Bonjour tout le monde, me voilà repartie dans l'univers de la SF.
Cette fois-ci, je me suis inspiré de Blade Runner et après avoir lu deux romans de Rosa-Montero, une autrice espagnole que j'ai récemment découverte et dont l'héroïne est une réplicante.
Bonne lecture.
Instantané n°1
Dès que je la fixe du regard, je ne la vois plus, mais si je détourne un peu les yeux, elle réapparait dans un coin de mon champ de vision. Ce matin, j'ai le droit à une femme quelconque, typée, ménagère de moins de cinquante ans. Vous savez, la fameuse bonne femme à qui on peut refourguer tout et n'importe quoi. Ben voyons ! Elle me prend vraiment pour une débutante, je suis limite vexée. En même temps, elle fait de son mieux pour que je ne repère pas son informatrice. Ben, c'est raté ma vieille ! Je vais faire semblant de ne pas m'en être aperçue et vaquer comme si de rien n'était. Par contre, je dois trouver le moyen de désactiver le brouilleur visuel qui m'empêche de voir son agent correctement.
Tout ça, parce que j'ai eu la bonne idée de m'introduire dans la base de données de Brainoware Corporation, afin d'y dénicher les informations qui me manquaient, et que j'ai finalement trouvées. C'est quand même un peu ma faute, je n'aurais pas dû laisser autant de traces de mon passage. Elle n'a eu qu'à remonter au point source, faire une tangente multinormée, et lancer ses démons vers les serveurs idoines. J'aurais mieux fait de créer un clone de surface, afin de moins attirer l'attention. J'ai voulu aller trop vite et j'ai confondu, vitesse et précipitation.
Je sens que je vous ai perdu. C'est qui, celle qui me fait suivre par une bonne femme de moins de cinquante ans ? Ben, l'agent de sécurité de Brainoware Corporation, pardi ! Et c'est qui, cet agent de sécurité ? Une Imas 630 de dernière génération, typée Idroïde 7, une chieuse de première, croyez-moi. Pour l'instant, je vais aller prendre un verre de Jaja bleu, chez Bouroux, en plus, il y a un grand miroir derrière le bar et cela ne va pas plaire du tout à l'informatrice. Le brouilleur visuel ne fonctionne que pour les images directes, du coup, celles reflétées par le miroir ne le sont pas. Ce n'est pas diabolique ça ?
Le problème avec vous, les humains, c'est que vous avez des temps de réactions assez longs, alors que nous, les réplicants, sommes très avantagés dans ce domaine. L'ennui, c'est qu'ils ne font pas toujours très naturel. On ne peut pas tout avoir ! Du coup, l'informatrice s'est fait piéger en beauté. Le temps qu'elle réalise que je pouvais la voir, elle a eu un petit réflexe qui ne m'a pas échappé, et elle est allée s'asseoir dans un coin pour tenter de se faire oublier. Je vais attendre tranquillement en sirotant mon Jaja, que le serveur lui bloque la vue pour me tirer fissa.
Et voilà, le temps que Batifole, une drag de deux mètres bâtie comme une armoire à glace, lui apporte sa commande, en prenant bien son temps, comme je le lui ai demandé, je suis sortie rapidement en prenant soin de revenir sur mes pas, pour brouiller les pistes et prendre un taxi. J'ai rendez-vous dans le quartier des Amazones, avec Babapoule, un porteur de vie très talentueux et, excusez du peu, très beau garçon. J'ai toujours un grand plaisir à le rencontrer. Il est vrai que j'en ferais bien mon quatre heures, mais pas question d'avoir une quelconque aventure avec cet homme-là. Il fait partie des intouchables, de ceux avec qui on ne vit pas, mais de ceux, qui vous maintiennent en vie. Des bouées de sauvetage, des balises de guidage, des soleils dans la noirceur de nos vies de rep. Nous n'avons ni passé ni avenir, du coup, nous sommes des apatrides de l'humanité. Des chimères douées de conscience, avec une date limite de péremption qui peut fortement varier, suivant que l'hôte humain était plus ou moins âgé au moment de son décès.
Assise en tailleur sur le sol poussiéreux d'un garage individuel, au cinquième sous-sol d'un immeuble, j'abandonne mon corps aux bons soins de Batifole. Le transfert des données entre le terminal, sous la forme d'un attaché-case, et mon cerveau, se fait grâce à un câble à terminaison magnétique, dont le connecteur se trouve derrière mon oreille droite. Le problème, pendant une opération de maintenance, c'est que mon cerveau droit se déconnecte automatiquement, afin de ne pas subir les artéfacts numériques engendrés par le transfert à très haut débit et me faire souffrir le martyre. Je suis donc très vulnérable durant ces séquences, qui peuvent durer plusieurs minutes.
Bonne nouvelle, le brouilleur visuel est devenu obsolète et un patch récent va me permettre de ne plus avoir ce genre de déboire. Mise à jour des données matricielles et recalibrage des horloges médianes vont me permettre d'être un peu plus réactive. Espérance de vie ? Je préfère ne pas savoir. Pour tout cela, il m'a fait un bon prix. Huit mille euros quand même, mais il faut ce qu'il faut lorsque l'on fait mon métier. Je suis enquêtrice privée et assermentée BEEP (Bureau Européen des Enquêtes Privées). J'en ai chié pour l'avoir, parce que ces examens, pour les réplicants, sont beaucoup plus compliqués que pour les BH (Bio humain). Rassurez-vous, je ne vais pas m'appesantir sur la ségrégation dont nous faisons l'objet, mais je vous rappelle que c'est quand même vous qui nous avez créés, vous vous souvenez ?
La rue des Pas Perdus, dans le quartier des Sarrasins, est, comment dire ? Pittoresque. Un terme qui ne veut pas dire grand-chose et plein de sous-entendus. Propreté plus que douteuse, immeubles anciens noircis par le temps et la pollution, fragrances indéterminées. En plus, il vaut mieux éviter d'y flâner tard le soir. Il se trouve que je suis suivie depuis quelques minutes par un gamin qui ne me lâche pas. Je me retourne brusquement.
– Qu'est-ce que tu veux toi ?
Il sursaute et ouvre de grands yeux affolés.
– Réponds immédiatement ou je m'énerve !
– Ben, euh... Vous êtes bien une Rep, hein ?
– Qu'est-ce que ça peut te faire et pourquoi tu me demandes ça ?
– Ben, paraît que votre urine donne des pouvoirs spéciaux aux Bios, c'est vrai ?
Alors là, je suis sur le cul.
– Qui t'a dit une chose pareille ?
– C'est les copains de mon père, ils disent que les autoratés font exprès de rien dire pour pas que ça se sache. À cause des problèmes que ça pourrait poser et je sais plus quoi.
– D'abord, on dit « autorités » et pas « autoratés », encore que l'on pourrait en discuter, mais passons. Ensuite, tu diras à ton père que ses potes sont des crétins et des débiles patentés. Finalement, laisse tomber « patentés », je n'ai pas envie que tu te fasses un claquage au cerveau. Pour ta gouverne, aïe, encore un mot compliqué, sache que mon urine est exactement comme la tienne. Maintenant dégage, je n'ai pas de temps à perdre.
Finalement, il est reparti tout penaud et apparemment triste que ce ne soit pas vrai. Franchement, qu'apprenez-vous à vos mômes, quand est-ce que vous arrêterez vos conneries envers nous ? Vous trouvez que ce n'est pas assez compliqué comme ça ? Pourquoi donner aux associations anti-rep, des arguments supplémentaires pour nous discréditer davantage ? Tout cela va mal finir, je vous le dis. Bref, je suis montée au cinquième étage à l'adresse que l'on m'avait indiquée et j'ai donné toutes les informations pour lesquelles j'avais été embauchée. Après avoir été payée, je suis rentrée chez moi où m'attendait sagement Fifine, ma tortue d'Hermann. Au moins, avec elle, je ne suis jamais déçue, d'ailleurs, ce soir, ça va être la fête. J'ai réussi à lui trouver de la Batavia bio, elle va se régaler.
2024