Chère Chouc, c'est avec grand plaisir que je t'offre ce texte en réponse à ton défi. Il est ce qu'il est, sûrement pas parfait... mais le sujet n'était pas simple à traiter !

Les gens se demandent toujours à quoi rime cette manie, relativement récente, de vouloir être végan. L’humanité est déjà bien assez touchée par les allergies alimentaires de toutes sortes, les indispositions ou intolérances diverses, notamment au gluten. Voila que naît cette nouvelle lubie, le véganisme. Ne vous méprenez pas, j’en suis ravi ! J’ai suivi d’emblée cette nouvelle voie, c’est sain, propre et bio. Lors de l’une de mes présentations dans un meeting sur le sujet j’ai rencontré la plus belle femme de ma vie, Léa. Elle a viré végan depuis peu, mais c’est une convaincue qui nous défend avec vigueur.
Elle m’aime à la folie, je ne peux pas le nier. Tous les jours j’ai droit à mes repas végans, elle sait que je suis allergique à tout ce qui peut toucher de près ou de loin aux animaux. Non, je ne suis pas vraiment allergique, je fais un rejet. Je ne peux pas dire non plus que je ne les aime pas, bien au contraire : je les vénère. Alors il n’est pas question qu’il y ait une once, ni même un grain de poussière de protéine animale dans mes rations journalières. Elle fait ses achats dans des boutiques spécialisées bio c’est entendu, prépare tout avec soin, conserve le tout dans des boîtes aseptisées et ne me sert mon repas que quand elle a tout vérifié.
Et puis ce matin, catastrophe imprévisible, sa sœur Millie annonce son arrivée en ville, elle vient dîner ce soir. Je n’ai jamais vu personne plus accroc à l’entrecôte ou la moelle de bœuf. Elle aurait pu rester chez elle ! Ne pas venir déranger un couple aussi parfait que le nôtre, attaché à tout ce qui est naturel ! Je déteste cette femme.
Léa est perdue, elle ne sait comment recevoir sa frangine sans faillir aux traditions familiales du bon gueuleton bien gras et protéiné au sang bovin. L’idée géniale lui vient d’un coup : le traiteur. Voilà ! Le traiteur, elle n’aura pas à cuisiner et nous nous en sortirons le mieux du monde ! Je la félicite d’un clin d’œil complice quand elle prend son mobile pour passer sa commande.
Vingt heure trente, Millie sonne à la porte avec une heure de retard. Les apéros sont prêts depuis longtemps. Jus de fruits non alcoolisés, toasts végans qui ressemblent à s’y méprendre au commun des canapés traditionnel et quelques biscuits et fruits secs ornent la table du salon.
- Hum ! ça sent bon chez toi ! Je sens que tu m’as concocté le meilleur des petits dîners !
Léa sourit. Une fois les rafraîchissements et amuse-bouche dévalisés, elle invite sa sœur à la rejoindre dans la salle à manger.
Les plats sont bien présentés, mais ils ont attendu et sont quasiment froids. Léa ne sait plus que faire. Elle se tourne vers moi les yeux remplis de larmes et de détresse.
- Je ne peux pas faire autrement, il va falloir te résoudre à m’aider…
Elle enfourne le plat de viande dans ma gueule béante, j’ai beau rechigner, refuser toute ingérence dans mon moi intérieur. Hurler de toutes mes alarmes sonores : elle appuie sur le bouton « marche ». Et comble de malheur, je décèle chez elle un changement radical, elle passe sa langue sur ses lèvres goulûment comme si elle se réveillait d’une longue léthargie gustative.
Depuis ce jour, c’est fini entre nous, notre amour est mort avec un bœuf en daube et moi je suis blessé au plus profond de mes circuits. Je végète chez un réparateur de fours végans, attendant celle qui saura prendre soin de moi.
C’était : « les déboires amoureux d’un four Végan », dans le rôle principal : le four. Les autres acteurs sont secondaires et ne présentent aucun intérêt. Suivant l'idée et l'impulsion de Chouc.