler de ce qu'on entend le plus souvent à propos de Grothendieck : sa montée à Paris puis à Nancy après avoir été repéré par l'un de ses enseignants dans les Cévennes, son ascension en tant que mathématicien, l'obtention de la médaille Fields (plus haute distinction dans le domaine des maths) qu'il refuse car la cérémonie de remise a lieu à Moscou, ses divers déplacements sur le globe, ne pouvant, étant apatride, obtenir un poste de professeur des universités en France. Puis, les circonstances de la création de l'Institut des Hautes Etudes Scientifiques, à Bures-sur-Yvette, à proximité du campus de l'université Paris-Sud, un grand centre de recherches taillé sur mesure pour lui permettre de poursuivre ses activités de recherche en France à Paris sans avoir le statut d'enseignant-chercheur (un peu comme l'Institute for Advanced Study de Princeton plus ou moins créé pour inviter Einstein), la nouvelle génération de mathématiciens qu'il y forme et le séminaire qu'il y tient avec eux, qui donnera lieu aux volumes du Séminaire de Géométrie Algébrique (de plusieurs milliers de pages) où il opère une refonte complète du domaine, avant de claquer la porte de cette structure, ayant appris qu'elle était financée à hauteur de 5% par des fonds d'origine militaire. L'incompréhension grandissante du milieu et de certains de ses confrères suite à des prises de position politiques lors de conférences, puis un discours invitant à cesser la recherche en mathématiques et à se tourner vers la physique, la biologie, l'écologie radicale... La nationalité française qu'il finit par prendre, en 1971, lui permettant de prendre un poste de professeur à Montpellier, avant de finalement décider de se retirer en ermite dans les Pyrénées, après avoir brûlé des milliers de pages manuscrites de travaux de recherche.

Qu'y a-t-il fait exactement, a-t-il poursuivi ses travaux ? On l'ignore. Plutôt que de chercher à donner des réponses à de nombreuses questions que l'on peut se poser au regard de son parcours (et auxquelles beaucoup tentent d'essayer de répondre, sans toujours apporter d'éléments factuels), le livre, finalement, pose une question qui à la lecture du livre paraît fondamentale, et donne un éclairage nouveau au personnage : comment expliquer le parcours militant de Grothendieck, et qu'elle est l'influence de son père sur celui-ci ?

J'ai trouvé ce texte remarquable et très émouvant. Déjà, il présente un point de vue sur le personnage qui n'est pas forcément celui qui transpire des diverses anecdotes et témoignages de ses confrères, mentionnés plus haut ; l'auteur ne faisait pas partie de ce cercle, ce qui donne un regard différent sur le personnage, et a manifestement effectué un travail de recherche historique remarquable, qui va bien au-delà de ce qui touche à l'oeuvre mathématique de Grothendieck (finalement très peu évoquée). La partie "romancée" semble plutôt concerner quelques scènes précises que l'auteur décrit (comme au tout début de l'extrait mis en lien plus haut). Les chapitres sont très courts, le style est incisif, concis, et réussir en si peu de pages à tracer l'essentiel de la vie de Grothendieck tout en soulevant autant de questions (sans chercher à y répondre à tout prix) sur une personnalité aussi complexe tient un peu du tour de force. J'aurais peut-être aimé voir la partie qui concerne ses activités militantes, en particulier à partir de son départ de l'IHES pour Montpellier, un peu plus développée. Et peut-être, sur cette obsession à faire disparaître sa propre oeuvre, mais j'ignore si l'on dispose d'éléments plus précis que ce qui est évoqué dans le livre à ce propos.

Quoi qu'il en soit, j'espère que ça contribuera à faire un peu connaître ce personnage (à mon sens injustement) inconnu du grand public.

Le titre du livre, Algèbre, fait référence à l'énorme pouvoir d'abstraction et de généralisation de Grothendieck : la géométrie permet de "voir" des objets, de se les représenter de façon concrète. Souvent, les objets géométriques peuvent être décrits par des équations algébriques. C'est leur description algébrique qui, souvent, permet de généraliser nombre de structures géométriques à un cadre beaucoup plus général. Cela donne lieu à de nombreuses interactions entre les deux domaines.

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« Modifié: 26 août 2020 à 22:26:45 par Chapart »

 


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