Complainte du Palais
I.
Ô Mes parquets luisants amenant des cohortes
De voyageurs pressés, avides et oublieux !
Comme je me languis de Mes hôtes fameux,
Tous ces fils des Louis glissant entre les portes,
*
Mes marquises poudrées jouant au piano-forte,
Mes pages sautillants aux visages heureux,
Mes troupes courtisanes, alanguies et puis mortes
Sous le règne cruel de ce Dieu monstrueux
*
Au visage sanglant, ricanant à la grille,
Au poing brandi de rage haut dressé sur la Reine,
Hurlant sous l’esclavage ignoré de ces Mille !
*
Dans Mes glaces ternies se reflètent à peine
Mes fantômes charmants errant à l’aventure,
Se heurtant faiblement contre les embrasures.
II.
Ô Mes jardins soignés coulant dans la verdure,
Piétinés sans remords par les pieds des barbares !
Et vous, nobles statues, larguez loin Vos amarres,
Détournez Vos regards du peuple miniature
*
Vers les frondaisons rousses et les toilettes rares
Chatoyant au soleil, ondoyant sous l’allure
De siècles fabuleux, menés d’une main dure
Au pied de grands ancêtres et des autels des lares !
*
Comme je me languis de Mes degrés de marbre
Baignés dès le matin par les troupes alertes
Des jardiniers du Roi courant entre les arbres,
*
Ardents et travailleurs, riant aux découvertes
De la poire luisant sur l’espalier garni,
Près du raisin muscat dans la coupe vernie !
III.
Ô Mes fêtes joyeuses, ô Mes éclats de rire !
Je perçois Vos propos, Vos galants badinages
Vos soufflets dérisoires – un éventail, un gage,
Un ruban de la belle, un miroir où s’admire
*
Le conquérant des cœurs proclamant par ses dires
Sa victoire assurée sur la belle au jeune âge,
Tendre dans Ma Chapelle au jour du mariage,
Oubliée dès demain – le meilleur est le pire.
*
Ô poussière du temps recouvrant Mes dorures !
Je soupire et frissonne en attendant la faux
Traînée sur l’Avenue au milieu des ordures
*
Qui taillera Mes arbres, hachera Mes rideaux,
Détruira Mes fontaines, éteindra Mes jets d’eaux.
Ô peuple trop bavard, sais-tu Mon autrefois ?