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Salle de débats et réflexions sur l'écriture / Re : Il n’est pas de grand homme pour son valet de chambre
« Dernier message par Grégor le Aujourd'hui à 17:36:58 »La dictature du On par Heidegger :
"Le monde ambiant implique d'emblée la disposition et la préoccupation d'un monde "ambiant" public. En usant des transports en commun, ou des services d'information (des journaux par exemple), chacun est semblable à tout autre. Cet être commun (Mitsein) dissout complètement l'être là (Dasein) qui est mien dans le mode d'être d'autrui, en telle sorte que les autres n'en disparaissent que d'avantage en ce qu'ils ont de distincts et d'expressément particulier. Cette situation d'indifférence et d'indistinction permet au "On" de développer sa dictature caractéristique. Nous nous amusons, nous nous distrayons comme "On" s'amuse ; nous lisons, nous voyons, nous jugeons de la littérature, de l'art, comme "on" voit, comme "on" juge ; et même nous nous écartons des grandes foules comme "on" s'en écarte ; nous trouvons "scandaleux" ce que "on" trouve scandaleux. Le "on" qui n'est personne de déterminé et qui est tout le monde, bien qu'il ne soit pas la somme de tous, prescrit à la réalité quotidienne son mode d'être. L'être en commun cherche à imposer tout ce qui est conforme à la moyenne. Le "on" demeure toujours dans la moyenne de ce qui est convenable, de ce qui est reçu et de ce qui ne l'est pas, de ce qui mérite l'assentiment et de ce qui ne le mérite pas. Le souci de la moyenne recèle une nouvelle tendance de l'être là, nous l'appelons le "nivellement" de toutes les possibilités d'être. Cependant, comme il suggère en toute occasion le jugement à énoncer et la décision à prendre, il retire à l'être là toute responsabilité concrète. Le "on" ne court aucun risque à permettre qu'en toute circonstance on ait recours à lui. On peut toujours dire "on" l'a voulu, mais on dira aussi bien que "personne" n'a rien voulu. La majeure partie de ce qui s'accomplit dans l'existence quotidienne s'accomplit sans le fait de personne, le "on" est donc celui qui, dans le quotidien "décharge" l'être là. En le déchargeant ainsi, le "on" complait à la tendance qui pousse l'être là à la facilité et à la frivolité. Cette complaisance lui permet de conserver, voire d'accroître un empire obstiné. Chacun est l'autre et personne n'est soi-même. »
Être et Temps, Gallimard, p. 169-171.
Heidegger écrit aussi ceci : "Toute primauté est sourdement ravalée. Tout ce qui est original est terni du jour au lendemain comme archi-connu. Tout ce qui a été enlevé de haute lutte passe dans n'importe quelle main."
Ce qui signifie pour moi dans notre débat que les oeuvres peuvent être adulées pour de mauvaises raisons.
Par exemple la Joconde est admirée parce qu'on pense qu'il faut voir cette oeuvre et se faire photographier devant mais les motifs réellement esthétiques peuvent être totalement absents. On aime une oeuvre connue par vanité pour dire qu'on a du goût. Parce qu'on veut faire comme tout le monde ou comme ceux qui sont réputés avoir du goût font. Ce n'est pas tellement le message de l'artiste qui intéresse le public. On peut être très connu sans être reconnu. Voilà pourquoi de belles oeuvres peuvent passer pour bien connues et s'imposer comme références communes sans que l'on comprenne leur histoire et leur beauté réelle.
Je peux prendre l'exemple de la terre plate ou du système géocentrique. Aujourd'hui tout le monde trouve aberrant de défendre un tel système et pourtant les arguments en sa faveur ont longtemps été excellents et la différence était plus d'ordre esthétique (la beauté et la simplicité des équations physiques du système héliocentrique) que fondée empiriquement. Ceux qui aujourd'hui pensent que cette idée est évidente ne connaissent pas l'histoire des débats qui a amené à construire l'une des plus belles théories, à savoir, la théorie de la gravitation universelle.
Il en va de même dans tous les domaines, dès lors que l'on vulgarise une oeuvre, on simplifie le contexte de l'émergence de cette oeuvre et les présentateurs deviennent les rois de la foule qui ne pourrait pas comprendre pourquoi une telle oeuvre s'est imposée sans eux. C'est ce que constate Zarathoustra au tout début de son périple.
Il n'y a donc pas un rapport direct entre l'artiste et son public au moyen de son oeuvre mais ce rapport est biaisé par tout ce que l'on peut dire sur cette oeuvre. Je ne dis pas que cette rencontre est totalement impossible mais apprendre à lire une oeuvre est vraiment difficile et rares sont ceux qui ont le temps et l'énergie de le faire.
"Le monde ambiant implique d'emblée la disposition et la préoccupation d'un monde "ambiant" public. En usant des transports en commun, ou des services d'information (des journaux par exemple), chacun est semblable à tout autre. Cet être commun (Mitsein) dissout complètement l'être là (Dasein) qui est mien dans le mode d'être d'autrui, en telle sorte que les autres n'en disparaissent que d'avantage en ce qu'ils ont de distincts et d'expressément particulier. Cette situation d'indifférence et d'indistinction permet au "On" de développer sa dictature caractéristique. Nous nous amusons, nous nous distrayons comme "On" s'amuse ; nous lisons, nous voyons, nous jugeons de la littérature, de l'art, comme "on" voit, comme "on" juge ; et même nous nous écartons des grandes foules comme "on" s'en écarte ; nous trouvons "scandaleux" ce que "on" trouve scandaleux. Le "on" qui n'est personne de déterminé et qui est tout le monde, bien qu'il ne soit pas la somme de tous, prescrit à la réalité quotidienne son mode d'être. L'être en commun cherche à imposer tout ce qui est conforme à la moyenne. Le "on" demeure toujours dans la moyenne de ce qui est convenable, de ce qui est reçu et de ce qui ne l'est pas, de ce qui mérite l'assentiment et de ce qui ne le mérite pas. Le souci de la moyenne recèle une nouvelle tendance de l'être là, nous l'appelons le "nivellement" de toutes les possibilités d'être. Cependant, comme il suggère en toute occasion le jugement à énoncer et la décision à prendre, il retire à l'être là toute responsabilité concrète. Le "on" ne court aucun risque à permettre qu'en toute circonstance on ait recours à lui. On peut toujours dire "on" l'a voulu, mais on dira aussi bien que "personne" n'a rien voulu. La majeure partie de ce qui s'accomplit dans l'existence quotidienne s'accomplit sans le fait de personne, le "on" est donc celui qui, dans le quotidien "décharge" l'être là. En le déchargeant ainsi, le "on" complait à la tendance qui pousse l'être là à la facilité et à la frivolité. Cette complaisance lui permet de conserver, voire d'accroître un empire obstiné. Chacun est l'autre et personne n'est soi-même. »
Être et Temps, Gallimard, p. 169-171.
Heidegger écrit aussi ceci : "Toute primauté est sourdement ravalée. Tout ce qui est original est terni du jour au lendemain comme archi-connu. Tout ce qui a été enlevé de haute lutte passe dans n'importe quelle main."
Ce qui signifie pour moi dans notre débat que les oeuvres peuvent être adulées pour de mauvaises raisons.
Par exemple la Joconde est admirée parce qu'on pense qu'il faut voir cette oeuvre et se faire photographier devant mais les motifs réellement esthétiques peuvent être totalement absents. On aime une oeuvre connue par vanité pour dire qu'on a du goût. Parce qu'on veut faire comme tout le monde ou comme ceux qui sont réputés avoir du goût font. Ce n'est pas tellement le message de l'artiste qui intéresse le public. On peut être très connu sans être reconnu. Voilà pourquoi de belles oeuvres peuvent passer pour bien connues et s'imposer comme références communes sans que l'on comprenne leur histoire et leur beauté réelle.
Je peux prendre l'exemple de la terre plate ou du système géocentrique. Aujourd'hui tout le monde trouve aberrant de défendre un tel système et pourtant les arguments en sa faveur ont longtemps été excellents et la différence était plus d'ordre esthétique (la beauté et la simplicité des équations physiques du système héliocentrique) que fondée empiriquement. Ceux qui aujourd'hui pensent que cette idée est évidente ne connaissent pas l'histoire des débats qui a amené à construire l'une des plus belles théories, à savoir, la théorie de la gravitation universelle.
Il en va de même dans tous les domaines, dès lors que l'on vulgarise une oeuvre, on simplifie le contexte de l'émergence de cette oeuvre et les présentateurs deviennent les rois de la foule qui ne pourrait pas comprendre pourquoi une telle oeuvre s'est imposée sans eux. C'est ce que constate Zarathoustra au tout début de son périple.
Il n'y a donc pas un rapport direct entre l'artiste et son public au moyen de son oeuvre mais ce rapport est biaisé par tout ce que l'on peut dire sur cette oeuvre. Je ne dis pas que cette rencontre est totalement impossible mais apprendre à lire une oeuvre est vraiment difficile et rares sont ceux qui ont le temps et l'énergie de le faire.