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Auteur Sujet: Fake/Mise en scène : une longue histoire littéraire  (Lu 4441 fois)

Hors ligne Alan Tréard

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Fake/Mise en scène : une longue histoire littéraire
« le: 05 avril 2018 à 18:02:23 »
Fake/Mise en scène
une longue histoire littéraire.



Vous trouverez dans ce sujet :
  • l'histoire du fake en littérature ;
  • des contenus éducatifs ;
  • les situations passées, quelques codes à connaître les doigts dans le nez, le fake politique.



Bonjour tout le monde,

Alors, j'ai beaucoup hésité à publier ce sujet étant donné que le sujet du fake ou de la mise en scène est parfois houleux voire carrément périlleux ; mais après différents excès ou manques que j'ai pu constater, et aussi à cause des quiproquos, j'ai voulu faire un point de mise à jour qui pourra vous permettre de mieux vous situer dans un travail d'écriture et de création.

Les Situations passées

D'abord, il faut savoir que la mise en scène existe depuis très longtemps, et que ce n'est pas l'utilisation du mot « fake » qui en fait une valeur réellement nouvelle. Aussi vieille que le théâtre (voire plus vieille encore car les rites religieux font appel à la mise en scène), la mise en scène est une mise en situation réelle d'individus qui permet de faire le lien entre l'apparence et le propos, entre la forme et le fond, autrement dit, la mise en scène est ce qui permet d'identifier une situation réelle ou fictive en lien avec une intention.

En littérature, les codes de la mise en scène ne sont pas les mêmes que dans le monde religieux (ni les mêmes que dans le monde politique où les discours sont eux-mêmes accompagnés de mise en scène) ; la littérature a une histoire et des codes plus ou moins établis qui ont évolué avec leur temps. Le théâtre a beaucoup fait progresser les codes de la mise en scène, l'avènement de la presse ou du cinéma ont également grandement transformé les codes de la mise en scène.

En 1938 Orson Wells, grand homme de théâtre et de cinéma, organisait une fausse invasion extraterrestre à la radio, réécriture de la Guerre des Mondes de H. G. Wells ; la connaissance de l'époque des enjeux liés à la radiophonie étant très peu maîtrisée, s'en est suivi un mouvement de foule dans tous les États-Unis, un certains nombre de citoyens américains ayant pris cette mise en scène pour une réalité.

Pourtant aucune invasion extraterrestre n'est répertoriée par les registres historiques de l'époque.

Dans cette juste continuité, internet offre un nouveau terrain de « jeu » (comme les acteurs au théâtre jouent un rôle), qui fait appel ici à de nouveaux besoins de codifier les expressions diverses et variées. Il apparaît aujourd'hui nécessaire que les auteurs qui mettent en scène de fausses discussions ou bien de faux propos le fassent en connaissance de cause. Tout comme le théâtre bénéficie d'un cadre codifié pour se donner l'espace de mettre en scène ses interprétations, nous avons besoin ici, sur le Monde de l'Écriture, que des codes soient respectés lorsque des mise en scène sont assumées.

Quelques codes à connaître les doigts dans le nez


Au pire, si vous ne savez pas du tout codifier, vous ajoutez un avertissement du type : « ce qui suit est une fiction, aucun lien avec la réalité » qui permette à minima aux lectrices & lecteurs de savoir ce qu'ils sont en train de découvrir.

Je peux au moins vous donner quelques éléments de codification de l'humour (les « fake » étant fréquemment portés sur l'humour) qui permettent déjà de se faire une idée des outils qui sont à votre disposition. Voici un texte de Molière, le Bourgeois Gentilhomme (qui devrait vous rappeler nos récentes discussions avec humour et dérision), et vous trouverez à la suite de ce texte un commentaire de différents codes employés par le théâtre pour préserver l'espace d'expression de la mise en scène.

(Introduction : Monsieur Jourdain fait appel à des maîtres dans les arts de la danse, la musique et l'escrime pour parfaire sont savoir, mais ceux-ci se disputent pour savoir lequel de ces arts est le plus noble ; heureusement, le maître de philosophie arrive...)


SCÈNE III de l'acte 2

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE, MAÎTRE DE MUSIQUE, MAÎTRE À DANSER, MAÎTRE D'ARMES, MONSIEUR JOURDAIN, LAQUAIS.

MONSIEUR JOURDAIN.— Holà, Monsieur le philosophe, vous arrivez tout à propos avec votre philosophie. Venez un peu mettre la paix entre ces personnes-ci.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.— Qu'est-ce donc ? Qu'y a-t-il, Messieurs ?
MONSIEUR JOURDAIN.— Ils se sont mis en colère pour la préférence de leurs professions, jusqu'à se dire des injures, et en vouloir venir aux mains.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.— Hé quoi, Messieurs, faut-il s'emporter de la sorte ? et n'avez-vous point lu le docte traité que Sénèque a composé, de la colère ? Y a-t-il rien de plus bas et de plus honteux, que cette passion, qui fait d'un homme une bête féroce ? et la raison ne doit-elle pas être maîtresse de tous nos mouvements ?
MAÎTRE À DANSER.— Comment, Monsieur, il vient nous dire des injures à tous deux, en méprisant la danse que j'exerce, et la musique dont il fait profession ?
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.— Un homme sage est au-dessus de toutes les injures
qu'on lui peut dire; et la grande réponse qu'on doit faire aux outrages, c'est la modération, et la patience.
MAÎTRE D'ARMES.— Ils ont tous deux l'audace, de vouloir comparer leurs professions à la mienne.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.— Faut-il que cela vous émeuve ? Ce n'est pas de vaine gloire, et de condition, que les hommes doivent disputer entre eux ; et ce qui nous distingue parfaitement les uns des autres, c'est la sagesse, et la vertu.
MAÎTRE À DANSER.— Je lui soutiens que la danse est une science à laquelle on ne peut faire assez d'honneur.
MAÎTRE DE MUSIQUE.— Et moi, que la musique en est une que tous les siècles ont révérée.
MAÎTRE D'ARMES.— Et moi, je leur soutiens à tous deux, que la science de tirer des armes, est la plus belle et la plus nécessaire de toutes les sciences.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.— Et que sera donc la philosophie ? Je vous trouve tous trois bien impertinents, de parler devant moi avec cette arrogance; et de donner impudemment le nom de science à des choses que l'on ne doit pas même honorer du nom d'art, et qui ne peuvent être comprises que sous le nom de métier misérable de gladiateur, de chanteur, et de baladin !
MAÎTRE D'ARMES.— Allez, philosophe de chien.
MAÎTRE DE MUSIQUE.— Allez, belître de pédant.
MAÎTRE À DANSER.— Allez, cuistre fieffé.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.— Comment ? marauds que vous êtes...

Le philosophe se jette sur eux, et tous trois le chargent de coups, et sortent en se battant.


MONSIEUR JOURDAIN.— Monsieur le philosophe.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.— Infâmes ! Coquins ! Insolents !
MONSIEUR JOURDAIN.— Monsieur le philosophe.
MAÎTRE D'ARMES.— La peste l'animal !
MONSIEUR JOURDAIN.— Messieurs.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.— Impudents !
MONSIEUR JOURDAIN.— Monsieur le philosophe.
MAÎTRE À DANSER.— Diantre soit de l'âne bâté !
MONSIEUR JOURDAIN.— Messieurs.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.— Scélérats !
MONSIEUR JOURDAIN.— Monsieur le philosophe.
MAÎTRE DE MUSIQUE.— Au diable l'impertinent. Bélître: homme de rien.
MONSIEUR JOURDAIN.— Messieurs.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.— Fripons ! Gueux ! Traîtres ! Imposteurs !

Ils sortent.


MONSIEUR JOURDAIN.— Monsieur le Philosophe, Messieurs, Monsieur le Philosophe, Messieurs, Monsieur le Philosophe. Oh battez-vous tant qu'il vous plaira, je n'y saurais que faire, et je n'irai pas gâter ma robe pour vous séparer. Je serais bien fou, de m'aller fourrer parmi eux, pour recevoir quelque coup qui me ferait mal.

Fin de la scène


Bon, vous l'aurez compris, on a à faire à une fausse discussion, difficile d'imaginer que des éducateurs puissent se battre à ce point, cependant il faut remarquer que le propos reflète une situation fréquente de confrontations entre les professions que l'on pourrait difficilement démentir (même encore aujourd'hui).

Quelques éléments sur la codification de la mise en scène :
  • À cette époque, la comédie se fait dans l'exaltation de personnages atypiques. Ils sont désignés par leur statut social plutôt que par leur « portrait psychologique ». Ceux-ci interviennent dans un cadre très fermé (une pièce ou un lieu unique) dans lequel la quasi-totalité des discussions va se faire. On signale qu'il s'agit d'une comédie de mœurs en centrant l'action sur un temps très court, avec un impact local (uniquement centré sur les personnages), et un lieu très centré (autrement dit, la pièce évoque le fait qu'elle aura un impact limité sur d'autres thèmes comme la politique ou le religieux).

  • Une référence idéologique bien ancrée : ceux qui connaissent les fameux textes de Platon pourront plus facilement expliquer l'expression du maître de philosophie ici, le lien entre ce que serait une maïeutique à la Socrate et un comportement ici absolument contradictoire avec l'héritage éprouvé. Cette référence à une culture plus ancrée permet une réelle identification du propos de Molière pour des intellectuels qui s'intéresseraient à l'intention de l'auteur, à son propos et son impact sur la pensée.

  • L'excès absolu : lorsqu'on écrit sur une profession, on impacte sa réputation. Dès lors, lorsque l'on fait le choix d'écrire sur les maîtres d'arts, qu'on souhaite dénoncer leurs travers, il est essentiel que cette dénonciation se fasse dans un cadre purement subjectif. La meilleure façon de marquer ce regard sur la profession est de représenter leurs travers à l'excès ; ainsi, on permet à des spectateurs qui s'identifieraient à telle ou telle profession de pouvoir « rire d'eux-mêmes », de reconnaître qu'il s'agit ici avant tout d'un regard critique subjectif qui ne prend pas nécessairement en compte tous les aspects de la profession.


Le fake politique


J'en connais certains qui tout de suite font le lien entre la satire et la politique, entre la liberté d'expression et la liberté absolue. Effectivement le sujet politique est encore différent, en France, nous avons un héritage très riche dans les différentes discussions et décisions qui ont pu être prises par l'État depuis presque deux cents ans (Troisième République jusqu'à maintenant), et qui ont amené peu à peu à une nouvelle codification de la caricature à but politique.

Le problème vient bien souvent d'un désaccord entre une propagande dite « d'État » (« Mangez cinq fruits et légumes par jour », prévention médicale, engagements partisans ou syndicaux, etc.) et un espace culturel ou littéraire voué à l'expression de problématiques locales ou générales. La codification de la littérature face à la politique est encore très fragile, même après deux cents ans d'existence, on sait qu'il en est de même dans les médias, le cadre de publication est bien souvent changeant et très contraignant.

Dans un tel cas, je vous déconseille d'écrire des textes engagés politiquement si vous ne bénéficiez pas d'un bagage militant nécessaire. Nous sommes effectivement dans une époque où l'engagement signifie risques, et où la satire elle-même peut amener des procès ou des représailles. Je préfère sincèrement faire de la prévention en invitant les auteurs à faire un réel travail de recherche sur le terrain avant de se lancer dans la caricature politique, car la censure (même populaire, c'est-à-dire issue de gens sans parti politique), la censure est extrêmement ancrée.

Donc, si vous souhaitez vous lancer dans la mise en scène engagée, ou dans le « fake » politique, favorisez une réelle connaissance des enjeux avant de vous lancer ; cela concerne également des publications sur le Monde de l'Écriture.

Pour le plaisir, mais également pour vous apporter quelques éléments de l'histoire de l'engagement en France, je vous propose la quatrième scène du premier acte d'une pièce de Giraudoux, L'Intermezzo, qui caricature un maire en conversation avec un inspecteur de l'administration française. Je pense que vous y trouverez également quelques éléments de nos discussions habituelles.

(Introduction : un spectre tourmente la population locale et le pauvre, pauvre maire ne voit plus les citoyens aller voter...)


SCÈNE QUATRIÈME
LE MAIRE. L’INSPECTEUR. LE CONTRÔLEUR.

L’INSPECTEUR.
La preuve, mon cher Contrôleur ? La preuve que les esprits n’existent pas, que le monde invisible n’existe pas ? Voulez-vous que je vous l’administre à la minute, sur-le-champ ?

LE CONTRÔLEUR.
Venant d’un haut fonctionnaire, elle me sera précieuse.

L’INSPECTEUR.
Vous admettez que si les esprits existent, ils m’entendent ?

LE CONTRÔLEUR.
À part les esprits sourds, sans aucun doute.

L’INSPECTEUR.
Qu’ils entendent donc ceci: Esprits, formes de vide et de blanc d’œuf (vous voyez, je ne mâche pas mes mots, s’ils ont un peu de dignité, ils savent ce qui leur reste à faire), l’ humanité en ma personne vous défie d’apparaître! Vous avez là une occasion unique, étant donné la qualité de l’assistance, de reprendre un peu de crédit dans l’ arrondissement. Je ne vous demande pas d’extirper de ma poche une perruche vivante, opération classique, paraît-il, chez les esprits. Je vous défie d’obtenir qu’un vulgaire passereau s’envole de cet arbre, de ce bosquet, de cette forêt, quand j’aurai compté trois... Je compte, monsieur le Contrôleur : Une... Deux... Trois... Voyez, c’est lamentable. ( Son chapeau s’envole.) Dieu, quel vent !

LE DROGUISTE.
Nous ne sentons pas le moindre souffle, monsieur l’ Inspecteur.

L’INSPECTEUR.
Il suffit. C’est piteux.

LE CONTRÔLEUR.
Peut-être que les esprits ne croient pas aux hommes.

LE MAIRE.
Ou que l’invocation avait un caractère un peu général.

L’INSPECTEUR.
Vous voulez que je les appelle chacun par leur nom ? Vous voulez que j’appelle Asphlaroth ?

LE DROGUISTE.
Asphlaroth, le plus susceptible et le plus cruel des esprits, qu’on dit se loger dans l’organisme humain et se plaire à le torturer ? Prenez garde, monsieur l’ Inspecteur ! On ne sait jamais où mènent ces jeux.
 
L’INSPECTEUR.
Tu m’entends, Asphlaroth, mes organes les plus vils et les plus ridicules te défient aujourd’hui. Non pas mes poumons, mon cœur, mais ma vésicule biliaire, ma glotte, ma membrane sternutatoire... Frappe l’un d’eux de la moindre douleur, de la moindre contraction, et je crois en toi... Une... Deux... Trois... J’attends!... (Il glisse.) Que c’est humide, ici!

LE MAIRE.
Il n’a pas plu depuis trois semaines.

LE DROGUISTE.
Les esprits ont une autre notion du temps que nous. Peut-être Asphlaroth a-t-il répondu à vos insultes longtemps à l’avance... Puis-je vous demander d’où proviennent ces cicatrices à votre nez ?

L’INSPECTEUR.
Une tuile m’est tombée sur la tête, quand je marchais à peine.

LE DROGUISTE.
Voilà l’explication de son silence. Il vous a répondu voilà quarante ans.

L’INSPECTEUR.
Je n’attendais pas moins de lui : il n’existe pas, et il est lâche, et il s’attaque à des enfants... Messieurs, la preuve est faite, irréfutablement... Je me permettrai donc de sourire quand vous me dites que votre bourg est hanté.

LE MAIRE.
Il est hanté, monsieur l’ Inspecteur...

L’INSPECTEUR.
Je sais ce qu’est en réalité un bourg hanté. Les batteries de cuisine qui résonnent la nuit dans les appartements dont on veut écarter le locataire, des apparitions dans les propriétés indivises pour dégoûter l’une des parties. De là les commères au travail. De là la suspicion et l’agitation poussées à la calomnie et jusqu’au crime. Vous aviez à élire un conseiller général. Il en est résulté des rixes autour des urnes, évidemment, des rixes sanglantes. Ma foi, tant pis : l’ urne, même électorale, appelle le cadavre.

LE MAIRE.
Pas du tout, monsieur l’ Inspecteur, au contraire !

L’INSPECTEUR.
On a voté sans répandre le sang? C’est à peine démocratique, et pas du tout démoniaque.

LE MAIRE.
On n’a pas voté. Personne n’a voté, ni songé à voter. Les électeurs s'étaient pourtant levés à l’aube, conscients de leur devoir, et précipités vers les affiches. Mais le soleil étincelait; tous prétendent avoir lu sur les panneaux: au soleil, pas d'abstentions ! et ils sont allés se promener jusqu’au soir.

L’INSPECTEUR.
Ils ont été soudoyés par la réaction.

LE DROGUISTE.
D’accord avec le soleil.

LE CONTRÔLEUR.
Certainement pas, monsieur l’ Inspecteur. M. le Maire ne vous dit pas que depuis plusieurs semaines c’est à une série d’opérations aussi étranges que la ville se consacre. Une influence inconnue, et dont, pour ma part, je trouve les effets assez sympathiques, y sape peu à peu tous les principes, faux d’ailleurs, sur lesquels se base la société civilisée.

L’INSPECTEUR.
Je vous dispense de vos commentaires personnels. Expliquez-vous.

LE CONTRÔLEUR.
Je m’explique. Les enfants que leurs parents battent, par exemple, quittent leurs parents. Les chiens que leurs maîtres rudoient mordent la main de leurs maîtres. Les femmes qui ont un vieux mari ivrogne, laid et poilu, l’ abandonnent simplement pour quelque jeune amant sobre et à peau lisse. Les hercules que des gringalets insultaient impunément n’hésitent plus à leur fracasser la mâchoire. Bref, la faiblesse n’est plus ici une force, ni l’affection une habitude.

L’INSPECTEUR.
Et vous me prévenez si tard d’un pareil état de choses?

LE MAIRE.
J’ajoute que plusieurs coïncidences étranges témoignent de l’ intrusion, dans notre vie municipale, de puissances occultes. Nous avons tiré l’autre dimanche notre loterie mensuelle, c’est le plus pauvre qui a gagné le gros lot en argent, et non le gagnant habituel, monsieur Dumas, le millionnaire, qui d’ailleurs a fort bien tenu le coup; c’est notre jeune champion qui a gagné la motocyclette et non la supérieure des bonnes sœurs à laquelle elle échéait régulièrement. Cette semaine, nous avons eu deux décès: les deux habitants les plus âgés, qui, par-dessus le compte, étaient le plus avare et la plus acariâtre. Pour la première fois, le sort nous débarrasse, le hasard frappe à coup sûr.
 
L’INSPECTEUR.
C’est la négation de la liberté humaine!

LE DROGUISTE.
Vous pourriez peut-être parler du recensement, monsieur le Maire.

L’INSPECTEUR.
Quel recensement ?

LE MAIRE.
Le recensement quinquennal officiel. Je n’ai pas osé transmettre encore les feuilles à la préfecture.

L’INSPECTEUR.
Vos administrés ont écrit des déclarations mensongères ?

LE MAIRE.
Au contraire, tous ont répondu avec une vérité si outrée et si cynique qu’elle est un défi à l’administration. Au chapitre de la fa-mille, pour vous en donner un exemple, la plupart n’ont pas indiqué comme leurs enfants leurs vrais fils ou filles, quand ceux-là étaient ingrats ou laids, mais leurs chiens, leurs apprentis, leurs oiseaux, bref, ceux qu’ils aimaient vraiment comme leurs rejetons.
 
LE CONTRÔLEUR.
Plusieurs ont noté pour épouse non pas leur épouse réelle, mais la femme inconnue dont ils ont rêvé, ou la voisine avec laquelle ils sont en rapports secrets, ou même l’animal femelle qui représente pour eux la compagne parfaite, la chatte ou l’écureuil.
 
LE MAIRE.
Au chapitre des appartements, les riches neurasthéniques ont prétendu habiter des masures, les pauvres heureux des palais.

L’INSPECTEUR.
Et depuis quand, tous ces scandales ?

LE MAIRE.
À peu près depuis que l’on rencontre ce fantôme.

L’INSPECTEUR.
N’employez pas ce mot stupide. Il n’y a pas de fantôme.

LE MAIRE.
De ce spectre, si vous voulez.

L’INSPECTEUR.
Il n’y a pas de spectre!

LE DROGUISTE.
Ce n’est pas ce que nous apprend la science. Il y a des spectres de tout, du métal, de l’eau. Il peut s’en trouver un des hommes.
« Modifié: 05 avril 2018 à 19:47:53 par Alan Tréard »
Mon carnet de bord avec un projet de fantasy.

 


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