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Auteur Sujet: La randonnée des oursins [Tic-Tac 22 février 2024]  (Lu 182 fois)

Hors ligne Rémi

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La randonnée des oursins [Tic-Tac 22 février 2024]
« le: 22 février 2024 à 22:14:47 »

Trempé dans sa soutane, le Père Aldric se presse. L’air bourdonne à ses tempes, les abeilles s’affairent dans les genêts. Le chemin pavé serpente entre les carrés potager, le curé ne prend pas le temps de remarquer les pieds de courgettes flétris. De sa poche profonde, il sort la clé rouillée et ouvre la porte de la sacristie. La transpiration se glace sur son front, le vieil homme saisit un torchon propre dans l’armoire et s’éponge le visage. En tremblant, il s’agenouille devant le reliquaire, se signe et marmonne de sa bouche pointue des mots inaudibles.

Assis sur un banc tout proche de l’autel, une femme en manteau rouge. Elle fixe le Christ crucifié de ses yeux noirs. Ses fins sourcils tremblent un peu et sa mâchoire se crispe. Elle a passé autour de son cou une écharpe de soie écarlate. Le bruit d’une porte qui grince se fait entendre, elle se lève et se précipite vers le Père Aldric qui apparaît dans le transept. Le vieux curé jette un coup d’œil circulaire et lui fait un signe. Tous deux se dirigent à pas rapides vers le confessionnal.

— Aldric ! Vous avez mis un temps !
La voix de la femme, plus sombre que ses cheveux, résonne jusqu’aux voûtes de l’église.
— Moins fort, mon enfant.
— Je ne suis pas votre enfant ! Arrêtez vos conneries !
Les mots sortent étranglés de la gorge du curé :
— Oubliez-vous où nous sommes ?
— Rien à foutre ! Avez-vous réglé le problème ?
— C’est en bonne voie…
— Je vous laisse encore deux jours !
La porte moulurée du confessionnal s’ouvre d’un coup, claque contre les montants sculptés et la femme en rouge surgit. À pas rapide, elle rejoint la nef qu’elle redescend à toute vitesse jusqu’à disparaître.
— Allez en paix, mon enfant.
Avant de sortir de l’église, le curé s’agenouille devant la statue de Saint Antoine. Les bras de marbres écartés, tendus vers le ciel, semblent appeler la rédemption. Aldric sait que le salut est au ciel. Inutile de le chercher ailleurs.

Le Père Aldric se frotte les yeux. Son regard hébété va de sa chasuble aux encensoirs, du reliquaire à son verre de vin. Il l’avale d’un trait et tend la main vers la bouteille avant de se raviser. Ses mains s’appuient sur la table qui grince tandis qu’il se lève. Dehors, l’air épais l’agresse. À peine a-t-il fait quelques pas que son corps charpenté se couvre de sueur. À nouveau, il ignore les légumes en souffrance, concentré sur les pavés polis qui le mènent à sa modeste maison.

L’eau ruissèle sur son ventre proéminent. La mousse glisse le long de ses jambes. Du bout des doigts, il se masse le crâne. Là-dedans, ça rebondit dans tous les sens. Il tourne le bouton. L’eau froide le saisit. Son dos se cambre et il offre son visage à l’eau glacée.

Aldric a quitté sa soutane. En habits civils, il traverse la ville endormie et s’approche du port de pêche. Clapotis de la Méditerranée. Tintement des câbles contre les mâts. Les effluves écœurants et salés lui donnent la nausée. Même de nuit, la chaleur reste insupportable. Odeur de crabes morts et d’algues séchées. Les phares d’une voiture apparaissent sur la corniche. Elle s’approche. Une voiture de luxe sur la route qui se déroule le long de la côte escarpée. Voilà, elle s’arrête à deux pas de lui. La porte s’ouvre.
— Montez, mon Père !
Toujours cette voix lugubre, toujours ce manteau rouge. Et cette pointe de sarcasme…
— Où m’emmenez-vous ?
— En promenade.
La silhouette du curé se découpe dans la lumière des phares. La portière claque et la voiture démarre.
— Je n’ai rien pu faire.
— Cessez de me baratiner, Aldric.
Elle n’en dira pas plus. L’asphalte défile, les pointillés blancs avalés les uns après les autres. La voiture emprunte un chemin qui grimpe quelques minutes avant de redescendre vers les calanques. Le corps lourd du curé rebondit sur la banquette à mesure que les trous et les bosses secouent le véhicule.
¬— Que vouliez-vous que je fasse ?
— Votre problème, votre solution.
— Mais je ne pouvais pas savoir !
La voiture freine brutalement et s’arrête à côté d’une grosse camionnette. Une brassée de poussière s’élève sous la lueur lunaire.
— Sortez !
— Je devais renvoyer ce coffre à l’évêché !
— Sortez !
Le curé ne bouge pas. Une larme perle au coin de ses yeux.
— Sortez !
— Comment pouvais-je savoir que vous y aviez placé… quelque chose de… précieux pour vous ?
Le canon du revolver luit  entre la femme en rouge et le vieil homme terrorisé.
— Sortez !

Voilà plus d’une demi-heure qu’ils marchent. Le Père Aldric devant, la femme à l’écharpe écarlate derrière, le flingue braqué sur lui. Ils contournent un dernier buisson de myrte et débouchent au sommet de la falaise. Le curé n’en croit pas ses yeux. Là, devant lui, apparaît Saint Antoine. Bras levé vers le ciel. Sauvé. Il est sauvé. Le saint est venu à son secours.
— Vous savez ce que vous avez à faire.
Deux hommes cachés derrière un rocher s’approchent.

Le socle de la statue vient de toucher le fond, écrasant un oursin. Le visage de Saint Antoine regarde vers le haut, vers la surface, vers le corps du Père Aldric. La corde de chanvre entre la main du saint et le pied du curé est à peine tendue. Lui aussi a les bras écarté et projetés vers le ciel.
Le paysage de mes jours semble se composer, comme les régions de montagne, de matériaux divers entassés pêle-mêle. J'y rencontre ma nature, déjà composite, formée en parties égales d'instinct et de culture. Çà et là, affleurent les granits de l'inévitable ; partout les éboulements du hasard. M.Your.

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Re : La randonnée des oursins [Tic-Tac 22 février 2024]
« Réponse #1 le: 22 février 2024 à 22:46:39 »
Salut Rémi !

Je crois que cette couverture ne nous a pas inspirés vers le soleil, la joie et la bonne humeur ;D

Plein de mystère ici, j'ai trouvé ^^ et cette fin à la fois, je sais pas, triste, et en même temps, presque libératrice :-[

Une bonne soirée à toi !
If the day comes that we are reborn once again,
It'd be nice to play with you, so I'll wait for you 'til then

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Re : La randonnée des oursins [Tic-Tac 22 février 2024]
« Réponse #2 le: 23 février 2024 à 19:15:15 »
Bonsoir Rémi,

J'ai bien aimé le déroule de ton Tic-Tac, comment l'intrigue progresse.
La première "rencontre" m'a plu aussi, le mystère qu'il en découle, la différence de ton entre les personnages aussi.
Une façon sympa d'amener les éléments de la couverture.

(Je crois que ce qui me fait voir que tu as eu plus de mal, c'est que ça m'a paru "court" par rapport au souvenir que j'ai de tes Tic-Tac habituels...)

A bientôt ~
“A faint clap of thunder;
Clouded skies;
Perhaps rain comes – if so, will you stay here with me?”

“A faint clap of thunder;
Even if rain comes not;
I’ll stay here, together with you…”

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Re : La randonnée des oursins [Tic-Tac 22 février 2024]
« Réponse #3 le: 04 mars 2024 à 14:29:23 »
Merci pour ton texte.

Ton récit est riche en description. Au début, j'imaginais le curé fin, mais il ne l'est pas.
J'ai certainement pas tout compris, mais pourquoi on tue ce curé ? En plus, ils choisissent une mort accrochée au saint, donc il y a une symbolique. Ils auraient put le tuer avec le pistoler plein de fois avant, déjà marché pendant une demi-heure, ce n'est pas très discret et plutôt risqué.

 


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