Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.
la playa ça me :coeur:
Sigfrud contemplais l’horizon violacé, mains sur les hanches, cigare d’eucalyptus fumant coincé entre les dents. C’était pour ce matin.
« J’aime l’odeur de l’eucalyptus au petit matin. »
Grognement à côté de lui. Ca commençait à lui brûler les lèvres et, en louchant sur le mégot, il se rendit compte qu’il allait bientôt fumer sa moustache. D’un geste maladroit, il se brûla le bout des doigts avec un petit cri que son état-major fit semblant de ne pas entendre et le mégot tomba dans le sable. D’un coup de rangers il l’enfonça dans la plage, avant d’avoir un remord écologique en gratouillant du bout de sa pompe pour le retrouver. Sans succès, enfoncé à jamais dans le sable doux et scintillant de Proco Mosso.
« Vous en voulez un autre, chef ? J’ai patchouli.
- Volontiers. »
La face d’eucalyptus balafrée de son bras droit, Robotonoloko, lui tendit sa main, de laquelle il arracha un doit pour se le fourrer entre les dents. Aussitôt, Robobo’ en fit pousser un nouveau, insensible sous ses balafres qu’il gardait volontairement en gage de vétéran. Le printemps s’avançant, il bourgeonnait de tous les côtés le rajeunissant de beaucoup. Une petite fée, jusque-là discrètement logée sur l’épaule du Commandant Sigfrud, fureta avec un briquet runique aussi gros qu’elle pour allumer le cigare.
« Merci. »
Tous trois étaient tournés vers l’horizon, cet horizon violet qu’ils avaient appris à si bien connaître après ces dizaines d’années de lutte passées ensemble. Au loin, les cocotiers des autres îles se découpaient sur des nuages diffus, d’un bleu saphir rendu pastel à cause du coucher de soleil. Les deux soleils disparaissent en même temps. Dans leur dos, une lumière verte commençait déjà à poindre. Ils avaient une heure pour agir. Le commandant Sigfrud, demi-géant qui luttais contre l’obésité héréditaire, tourna sa montagne de muscle à regret du paysage. Derrière eux, le régiment s’activait. Sigfrud, depuis son entrée – et son licenciement – dans l’armée, avait gardé la même coupe en brosse peroxydée qu’à l’époque, bien qu’il s’était résolu à raser son mulet suite au désespoir de sa petite femme. Débardeur treillis militaire, baguette en marbre mitrailleuse semi-automatique pendant lourdement à sa ceinture, il avait rapidement et naturellement fait figure d’autorité parmi le groupe de rebelles. Mais pas seulement. C’était surtout son histoire qui avait fédéré. La moitié de son visage était en métal et il avait un bras bionique. Suite à une blessure grave à une bataille, dix années auparavant, il avait été longuement hospitalisé. Alors qu’il s’en remettait, lentement, l’armée avait profité de son sommeil pour l’anesthésier et faire des expériences transhumanistes sur lui. Sans aucun accord, évidemment. Ces dix dernières années il les avaient passée à fuir une armée à la dérive, une armée qui bientôt suite au coup d’état du Cinglane-Gland n’avait plus aucun réel pouvoir étatique mais qui continuait à sévir sur les atolls de leur planète grâce à quelques grands magnats transhumanistes voulant imposer leur loi. C’était naturellement qu’il s’était alors allié à la cause écologiste, aux côtés de cet eucalyptus au bandana rouge noué avec détermination et ceinture de munitions lourdes, cette fée aux peintures de guerre et une centaine d’autres représentants de toutes les espèces, luttant pour la liberté des îles d’azur. La première fois qu’il avait raconté son histoire autour du feu de camp, les larmes dans le sable avaient été comme autant de météores dans leurs cœurs à tous. Certains arboraient même des peintures sur le visage représentant la partie cyborg de leur très estimé chef.
« Est-ce que la compagnie des dauphins est prête ?
- Chef, oui chef ! Mais, nous avons eu des défections dans la nuit. Une quinzaine de dauphins sont partis en disant que ça ne les amusait plus trop et le chef de l’escouade a fait une mauvaise nuit, il a dit qu’il préférait aller du Cocohama beach pour se requinquer. Il paraît que Maya y passe en concert.
- C’est vrai ? »
Un soldat s’était exclamé d’intérêt en entendant l’information, baissant rapidement la tête devant le regard d’acier de Sigfrud. Celui-là partirait sûrement aussi. Difficile de tenir une armée d’anarchistes, mais le principe de liberté et de n’en vouloir à personne avait été posé. Même Sigfrud dû ravaler son intérêt d’entendre et de se déhancher sur Lait de coco. De toute façon la tendance cet été était plutôt tropicale. La compagnie montée des dauphins siffla de concert à son passage. Une vingtaine de montures étaient prête, pendant que leurs cavaliers leur harnachaient encore les derniers lance-missiles. Le récemment promu chef de l’escouade tentait lui au loin de trouver son équilibre, trident à la main – on le voit scintiller dans l’écume et mouliner des bras. Cinq dauphins d’élite, refusant d’être montés, discutaient avec le docteur mage ingénieur d’un sort leur permettant de tirer des rayons lasers avec les yeux, pas encore tout à fait au point. Tous levèrent la tête subitement : au loin, une immense boule de feu se formait dans le ciel. Hiloukil. Le mage du camp transhumaniste.
« Quel frimeur. »
Mais au-delà de la menace que cela présentait, Sigfrud s’inquiéta. C’était censé être une attaque surprise. Comment pouvaient-ils préparer quelque chose de cette ampleur pile à cet instant ? D’un sifflement, il héla la compagnie de défense et cinq magiciens clairs accoururent en soulevant leurs robes pour ne pas se prendre les pieds dedans.
« La barrière est-elle toujours en place ?
- Affirmatif chef, nous sommes toujours invisibles. »
Sigfrud grogna en continuant à longer la plage, plus rapidement, pour être seul. Seul avec le clapotis des dernières vagues eux reflets pourpres venant mourir sur ses rangers. La fée, sentant le trouble de son ami sans pouvoir parler, préféré s’en aller en voyant que ses ondes positives ne l’atteignaient pas. Roboto’ fixait son ami. Il n’avait jamais été bien malin, son chef, mais au terme d’un effort qui le laisserait tout rouge de concentration, il finirait bien par comprendre. Ils levèrent les yeux à nouveaux. Avec une lenteur inexorable, l’énorme boule de feu – qui, même à des kilomètres chauffait leur peau à tous sur cette plage – ce soleil meurtrier s’enfonça lentement dans l’eau. S’échoua. Les fumées verdâtres de magie s’échappaient. L’ennemi voulait créer un tsunami ; Sigfrud ne réagissait toujours pas, les veines de ses tempes gonflant, gonflant encore et encore.
Dans le camp, c’était la panique. Sans le calme de leur commandant leur tournant le dos un peu plus loin, plus rien ne tenait dans le régiment. C’est Roboto’ qui pris les choses en main en imposant la fuite. Les baleines du SoumSoum, les orques de Farade, les holothuries géantes d’Honolulu, toutes vinrent ouvrir grand leurs gueules sur la berge pendant que toutes les compagnies de mages castaient des sorts de bulles d’oxygène sur les organes respiratoires des soldats. Rien ne se passait comme prévu. Rien n’allait se passer comme prévu. Dans le ciel, un gnome chauve-souris fonçait sur le camp. Croyant d’abord à une attaque, la compagnie des tireurs se mis en position avant de baisser leurs baguettes devant les zigzags dissuadant de la petite fée. C’était leur espion.
A bout de souffle, celui-ci s’écrasa tête la première dans le sable aux pieds d’un Sigfrud absent mentalement, oscillant entre le sable qu’il s’efforçait de recracher et l’air dont il avait cruellement besoin de récupérer. Seulement maintenant le Commandant se retourna pour voir la catastrophe, le regard de Roboto’ et son espion se délestant de sa fausse armature mécanique. Sans même laisser le temps au chef de dire quoique ce soit, béat devant le tsunami se formant à l’horizon, récupérant enfin sa couleur de pierre – il avait simplement oublié de respirer pendant qu’il réfléchissait, mais voir son espion se dépêtrer à avaler de l’air le débloqua soudainement.
« Chef, au rapport. Le camp ennemi en a marre. Les transhumanistes veulent tout arrêter. Ils disent qu’ils s’en fichent de gagner, ils disent que de toute façon dans le continent des atolls tout le monde s’en fiche de notre guerre et qu’on ferait tous mieux d’aller siroter des cocktails en regardant des matchs de beach volley. »
Sigfrud grinça à cette évocation du beach volley. Son état-major avait à de maints reprises proposé de régler leur guerre en match, une bonne fois pour toute, ce qu’il avait toujours refusé.
« Ils disent que même le nécromancien en a marre et tous nous ressusciter à la fin de la journée Et ils disent même qu’il a bien raison, que lui avoir accordé ses dimanches et ses mercredis c’était bien sympa mais que ça doit être fatiguant à force. Alors ils disent qu’ils font en finir une bonne fois pour toutes, tous nous tuer et ensuite aller se la couler douce en quittant leurs armes.
- Les orcs ! Et leur laisser le dernier mot ? Tout le monde dira sur les îles que le transhumanisme vaut mieux que le retour à la nature ! Et ça, même si tout le monde s’en fout, c’est intolérable.
- Chef, ils disent que c’est impossible à se concentrer à se faire la guerre pour le transhumanisme quand le chef ennemi est lui-même un cyborg.
- Préparez immédiatement les baleines ! Que les navigateurs se tiennent prêts, on va contourner le tsunami par le sud, même si ça nous prendra deux heures : on va les avoir par surprise et quand même faire notre attaque ! Jamais ils ne penseront qu’on a le courage. »
Alors que les soldats hurlaient d’enthousiasme, galvanisés par cet instant d’apocalypse d’anthologie, Robotonoloko vint poser sa grosse patte noueuse sur l’épaule du demi géant.
« C’est fini, Sigfrud. »
L’eucalyptus avait pris un mètre cinquante de haut et ses racines étaient semblables à des lances, se dodelinant avec menace. Derrière lui, une vingtaine de soldats se rassemblaient.
« C’était toi le traitre alors. Mon ami…
- C’est fini Sigfrud. Ils ne veulent plus se battre. Ca fait quelques semaines que je suis au courant de leur plan. Je ne rejoindrai pas ton attaque suicide et je te le répète : ils ne veulent plus de toute façon.
- Mais pourquoi tu…
- Parce que je pense qu’ils ont raison. Regarde. Nous utilisons des lance-roquettes, des missiles, eux utilisent des sorts de magie. Cette guerre n’a plus aucun sens. Nous avons perdu nos valeurs et eux-aussi. Je me suis rapproché d’eux car je voulais en savoir plus, je voulais soutirer des informations pour te faire plaisir puis, petit à petit, j’ai voulu devenir moi-même meilleur. C’est fini Sigfrud, je ne rejoindrai pas ce baroude d’honneur idiot. Je viendrai sur vos cadavres à tous récupérer ce qu’il me faut pour continuer la lutte et, à votre réveil, c’est ton sang que je ferai couler. Je te dis adieu, mon ami. »
Pendant qu’il parlait, Roboto’ fit peu à peu rétrécir ses racines menaçantes. Il avait manifestement prévu de tuer son ami mais, pris par cette déclaration, s’était ravisé. La prochaine fois, oui, ce serait une meilleure occasion. Lui et toute sa nouvelle armée disparurent soudainement sous un sort d’invisibilité. Une orque manquait également à l’appel.
« On se bouge, ça ne nous arrêtera pas ! On va la faire cette attaque ! »
Une main accrochée à la sangle d’un dauphin sautillant – râlant un peu pour qu’il tire moins fort ce à quoi le commandant s’excusa – Sigfrud souriait. Oui, mitrailleuse magique en main, mangeant les vagues salées devenues émeraudes, il souriait. Aujourd’hui ne serait pas la dernière bataille, il n’aurait pas à aller se prélasser comme tous les autres sur les transats à mollement enquiller des mojitos trop sucrés. La lueur d’amitié, de dévouement dans les yeux de Roboto’ lui réchauffait le cœur. Oui, même si la philosophie politique de son ami n’était pas encore très claire – elle ne l’était pas non plus pour lui à vrai dire – grâce à son ami, ils pourraient continuer à s’en mettre plein la tronche indéfiniment. Quitte à donner un jour de congés et une augmentation au nécromancien. Les atolls pacifiques continueraient à connaître leur lot de sublimes explosions idéologiques.