Hello, comme promis, afin que vos conseils ne soient lettre morte, voici que je vous propose une autre mouture de cet arabica/tricoti/tricota que je destine à qui veut bien me "lyre" ...
Mais bon, là encore vous risquez d'avoir du boulot car c'est comme l'autre du cousu-main d'arpette ! « Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain », eut dit ce cher Horace... si tant qu'il soit encore possible d'y croire lorsqu'on est enfermé dans un carcan d'acier. Un gigantesque carcan, certes, et disposant de tout le confort qu'on peut souhaiter en 3018 ; mais duquel un vieux poète peut contempler, nostalgique, les restes rabougris de la planète terre. « Cueille le jour... » Luc aurait bien voulu s’exécuter en l'instant ! sauf qu'à présent cela lui était devenu impossible. Le mouvement de rotation de ladite s'était tellement ralenti que son sol natal n'était plus qu'un désert. L'on s'attendait même à voir la belle Gaïa se figer à jamais. Du reste, après avoir longtemps hésité entre approche et distanciation, Séléné s'était finalement décidée à prendre le large ! C'est dire le bazar que cela avait déclenché !
Il se souvient pourtant... c'était au siècle dernier... Ah oui, il faut que je vous dise : Luc Fragarnant est un privilégié. Il fait partie d'un panel ! Mais c'est quoi au juste ce truc ? On bâtit une station orbitale gigantesque puis on sélectionne un milliard d'individus pour la peupler ? Et après ? On fait quoi ? Ben on leur applique le fruit des recherches scientifiques en tous genres. Ceci incluant une avancée médicale si prodigieuse, que l'on avait même su ralentir l'insidieux processus de dégradation physiologique du corps humain. Ce qui, évidement, n'était pas sans conséquences. Lesdites ne manquant pas d'engendrer autant de satisfactions psychologiques que de calamités existentielles.
Ainsi, cloué à son hublot, le vieux poète s'était pris à cogiter. Il revoyait ce jour qui l'avait cueilli plus que l'averse de pluies acides, n'avait amoncelé la grisaille dans le ciel pollué. Lequel s'étant à son tour révélé propice à concevoir l’un de ces soirs où les idées noires abondent. La vision du monde, telle que connue de ses aïeux c'était tant détériorée que Dame nature était à l'agonie. Ce qui du reste arrangeait bien la jeune génération qui s'en délectait. Naturellement, la robotisation outrancière, avait quant à elle paraphé l'élan de paresse associée. Alors on vivotait comme lorsqu’on se sent inutile, voire même invisible, dans des villes où l'on ne se heurtait sur des trottoirs bondés. Mais c'était avant l'avènement du Seigneur Bitcoin. Autre joyeuseté spéculatrice que ne manquait pas de jalouser la nuée des autres cryptomonnaies dont la duré de vie, sporadique, n'inquiétait plus guère que quelques vils thésaurisateurs, agonisant sur leur paillasse remplie de vieux billets.
Luc se sentit soudain frigorifié. Comme à l'instant où il entra ce soir là par hasard, dans ce bar de la rue Jules-Ferry, et que, avisant un recoin de la salle, il s'était installé tel un corps avachi, sur les ressorts épuisés d’une banquette de cuir en détresse et avait commandé un demi.
L’amour en souffrance vaut-il de se vivre, sinon qu’en alternance, songeait le vieil homme ? Lorsqu’il se rompt, le lien qui unit les êtres pour un temps, peut-il entrainer l’esprit contrarié jusqu’à le perdre comme s’il tombait dans un puits de commisération, si sombre, qu’il ne se peut d’en pouvoir sortir ?
Dans la pensée de Luc, des messagers vêtus de cuir surgissaient comme si venus d’outre galaxie. Ils obscurcissaient le ciel de sa pensé pareillement à ce moment, décidément trop lointain, ou dehors, les nues responsables de l’ondée n'en démordaient pas. Et comme si cela n’y aurait suffit, il pouvait encore entrevoir, accroché au dessus du comptoir, le grand écran numérique qui diffusait comme en boucle, des images informatives tant dénuées d’altruisme que s’en était déjà affligeant de le voir accréditer de telles vérités.
– Pour le profane, ceci explique toujours cela… se souvient d'avoir émit Luc de vive voix, comme pour mêler quelques bribes de sa pensée muette d'alors aux sons environnants.
Peu à peu, il avait acquis en ce temps le sentiment que l’atmosphère d’un quai de gare s’appliquait à égratigner jusqu’à l’image floue qu’il se faisait de son avenir. Il le considérait désormais en partance : Lydie l’avait quitté pour suivre un autre destin que le sien. Alors sa vie était devenue vide de sens. Au début, il la considérait pour être à peine plus qu'une amie à qui l’on se confie. Pensez-donc ! leurs vies se côtoyaient depuis l'enfance. Or, leurs corps s’épanouissant, le sentiment d’un amour plus physique avait peu à peu évincé l’autre platonique, et Luc s’était imaginé que peut-être...
Sauf que le hasard à des raisons qui ne se reconnaissent guère, et partant, Luc ne pouvait se faire à l’idée qu’elle avait décidé de s'unir à un autre que lui.
Machinalement, il porta sa main vers ses lèvres, mimant son geste d'autrefois. Mais l’amertume du moment refit surface, s’unissant subtilement à celle présente... il faut dire que décidément, son implant mémoriel n'y était pas étranger. Autre avancé technologique qui s’appliquait plus encore à noyer son cœur nostalgique. Un cœur de vieil homme certes, mais resté trop romantique, plus blues maintenant qu'autrefois rocker, autant esseulé et timide que celui d’un jeune poète, dont la pensée récursive pouvait encore entrainer sa conscience restée somme-toute fragile à faire naitre et renaitre une forme de lucidité trop étrange pour ne pas s’apparenter à de la sensibilité maladive... à moins qu’elle ne fût amplifiée par ces foutus algorithmes qui, par l'intermédiaire d'un foutu entrelacs synaptique, lui chatouillait les neurones jusqu'au supplice ?
Or, voici que l'image en lui se précise : son regard vaguement contemplatif semble à présent l’extasier devant le contenu de son verre fictif. Il s'attend à voir le liquide jaunâtre et mousseux. Sa pensée délirerait-elle doucement, au rythme des bulles de CO2 qu'il s'imagine en voir crever la surface. C’était comme si, singeant le sien cherchant à fuir autant qu'à revivre l'instant ? Rien ne peut contenir un esprit évanescent ! Luc avait voulu s’enfuir lui aussi de cette façon, rejoindre l’éther à jamais, ne plus rien ressentir de la vie d’ici ou même d’ailleurs. S’échapper de ce monde désormais envahi par des zombies parmi lesquels il ne se reconnait plus.
– Ce monde aliénant n’est décidément pas le mien ! exprima comme autrefois la voix de Luc Fragarnant.
La société qu’il s’imaginait, enfant, ne pouvait être ainsi : il la voulait virevoltante et riante, peuplée de fées amoureuses des humains ; alors qu'il vivait maintenant comme sur une île foncièrement déserte, plus enchâssé qu’un Solitaire, fort occupé à ne rien entendre d’autre que le chant lumineux des quasars... et surtout pas cette musique que diffusait en d'autres temps les juke-box ! Créations déjà dissonante d’un tumulte de sons digitalisés, tous pareillement destinés à être consommés par déconsidération, au droit d’une société indubitablement condamnée à être dévoreuse de produits paramétrés, dansant au rythme du chacun pour soi, sans rien de regard pour le jugement intérieur. Luc s’était empreint d'une belle fraternité créative. Mais à quoi bon passer pour ringard, si c'est pour défendre des idées de longtemps périmées ? Nul prophète ne saurait guider des aniers aux comportements quelque peu aveuglés.
– La conscience morale est essentielle à la coexistence sociale, car elle aide les individus à agir de manière responsable autant qu’à respecter les normes et valeurs partagées par leur communauté, se dit le poète, dont le regard s’était de nouveau porté vers son hublot comme s'il pouvait y voir de nouveau l’écran diffuseur d’atrocités du vieux bistrot.
Ce qui le renvoyait à vouloir, mais en vain, différer son amertume bien à lui, celle d'un garçon âgé, resté trop romanesque, dont la naïveté désenchantée se carguait par lyrisme désuet, sinon que présentement empirique ! Tiens ! parlons de sa poésie... bien plus étouffée que ne le serait un lombric sous une chape de béton ! Pourtant la voix de sa pensée encrée était toujours cristalline et légère, comme la voix dans son oreille, sibylline, imaginaire, qui ce soir là sur la Terre, par-dessus les bruits ambiants, répétait inlassablement la chanson qu’il avait composée en songeant à Lydie :
– Ma douce amie entendrais tu, Ce qui en moi et de toujours, Par amitié vibre bien plus, Que fol amour au jour le jour ?
Or, s’il entendait ces mots distinctement, c’est que probablement porté par quelque osmose, il s’était pris à les fredonner.
Mais à la vérité, Lydie ne l’avait pas ouï, la chanson sucrée s’était étiolée, ses mots se sont mués en perles salées. Alors, comment pouvaient-ils en ce temps évoquer son amour pour la tendre égérie ?
Pourtant, celle-là qui comme lui souhaitait que le monde fût autrement plus serein, était bien vivante, réelle… et juste derrière lui !
Jolie brunette de vingt fleurs, seule, attablée devant un café froid, Martine le regardait songeuse. Et bien que le jeune homme lui tournât le dos, elle pouvait voir dans l’argent flétri d'un miroir, son image inversée. Bien que piqué à l’extrême, l’objet témoignait cependant d’un passé où l’on avait à cœur de bien recevoir. On l’avait donc laissé là, paradant comme en cimaise, face au jeune homme. Entité de verre, dessinant de lui un portrait si brouillé, qu’on l’eut dit noyé comme vague et océan…
Et puis, la voix nostalgique parvint à nouveau aux oreilles de la jeune femme :
– Ce soir, la nuit sera plus belle, Si dans tes yeux, ô ma douce, Mon cœur voit enfin
l'étincelle, Qui les fera si merveilleux !...
– C’est joli !
Sur les lèvres de Martine, les mots avaient fusé spontanément !
Surpris Luc Fragarnant s'était retourné...
Et c'est alors qu'il la vit : délicieuse sirène comme si surgie d'un monde céleste autant qu'aquatique, entièrement vêtue de cuir noir faisant comme une seconde peau, Magalie, une jolie femme de son âge, s'était approchée en silence.
Robert Henri D