. Je le situerai en parallèle de La bataille de Nargaronne
. Cependant il n'est pas nécessaire d'avoir lu un autre texte pour lire celui-ci
J'espère que vous l'apprécierai, autant que les autres, et qu'il s'inclue bien dans l'univers. Bonne lecture !
Dans la ville d'Ardhi-Kwanza, le chef de la tribu des crinières dorées, Inrikhu se diriga vers le Refuge, le bâtiment où se tenaient les réunions entre les dirigeants et conseillers de chaque tribu des Liontáris. Il portait souvent fièrement son plastron en métal, en plus d’une épée à sa ceinture, comme s’il était prêt à prendre part à une bataille d’un moment à un autre. Son fils aîné, Unrithi, allait d’ailleurs prendre part à ce genre de réunions pour la première fois. Le chef de la tribu fut salué par quelques gardes avant d’entrer dans le bâtiment. La première salle était directement celle avec une grande table ronde et de nombreuses chaises dotées de dossiers eux aussi bien dimensionnés.
— Votre Altesse, déclara un des conseillers.
— Content de vous voir, dit un autre.
Inrikhu s’assit et croisa le regard de son fils, assis en face de lui depuis un moment.
— Commençons donc, déclara le chef. Quelles sont les nouvelles ?
Les conseillers se regardèrent entre eux. Les nouvelles allaient déplaire au chef, bien qu’il soit d’ordinaire un liontári droit et compréhensif. Une éclaireuse, qui n’avait pas droit à un siège, s’avança et prit la parole.
— Les Hommes d’Alvarenn ont repoussé leur frontière. Ils ont agrandi leur territoire en s’appropriant une partie des terres neutres.
— Quoi ? cria le chef.
— Ils ont imposé un peloton et implanté leur drapeau rouge.
Des murmures se répandirent dans la salle, notamment entre les conseillers de la tribu des crinières dorées et des représentants des crinières noires. Quant au seul membre des crinières blanches présent, il restait assis, bien enfoncé dans son siège avec une main posée sous le menton. Il était vêtu d’une robe blanche, habituelle pour les membres de sa tribu. Certains liontáris blancs étaient des sorciers, tout comme les noirs étaient réputés être des forgerons et des menuisiers, armes et engins étaient leur spécialité. Leur chef, du nom de Mavros, présent à la réunion, portait une tunique marron avec des bracelets épais.
— Il doit y avoir erreur, déclara Mavros.
— Ils ont violé les terres neutres et notre pacte, s’exclama Inrikhu.
— Les Hommes ont du mal avec nos coutumes, lança un conseiller.
Le pacte entre Alvarenn et Ardhi stipulait qu'il devait y avoir des terres qui resteraient neutres tout comme entre chacun des territoires respectifs de chaque tribu. La discussion devint désordonnée pendant un instant, les uns donnant leur avis aux autres et vice-versa. Certains se levaient même de leur siège en faisant de grands gestes. L'éclaireuse reprit la parole tant bien que mal.
— Il y a au moins dix soldats et quelques chevaux. Pour le moment ils ont juste monté quelques tentes. Il n'y a pas de bâtiments.
— Pour le moment ! cria un autre.
Le chef des crinières dorées reprit la parole pour faire taire le brouhaha.
— Je pars donc de ce pas pour régler cette faute.
— Faut-il se préparer à se battre ? demanda un dirigeant crinière noire.
— Bien sûr que non. Il est important de préserver la paix avec Alvarenn, répondit un conseiller d'Inrikhu.
— Je ne vais que observer ce qu'il en est, expliqua le chef des crinières dorées. Je vais essayer de résoudre ce problème avec les Hommes sans les offenser.
Inrikhu se releva et s’en alla accompagné par deux soldats. Unrithi, qui n’avait pas dit un mot jusque-là, se leva lui aussi pour rattraper son père. Il bouscula involontairement des représentants des crinières noires qui le suivirent alors du regard. Le fils était désormais un liontári mature. Il était physiquement le portrait craché de son père en plus jeune. Cependant, concernant son esprit, il n’avait pas encore acquis suffisamment de sagesse pour hériter des rênes de la tribu et du peuple. C’est pour cela qu'Inrikhu l’avait convié à cette réunion, il espérait le former petit à petit pour qu’il prenne la relève. Unrithi sortit du Refuge et courut derrière son paternel.
— Père, que faites-vous ? Vous allez vraiment rendre visite aux Hommes ?
— Oui mon fils.
— Et si cela se passe mal ?
— Je ne l’espère pas. Ils n'ont aucun intérêt à nous attaquer à vrai dire.
Inrikhu s’arrêta et se retourna vers Unrithi. Ils avaient tous deux les yeux jaunes, très communs chez les Liontáris.
— Tu sais, aujourd’hui cela fait quatorze ans que ta mère nous a quittés, déclara le chef. J’espérais que ce serait un jour paisible, mais je vais devoir réparer les fissures provoquées par l’ego de certains individus.
— Je comprends. Puis-je vous accompagner ?
— Non mon fils, reste là. Au cas où c’est un piège, il doit y avoir quelqu’un pour protéger tes deux sœurs.
— D’accord, j’agirai selon votre volonté.
Inrikhu colla son front à celui de son fils pour le saluer puis partit en courant à quatre pattes pour rejoindre des soldats. Il décida de partir avec son ami Marien, un autre wazimus et quelques fantassins ainsi que l'éclaireuse présente à la réunion. Les wazimus étaient les liontáris les plus costauds qui passaient, lors des batailles, en première ligne. Ils avaient l’habitude de se battre à mains nues et rarement avec des armes. Marien en était un et il était aussi un des plus vieux amis du chef. Tous deux s’étaient connus avant qu’il prenne la relève de son père. Il leur était souvent arrivé de s’entraîner ensemble, à tel point qu’ils étaient presque comme des frères, autant au sein de la tribu que sur les champs de bataille.
Inrikhu avait trois enfants : Unrithi et Anpacha, qui étaient faux jumeaux, et Chana née peu de temps avant le décès de sa femme. "La cheffe de la tribu", comme surnommée autrefois, avait perdu la vie lors d'une bataille, sous ses yeux. L'un des seuls souvenirs que ses enfants avaient d'elle était une gravure de toute la famille, concervée dans la demeure familiale. Le père veillait toujours sur ses enfants, bien qu'il était parfois occupé par les réunions et les entraînements.
Le groupe du chef traversa une grande plaine. Des oruphas broutaient tout en surveillant dans le coin du regard les liontáris qui passaient près d'eux. Il s'agissait de ruminants à cornes droites, dotés d'une trompe avec laquelle ils arrachaient les quelques brins d'herbes présents. Le vent caressait les joues des soldats et les poils des animaux environnants. Marien entama la discussion en retirant Inrikhu de ses pensées :
— Alors les pouilleux ont rompu le pacte ? demanda Marien.
— Selon un de nos éclaireurs oui, dit le chef. Mais j’espère que ce n’est qu’un malentendu.
— On va leur mettre une raclée si ce n’est pas le cas.
— Oh, ne met pas en péril mes talents de diplomate, déclara Inrikhu sur un ton blagueur.
— On arrive, Votre Altesse ! annonça l'éclaireuse présente à la réunion.
Tous les liontáris se turent. Ils virent effectivement un drapeau d’Alvarenn et une vingtaine de soldats en armure. Le chef de la tribu avait son épée, tout comme les fantassins. Les éclaireurs avaient quant à eux un arc ou un grand lance-pierre. Marien possédait une hache mais pouvait, sans hésiter, se jeter de tout son corps sur les ennemis sans faire usage de son arme.
— Hommes ! s’écria Inrikhu.
— Liontáris ! répondit le capitaine alvarennien après s’être retourné en direction du groupe.
— Que faites-vous ici avec un campement ?
Le capitaine moustachu attendit que tous les liontáris soient devant lui pour répondre à la question. Ses soldats avaient leurs mains sur leurs épées au cas où les intrus attaqueraient. Personne ne savait comment cette confrontation allait se passer.
— La tribu..., commença le capitaine avant de réfléchir, des crinières blanches, nous a autorisés à annexer cette portion de terrain.
— Les crinières blanches ? répéta Inrikhu. Il doit y avoir erreur.
— Et ce n’est pas à eux de prendre une telle décision, ajouta Marien.
— Hélas, je ne peux rien pour vous, déclara le capitaine. Un accord est un accord. Désormais partez ou je demande à mes soldats de vous renvoyer chez vous.
Inrikhu releva la tête pour observer le capitaine et ses soldats. Ils étaient clairement en supériorité numérique. Il se retourna vers ses propres troupes pour leur faire signe qu’il était temps de repartir.
— Quand j’aurais réglé le problème, je peux vous assurer que vous repartirez chez vous alvarenniens.
Inrikhu, Marien et les autres liontáris quittèrent le lieu rapidement. Le chef des crinières dorées comptait se rendre dans le territoire des blancs pour avoir des explications. Il n’avait aucune idée de la raison pour laquelle ses confrères auraient fait cela, il se serait même plutôt attendu à une trahison de la tribu noire que celle-ci. Les liontáris blancs étaient, du fait de leur fonction, souvent plus sages que les liontáris noirs. Le groupe retraversa des herbes mi-hautes pendant près de dix minutes avant de retrouver réellement Ardhi.
Inrikhu découvrit deux rangées de soldats. Arben, l’un de ses conseillers se tenait devant les guerriers et s’avança lorsqu’il vit le chef. Il était à peine plus petit que le chef de la tribu et possédait des yeux bleus. Le conseiller était aussi légèrement plus âgé qu’Inrikhu.
— J’ai levé un groupe de soldats au cas où vous auriez engagé le combat avec les Hommes.
— Ce n’est pas nécessaire. Du moins pour le moment.
— A vos ordres.
— Je vais me rendre chez les crinières blanches avec Marien et deux autres liontáris, annonça Inrikhu.
— Que se passe-t-il ?
— Apparemment ils auraient fait un pacte avec les alvarenniens pour échanger des terres ou quelque chose de la sorte.
— Ça ne présage rien de bon Monseigneur. Je sens que la paix va être fragilisée.
— Vous savez, je pense que la paix a toujours été fragile. Si ce n’est ni les Hommes ni une autre tribu qui nous attaque, cela sera un autre peuple.
— Bonne chance.
— Je vais juste leur rendre visite, tout va bien se passer, termina Inrikhu.
Arben hocha la tête puis laissa le chef partir accompagné du wazimus, d’un fantassin et d’un éclaireur. Pressés de résoudre le problème, ils partirent en courant.
Unrithi apprit que son père était reparti par Arben. Le conseiller lui promit de le mettre au courant. Le jeune liontári décida d’aller s’entraîner à l’épée pour attendre le retour de son père.
En un quart d'heure, Inrikhu et ses compagnons arrivèrent dans le territoire des crinières blanches. Les bâtiments étaient pour la plupart en forme de cônes blancs, avec parfois des motifs de couleur. Ce n’était pas la première fois que le chef venait, chaque année un festival était organisé en l’honneur de la paix, du peuple mais aussi du Grand Esprit. Il faisait aussi des visites amicales aux autres dirigeants de temps en temps. Jamais Inrikhu n’aurait cru venir pour une telle affaire. Il fut directement accueilli par un fantassin blanc qui s'inclina un instant avant de relever la tête.
— Que nous vaut cette visite, Votre Altesse ?
— Je tiens à avoir une entrevue avec les dirigeants de la tribu.
— Cela était prévu ?
— Non, mais c’est une affaire urgente, déclara Inrikhu.
— Je vois.
Les liontáris dorés avaient l'impression que le garde ne voulait pas les aider. Ils étaient pourtant obligés d’attendre pour éviter d’aggraver les problèmes. Vint alors Asporo, justement l’un des chefs de la tribu. Le garde s'écarta.
— Asporo, content de vous voir, dit Inrikhu.
— De même mon cher, répondit le liontári blanc. Que vaut cette visite ?
— Je voudrais te parler, avec les autres dirigeants si possible.
— Je crains d’être le seul à pouvoir vous écouter, mais suivez-moi.
Inrikhu adressa un regard soulagé à Marien. Le problème allait enfin être réglé selon lui. Le chef des crinières blanches guida le groupe jusqu’à un grand cône, le siège des chefs de la tribu. Il s’assit sur une grande chaise aussi blanche que les murs.
— Alors, je vous écoute Inrikhu, dit Asporo.
— Eh bien je me suis rendu dans les terres neutres, entre mon territoire et Alvarenn, commença Inrikhu.
— Et ?
— Et les Hommes ont posé un camp ici.
— Dans les terres neutres ?
— Oui. Je leur ai dit qu’ils n’avaient pas le droit.
— Et ils ne vous ont pas écouté, c’est bien cela ?
— Oui tout à fait. Et ils m’ont dit...
Inrikhu s’arrêta quelques secondes, le temps de réfléchir à sa formulation et à la réaction qu’aura Asporo.
— Ils m’ont dit que c’est vous, les crinières blanches qui avez autorisé cela.
Asporo passa une main dans ses vibrisses avant de se redresser.
— Tout cela est dérangeant, n’est ce pas ? dit le liontári blanc.
— Oui énormément.
— Mais c’est donc bien vous ? lança Marien.
— Bien sûr, avoua Asporo.
Inrikhu fut surpris par cette révélation et se raidit. Marien quant à lui, fit un pas en avant pour se retrouver à côté de son ami.
— Comment ? Pourquoi ?
— Inrikhu, ne me dites pas que personne ne convoite le pouvoir et la richesse. Vous devriez le savoir. Votre père lui-même a pris la place de chef au sein de votre tribu alors que votre grand-père n’était pas dirigeant auparavant.
— Je ne vois pas le rapport Asporo. Vous avez non seulement interféré dans la gestion du territoire de la tribu mais aussi rompu l’équilibre. Le Grand Esprit ne saura vous le pardonner.
— Ne me parlez pas de l’Arché-Liont. Votre tribu s’attribue tout la gloire de notre peuple. Mais il est temps que ça change Inrikhu.
— Non Asporo. Vous ne pouvez pas détruire la paix que tous nos ancêtres ont bâtie.
— Au revoir Inrikhu.
Asporo bondit en arrière juste avant qu’une explosion ait lieu dans la salle. Le plafond s’effondra et une partie des murs s’écroula aussi. Inrikhu fut touché et n’entendit plus rien d’autre que des acouphènes. Les trois autres liontáris allaient à peu près bien même s’ils étaient secoués par l’explosion et aussi surpris par la trahison des crinières blanches. Marien aida le chef à se relever. Ils virent tous deux d’autres liontáris s’approcher avec des bâtons de magie et des arcs.
— Il faut vous exfiltrer ! cria Marien en comprenant qu’Inrikhu était désorienté.
— Non... non, répondit le chef.
— Repartez, je vais vous protéger.
— Tu ne peux pas.
— C’est ici que nous nous séparons. On se retrouva un jour, dit-il juste avant de se prendre une flèche dans le dos.
Marien rugit puis se retourna pour écraser un ennemi avec sa hache. Les deux autres soldats des crinières dorées prirent Inrikhu par-dessous les bras puis s’éloignèrent du tas de pierres qui composait l’ancien siège des chefs de la tribu blanche. Inrikhu, ayant retrouvé un peu ses esprits, se retourna pour observer Marien une dernière fois, peu de temps avant qu’il ne perde la vie sous les flèches et sorts des magiciens liontáris. Il tomba à genoux puis, yeux fermés, complètement sur le ventre en remuant la poussière de l’effondrement.
Les trois liontáris progressèrent sans embûches jusqu’à ce que des flèches, ratant leurs cibles, tombent à leurs pieds. Le fantassin sortit son épée et l’éclaireur arma une flèche qu’il décocha rapidement.
— Continuez Votre Altesse, je vais les ralentir, déclara le fantassin.
— Non, vous devez revenir à mes côtés jusqu’au territoire, répondit Inrikhu.
— Désolé, ce n’est pas une question. Maintenant partez.
Le fantassin se mit en avant, épée à la main, prêt à recevoir les poursuivants. Inrikhu n’eut pas d’autres choix que de continuer à courir avec l’éclaireur, en espérant que les ennemis ne les rattraperaient pas. Après une centaine de mètres, le chef décida de rugir deux fois de suite pour appeler des renforts.
Après de très longues minutes, trente soldats envoyés par Arben retrouvèrent Inrikhu et l’éclaireur encore en vie. Avant même que le chef n’explique la situation, les soldats avec des grands boucliers constituèrent une ligne de défense pour protéger Inrikhu.
— Votre Altesse, vous êtes blessé ? demanda une des renforts.
— Non tout va bien sergente. Mais Marien et un autre liontári ont perdu la vie en combattant avec bravoure.
— Il faut se replier pour prévenir le reste de l’armée, répondit la sergente.
— Je vous suis alors, dit Inrikhu.
Des flèches commencèrent à voler mais furent stoppées par les boucliers des dorés. La ligne recula lentement tandis que les autres partirent en courant pour retrouver Arben et d’autres gardes. La bataille n'était plus qu’à quelques pas du territoire d’Inrikhu.
— L’heure est grave Arben, annonça le chef.
— Comment cela est-il possible ?
— Les crinières blanches ont fait une sorte de pacte avec Alvarenn.
— Un pacte ?
— Ils font alliance pour prendre nos terres et les partager entre eux.
— Comment peuvent-ils nous trahir ? Nous sommes alliés depuis des générations.
— Je ne sais pas Arben, mais là il faut préparer nos troupes, fait sonner l’alerte.
— Et les crinières noires ?
— Ils n'ont pas l'air d'être impliqués, dit Inrikhu en partant vers sa demeure.
Des fantassins avec des grands boucliers refirent une grande ligne du côté du territoire des crinières blanches. Derrière eux, des wazimus et des éclaireurs s’apprêtaient aussi à se battre. Arben retourna au Refuge pour prévenir les autres conseillers et enfiler son armure. Les autres liontáris inaptes à la guerre, enfants, mères ou vieillards, se réfugièrent chez eux. Arben n'avait pas l'habitude de se battre. Il préfèrait la réflexion à l'action, mais aujoud'hui il savait que le combat serait décisif.
Inrikhu ouvrit la porte de chez lui puis Chana alla vers lui directement. Le chef des crinières dorées prit sa fille dans ses bras.
— Papa !
— Je suis de retour.
Unrithi et Anpacha, contrairement à leur petite sœur, se doutaient que cela allait être éphémère. Ayant entendu leur père puis des soldats partir, ils s'étaient préparé à combattre en enfilant leurs tenues. Unrithi avait suivi une formation de fantassin et était donc un épéiste assez doué bien qu’il n’ait jamais pris part à une vraie bataille. Anpacha avait suivi, comme la plupart des femelles, un entraînement d’éclaireuse et manipulait un arc à la perfection. Les deux jumeaux se complétaient donc plutôt bien. Le père de famille était revenu pour prévenir ses enfants ainsi que récupérer son bouclier et sa couronne de chef.
— Je suis désolé Chana, si je ne suis pas toujours présent, avoua Inrikhu avec sa voix grave.
— C’est pas grave. Ce qui compte c’est que tu m’aimes n’est-ce pas ?
— Oui, je t’aime, toi, ta sœur et ton frère.
Les trois enfants embrassèrent leur père pendant un instant jusqu’à ce que le cor de la ville retentisse. Inrikhu prit alors sa couronne qu’il mit sur son front. Il saisit ensuite son bouclier rectangulaire orné de deux dents à l’avant et à l’arrière afin de s’en servir comme une seconde arme. Il était forgé avec le même métal que son épée et son armure. Unrithi sortit son épée de son fourreau et mit son casque, prêt à suivre son père.
— C’est bien mon fils. Tu es prêt.
Unrithi rougit légèrement, touché par la confiance que son père lui accordait.
— Est-ce possible qu’on perde père ? demanda le jeune liontári.
— Ce n’est pas que la victoire qui compte mon fils. Il y a aussi le courage.
— Oui mais...
— Tu sais, quand j’étais petit, pour moi le liontári le plus courageux c’était mon père. Aujourd’hui, selon moi, le plus courageux de la tribu c’est toi. Mais ce n’est pas le seul point commun que tu as avec ton grand-père, vous partagez tous deux le même prénom.
Unrithi était déjà au courant de cela, qu’il avait le même prénom que son grand-père, mais cela lui donnait toujours des frissons quand il y pensait. Inrikhu avait bien évidemment donné ce nom pour honorer son grand-père, mais aussi dans l’espoir et la volonté que son fils lui succède un jour à la place de chef.
— Je ne resterais pas les bras croisés, père, déclara Anpacha.
— Anpacha, je sais que tu as envie de te joindre à ton frère, mais je te demanderai de rester ici pour veiller sur ta sœur. Si Unrithi et moi devions mourir, toi et ta sœur seriez les derniers membres de la famille Ann-Rhi.
— Je comprends, dit Anpacha en baissant les yeux.
Inrikhu fit un signe de tête puis s’en alla avec son fils. En sortant, ils découvrirent que la quasi totalité de l’armée de la tribu des crinières dorées était déployée. Arben était aussi là, entouré par les soldats gradés. En voyant le chef et son fils, le conseiller et les soldats sortirent les griffes de leur main gauche et posèrent celle-ci sur leur poitrine pour saluer Inrikhu. Ce signe symbolisait le fait que les griffes sont tournées vers le guerrier lui-même et donc qu’il suivrait jusqu’à la mort le chef de la tribu. Inrikhu fit le signe inverse, il pointa sa patte avec ses griffes dévoilées en direction de ses soldats tout en montrant ses dents pointues. Tout le monde rabaissa son bras puis le chef rugit pour préparer son armée à la guerre. C’était une ancienne tradition de faire ceci et cela faisait des années qu’Inrikhu n’avait pas rugi pour prévenir que la bataille était imminente.
— Mes frères, liontáris dorés. Aujourd’hui nous défendons notre terre. Aujourd’hui nous allons repousser les envahisseurs, les Hommes et les traîtres de la tribu des crinières blanches. Le Grand Esprit sera avec nous, et nous vaincrons !
Les rangs se resserrèrent. La stratégie de combat était d’attendre que les ennemis fussent à portée pour que les wazimus passassent ensuite entre la première ligne défensive afin de massacrer les lignes ennemies au corps-à-corps. Les fantassins affronteraient ensuite les ennemis blessés avec les éclaireurs qui les couvriraient à distance.
Inrikhu allait rester en troisième ligne avec des fantassins tandis que son fils avait reçu ordre de rester dans la ligne qui précédait. Le stress monta petit à petit dans l’esprit de chacun, surtout que la pluie commençait à tomber.
Au bout de plusieurs longues minutes, les premiers hommes d’Alvarenn se montrèrent. Ils avaient choisi judicieusement la composition de leur armée : des cavaliers passaient en premiers suivis de près par des soldats lourdement armés. A vrai dire, il s’agissait de la seule manière pour repousser les wazimus correctement. Une grande ligne d’archers couvrait aussi les autres soldats en tirant une première salve de flèches qui distraya la ligne de défense. Les premiers cavaliers arrivèrent alors et enfoncèrent la ligne en plusieurs endroits. Certains chevaux furent ensuite stoppés par des wazimus qui tuèrent leurs cavaliers. Ceux qui étaient encore en vie avec leur monture perçaient les rangées des liontáris pendant plusieurs secondes.
Le combat entre les fantassins des deux armées débuta ensuite. Les archers des deux camps continuaient à provoquer des averses de flèches mortelles. Le sang se mélangeait aux flaques d’eau tandis que le bruit strident des armes qui s’entrechoquaient résonnait. Inrikhu s’élança et attaqua un premier ennemi qu’il tua sans difficultés. Après plusieurs victimes, il releva la tête pour contempler les alentours. La plupart des wazimus étaient morts, une vingtaine de fantassins aussi. D’autres furent gravement blessés. Il avait l’impression que du côté d’Alvarenn, les soldats étaient très peu touchés hormis les cavaliers qui étaient tous morts. Avant même que le chef puisse prendre une décision, des boules de feu venues de l’est apparurent. Inrikhu comprit qu’il s’agissait des sorciers liontáris et donc que l’armée des crinières blanches arrivait. Avec un grand mouvement de bras, il fit signe à quelques soldats de le suivre puis fonça en direction des premiers épéistes blancs. Son bouclier, tendu vers l’avant, le protégeait des boules de feu et des coups d’épée et, sans aucune pitié, le chef des dorés ôta la vie à ses ennemis. Mais après que les liontáris à crinière dorée aient tué une dizaine d’ennemis, ils découvrirent une légion complète et surent qu’ils ne pourraient pas plus avancer.
— Monseigneur, nous devons repartir, déclara un soldat avec un œil en moins, remplacé par une cicatrice.
Inrikhu, toujours déterminé, leva son épée en l’air et la fit tourner sur elle-même avant de la pointer en direction de la légion ennemie. Arben vit le signe de loin et ordonna aux archers d’envoyer une salve sur les liontáris blancs. La plupart des flèches furent cependant stoppées par des sorts défensifs et en réponse, les sorciers envoyèrent de nouveau des boules de feu. Soit elles touchaient un soldat, soit elles tombaient puis roulaient sur le sol jusqu’à être stoppées par un obstacle.
Cette fois, Inrikhu se décida enfin à reculer en esquivant les cadavres de ses frères d’armes. Au contraire, pour les corps inanimés des ennemis, il n’hésitait pas à leur marcher dessus voire même à abréger les souffrances de ceux qui bougeaient encore légèrement. Quelques soldats derrière le chef moururent en étant stoppés dans leur course.
Mavros des crinières noires arriva avec sa garde rapprochée. Ils avaient tous soit une épée, soit une arbalète et étaient vêtus d’armure légères ainsi que de coutures marron. Ils se dirigèrent vers Unrithi. L’héritier reconnut l’ami de son père et le salua.
— Unrithi.
— Monsieur.
— Que se passe-t-il ? Où est ton père ?
— Il est là-bas, dit Unrithi en pointant du doigt la direction.
Mavros remercia le jeune liontári puis partit avec ses soldats. Inrikhu vit arriver les liontáris noirs et s’éloigna des combats pour le saluer.
— Inrikhu, que se passe-t-il ?
— Mavros. Vous vous joignez à nous ?
— Qu’est-ce qu’il se passe ? redemanda le liontári à crinière noire.
— C’est Alvarenn et la tribu blanche. Ils combattent pour morceler mes terres.
Le chef de la tribu noire fit un pas en arrière et posa une main sous le menton comme pour réfléchir un instant. Inrikhu, pendant ce temps, stoppa un ennemi qui venait vers lui, avant de se reconcentrer vers son interlocuteur.
— Les blancs ont donc agi ainsi, chuchota Mavros.
Inrikhu plissa les yeux et se pencha vers son ami.
— Les discordes d’un jour sont les alliances d’un autre, ajouta le liontári noir.
Il sortit son épée et fonça sur Inrikhu. Le chef doré esquiva de peu puis se retourna pour enfoncer sa propre épée dans le dos de son ami. Il retint sa chute en ayant sa main derrière la tête du liontári noir.
— Mon ami, dit Inrikhu avant de soupirer. Pourquoi ?
Le chef doré ferma les yeux du chef noir qui avait rejoint l’autre monde. Les gardes de la tribu noire découvrirent Inrikhu avec le cadavre de Mavros.
— Notre chef !
— Tuons-les ! exclama un autre.
Une vague de carreaux partit avant qu’Inrikhu ne puisse prendre son bouclier pour se protéger. Des fantassins s’occupèrent des nouveaux traîtres, permettant ainsi au chef de se relever et de s’éloigner de là. Cependant, il s’arrêta rapidement, lorsqu’il découvrit Asporo avec son bâton de magie. Les deux liontáris avaient quelque chose à régler. Ils savaient que tuer l’autre donnerait quasiment la victoire à sa tribu.
Inrikhu resserra sa prise sur son épée et son bouclier puis fonça en direction de son rival. Celui-ci envoya des boules de feu mais Inrikhu les bloqua avec son bouclier. Asporo, surpris par la détermination de son adversaire, s’arrêta alors. Inrikhu, à portée de l’ennemi, brandit son épée, prêt à ne pas l’épargner. Là, Asporo se décala au dernier moment puis pris un poignard pour porter un coup à Inrikhu. Il lui sectionna l’extrémité de la queue. Sous la douleur et l’esquive d’Asporo, Inrikhu chuta au sol. Le chef blanc s’avança vers son adversaire pour s’apprêter à l’exécuter.
— Prépare-toi à quitter ce monde, déclara Asporo.
Inrikhu fixa son opposant mais n’avais plus la force de se relever. Asporo tendit son bâton vers le liontári doré pour s’apprêter à lui jeter un sort mortel. De nulle part, une flèche vint se loger entre les côtes du sorcier qui tomba à genoux. Une tache de sang s’étendit petit à petit sur les habits blancs d’Asporo. C’était Anpacha qui venait sauver son père avec Unrithi et Arben. Ces derniers aidèrent le chef à se relever et à marcher.
— Nous devons nous enfuir ! cria Arben.
— Non... non... la tribu a besoin de moi, dit Inrikhu.
— Votre Altesse, la moitié de l’armée a déjà péri. Les autres armées n’ont pas l’air en mauvaise posture.
— Il faut donc s’en aller père, ajouta Unrithi.
Inrikhu balaya le paysage du regard et ne vit que des cadavres et des flaques de sang avec des armes abandonnées. Certains arbres étaient en feu ainsi que des cadavres. Le chef se résolut donc à être porté par son fils et le conseiller pour quitter la terre de sa tribu et Ardhi. Après s’être éloignés discrètement, le groupe retrouva deux éclaireuses qui protégèrent le chef et ceux qui l’accompagnaient. Arben s’arrêta pour émettre un long rugissement signifiant de battre en retraite. La plupart des soldats obéirent alors et tentèrent de rejoindre les autres survivants. Des habitants innocents sortirent de leurs cachettes et rejoignirent aussi le cortège. Arben compta les soldats qui arrivaient, car la plupart étaient arrêtés en chemin par des alvarenniens ou des crinières blanches. Des éclaireurs et éclaireuses, un peu moins de fantassins et une wazimu femelle furent les seuls soldats qui purent suivre le chef de la tribu. Ce dernier repensa au sauvetage d’Anpacha.
— Au fait, commença Inrikhu. Où est Chana ?
Anpacha haussa les sourcils. Elle espéra pendant quelques secondes qu’elle avait pu se joindre à l’attroupement.
— Avant de sortir, je... je lui avais dit de se mettre en lieu sûr.
Le visage du chef se crispa. La peur de perdre un des enfants se mit à le hanter. Les autres liontáris se mirent à chercher, se regarder entre eux, demander s’ils n’avaient pas vu la deuxième fille du roi. Malheureusement, elle ne semblait pas être parmi les rescapés.
⁂
Loin de là, Asporo était toujours debout, entouré de soldats avec lesquels il cherchait des survivants ou interrogeait des prisonniers.
— Retrouvez des dirigeants de la tribu dorée, ordonna Asporo. On doit faire signer la reddition.
— Désolé mais je pense qu’ils ont dû périr lorsque l’on a éliminé des fuyards.
— Ou bien ils sont faits prisonniers.
Asporo n’était pas satisfait par une telle situation. Il craignait qu’Inrikhu ou d’autres liontáris puissants se rendent dans une ville ou un royaume secrètement allié afin de considérer l’attaque comme illégitime.
— Monseigneur ! cria un soldat blanc. Nous avons trouvé une fille.
— Oui ? réagit Asporo.
— Il s’agirait de la benjamine d’Inrikhu.
Le soldat tira la jeune liontári par le bras pour la présenter. Il s’agissait bien de Chana, capturée par les ennemis de son père et désormais loin de celui-ci. L’alliance Hommes-Liontáris blancs comptait exploiter son statut de membre de la famille Ann-Rhi pour s’approprier définitivement le territoire qu’ils avaient fraîchement conquis.
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