J'ignore si le destinataire a percé les secrets de cette lettre, mais je me suis bien amusée à l'écrire !
A vos loupes amis Sherlocks !
(oui, les retours à la ligne sont normaux !)
Adeline,
Le temps a passé et je n’ai pas eu de tes nouvelles. La vie a continué et j’ai fait mon deuil
doucement. Samuel me manque, j’ignore si un jour je pourrai l’oublier. Je me languis aussi
de toi. J’aurais aimé revenir en arrière, pour vous retrouver tous les deux et enfin te
prendre dans mes bras. Mais je suis à la maison ; et ici je suis seule, et il y a le temps à
tuer. Les aiguilles de mon ouvrage de couture me démangent. Parfois je me souviens de vous deux,
de nos journées de pluie passées à tricoter et des nœuds que nous faisions malgré nous, si
enlacés, serrés et emmêlés ; et je pleure à ce souvenir. Je reprends mes ciseaux et je les plante
dans la laine ; je fais toujours des erreurs. Je vois toujours, face à ma maladresse, la candeur
dans ton visage si parfait. Samuel était discret mais il riait avec nous, et je voyais toujours ses yeux
briller de voir nos bêtises, et il nous couvrait. Les soupçons de tes parents étaient toujours
posés sur toi, et cela me rendait folle. Je n’ai jamais eu le courage de me mettre en avant et
partager tes punitions. J’aurais pu, j’aurais dû, aller voir ton père et me confesser,
lui parler. J’étais bien trop intimidée. Vous paraissiez si liés, et chacune de tes bêtises le
décevait tellement. Mais ça n’avait pas d’importance ; Samuel et moi riions, ta pitrerie nous
faisait tellement rire, je paraissais fade à côté. Puis nous avons grandi, et je vous ai vus vous
assagir ; j’ai suivi. Les années ont passé, la vie que nous partagions tous les trois a permis de nous
rapprocher encore, et puis peu à peu, j’ai pris mes distances. Tu as eu ton premier
enfant et chacun a suivi son chemin. Je me souvins de notre dernière rencontre, notre dernier
baiser, et je souffrais plus encore. Et tu as toujours su, toi Adeline, tu lisais très bien les sentiments
que j’avais pour tous ces souvenirs. Mais je ne pourrai les revivre ; et je pleurais les souvenirs heureux
qui me rongeaient, et toi tu riais de ton bonheur nouveau, et pour ça j’aurais pu te
détester. J’ai préféré m’éloigner, vivre ma vie et chérir ces souvenirs. Je n’ai pu me résoudre à les
tuer. Je vous ai laissés, Samuel et toi, sortir de ma vie. Mais pas un jour ne passe sans que je ne veuille prendre
une calèche pour vous chercher et vous retrouver. J’ignore si la vie t’a permis d’y trouver
ta place. L’autre jour, j’appris par hasard la mort de Samuel, noyé dans la rivière, et mon cœur explosa de
chagrin. Jamais plus il ne rirait comme autrefois, ni ne communiquerait son rire, qui apportait tant de
joie. J’avais mes souvenirs de lui pour me réconforter. Je tentais de me consoler. Jamais plus il ne
jouerait ses horribles accords au piano. J’espère seulement que, comme moi, son souvenir toujours
t’appartiendra.
Voila. Adeline, j’espère que tu vas bien malgré tout. Ces souvenirs sont tout pour moi. Reste à savoir si tu voudrais me revoir ? Et partager tout cela à nouveau… « Vaniteuse », penses-tu peut-être ? Eh bien, le temps le dira. Réponds-moi, je te prie. Sans nouvelles, je pourrais mourir. Accepte de me revoir, au moins une fois. Le temps pourrait nous rattraper, et nous lier à nouveau, qui sait ? Oh, si j’avais osé venir te voir… Puisses-tu me croire et me répondre.
Emilie.