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Face lui, les visages mi-graves, mi-amusés, de ses deux amis. Le nez plongé dans son verre de bière, il commençait déjà regretter d'en avoir trop dit. Sûr qu'aux fonds d'eux-même ces abrutis devaient se fendre la poire, incapables d'imaginer la tragédie qu'il vivait.
– Douze secondes ? C'est vachement précis, lâcha l'un.
– Oui, j'ai chronométré. Pas une de plus.
– T'as chronométré ? articula l'autre, peinant à réprimer un fou rire qui montait.
Julien prit une grande inspiration.
– Bien obligé, fallait que je sache. Suffit de regarder discrètement sa montre.
– Mais enfin c'est dingue ! T'as pas essayé des techniques de... j'sais pas moi, de relaxation, de self-control.
– J'ai tout essayé. Que dalle. Dès que je pénètre une fille, ça part au bout de douze secondes. À chaque fois.
– Et la tête à Merkel ? T'as jamais imaginé que tu couchais avec Angela Merkel ? Crois-moi, ça doit faire débander !
Ça y'est, ça virait à la déconnade. Évidemment. Les voilà pliés sur leurs chaises, leur compassion de circonstance envolée. Éjaculateur précoce, ouais, très marrant ! Quelque part ça devait les rassurer dans leur virilité de savoir que certains ne tenaient pas la route au plumard. Il n'allait pas leur confier maintenant qu'il avait cherché des stratagèmes ridicules pour se contenir ; du genre se pincer la peau, ou réciter les tables de multiplication à l'envers. Pour penser à autre chose, dévier l'onde de plaisir vers des idées désagréables, annihiler ce putain d'élan incontrôlable ! Ça n'avait jamais marché. Quoiqu'il tente, son cerveau était systématiquement submergé en douze secondes et ouvrait grand les vannes.
– Vous foutez pas de ma gueule, je le vis très mal.
Jean-Marc, vieux copain d'enfance, se reprit en s'essuyant les yeux.
– C'est vrai, t'as raison, c'est pas cool. Et tes partenaires, elles en disent quoi ?
– Bah, tu connais les nanas. Elles te disent que c'est pas grave mais au bout de la deuxième fois tu les revois plus.
– Alors là, ça m'étonne pas, renchérit Paul qui avait retrouvé son calme. Elles nous bassinent en répétant que les mecs ne pensent qu'au cul, mais quand elles prennent pas leur pied elles finissent par se tirer ! Elles sont comme nous, tiens !
Pensif, Jean-Marc observait Julien.
– T'as essayé de te faire aider ? D'aller voir un spécialiste ?
– Quel spécialiste ?
– Un sexologue, ça existe, ils doivent traiter ce type de problème.
– Pff, je me vois mal parler de ça. Et si c'est pour qu'il me file des cachetons, pas question.
– hé, faudrait savoir ce que tu veux mon pote !
Chacun se tut, à court d'arguments ou s'en voulant d'avoir trop parlé. Le brouhaha du bar meublait le blanc qui s'était installé. C'est Paul, avec sa délicatesse habituelle, qui relança la discussion sur un registre pour le moins surprenant.
– Et les pédés, t'as tenté avec les pédés ?
Julien ouvrit des yeux ronds, stupéfait, passée la surprise il s'emporta. Encore une plaisanterie de mauvais goût.
– T'es vraiment un gros con, toi.
– Non, attends, j'suis sérieux. T'as un problème avec les femmes, mais p't'être qu'avec les mecs ce serait différent.
– Parce que j'ai une tête à sucer des bites ? Parce que tu crois qu'on peut changer de bord comme ça ?!
La colère l'envahit comme une lame de fond. Les joues enflammées, il se redressa, les deux poings sur la table.
– Si t'as d'autres conneries à me proposer, tu ferais mieux de fermer ta gueule ! J'me barre, vous me faites trop chier !
Confus, Paul s'efforça de le retenir.
– Non, mais Julien, excuse-moi, j'voulais pas te vexer, c'était pour...
Ses mots butèrent contre la porte du bar qui venait sèchement de se refermer. Il se rassit, croisant les yeux réprobateurs de Jean-Marc.
* * *
Le ciel était lourd de nuages, à l’image du moral de Julien, au bord des larmes. Il revoyait le visage d'Amandine, cette blessure indélébile. Pour elle il aurait tout donné tant elle correspondait à son idéal de femme. Le temps de la séduction avait été un pur bonheur, chacun découvrant l'autre avec ravissement. La joie avant les rendez-vous, les moments aux restos où ils déballaient leurs vies, ponctués de fous rires, le cinéma et ce premier baiser, dissimulé par la salle obscure. Ses lèvres étaient chaudes, elle sentait bon l’amour. Et puis vint le passage à l’acte...
Ce qui devait être l’apothéose de leur nouvelle liaison tourna vite au fiasco, l'intimité d'Amandine remplie en à peine douze secondes. Julien, immobile sur le corps nu de la jeune fille, n'osant plus faire un geste, honteux. Tout ce qu’il put dire :
– Je suis désolé.
Elle lui répondit sur un ton qui se voulait compréhensif mais trahissait la déception :
– C’est pas grave, on recommencera.
Il y eut une autre fois, puis une troisième qui se révéla la dernière. Encore plus précoce à cause du stress : dix secondes. Ensuite le portable d’Amandine devint muet, définitivement sourd aux appels répétés.
Julien s'arrêta sur le trottoir, se mit à jurer en direction du ciel :
– Merde ! Merde !
Une goutte s’écrasa sur son front, l’incitant à courir vers sa voiture. Il s’engouffra à l’intérieur, rattrapé par l’averse. Comment construire une famille s'il était incapable de garder une partenaire ? Il aurait voulu se jeter contre un mur, éclater ce putain de cerveau qui refusait de lui obéir dans les instants cruciaux. Trop sensible, trop émotif.
« Et les pédés, t'as tenté avec les pédés ? ».
La phrase de Paul, pernicieuse, lui traversa soudain l'esprit. Proposition débile et pourtant, à y réfléchir. Avec les femmes il avait tout essayé pour retarder l'éjaculation, peine perdue. Se pourrait-il qu’un rapport sexuel avec un homme puisse lui donner ce contrôle tant désiré ? Non, non, ce n'était pas possible ! Il n'était pas gay, pas du tout ! L'idée le révulsait au plus haut point. Embrasser un homme ? Caresser un corps poilu ? Et le reste ? Pouah, dégueulasse ! Ou bien... ou bien alors contourner cette aversion.
Il lui était déjà arrivé de passer par des quartiers mal-famés, d'apercevoir des travestis qui faisaient les cent pas. Il les avait toujours pris pour des clowns grotesques mais un soir, alors qu’il patientait à un feu rouge, l'un d'eux vint l'accoster. Il s’apprêta à le repousser méchamment mais n’en fit rien, surpris. La figure qui se penchait vers la vitre était étonnamment bien faite, presque jolie. D’après ce qu’il pouvait distinguer les formes aussi étaient agréables à l’œil, contre toute attente des seins présents. Sans doute un transsexuel... Troublé, il redémarra en trombe.
Un transsexuel, oui, c’était ça qu’il lui fallait, mélange des deux sexes évitant l’expérience inenvisageable avec un pendant masculin !
* * *
Minuit trente ; Julien marchait lentement dans l'allée sombre qui traversait le bois. Après beaucoup d’hésitations, il s'était décidé à faire une incursion dans ce lieu réputé pour sa luxure. Il savait qu'il y trouverait des transsexuels racolant dans des camping-cars miteux.
Plongé dans des abîmes de doute, il multipliait les allers et retours, croisant comme lui des ombres en proie à leurs obsessions. À la recherche de quelque chose d’acceptable, il peinait à faire un choix, ou bien était-ce la peur de sauter le pas le paralysait.
« Courage mon vieux, se dit-il, maintenant que t’es là faut y aller ! » Le cœur battant, il se dirigea résolu vers un camping-car isolé dont la lumière attirait comme un phare les naufragés de l'amour. Il hésita, la main levée, puis frappa à la porte. L’occupant qu’il avait aperçu à son premier passage ne lui avait pas semblé trop moche. L'accent qui l’accueillit dévoila un étranger, siliconé aux endroits stratégiques avec réussite, plutôt agréable à regarder.
– Bonsoir mo chéri, qué tou veux ?
– Comment ça c'que je veux ? Ben.. heu…
– L'amor o la pipe ?
– Ha ! C'est pour l'amour.
– Cinquenta euros.
Julien, fébrile, ouvrit son portefeuille, refila les billets et grimpa dans le véhicule. Il flottait une odeur d'encens, lampes tamisées, fond musical genre bossa nova ou samba. Son regard se focalisa sur le lit où les coussins en désordre le ramenèrent à ce qu’il était en train de faire. Une montée d'angoisse le fit blêmir, « putain qu'est-ce que j’fous là ? » Durant une fraction de secondes il eut envie de s’enfuir, quitter au plus vite cette folie, mais son hôte lui posa alors les deux mains sur les épaules. Des yeux d’une grande douceur calmèrent les siens paniqués.
– Alors querido, qué t'attends pour enlever la vêtement ?
– Les vêtements... oui, bien sûr.
Dans un état second, Julien commença à se déshabiller, observant du coin de l'œil le transsexuel qui faisait de même. L'appendice pendouillant qui sortit du string le renvoya à l'incongruité de la situation. Écarlate, il resta en apnée quand fut déroulé le préservatif de rigueur sur son membre un peu mou. Le transsexuel engloutit alors l’objet dans sa bouche pour le raffermir, le ramena rapidement à des proportions convenables par une succion exercée. Il s’arrêta, demanda à Julien avec un sourire :
– Je place moi comment ?
– Pardon ?
– Je fais homme o la femme ?
– La femme, la femme !
Il s'installa alors sur le lit, à quatre pattes, tendant superbement son postérieur à Julien médusé. Les fesses étaient rebondies, fermes, avec en plein centre un œillet froncé en attente du visiteur. Celui-ci tenta de se convaincre qu'il entreprenait une thérapie, rien de plus, une thérapie ! Par réflexe il jeta un coup d'œil à son poignet où la montre, imperturbable, égrenait les secondes. Il s’engagea sur ce nouveau terrain, préalablement lubrifié, appuya à peine et fut comme absorbé à l’intérieur.
Une seconde, deux secondes, trois secondes... Le conduit où il se retrouva était plus étroit que de coutume, augmentant en flèche les stimuli. Aïe, il n'allait pas faire long feu !
Quatre secondes , cinq secondes, six secondes... Stressé, mal à l'aise, Julien adopta un rythme prudent.
Sept secondes, huit secondes, neuf secondes... Trop prudent pour son partenaire qui amorça des ondulations redoutables de la croupe, son intérêt étant de faire jouir rapidement le client.
Dix secondes , onze secondes, douze secondes... La garce, grimaça Julien, ces mouvements traîtres ne pouvaient que lui faire perdre toute contenance. Foutu, c'était foutu !
TREIZE SECONDES ! QUATORZE SECONDES ! QUINZE SECONDES !– Ça vient pas ! Ça vient pas ! beugla Julien, incrédule.
– Tou veux je change la position ?
– Non ! Non ! C'est super, c'est génial !
Le transsexuel n’insista pas, habitué aux excentricités des clients. Julien accéléra alors la cadence, pour être certain, tester ses retranchements. Le flux séminal ne montait toujours pas, bien sagement cantonné dans les deux réservoirs brinquebalés en tout sens !
Vingt et une secondes, vingt-deux secondes, vingt-trois secondes... Ô joie ! Ô bonheur ! Ô félicité !
Deux minutes, trois minutes, quatre minutes...Agrippé aux hanches révélatrices comme un nourrisson au sein de sa mère, sourire béat, Julien pilonna sans discontinuer. Au diable les femmes, sa voie était dorénavant tracée ! Dès demain, il se promettait d’aller sur les sites de rencontre pour personnalités hybrides. Faudra qu’il pense aussi à remercier cet abruti de Paul...