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28 mars 2024 à 13:53:58
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Auteur Sujet: The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)  (Lu 62889 fois)

Hors ligne Maroti

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  • Traducteur de The Wanderin Inn par Piratebea
Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #120 le: 22 novembre 2020 à 19:46:34 »
1.00 C partie 2
Traduit par Maroti

Je trésaille alors que je sens des sueurs froides. J’essuie mon front avant que la sueur ne ruine mon maquillage, mais cela ne fait qu’étaler les couleurs.

Bon sang. Je peux toujours entendre le bruit que faisaient les Démons quand ils nous ont attaqués. Ils nous attendaient, se cachant avec des monstres dans l’eau boueuse. Personne n’avait rien vu venir.

Un tier d’entre nous fut tué durant cette première mauvaise nuit. La seule chose qui nous a sauvés fut les soldats ; le roi nous avait donné une grosse escorte, et ils sont morts pour nous protéger.

Nous sommes arrivés en sécurité, mais personne n’était prêt à se battre après cela. La moitié d’entre nous ont perdu la boule, et quand nous sommes retournés à la capitale, nous n’avions pas l’air de héros. Je pense que c’est à cet instant que le Roi à compris qu’il avait fait une erreur.

Il fit capturer quelques monstres par ses chevaliers pour nous apprendre à nous battre. Je peux toujours me souvenir de quand je me tenais dans la salle de trône alors qu’ils nous donnèrent des épées en disant que nous devons décapiter un Gobelin.

Je n’ai même pas eu besoin d’essayer. Ils ont abandonné avant même de s’approcher de moi. Seulement trois personnes ont réussi à décapiter un Gobelin, et le reste d’entre nous était en train de vomir ou de pleurer.

Donc, après quelques jours passés à ne rien faire dans la capitale, le Roi nous en envoyé dans ce village. Vu que certains d’entre-nous avait quand même gagné des niveaux comme il l’avait espéré, à la vitesse de l’éclair selon les locaux, mais la majorité d’entre nous n’était pas encore prêt à nous battre.

Je rentre chez moi après avoir fait mon spectacle de clown, enfin, chez moi étant l’endroit ou nous dormons tous dans le village. C’est le plus grand bâtiment du village, le seul suffisamment grand pour tous nous accueillir. Malgré cela, je suis quand même pris de cours par le peu d’espace que nous avons en rentrant.

Des lits envahissent la salle. Des petits tas de vêtements, des vrais lits fait de bois, et même un hamac, les villageois ont tous donné pour que nous ayons de la place pour dormir.

Il y a un peu plus de dix personnes à l’intérieur, certains sont toujours en train de dormir, alors que d’autre parlent doucement ou essayent de jouer à un jeu de cartes. C’est pratiquement toujours comme ça. Il est vrai que certaines personnes, comme Richard ou Eddy, vont patrouiller et chasser le monde, mais le reste d’entre-nous passe son temps assis. Il n’y a pas grand-chose à faire dans le village.

Je me glisse maladroitement dans la salle jusqu’à mon lit. Certaines personnes lèvent la tête mais ne me disent rien. Je ne suis pas… Très populaire. Et je suis habillé comme un clown. Bizarre, pas vrai ?

Je m’enfonce dans les couvertures rêches de mon lit et je regarde autour de moi. La seule personne proche est Vincent, la majorité des autres de l’autre côté de la salle, le côté réservé aux filles. Nous n’avons pas de mur, mais nous avons fait un rideau pour avoir un minimum d’intimité.

Je soupire et je me repose dans mon lit. Bon, j’ai fait quelque chose. Pas grand-chose, mais je suis déjà fatigué. Je suis abattu, déprimé. Comme si je ne pouvais rien faire. J’ai besoin de mes médicaments, mais…

« ♪Doo doo doodle do do doo doo doot~♫ »

Bon sang. Pas maintenant. Vincent se redresse quelques lits plus loin. Il était en train de roupiller mais il me regarde alors que je cache mon visage dans mes mains. Ça arrive de nouveau.

C’est une guillerette musique de carnaval, le genre que tu peux imaginer dans n’importe quel cirque. C’est une musique de clown, c’est bruyant, et ça vient de moi. Je ne veux pas faire ce bruit, mais c’est une Compétence.

Tout le monde dans la pièce s’arrête en entendant le bruit. Ils me lancent des regards noirs et je hausse les épaules. La plupart essayent de l’ignorer, mais après quelques minutes cela pèsent sur les nerfs des gens. Et pour certain, c’est la dernière goutte.

«Arrête ça !»

J’entends la voix, et puis Cynthia est devant moi. Elle me hurle dessus, le visage écarlate alors qu’elle pointe mon visage d’un doigt tremblant.

« Arrête ! Arrête de faire ce bruit ! »

« Je suis désolé ! Je ne le contrôle pas ! »

Je lève mes mains, mais elle s’en fiche. Elle me jette quelque chose, un oreiller.

« Arrête ! Il faut que tu arrêtes ! »

Elle n’aime pas les clowns. Elle avait peur d’eux étant petite, je crois. Et elle est au bout du rouleau. Comme nous tous, mais elle pleure plus que le reste. Et elle ne peut pas supporter le ton.

« Bordel, tom ! Tu ne peux pas arrêter cette foutue musique ? »

Quelqu’un me hurle dessus à l’autre bout de la pièce. Je crois que c’est Kevin. Il se lève, les poings serrés.

« Je suis désolé ! »

Cynthia continue de me crier dessus, c’est plus devenu quelque chose d’incohérent que de la colère. Chole s’approche d’elle et l’éloigne de moi en me lançant un regard noir. Cynthia part avec elle, en pleur.

« Je veux rentrer à la maison ! »

Vincent suit Cynthia alors que ses yeux ne me lâchent pas. La stupide petite musique de clown est toujours en train de jouer en arrière-plan.

« Tom… »

« J’ai compris. J’y vais. Désolé. »

Je lève mes mains et je pars. Tant pis pour le repos. Les gens ne peuvent pas me supporter quand il y a cette musique, et je ne peux pas l’éteindre.

Je vais dehors jusqu’à ce que la musique s’arrête. Cela ne prend que cinq minutes. Ce n’est jamais long. Mais elle semble toujours venir au pire moment, quand un groupe est proche, ce qui est ce qui déclenche la capacité, je suppose. Dieu merci cela n’arrive pas quand je dors.

Quand tout est finalement silencieux, j’entends des voix argumentées. Il semblerait qu’une dispute ait éclaté après mon départ. C’est de ma faute.

« Alors rappelle-les. Pourquoi est-ce que tu ne le fais pas ? »

Chole est en train de se disputer en pointant le portable de Vincent du doigt. Il est l’une des rares personnes du groupe qui soit arrivé ici avec quelque chose d’utile. Son portable était presque à court de batterie, mais nous étions parvenus à trouver un [Mage] pour lancer un sort de [Réparation] pour le recharger.

« Ça ne marche pas comme ça ! C’est un sort qui a fait l’appel, pas le téléphone ! »

Vincent protège son Iphone alors qu’ils se disputent. Cela fait bientôt deux semaines que nous avons eu l’appel et réalisé que nous n’étions pas les seules personnes de ce monde, et ensuite nous n’avons plus eut de nouvelle. Toute l’euphorie que nous avons eut en réalisant que nous allions peut-être être sauvés a été perdue, et nous étions désormais inquiet que quelqu’un était en train de nous traquer.

Des visages devinrent rouges, et ils commencèrent de nouveau la même dispute. J’écoute en essayant de retourner dans mon lit en essayant de ne pas attirer l’attention.

« Pourquoi on ne peut pas utiliser de sort ? Qu’est-ce qui ne va pas ? »

« Le gars qui a fait l’appelle, BlackDragon, a dit que cela prenait beaucoup de magie ! Je ne suis pas un [Mage], et je ne pense pas qu’Emily puisse lancer les bons sorts. »

« Alors qu’est-ce qu’on peut faire ? »

Vincent hausse les épaules. Il fait un signe à la dague à sa ceinture. Il est un [Voleur], mais il a appris cette classe en désarmant des pièges et en étant discret, pas en volant des choses.

« Nous devons continuer de monter en niveau. C’est comme ça que ce genre de jeux marche. Nous nous entraînons et devenons plus fort. Une fois un certain niveau atteint, on achète de l’équipement enchanté et… »

« Arrête de raconter de la merde. Tu penses que ça va nous aider ? On va crever ici. Tout le monde nous a abandonnés. »

Kevin va directement au visage de Vincent en disant cela. J’essaye de me cacher alors que Vincent s’énerve.

« Alors qu’est-ce qu’on devrait faire ? Au moins je pars me battre. Tout ce que tu fais, c’est rester sur ton cul en te plaignant ! »

C’est vrai. Vincent fait habituellement partie du groupe chasse, contrairement à Kevin. Mais cela ne fait qu’encore plus énerver Kevin. Son visage rougit de plus belle et il pousse Vincent.

« Va te faire foutre ! »

« Va te faire foutre, connard ! »

« Arrêté ! Arrêté de vous battre ! »

Chole et l’une des autres filles se mettent entre eux alors qu’ils puissent en venir une nouvelle fois aux mains. Derrière-eux, Cynthia lève la voix alors que Vincent et Kevin se font séparer par les autres.

« Quelqu’un va venir nous sauver. Quelqu’un va bientôt venir nous sauver… »

Elle va d’avant en arrière, en train de se murmurer à elle-même. Elle le dit assez fort pour que nous puissions l’entendre, mais pas assez fort pour justifier qu’on lui dise de se taire.

Quand elle n’est pas en colère, Cynthia continue de nous dire qu’on va se faire sauver. Elle clame qu’une armée va trouver le moyen de nous sauver, ou que quelqu’un ouvrira un portail vers ce monde, ou… Que nous allons bientôt nous réveiller. Elle veut y croire. Et certains d’entre-nous aussi, mais je pense que le reste d’entre nous commencer à penser comme moi.

Même si les gens découvrent que nous avons disparu, comment vont-ils faire pour arriver ici ? Nous pouvons à peine atteindre une autre planète, encore moins une autre dimension. Et même si par miracle des gens construisent une… Une Stargate ou quelque chose du genre, comment est-ce qu’ils vont faire pour nous retrouver ici. Dans ce village perdu dans ce qui est l’une des pires parties du monde ?

Cynthia continue de répéter les mots alors qu’elle va d’avant en arrière en serrant ses genoux. Stacy mais une main sur son genou, mais le mouvement ne s’arrête pas.

Au moins elle ne fait que geindre et pleurer, sans me crier dessus. Cela pourrait être bien pire.

La dernière fois que Cynthia est devenue folle, elle a cassé la moitié des assiettes et des verres que les villageois nous avait donné, et la seule fenêtre de verre du bâtiment, et du village.

Est-ce que c’est vraiment surprenant si les locaux nous détestent ? Je ne suis pas surpris. Après tout ce temps, ils avaient désespérément espéré que quelqu’un viendrait les sauver. Leur Roi leur avait dit que des Héros étaient en route, et ils l’ont cru.

Ils ont prié pour avoir des héros.

À la place, ils nous ont eus.

La dispute n’est pas terminée. Vincent et Kevin se lancent des regards noirs, et Chole veut toujours l’Iphone, qui Vincent ne veut pas lui donner. Il le donne uniquement à Richard car tout le monde est d’accord qu’il devrait être celui qui parle, mais à part lui Vincent ne laisse personne le toucher.

Cela est arrivé après quelques accidents ou des gens empruntaient l’Iphone en prétendant qu’ils ne l’avaient pas… La dispute repartie de plus belle et je décide que je ne vais pas réussir à fermer l’œil.

Je quitte la salle commune et j’erre dans les environs. J’ai déjà assez mangé. Enfin, pas assez pour ne pas avoir faim, mais assez pour survivre. Je peux supporter la faim. Et j’ai toujours un de ses pains aux fruits du petit-déjeuner dans ma poche.

L’une des bonnes choses de s’habiller en [Clown] est que tu as de grandes poches. Rajoute ça à ma Compétence qui donne l’impression que je fais apparaître des objets, et je peux faire un bon tour de passe-passe. Et manger de la nourriture quand personne ne regarde.

C’est une bonne chose que Vincent ne s’est pas battue avec Kevin. Car si c’était ce qu’il avait fait, il aurait gagné. C’est un truc avec les Classes de ce monde.

Kevin est un grand gaillard. Afro-Américain, et je sais que c’est raciste quand je le dis, mais il est bien plus flippant que Vincent qui… Ressemble plus à un blanc-bec en surpoids. Comme moi, même s’il est en meilleure forme.

Mais Kevin a des muscles. Vincent a des muscles, mais pas autant. Mais s’ils se battaient, Vincent gagnerait sans la moindre hésitation.

Il est un [Voleur] de Niveau 14 avec plusieurs compétences lui permettant de désarmer des pièges, de bouger sans faire de bruit, et ainsi de suite, mais les niveaux l’on rendu plus fort. Nous l’avons testé, malgré le fait qu’il n’a pas de compétence, il est légèrement plus fort qu’une personne du même gabarit sans compétences. Mais il est plus rapide, bien plus rapide. Il semblerait qu’il y ait une sorte de bénéfice passif aux montées de niveaux, ou peut-être que c’est un avantage de la classe de [Héros].

Parce que cela ferait une grande différence entre Kevin et Vincent. Beaucoup de personne dans notre groupe… Toutes les personnes qui restent assises à ne rien faire à mon exception en fait, ont perdus leur classe de [Héros].

Cela commença quelques jours après notre arrivée au village. Un jour Cynthia se réveilla et nous dit qu’elle avait entendu une voix lui dire qu’elle avait perdu sa classe de [Héros]. Personne ne pouvait l’expliquer, et nous n’osions pas le dire aux villageois et aux soldats.

Lentement, cela arriva aux autres. À tous ceux qui ne combattaient pas les monstres.

Mais pas moi. Et c’est le truc. Je pense savoir pourquoi cela arrive, mais je ne l’ai pas dit à quelqu’un d’autre que Richard. Et il ne connaît pas l’entièreté de ma théorie.

Nous sommes tous des [Héros] de Niveau 1, les gens qui ont toujours cette classe. Mais aucun d’entre-nous à gagné un niveau, même si Richard est un [Chevalier] de Niveau 26 et Emily est une [Hydromancienne]de Niveau 21. Mais personne n’a gagné de niveau dans la classe de [Héros].

Certains d’entre nous pensent que c’est parce qu’il n’y a qu’un niveau dans cette classe. Eddy pense que c’est une classe spéciale, et la majorité des gens semblent être d’accord. Après tout, pourquoi Richard ne gagnerait pas de niveau ? Il est notre leader et le meilleur combattant parmi nous. Si quelqu’un est un héros, c’est lui.

Mais c’est quelque chose que les autres ne comprennent pas. Un héros n’est pas quelqu’un qui est courageux ou sans peur. Un héros ne tue pas des monstres ou sauve des princesses (ou princes). Si tu cherches le mot ‘héros’ dans un dictionnaire, tu vas trouver une autre définition.

Un héros est quelqu’un qui est admiré ou idéalisé. Un héros est une personne vers laquelle les autres se tournent.

Un [Héros] est un héros uniquement si les autres personnes croient qu’il est un héros. Ce qui explique comment nous avons obtenu cette classe en étant invoqués.

Le truc est que je ne suis pas un héros. Et je ne pense pas que quelqu’un de notre groupe l’est. Et plus les villageois et le reste du royaume nous regarde, moins ils pensent que nous sommes des héros.

Donc nous commençons à perdre la classe. Les villageois avaient peut-être encore un peu d’espoir pour Richard et les autres combattants, mais quand tu voyais un groupe d’adolescent pleurant sur leur sort et des jeunes adultes qui passaient leur temps à se disputer sans rien faire…

Nous sommes inutiles. Je suis le plus inutile, et nous sommes en train d’alourdir le village. Bon sang. Je n’ai juste pas envie d’être là. Mais vu que je ne suis pas dans la salle commune, autant essayer de monter de niveau. J’ai besoin d’un autre niveau.

Cette fois les enfants m’ignorent comme les adultes alors que je recommence à jongler. Ils m’ignorent en jouant, sauf quand ils m’utilisent comme obstacle. Demain ils ne vont probablement pas regarder, alors comment est-ce que je vais faire pour monter de niveau ?

Il ne faut pas penser à ça. Continue de sourire. Continue de faire le pitre. Je fais tourner trois quilles plus haut en l’air.

« Un [Jongleur] peut jouer avec six balles. »

Je laisse tomber une quille alors que le garçon m’adresse la parole. C’est le même qui a fait un commentaire sur ma blague.

Wilen. Il est trop jeune pour avoir un travail à part aider ses parents, mais il est un peu trop vieux pour jouer avec les autres enfants. Il gratte ses cheveux mal coiffés et regarde mon ventre bedonnant couvert par tes vêtements de clown inadaptés.

« Est-ce que tu vas partir ? »

« Non. Enfin, je ne pense pas. Pas à moins que le roi… Je veux dire, ton Roi vienne nous chercher. »

« Okay. »

Est-ce que je devrais continuer de jongler ? Je n’ai pas vraiment envie. Je suis en sueur, j’ai mal au bras, et je me sens bizarre. Wilen reste à côté de moi alors que je regarde autour de moi, gêné.

« Est-ce que tu essayes de monter de niveau ? »

« Ouaip. »

C’est étrange d’avoir une conversation de ce genre, mais Wilen est natif de ce monde, donc il est parfaitement à l’aise.

« Comment les [Clowns] gagnent des niveaux ? Est-ce que cela dépend du temps que tu passes o jongler ? Les [Jongleurs] gagnent des Niveaux en attirant une grande foule. »

« Je pense que ça marche de la même manière avec les [Clowns]. Je ne sais pas. »

« Est-ce qu’il y a d’autres [Clowns] d’où tu viens ? »

« Oui, mais ils ne… Je ne sais pas. Désolé. »

Je hausse les épaules, tout aussi insatisfait par mon explication que Wilen. Je fronce les sourcils et me penche pour ramasser une quille.

« Il faut faire rire les gens. Je pense. »

« Mais tu ne fais rire personne. Tes blagues sont terribles. »

« Ouais. »

Wilen est l’un de mes réguliers, donc il est au courant. J’ai essayé presque cent blagues depuis que je suis là, mais je ne suis vraiment pas drôle.

« Mais je suis Niveau 19, donc je dois bien faire quelque chose. »

Combien de cela est dût à la classe de [Héros] ?

« Ça ne peut pas être ça, vu que personne ne rigole. »

Wilen le dit comme si c’était évident et que j’étais un idiot pour ne pas m’en rendre compte. Je hoche la tête, et il se gratte.

« Est-ce que c’est parce que tu attires l’attention ? »

« Non… Les [Clowns] doivent être drôles. »

« Vraiment ? Mais... ; »

« Je sais. Mais pas vraiment drôle. C’est… »

Comment est-ce que je peux expliquer cela à quelqu’un qui n’a jamais vu de clown ? Je veux dire, comment expliquer qu’une personne qui doit faire rire peut tout aussi faire peur au gens qu’il essaye de divertir ? De plus, les clowns ne sont pas le plus drôle dans un cirque. Ils sont… Secondaires, au mieux.

« Les Clowns… Sont plus comme des jokers. Ils sont la chute de la blague. »

« De la blague ? Genre, raconter des blagues ? »

Wilen me regarde avec scepticisme, et je secoue la tête. Puis je trouve.

« Non, il faut distraire les gens. Être un clown est préparer la blague. »

« Quelle blague ? »

« Je ne suis pas certain. »

Mais ce que je venais de dire était la vérité. Wilen fronça les sourcils et ouvre la bouche pour me poser une autre question. Gah.

Je m’apprête à mettre la main dans ma poche, puis je me souviens que je suis un [Clown] et je fais apparaître le pain au fruit derrière l’oreille de Wilen. Il ne semble pas impressionné, mais il a clairement faim. Je lui tends le pain légèrement écrasé.

« Tiens. Ce n’est pas très drôle, mais c’est comestible. »

Il me regarde de manière suspicieuse, mais je ne bronche pas. Wilen hésite alors qu’il regarde le pain au fruit dans mes mains. Puis il le prend, gêné.

« Merci. »

Il ne devrait pas me remercier. Je devrais le remercier. Nous sommes la responsabilité de ce village ; le village est forcé de nous nourrir même si nous obtenions des provisions de la capitale de temps en temps.

« Donc. Heu. Comment ça va ? »

Wilen hausse les épaules en dévorant le pain.

« Bien. J’essaye d’apprendre à utiliser une épée pour obtenir la classe de [Guerrier]. Maman préférerait que je devienne un marchand à la place. »

Il grimace. Je suppose que c’est comme vouloir devenir un policier et étudier pour devenir comptable à la place. Mais après avoir vu des monstres de prêt, je ne peux pas contredire sa mère.

« Tu sais, être un [Guerrier] n’est pas aussi bien qu’il y parait. Un [Marchand] gagnera probablement plus d’argent. »

Wilen me regarde avec mépris.

« Et comment est-ce que je me protégerais quand les Démons attaqueront ? Ils vont revenir un jour ou l’autre. Le Roi Démon va bientôt attaquer le Mur, tout le monde le sait. »

Je n’ai rien à lui dire. Il a raison. Cet endroit n’est pas sûr comme les Etats-Unis. Bon sang, les Etats-Unis ne sont même pas sans danger, mais il n’y a que peu de personne qui meurent à cause des armes à feu chaque jour. Mais ici tu pourrais te faire manger par un… Escargot géant, ou un truc du genre.

« Bon courage, alors. Je vais, heu… Je suppose qu’on se revoir plus tard. »

« Okay. »

Wilen court jouer avec ses amis. Je me traîne jusqu’à l'étable.

Le village à une large étable avec seize chevaux à l’intérieur. Le bâtiment ressemble énormément à une grande au niveau de l’apparence et de l’odeur, mais au moins les chevaux ne me jugent pas comme les gens. Ils reniflent l’air et souffle, c’est tout.

Je n’aime pas les chevaux, et je doute qu’ils aiment me porter. Mais personne ne me dérange ici, et je ne dérange personne.

Le fait qu’il y ait autant de chevaux est peut-être étrange, mais c’est au cas où avons besoin d’envoyer un message d’urgence ou qu’un [Soldat] en ait besoin. De plus, entretenir l’étable fait gagner de l’argent aux villageois, et ils en ont cruellement besoin.

Je m’assois dans la paille, priant pour que le truc mou sous mes fesses ne soit pas quelque chose qui est sortie du derrière d’un cheval et fait une petite sieste avant d’entendre une voix et sentir quelqu’un être au-dessus de moi.

« Tom. »

Je lève les yeux vers la voix et essaye de sourire. C’est Richard. Le leader de notre charmant petit groupe.

Il est de retour avec les autres. Ils sont partis à cheval, huit personnes… Trois filles et cinq gars. Avant, ils auraient eu une escorte de soldat, mais Richard est considéré être assez pour mener son petit groupe seul.

Les gens descendent de leurs chevaux autour de moi, la plupart le font maladroitement. Il n’y a pas de cavaliers naturels dans le groupe. Je vois une grande fille descendre de son cheval et dépoussiérer ses robes.

Emily. C’est la seconde leader du groupe après Richard. La plupart des gars l’aiment bien, et elle a le second plus haut niveau après Richard. Elle renifle dans ma direction, mais ne dit rien.

Richard descend et panse son cheval alors que les autres sortent en laissant la scelle sur leurs montures. C’est un bon type, et il sait comment chevaucher. Il a grandi dans le sud, au Mississipi, dans un ranch.

« Tom. Comment s’est passé ta journée ? »

Je hausse les épaules alors que je secoue mon pantalon pour faire tomber la paille.

« C’est calme. J’ai, heu, fait pleurer Cynthia quand la musique à recommencer. Kevin et Vince se sont presque battu. »

Richard soupire alors qu’il accroche la scelle et masse ses épaules. Il porte une cotte de maille, un bouclier, et une épée mais il porte le tout comme si ça ne pesait rien.

« Tu ne peux pas l’arrêter ? »

Mes épaules s’affaissent et ma voix devient défensive.

« Je ne peux pas l’arrêter. »

Il me tapote l’épaule.

« Je sais. Désolé. Cynthia est en train d’aboyer sur le mauvais arbre quand elle s’énerve. Elle à besoin de sortir un peu plus souvent, ou elle va devenir folle. »

« Nous allons tous devenir fou si nous n’allons pas quelque part. »

« Tu continus de jongler pour les gamins ? »

« Un peu. »

Les gens n’ont pas la moindre idée de ce que je suis. Ils regardent ma peinture blanche et me demande quelle sorte de classe [Clown] est. Ils ne rient pas, et ils me regardent jusqu’à ce qu’ils aient quelque chose à faire. Je ne peux même pas les faire rire pour qu’ils oublient leurs problèmes.

Richard mange ses ongles alors qu’il s’appuie sur un mur de l’étable. Le cheval qu’il vient de chevaucher me regarde.

« Tu sais, Tom, tu pourrais venir avec nous la prochaine fois. Tu… Pourrais te battre. Nous allons chasser demain. Tu pourrais nous rejoindre. »

« Je… Ne pense pas en être capable. Je ne suis pas un combattant. »

Je suis malade à la vue du sang. Quand j’ai cru que j’allais devoir décapiter ce Gobelin qui hurlait… J’ai encore des cauchemars à propos de Ron et Marian.

« Mais pourquoi un [Clown] ? Les clowns ne sont pas… »

Il s’arrête avant de dire la suite, mais je comprends. Les clowns ne sont pas drôles. Oui, c’est vrai. Mais il y a une raison pour laquelle je continue d’aller dans cette classe. C’est un pressentiment. Un pari, mais peut-être que…

Je suis sauvé par un son familier.

« ♪Doo doo doodle do do doo doo doot~♫ »

Nous écoutons tous les deux l’horrible musique en silence. Richard se racle la gorge.

« Est-ce que tu peux au moins changer la musique ? »

« Si je le pouvais, mec, je le ferais sans hésiter. Tout sauf ça. »

« Bon, je suppose que c’est une bonne chose que tu ne viennes pas patrouiller avec nous. Imagine ça qui se lance lorsque nous approchons discrètement un monstre. »

Nous rions tous les deux. Pourquoi est-ce que je ne peux pas être drôle comme lui ?

« Chole veut encore utiliser le portable de Vincent pour appeler les autres. »

« Ce n’est probablement pas une bonne idée. Tu te souviens de ce qu’il s’est passé ? »

« Ouais. Mais elle dit que… »

« Je vais lui parler. Mais j’ai d’autre nouvelle. Je viens de parler avec un officier sur la route, et il dit que nous allons peut-être bientôt avoir du renfort. »

Je lève la tête.

« Plus de soldats ? »

Richard secoue la tête, et il a l’air sombre.

« Non. Plus de gens comme nous. »

Il me faut un moment pour digérer l’information.

« Quoi ?»

« Le Roi pense que nous sommes une erreur. Il veut recommencer le rituel et appeler plus de héros dans ce monde. »

« Comment est-ce qu’il peut le refaire ? Est-ce qu’il n’y a pas un lourd coût à payer ou quelque chose dans le genre ? »

« Je pense qu’ils vont continuer de le faire tant qu’ils ont assez de [Mages]. Ils disaient que cela prenait beaucoup de mana, et autres choses, mais ils veulent réessayer. »

« Je ne peux pas vraiment les blâmer. Pas vrai ? »

Richard rit, et regarde la paille sur le sol de l’écurie.

« Non. Mais c’est une erreur. »

Ça l’ai. Plus de gens. J’essaye de l’imaginer. Je ne veux pas voir d’autre personne mourir à notre âge. Richard serre le pommeau de son épée par réflexe et regarde les portes de l’écurie.

« Je vais essayer de parler aux soldats ; essayer d’avoir une audience avec lui. »

« Il ne nous écoute pas. Il ne l’a jamais fait. »

« Mais je dois essayer. C’est la bonne chose à faire. »

La bonne chose à faire. Ce n’est pas une surprise que Richard soit devenu un [Chevalier]. Il est toujours en train d’essayer de nous offrir le meilleur, et il a aussi cette courtoisie des Etats du Sud. Il y pense alors que je le regarde du coin de l’œil.

« Si je peux le convaincre que certain d’entre-nous peuvent être les héros qu’il veut, alors peut-être qu’il va nous écouter. »

« Tu penses que tu peux le faire ? »

« Emily a dépassé le Niveau 20 et Rouge est presque là. C’est bien plus rapide que n’importe qui dans ce monde. Si je peux atteindre le Niveau 30, je serais équivalent à un aventurier Or. »

« Peut-être que vous devriez être des aventuriers. Vincent disait que c’était ce dont nous avons besoin. Des items magiques. »

« Eddy dit la même chose. Peut-être. On pourrait essayer d’aller voir un de ces donjons si nous sommes escortés de l’autre côté du mur et vers la capitale. C’est bien plus sûr derrière les murs. »

« Ouais. »

Richard devient silencieux, et je ne peux rein ajouter. Nous restons immobiles pendant quelques instants jusqu’à ce que Richard se racle la gorge.

« Allons dormir. »

C’est drôle. Enfin, pas vraiment drôle, mais bizarre. Quand est-ce que j’ai commencé à bien prendre les ordres comme ça ? Je veux dire, je n’ai jamais laissé quelqu’un décidé de quand j’allais me coucher depuis que j’étais gamin. Mais Richard me le dit et donc nous nous rendons dans la grande salle.

Cynthia à arrêter de pleurer, et avec les autres, les petites disputes de la matinée sont oubliées. Nous mangeons un ragoût sans goût avec des morceaux de viandes en sauce, et puis nous éteignons toutes nos lanternes et allons-nous coucher sur les matelas durs.

Je m’assois dans le noir pendant un temps, écoutant les gens parler doucement et d’autre qui s’endorment. Quelqu’un commence à ronfler, et je pose ma tête sur l’oreiller.

Mes yeux se ferment, je commence à me laisser porter. Mais je n’entends pas de voix dans ma tête.

… Pas de gain de niveau. Encore. Bon sang.

Quelque chose va se passer si j’atteins le Niveau 20. Je le sais. Et s’il arrive ce que je pense, alors peut-être que…

Que je vais pouvoir faire rire les gens. Faire des choses de clown. J’ai besoin d’un nez rouge. Une tomate ? Est-ce qu’ils en ont au marché ?

J’arrive pas à penser. Dois dormir. J’essaye de rendre l’oreiller plus confortable alors que ma respiration se calme. Un autre jour en moins. Mes pensées disparaissent alors que je ferme les yeux.

J’ai vraiment…Besoin… De meilleures blagues…

***

« Tom. Tom ! »

Quelqu’un me secoue pour me réveiller. Je regarde autour de moi, et vois le visage de Richard. Il n’y a pas de lumière dans la salle, mais je peux toujours voir son visage illuminée d’une lueur orangée. Il est aussi paniqué que la fois ou je l’ai vu quand nous étions par-delà le mur.

Il me met sur mes pieds.

« Debout. Et restes silencieux. »

« Qu-qu’est-ce qui se passe ? »

« Nous sommes attaqués. C’est un raid des Démons. »

Autour de moins, j’entends les autres se réveiller et faire passer le mot. J’entends quelqu'un geindre bruyamment, Cynthia, et elle se fait aussitôt taire. Je n’entends plus que le bruit des flammes, les cris, et au loin, le bruit du métal contre le métal.

La guerre est venue au village. Et elle allait venir pour nous.

Une fois que tout le monde sur pied, réveillé et effrayé, Richard se tient debout au centre de la pièce. Il lève la voix assez forte pour se faire entendre.

« Un groupe d’archer Démon est en train de tuer tout ce qui bouge au centre du village. Ils vont nous abattre sur nous partons à cheval. Nous allons devoir nous faufiler. »

« Qu’en est-il des soldats ? Où sont-ils ? »

Emily répond pour Richard.

« Ils sont en train de se battre à l’avant-poste. Ils vont envoyer de l’aide, mais nous devons partir. Prenez tout ce qui a de la valeur et attendez mon signal. »

Elle lance un sort, et une sorte de bouclier magique se forme autour d’elle. Elle ouvre une porte avec précaution et quelqu’un de nos guerriers la suivent. Après une seconde, la porte s’ouvre et Emily passe sa tête.

« Personne n’est là. Suivez-moi. Baisser la tête et marcher vite ! »

Tout le monde commence à se diriger vers la porte. Personne ne parle, mais je regarde autour de moi et les mots s’échappent de ma bouche avant que je puisse les arrêter.

« Et les villageois ? »

Tout le monde s’arrête. Emily me fait une grimace dédaigneuse, et pointe en direction de la fenêtre d’où proviens le combat.

« Ils sont en train de se battre avec les soldats. Nous ne pouvons pas prendre le risque de les aider. Il y a un groupe de Démons là-bas, pas que des monstres ! »

« Mais… »

« Tom. Nous ne pouvons rien faire. »

Richard semble fatigué alors qu’il dégaine son épée. Il va fermer la marche. Il me fait signe d’avancer vers la porte, mais j’hésite.

« Il y a des gamins là-bas. On ne peut pas… ? »

Personne ne croise mon regard. Richard hésite, mais Emily le regarde et quelque chose passe entre eux.

« Nous ne pouvons rien faire. Nous devons partir maintenant. »

« Alors je vais y’aller. »

« Quoi ? »

Je tremble. Mais je ne peux pas m’en empêcher. Je pense à Wilen et à la fille à qui j’ai donné une fleur ce matin. Je ne peux pas partir.

« Je vais y’aller. Je vous retrouverai plus tard si… Je vais y’aller. »

Richard me regarde. A mon grand soulagement, il n’essaye pas de m’arrêter, il sort une flasque de sa ceinture.

« Prends ça. »

Il met la potion jaune dans mes mains. C’est un truc de grande qualité et je sais que ça lui a sauvé la vie plus d’une fois au combat. Je la prends et je hoche la tête dans sa direction. Qu’est-ce que je peux dire ?

Les autres me regardent, mais personne ne dit rien. Après quelques secondes, Emily traîne quelqu’un vers la porte et les autres suivent.

Personne ne m’arrête, personne n’essaye de me dire que c’est stupide. Ils sont déjà en train de partir. Ce n’est pas le moment de sortir une phrase héroïque et débile comme dans les films.

Alors pourquoi est-ce que je suis en train de faire quelque chose d’héroïque et de débile ?

Je ne sais pas, et je n’ai clairement pas l’impression de faire quelque chose d’héroïque alors que je descends la rue, essayant de rester à l’ombre. Mais peut-être que je ne supporte l’idée que nous prenons la fuite. Pas maintenant. Pas… Sans essayer quelque chose.

Je suis juste un [Clown]. Je pensais que ça allait être une bonne idée, qu’il y allait avoir quelque chose. Mais maintenant je ne pense pas à ma classe ou à mes compétences ou autre chose. Je suis juste un type terrifié essayant de faire ce qu’il faut faire.

J’entends quelqu’un hurler plus loin devant moi et mon cœur s’arrête dans ma poitrine. Mais ce n’est pas un son humain. Devant moi, l’auberge se tient à côté d’une maison en feu. Les flammes ne l’ont pas encore touché, mais les chevaux sont à l’intérieur et ils peuvent sentir la fumée.

Je n’ai pas le temps de les libérer. Si j’avais un cheval… Mais je ne peux pas.

« Je suis désolé. »

Je murmure doucement et je continue. Je ne peux pas m’arrêter. Tous mes instincts me disent que je suis en danger. J’ai juste besoin de trouver Wilen et les gamins. Ils savent qu’ils doivent aller vers l’avant-poste en cas de danger, mais si les soldats se font attaquer, où est-ce qu’ils peuvent aller ?

Richard et Emily pourraient les protéger si je les ramène. Si…

Quelque chose fonce dans une ruelle en face de moi. Je me fige, mais ce n’est pas un Gobelin. Un petite forme cours à travers la rue. Je cri, oubliant la prudence.

« Wilen !»

Il se tourne vers moi, le désespoir inscrit sur son visage. Il part vers moi, mais j’entends quelque chose se briser et une forme passe à travers le mur d’une maison derrière Wilen.

Une gigantesque main passe à travers la pierre, et un gourdin qui n’est qu’une grosse poutre envoi du bois enflammé volé à travers l’air alors que la chose hurle et charge vers moi. Je me fige.

Un Troll. Un monstre massif, à la peau vert-grise, s’approche lentement de Wilen. Le gamin cours vers moi, et je me fige de nouveau. Qu’est-ce que je devrais… ?

« Cours ! Je vais l’arrêter ! »

Wilen me regarde, mais je le pousse derrière moi. Le Troll s’arrête alors que je cours vers sa gauche, essayant de l’attirer. Il court vers moi, la plus grosse cible, et sourit alors qu’il lève sa poutre brisée.

Je dois faire gagner du temps à Wilen. Je cri et secoue mes bras en courant. Je peux aller dans une ruelle et le perdre.

Mais la poutre du troll me bloque le chemin, et je réalise qu’il est plus rapide que moi. Il me barre le passage et lève son gourdin. Je ralenti et essaye de faire demi-tour, mais c’est trop tard.

Il donne un coup de son gourdin. Si rapidement ! Trop rapide, je ne peux pas l’éviter. Je lève mon bras…

… Et je me réveille au sol. Je lève ma tête et vomis alors que tout tourne autour de moi. Je dois me pencher pour vider mon estomac, mais je suis debout sans avoir le temps de penser.

Wilen. Je dois le trouver. Le Troll doit avoir pensé que je suis mort. Ou est… ?

Quelque chose git dans la rue à quelques pas devant moi. Je le regarde.

Non.

Il est toujours en train de bouger. Je titube en avant, sentant mon corps agoniser. Mais c’est un cri lointain ; pas plus bruyant que celui dans ma tête. Je cours, et je vois la petite forme.

Wilen. Il tourne sa tête vers moi alors que je m’arrête. J’ai froid, malgré les flammes autour de nous. Et mon cœur…

« C’est toi, Monsieur le [Clown] ? »

Il est en un morceau. En partie. Mais sa colonne vertébrale n’est pas du bon côté, et sa peau…

Le jeune garçon me regarde, le visage pale. C’est un gamin. Rien qu’un gamin. Des larmes coulent sur ses joues alors que je me penche vers lui et tombe à genoux.

« J’ai essayé de courir comme tu l’as dit, mais il était trop rapide. Il m’a eu. »

« Wilen… »

Je tends la main vers lui, puis je m’arrête. Qu’est-ce que je peux faire ? Je ne peux rien faire. Wilen à du mal à respirer, son visage est pâle.

« Je pense qu’il m’a blessé. Est-ce que je vais bien ? »

« Je… »

Ma tête tourne. Wilen n’a pas besoin de répondre. Il se mord la lèvre tellement fort qu’il se l’ouvre. Il essaye de ne pas crier.

« Monsieur [Clown]… Il revient. »

Je regarde par-dessus mon épaule. Peut-être que le Troll a trouvé autre chose à tuer. Peut-être qu’il pensait que nous étions morts. Peut-être qu’il s’ennuyait.

Il marche d’un pas lourd dans la rue, traînant son gourdin derrière lui. Il plisse les yeux et nous remarque, puis il sourit.

Il fait quelques pas vers nous et je sens mes os trembler. Wilen soupire quelque chose au sol alors que le sourire du Troll devint plus grand encore. Son torse bouge alors que la massive créature ouvre la bouche. Il est en train de rire.

Je ne comprends pas la blague.

Hors ligne EllieVia

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #121 le: 25 novembre 2020 à 12:03:53 »


1.01 C
 Traduit par EllieVia

C’est peut-être une bonne chose que les dieux soient morts. Parce qu’en tenant le corps d’un enfant agonisant dans mes bras, je suis incapable de croire en quoi que ce soit. Ni en Dieu, ni au Paradis…
 
Certainement pas en moi.
 
J’ai toujours été un échec. Cela me ronge pendant les moments sombres et mes instants de joie. Avant, j’avais des médicaments pour empêcher ces pensées de m’assaillir et de m’entraîner dans les ténèbres. Mais je vois à présent que j’ai toujours eu raison. Les instants de bonheur n’étaient que des illusions.
 
Je ne suis capable de rien. Je ne suis rien. Je ne peux pas être un héros, je ne peux pas me battre. Je suis incapable de sauver un seul enfant.
 
Wilen, le souffle saccadé, s’accroche à moi. Il est encore vivant. Mais plus pour longtemps. J’en suis sûr. Sa colonne vertébrale et le bas de son torse sont…
 
“J’ai mal. Un peu.”
 
Il se mord tellement fort que ses dents ont traversé ses lèvres. Je le tiens contre ma poitrine. Je ne sais pas quoi lui dire.
 
“Tout va bien se passer.”
 
Il me lance le même regard que celui qu’il me fait à chaque fois que je fais une blague vraiment mauvaise. J’ai presque envie d’en rire.
 
“Je vais mourir. Mais tu devrais t’enfuir. Il arrive.”
 
J’entends le Troll s’avancer vers moi, ses pas lourds résonnants dans la rue. Ce bâtard gargantuesque prend son temps et profite de la balade. Je ne bouge pas. J’en suis incapable.
 
“Je ne t’abandonnerai pas ici.”
 
“Tu n’as pas le choix. Je suis en train de mourir.”
 
Il le dit d’un air tellement nonchalant, mais sa petite main agrippe fort mon bras. Je sais qu’il a raison. Lui aussi. Je ne sais pas quoi faire. Il me tend quelque chose. Une épée ? Non… juste un couteau. Un couteau de cuisine. Il doit avoir essayé de se défendre avec.
 
Il tombe de sa main. Il n’arrive même pas à le tenir. Wilen souffre. Il est… je peux voir la douleur dans ses yeux.
 
Donc je raconte une blague.
 
“Hey. J’ai une blague pour toi.”
 
Je prononce ces mots par désespoir, par peur. Parce qu’il a mal et que je veux faire disparaître la douleur.
 
Wilen me regarde. Il essaie de sourire et échoue. Des gouttes de sueur et des larmes, indifférenciables, roulent sur ses joues.
 
“C’est une bonne blague ?”
 
“Tu me diras.”
 
“D’accord.”
 
Je prends une grande inspiration. Je n’ai pas de blague à raconter. Mais elle me vient dans un éclair de génie.
 
“Tu… tu sais comment on appelle un gros [Clown] assis devant un Troll ?”
 
Wilen prend une inspiration rauque. Son visage pâlit un peu plus, et il s’accroche à mon bras de toutes ses forces. Sa poigne s’affaiblit. Je baisse les yeux, et vois le sang s’accumuler sous sa peau.
 
“Quoi ? Comment appelle-t-on un… gros [Clown] assis devant un Troll ?”
 
“Le plat de résistance.”
 
Ce n’est pas drôle. Mais il rigole, et du sang coule de son estomac.
 
“Elle est bonne. Mais je ne veux pas…”
 
Ses yeux partent dans le vague un instant et il se tait. Je le tiens dans mes bras un moment, attendant qu’il termine sa phrase. Puis je comprends qu’il est mort.
 
Derrière moi, la terre tremble et j’entends un rire épais au-dessus de ma tête. Une puanteur terrible et putride me monte aux narines et je sens l’odeur du sang et de la mort.
 
Mais je n’en ai cure.
 
J’ai la tête sous l’eau, mais mes yeux sont secs. Toutes les larmes coulent de mon cœur. Comme le sang, qui s’écoule sur le sol. Mon sang.
 
Tout tourne autour de moi. Je sens la mort approcher, reniflant, grognant. Le Troll.
 
Je ferme les yeux de Wilen et me mets en mouvement. Je me lève. Je continue de bouger. Et je souris.
 
Je ne suis pas heureux. Je ne crois pas que je serai de nouveau heureux un jour. Mais c’est une tragédie, et je peux au choix me coucher et mourir, ou tourner la page.
 
Parce que c’est ce que font les clowns. Je crois que j’ai compris à présent. Nous faisons rire des drames, et prétendons que tout est drôle alors que ce n’est pas le cas. Nous…
 
Racontons des blagues pour que personne ne puisse voir les larmes qui coulent dans nos cœurs.
 
Le Troll est dans mon dos. Je vois son ombre gigantesque lever sa massue. Et je ris. Mais il ne comprend pas. Il ne comprend pas ce qu’est l’humour véritable. Il ne comprend rien.
 
Je ferme les yeux. Parfois, il suffit de lâcher prise. Et laisser sortir ce qui est drôle à l’intérieur de nous.
 
Ha. Elle était plutôt bonne.
 
Hahahaha..
 
HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA...



[Clown Niveau 24 !]
 
[Compétence - Tolérance Majeure à la Douleur Obtenue.]
 
[Compétence - Chance du Diable Obtenue.]




[Condition - Rire Horrifiant Reçue]
 
[Condition - Folie Mineure Reçue.]





Oh. Oh.
 
C’est donc à ça que ça ressemble. Quelle sensation merveilleuse. Quelle sensation iNcroYable.
 
J’avais raison depuis le début. Les classes sont ce que l’on en fait. Les [Clowns] n’existent peut-être pas dans ce monde, mais nous avons apporté un peu de notre monde avec nous.
 
Et les [Clowns] ne se contentent pas d’être drôles.
 
Nous sommes hilarants.
 
Vous vous souvenez du moment où j’ai dit que j’étais dépressif ? J’ai menti.












 
Et à ce moment précis, le monde est terriblement, affreusement, et horriblement drôle à mes yeux.
 
Je repose le petit corps par terre et me relève. Le Troll se tient au-dessus de moi en se léchant les lèvres. Il rit d’un rire épais et cruel. Ce n’est pas un rire. Je lui montre à quoi ressemble un vrai rire.
 
“Héhé. Ohoho. Hahahaha. HAHAHAHAHAHAHAHAHAHA.”
 
La créature entend mon rire. L’énorme visage du Troll se froisse d’incompréhension. Il n’apprécie pas ce qu’il entend. Il n’aime pas le bruit que je fais.
 
Il me donne un coup de massue. Je m’envole dans les airs. Comme un oiseau ! Je ne suis qu’un clown. Je ne peux pas esquiver. Pourquoi qui que ce soit penserait-il que je pouvais esquiver ?
 
Je pense que mes os se brisent en heurtant le sol. Mais je me redresse et continue de rire. La douleur n’est qu’une autre face du plaisir, n’est-ce pas ? C’est tellement drôle que même mes côtes cassées ne me dérangent pas.
 
Le Troll avance sur moi de son pas pesant. Il me donne un coup de poing lorsque je m’assieds et hop ! je retourne au tapis. Youpi !
 
Haha. Ça fait mal ! Ça fait mal et je saigne.
 
Le Troll tend la main pour m’attraper, puis marque une pause en remarquant le couteau qui dépasse de son bras. Il entre et ressort alors que je le poignarde.
 
“Coupe. Coupe. Coupe. Coupicoupe.”
 
Il me dévisage. Je pouffe de rire. Le sang des Trolls est rouge ! Quelle merveilleuse découverte !
 
Le Troll me rugit au visage. Ooh, ça fait peur. Il recule et lève sa massue. Un peu trop loin !
 
“Aha ! Un point faible !”
 
Cette fois-ci, il hurle lorsque je plante le couteau pile dans son pagne. Il me jette au loin et je roule. Pauvres os ! Pauvre chair ! Où est ma potion de soin ?
 
Le Troll me regarde fixement me relever d’un bond. Il se tient l’entrejambe et s’éloigne en titubant. Je ne lui ai pas fait très mal, mais il a trop peur. De quoi ? Mon visage ? Le rire ? Est-ce qu’il ne supporte pas les blagues.
 
Je descends entièrement ma potion. Puis une autre. Elle me brûle comme du feu. Les potions de soin ne sont pas censées être bues, il faut plutôt les appliquer. Trop d’un seul coup, et on souffre. Mais qu’est-ce que la souffrance ?
 
Le Troll s’enfuie en courant… enfin, plutôt en boitant. Je le suis. Comment suis-je censé trouve qui que ce soit avec toute cette fumée ? Je ne cesse de trébucher sur des cadavres. Honnêtement. On pourrait penser que les villageois allaient nettoyer derrière eux après avoir saigné de partout.
 
C’est alors que je vois les Démons. Huit d’entre eux, tous ensemble. Un groupe d’archers qui tirent sur quelqu’un au loin. J’entends un cri, puis le Troll crie quelque chose aux archers en courant vers eux.
 
L’une d’elle se retourne, et j’aperçois un visage anguleux et sévère, de la fourrure d’un violet sombre, et deux cornes de bélier. Hey, Eddy avait raison ! Ils ressemblent un peu à ça.
 
“Wow. Elle est sexy !”
 
Mais elle a des yeux à facettes, et une espèce de chitine semblable à une armure qui lui recouvre le haut du corps. Des mutants. Bon Dieu.
 
C’est trop drôle. Est-ce que je me bats contre les X-men ?
 
“Hah !”
 
Elle se tourne vers moi. Elle a probablement la charge de cette joyeuse bande. Et oh, regardez, ils ont des arcs !
 
Les autres Démons ont des apparences variées aussi. L’un d’eux a l’air d’avoir des écailles de poisson, un autre a l’air humain si l’on passe outre la corne qui lui sort du front, et un autre a le bras gluant.
 
Quelque chose en moi veut se révolter. Quelque chose au fond de moi est déçu. Des Démons ? Ce ne sont que des gens avec des problèmes de peau. Ils ne sont pas différents de humains. Ils travaillent en équipe - ils se battent et tue, et ils ont probablement autant de peur et de haine pour nous que nous de haine pour eux.
 
À quoi bon avoir peur de quelque chose d’aussi merdique.
 
Mais ce n’est pas ce que fait un [Clown] ! Mes pensées se tordent, et mes lèvres aussi. Un [Clown] montre du doigt la manière dont le monde se brise et en rit. Je suis un artiste. Un mec rigolo.
 
“Souris, souris, souris.”
 
Le Troll passe en courant derrière le groupe d’archer, ignorant l’ordre de la chef qui lui somme de s’arrêter ou de prendre un bain. Et voilà qu’ils se retournent. Bonté. Est-ce que j’ai fait peur aux grands méchants démons ?
 
L’un d’eux regarde dans ma direction et crie quelque chose. Les autres lèvent leurs arcs et me visent, avec incertitude toutefois. Oups. Je suis dans l’ombre, c’est ça ? Eh bien c’est le moment de l’entrée dramatique.
 
Je sors des ténèbres et leur adresse un large sourire en m’inclinant. C’est important de faire bonne impression en arrivant. Et je dois être un bon forain.
 
Étrangement, ils se figent tous en apercevant mon visage. Pourquoi ? Est-ce que c’est mon sourire de vainqueur ? Quelque chose sur mon visage ?
 
“Ne prenez pas cet air effrayé. Je suis venu apporter un sourire sur vos visages. Vous voulez entendre une bonne blague ?”
 
La Lieutenante Démone lève son arc. Elle tire une flèche droit sur ma tête avant que j’aie eu le temps de cligner des yeux.
 
Quelque chose m’ouvre la joue. Je cligne des yeux, et touche la chair fendue.
 
“Hey ! J’ai failli mourir !”
 
Elle cligne des yeux. Je la fusille du regard, puis souris en léchant le sang.
 
“Comment appelle-t-on un gros type devant une bande d’archers ? Une pelote à épingles ?”
 
J’éclate de rire et les Démons me dévisagent avec incertitude. Est-ce qu’ils n’ont pas compris la blague ? Ou est-ce qu’ils n’arrivent pas à m’entendre ? C’est encore plus drôle.
 
”HAHAHAHAHAHAHAHAHA…”
 
Une autre flèche manque de peu ma tête lorsque je me plie en deux de rire. Whoops ! Je me relève, et écarte les bras. J’avance vers eux en criant d’un air joyeux.
 
“Allez-y alors ! Tirez ! Criblez-moi de flèches !”
 
Les archers hésitent. Ils n’ont jamais vu qui que ce soit marcher vers eux, les bras grand ouverts. Je souris aux pointes de flèches qui brillent à la lumière.
 
L’un d’entre eux tire. Cette fois-ci, il m’atteint à la jambe. Je trébuche, mais, hé, qu’est-ce qu’une flèche entre amis ? Il y a une potion dans ma poche. Je fais mine de la faire sortir des airs et la boit tandis qu’une autre flèche se plante dans mon autre jambe. Et j’avance vers eux.
 
“Est-ce que vous pensez vraiment…”
 
Une autre flèche apparaît dans ma poitrine et je chancelle. Mais la potion fonctionne. Je reprends l’équilibre et continue de marcher.
 
“Est-ce que vous pensez vraiment pouvoir tirer sur un type avec un sourire aussi beau que le mien ?”
 
Les pointes des flèches cherchent à atteindre mon cœur. Mais elles l’ont raté. Et il n’y a rien pour elle par ici, de toute façon. J’ai le cœur en bandoulière. Vous l’avez ? Ha.
 
L’un des Démons vêtus de cuir baisse son arc lorsque je m’approche de lui. Il arrache une épée de son fourreau. Ooh, ça fait peur.
 
Je lui fais un petit signe de la main, et mon sourire s’agrandit. Ses yeux sont exorbités lorsqu’il me dévisage. Quoi ? Je suis si moche que ça ou est-ce que c’est mon manque de cornes ?
 
“Hey. Tu veux voir un tour de magie ?”
 
Il cligne des yeux en entendant le terme inconnu. Mais ce n’est pas grave, je vais lui montrer. Je fais un geste de la main, et un couteau y apparaît. J’aurais préféré un lapin, mais c’est plus dur de tuer des gens avec.
 
L’archer n’était pas prêt pour ça. Il hésite, et je lui donne un coup de poignard dans la gorge.
 
Raté. Il a une Compétence, ou alors il est plus athlétique qu’un type dépourvu de coordination avec des flèches qui dépassent de son torse. Il recule et le couteau atteint son armure à la place. L’impact me fait lâcher la lame.
 
Oups. Il tente de me transpercer de son épée, et je lui saisis sa main. Il me force à le lâcher et essaie de me taillader, mais il n’a soudain plus rien entre les mains. Son épée a disparu. J’agite mes doigts devant son nez.
 
Tadam.
 
Je la tire alors en arrière et le transperce avec. Il suffoque, et je ris aux éclats en le repoussant.
 
“Bon, et maintenant, est-ce que quelqu’un saurait où je pourrais trouver un crayon ?”
 
J’entends un cri et tourne la tête. Une flèche me fait tournoyer. Celle-ci a bien failli m’avoir pour de bon ! La Lieutenante lâche son arc et se précipite sur moi avec son long couteau dans la main.
 
“Que tu es mignonne ! Tiens, attrape !”
 
Je lui lance l’épée, et elle esquive à gauche. Pile sur le couteau que j’ai soudain fait réapparaître dans ma main.
 
Mais bien sûr, c’est une soldate ! Grande, méchante, et ô combien talentueuse. Elle dévie le couteau de sa trajectoire puis fond sur moi. Elle me donne un coup de pied si puissant que je sens quelque chose exploser dans mes entrailles. Mais la potion est toujours en moi, et vous savez quoi ? Ça ne fait pas si mal que ça.
 
Je tombe à genoux tandis qu’elle lève sa dague au-dessus de ma tête. Elle l’abat, et je lève la main. J’attrape la lame avec mes doigts.
 
“Hé, c’est aiguisé ce machin ! Ça t’embête si je te l’emprunte ?”
 
La longue dague courbe disparaît et la Lieutenante prend une vive inspiration. Probablement parce que je viens juste de la poignarder dans le ventre avec sa propre arme.
 
“Quoi, pas d’applaudissements ? Ton autre pote a trouvé que c’était à mourir de rire.”
 
Je lui donne quelques petits coups de coude mutins et elle titube en arrière.
 
“Tu l’as ? Mourir de rire ? Non ?”
 
Le reste des archers se précipitent sur moi en hurlant pour essayer de protéger leur boss.
 
“Oh, s’il vous plaît. Un à la fois. Faites la queue !”
 
Je retire une flèche de mon épaule et tente de taillader l’un des soldats. Il esquive. Ooh, il a un couteau lui aussi.
 
Il aurait dû alors me poignarder dans l’œil ou à un autre endroit merveilleusement douloureux, mais je lui souris lorsqu’il se jette en avant, et il se paralyse. Ses yeux s’écarquillent, et je les écarquille encore plus lorsque je lui plante la flèche dans son orbite droite.
 
“Regarde-moi ! Regarde... oh, attends. Tu ne peux pas.”
 
Il me faut une meilleure inspiration. Mais le reste des soldats est en train d’hésiter, à présent. Leur leader est en train d’essayer désespérément de retirer la lame et d’utiliser une potion avant de mourir d’hémorragie. Je leur adresse donc mon plus grand sourire pour leur montrer que je ne suis pas rancunier.
 
Ils s’enfuient.
 
“Hé ! Le spectacle n’est pas encore terminé !”
 
Je me lance à leurs trousses, mais je suis trop lent. Et puis la perte de sang, tout ça tout ça. Je baisse les yeux et réalise que je suis toujours en train de saigner de partout.
 
“Les potions ne fonctionnent juste plus aussi bien qu’avant, pas vrai ? Quand j’étais jeune, on avait des scores de CA négatifs et les mages ne pouvaient pas jeter des sorts d’un niveau supérieur à 6. Bah.”
 
Le monde tourne autour de moi, mais ce n’est rien à côté de la torsion qui s’effectue dans ma tête, et du rire qui résonne dans mes oreilles. À qui appartient-il ?
 
Oh, c’est vrai. À moi.
 
Mais je n’ai donc aucun public avec qui partager mon amusement ? Je regarde autour de moi. Nope. Rien que des cadavres.
 
Ooh, et une lieutenante Démone fraîchement décédée ! Elle essaie de s’éloigner en rampant. On dirait que ses potions de soin ne sont pas aussi cools que les miennes.
 
Elle hurle lorsque je tords ma tête et mon torse pour lui jeter un regard en coin. Qu’est-ce qu’il y a ? J’ai même souri.
 
“Tu veux que je te raconte une blague ?”
 
Elle tente frénétiquement de me frapper de sa dague couverte de son propre sang. Je claque la langue d’un air mécontent et la lui ôte des mains.
 
“Ce n’est pas très gentil, ça, si ? Écoute, je ne suis pas un très bon [Clown] - je viens à peine de dépasser le Niveau 20, donc sois indulgente, d’accord ?”
 
Je me mets à papoter avec elle en la traînant dans la poussière et le sang qui jonchent la rue. Elle crie quelque chose, mais j’essaie de raconter une blague.
 
“C’est très, très gentil de ta part de supporter mes blagues. Je ne fais qu’imiter les maîtres en la matière, tu vois ? J’improvise mon spectacle. Je trouverai bientôt quelque chose d’original, promis.”
 
Elle me crache dessus. Je ris, et elle se tend.”
 
“D’accord, d’accord. Trop réaliste ? Trop personnel ? Je sais. Un [Clown] doit rester professionnel. Désolé. Retournons au vrai spectacle ! Tu veux savoir comment j’ai eu ces cicatrices ? … Nah, je te fais juste marcher.”
 
Je tire sur sa jambe d’un air entendu. Elle s’étouffe un peu et essaie de s’échapper. Je donne un coup de pied dans sa blessure à moitié refermée et elle se met à convulser. Puis je sors mon couteau et le lui plonge dans la bouche. Pas trop loin, juste suffisamment pour que ça lui chatouille le fond de la gorge. Elle écarquille les yeux lorsque je plante mon visage souriant juste devant le sien.
 
“Voici la blague ! Vous tous… ton peuple, là-bas. Vous vous battez contre ces humains en croyant être le truc le plus flippant du coin. Mais tu sais ce qui est drôle ? Vous ne faites que tuer des gens comme vous. Des gens ordinaires qui deviennent soldats. Nous vous avons traités de monstres et vous nous avez crus. Mais écoute bien. Tu n’as jamais vu de véritable monstre.”
 
J’enfonce un peu plus le couteau dans sa bouche et elle est prise d’un haut-le corps. Je peux voir le blanc de ses yeux alors que je rapproche mon visage souriant du sien.
 
Je souris. Je ne peux pas m’en empêcher. Sa peau rugueuse râpe contre mes mains gantées lorsque je murmure à son oreille.
 
Pourquoi cet air si sérieux ? Tu n’aimes pas les blagues ?”
 
C’était facile. Mais elle ne m’entend toujours pas. L’officière Démone crie quelque chose tandis que je la traîne dans la rue. En direction du bâtiment en flammes. J’entends les chevaux hurler dans l’écurie.
 
“Shh. Shh. Allons dire bonjour aux gentils chevaux, d’accord ?”
 
Il y a une lourde barre qui verrouille la porte. Je souffle comme un bœuf et manque de peu m’arracher un muscle en la délogeant ! Le temps que je parvienne à ouvrir les portes, la lieutenante est en train d’essayer de s’enfuit dans la rue.
 
“Attends, attends ! On arrive au meilleur moment ! À présent que tu as fait tout ce chemin… regardons la fin du spectacle ensemble, d’accord ?”
 
Je la plaque au sol et l’attrape par la cheville. Ooh, des sabots fendus. Coquine.
 
Elle me donne plusieurs coups de pieds dans le visage, mais je lui tiens toujours la jambe. J’observe les écuries. Plus que quelques secondes…
 
Les chevaux à l’intérieur sont presque fous de peur et de panique à la vue des flammes et du sang dans les airs. Lorsqu’ils sentent qu’il existe un moyen de s’échapper, ils bondissent hors de leurs boxes et se précipitent vers la sortie.
 
Les portes s’ouvrent à la volée. Les chevaux en surgissent. La Démone que je tiens hurle et tente de s’échapper, mais je la maintiens là où elle est.
 
J’ai dans le cœur, un grand ami secret, un grand bonheur, c’est mon petit poney… quelque chose dans ce genre, attention aux sabots !”
 
Les chevaux fous passent en tonnant devant nous, hennissant et braillant tellement fort que je n’entends même plus les cris de la Lieutenante. Elle n’essaie même pas de bouger ; elle se contente de se recroqueviller sur elle-même et de rater tout le spectacle !
 
Moi ? Je ris.
 
Le premier cheval m’écrase et j’entends un tintement dans mes oreilles. Et un rire. Un autre m’atteint en plein visage et mon nez se brise. Un autre piétine ma main. Les os se brisent et je sens ma chair se déchirer. Et je ris encore.
 
Hahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahaha hahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahaha hahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahaha hahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahaha hahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahaha...
 
C’est le matin et le soleil brille fort sur ma peau lorsque je comprends qu’elle est n’est plus là. Je cligne des yeux, baisse la tête, et remarque le sang. J’en suis recouvert. Il y en a sur mes mains, mon visage, mes vêtements…
 
Je suis au centre d’un cercle de cadavres. Pas des cadavres humains ; des corps de Démons. Des soldats. Ils sont tous morts.
 
Tous, sauf un. Comment se fait-il que je rate toujours le dernier type ? Ça doit être un angle mort. Probablement l’œil à travers lequel je ne peux pas voir en ce moment.
 
Je me tourne vers lui en chancelant un peu. Hé, qu’est-il arrivé à mon corps ? On dirait que quelqu’un a fait des claquettes sur ma peau avec une paire de patins.
 
Le soldat Démon tressaille lorsque je me tourne vers lui. J’essaie d’avoir l’air calme. Honte à moi. Je suis à une veillée funèbre, après tout. La sienne. Est-ce qu’il m’a entendu ricaner ?
 
Il a un visage étrange, à moitié fondu. Ce n’est pas une blessure - elle a l’air trop propre pour en être une. Les cinq trous ensanglantés qui ponctuent son armure de cuir sont probablement ma faute, en revanche.
 
“Salut mon pote. T’as pas l’air bien.”
 
Le soldat dénude ses dents et essaie de lever sa masse d’armes. Mais il est trop tard pour lui. Il dit quelque chose en s’effondrant dans une flaque de ses propres tripes. Je ne connais pas son langage, mais je le comprends tout de même.
 
“Monstre.”
 
C’est équitable. Dur, mais équitable. Je tâte mon visage. Des coupures - une peau éclatée - il ne ressemble en rien au visage que je me souvenais avoir laissé ici la dernière fois. Mais mon maquillage reste globalement intact, ce qui est le plus important. D’ailleurs, je pense que tout ce sang a créé une nouvelle couche. Que c’est avant-gardiste !
 
Je me tourne vers ma meilleure amie, la Lieutenante qui n’aime pas les blague. Est-ce que c’est son corps, là-bas ? Ou celui-ci ? Non ?
 
Je me tourne vers les cadavres, mais je ne retrouve pas de cornes - ou du moins, pas celles que je cherche. Elle n’est pas parmi eux. Je ne sais pas si je suis déçu ou soulagé.
 
Je suis conscient que… mes pensées ne sont pas tout à fait saines. Je suis vivant. Malgré tout ce qu’il s’est passé, je suis vivant. Je ne devrais pas l’être, mais je suis vivant.
 
Et je suis toujours fou.
 
“Heh. Ha. Hahaha.”
 
Oups. On dirait que j’avais parfaitement raison. Mais vous connaissez ces histoires de coûts cachés ? J’aurais peut-être dû lire les petites lignes en bas du contrat.
 
“Tom, Tom, a perdu l’esprit ! Quel choc, quelle ineptie ! Ahahahahaha !
 
C’est comme ça qu’ils finissent par me retrouver. Riant aux éclats et couvert de sang, pris d’un accès de folie au milieu des décombres du village.
 
C’est un énorme groupe de gens armés. J’en connais certains ; d’autres sont de nouvelles têtes.
 
Je fais un signe de main à Richard. Il est en train de mener un groupe de dix-huit [Soldats] et de plusieurs villageois capables de se battre à quelques milles plus loin sur la route. Il s’arrête à mon approche, et les [Soldats] lèvent leurs armes. Les civils se contentent de s’immobiliser et de me dévisager.
 
“Tom… ?”
 
La peau sombre de Richard est très pâle derrière la visière de son heaume. Il me regarde, et je peux voir le blanc dans ses yeux.
 
Je lui rends son regard, et il tressaille. Les autres n’arrivent même pas à me regarder. J’aperçois Emily en train de vomir par terre, et même le visage de Richard est beaucoup trop pâle. Je lui souris, et il recule d’un pas.
 
“Hé. Tu veux voir un tour de magie ?”
 
“De magie… ?”
 
J’écarte les bras et lui fait un salut théâtral. Je désigne d’un geste la mort et la destruction qui m’entourent ; les cadavres et le village calciné.
 
Tadam.




***


Le village est détruit. Ceux qui n’ont pas réussi à s’enfuir sont morts aux mains des Démons et des monstres. Mais les Démons ont péri aux mains d’une terrible comédie, et je pense que le Troll a simplement décidé de rentrer chez lui.
 
Les gens de mon monde parcourent les ruines avec les quelques villageois, contemplant la mort pendant que les soldats récupèrent les corps en me dévisageant. Pour tout dire, tout le monde me dévisage.
 
Mes amis - enfin, les gens avec qui je suis arrivé ici ne parviennent même pas à me regarder. Je leur fais mon sourire le plus engageant et ils se contentent de se figer. Ou de s’enfuir. Mais les soldats et les gens du village ne me regardent pas de la même manière.
 
Ils ne supportent pas le carnage non plus. Mais ils nous voient, les morts et moi, avec une perspective différente. Ils comptent. Ils ne voient que des soldats ennemis, et moi, au milieu des morts.
 
Il y a quelque chose d’autre dans leurs yeux. De la peur. La peur de l’inconnu. Mais de l’espoir, aussi. C’est le plus drôle. Ils ne comprennent pas ce que j’ai fait, ni ce que je suis. Mais j’ai tué des monstres et ils pensent que cela fait de moi une bonne personne.
 
Hilarant.
 
Le sommeil et l’éveil se fondent dans le cauchemar. J’entends la voix, ces mots dénués de passion qui ne sont pas tant dits que projetés dans mon esprit.
 
[Héros Niveau 2 !]
 
[Compétence - Maîtrise des Armes : Couteaux Obtenue !]
 
C’est tellement drôle que je ne peux m’arrêter de rire. Et de pleurer.
 
Je suis un [Clown] qui tue des gens. Je suis un gros pépère qui a perdu son comique. Je ne suis qu’un mec qui tue des gens et laisse mourir des enfants…
 
Mais j’imagine que je reste un [Héros], aussi. Si ça, ce n’est pas marrant, alors je ne vois pas ce qui pourrait l’être.
 
Vous voulez que je vous raconte une blague ? Un type se fait téléporter dans un monde fantastique, devient un [Clown]...
 
Et plante des couteaux dans la tête des gens. Ce n’est pas drôle, je vous l’accorde, mais j’y travaille.
 
Je suis…
 
… Déjà parti trop loin. Au revoir, Wilen, murmure la partie de moi qui s’en souvient encore. Au revoir.
 
Je suis tellement désolé.
 
HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA
 

« Modifié: 25 novembre 2020 à 12:11:40 par EllieVia »

Hors ligne Maroti

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  • Traducteur de The Wanderin Inn par Piratebea
Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #122 le: 29 novembre 2020 à 23:37:45 »
1.27 G Partie 1
Traduit par Maroti

La Tribu des Cailloux Dorés était mobilisée et marchait vers un point de rassemblement en dehors des Hautes-Passes alors que le soleil arrivait à son apogée. Le Chef leva la tête, mais refusa d’augmenter leur rythme. Ils allaient déjà suffisamment rapidement, et ils avaient encore de nombreux kilomètres à parcourir.

Ils se rendaient à un rassemblement de tribus. Tous les Gobelins du nord de Liscor avaient été convoquées par la plus puissante tribu de la région : la Tribu du Croc Rouge. La puissance de leur Chef et de sa tribu était telle que le Chef de la Tribu des Cailloux Dorés n’avait pas hésité et s’était immédiatement mit en marche après avoir été convoqué.

Mais il était prudent, et ne marchait pas trop rapidement. Sa tribu bougeait avec un grand groupe de scout et avec ses meilleurs guerriers au centre, prêt à en découdre. Il y avait un ennemi se cachant dans les plaines enneigées, et cet ennemi était une autre tribu Gobeline.

Grande, en plus. Le Chef n’était pas très malin et les Gobelins n’étaient pas la plus érudite des espèces, mais ils utilisaient le bouche-à-oreille et les nouvelles de ce genre voyageait vite.

La Tribu des Plaines Inondées était venue au nord. Cela n’aurait normalement pas été un problème, leur Chef n’était rien de spéciale et ils n’étaient pas nombreux. Mais quelque chose s’était déroulé. En moins d’une semaine, leur tribu avait renversé la Tribu des Casse-Mâchoire, la Tribu des Preneurs d’Epées et la Tribu des Mains Sanglantes, tuant ou battant leur Chefs et absorbant leurs Gobelin dans leur tribu.

Ils attaquaient par surprise et utilisaient d’étranges armes, et leur Chef pouvait utiliser de la Magie. C’était assez proche de la tribu de la Main Spectrale pour être dérangeant, mais apparemment leur Chef était aussi une [Tacticienne] capable de manipuler le champ de bataille.

Non. Pas ici. La Tribu du Croc Rouge avait eu vent de cette incursion, et elle prenait d’immédiates mesures. Les clans étaient invoqués, et ils bougeaient ensemble, cette tribu arriviste allait être réduite en poussière.

Tout ce que la Tribu des Cailloux Dorés avait à faire était se rendre au lieu de rassemblement. Ce n’était pas difficile ; même une compagnie d’aventurier Or réfléchirait à deux fois avant d’attaquer plus de deux cents Gobelins dans un terrain enneigé. Et la tribu des Cailloux Dorés ne restait pas suffisamment longtemps au même endroit pour s’attirer les foudres d’une armée.

Même si la Tribu des Plaines Inondées venait à eux, le Chef ne se sentait pas menacé. Après tout, cette nouvelle tribu ne devait pas être aussi grande. Ils devaient avoir perdu de nombreux Gobelins en affrontant trois tribus, et il avait trois Hobs sous son commandement, et de nombreux guerriers équipés avec des armes volées à des aventuriers de Bronze. Ils n’avaient rien à craindre. Ils…

Une corne stridente sonna dans l’air frais, et la tête du Chef de leva. Il regarda autour de lui, puis il vit les Gobelins.

Un petit groupe sortit d’une forêt à quelques centaines de mètres devant eux. Le Chef ordonna à ses guerriers de s’arrêter et de lever leurs armes. Il compta.

Quarante ? Non. Environ cinquante Gobelins était en vue. Il se relaxa. Ce n’était peut-être pas la totalité de la Tribu des Plaines Inondées, mais si c’était tout ce qu’ils…

L’un de ses scouts Gobelin hurla et le Chef tourna la tête. Il vit un autre groupe de taille égale sortir par la gauche. Une centaine donc. Ce n’était pas un…

Une autre corne retentie, et le cœur du Chef arrêta de battre. Il regarda à droite, sachant déjà ce qu’il allait voir.

Cinquante autres Gobelins. Cent cinquante, et si d’autres venaient par-derrière, cela allait faire deux cents Gobelins. Des forces égales, donc. La Tribu des Cailloux Dorés était peut-être encerclée, mais ils pouvaient toujours tenter une percer si besoin. Ils pouvaient…

Du mouvement. Devant eux. Le Chef vit les cinquante Gobelins se distancer l’un de l’autre, pour former un mur laissant plus d’un mètre entre chaque Gobelin. Il faillait rire. Qu’est-ce qu’ils pouvaient faire comme ça ? Sa troupe n’allait pas avoir de problème pour passer.

Puis les autres Gobelins se levèrent.

Ils s’étaient assis ou allongés au sol, et à cette distance, ils avaient été invisibles. Mais maintenant l’intégralité de la Tribu des Plaines Inondées se tenait debout. Cinquante devint cent, et puis les Gobelins se trouvant devant la Tribu des Cailloux Dorés s’écartèrent et il vit le centre de leur armée.

Une autre troupe de Gobelin couru vers la Tribu des Cailloux Dorés, prenant position sur une petite butte devant eux. Ils étaient tous des guerriers, et il y était deux cents.

La situation était désespérée. Le Chef n’eut pas le temps de réfléchir à un plan de secours. Il entendit une troisième corne, longue et cinglante, et les Gobelins levèrent quelque chose. Il plissa les yeux. C’était difficile à voir, mais cela ressemblait à des… Arcs ?

L’air fut soudainement rempli de pierres et de flèches. Les Gobelins autour du Chef crièrent alors que le déluge mortel commença à s’abattre sur eux. Il leva son bouclier pour protéger son visage ; le fer en mauvaise était résonna en repoussant plusieurs projectiles. La corne sonna une dernière fois, plus bruyante qu’auparavant, derrière lui.

Le Chef se retourna, et vit la Chef ennemie. Elle était assise sur une petite colline derrière sa Tribu, entourée de guerriers. Et d’Hobs.

Son cœur s’arrêta quand il vit les Hobs. Huit d’entre eux baissèrent les yeux vers le Chef. Ils se tenaient derrière la petite Gobeline qui tenait une pierre dans sa main. Elle cria, et l’un des Hobs leva une arme. Le Chef vit quelque chose de noir fendre l’air vers son visage. Et puis…

Rien.

***

Loks vit le carreau atteindre le Chef de la Tribu des Cailloux Dorés dans le torse et grimaça. Elle avait ordonné son Hob archer de tirer, et elle lui avait aussi dit de ne pas le tuer si possible. Bon, un sur deux était suffisant.

Elle regarda le Chef tomber, et se demande s’il avait survécu au carreau. Si sa Tribu se rendait assez rapidement, ils auraient peut-être le temps de lui donner une potion. Elle avait quelques potions de soins à sa ceinture et dans sa tribu, et les Hobs étaient naturellement solide. Il allait peut-être survivre.

Dans tous les cas, elle voulait les trois autres Hobs, donc elle hurla un ordre et le reste de ses archers baissèrent leurs arcs alors que les Gobelins armés d’arbalètes lançant des pierres continuèrent de tirer. Après tout, ils avaient un nombre presque illimité de pierres et de projectiles en terre cuite, et il était préférable d’épuiser l’ennemi sans prendre de risque.

Loks se tint sur sa colline alors qu’elle regarda la tribu des Cailloux Dorés perdre du temps dans le chaos. Des Gobelins hurlaient en réalisant que leur Chef était au sol et qu’ils étaient encerclés. Elle espérait que personne n’allait les rallier ; elle voulait finir cette affaire rapidement.

Et en effet, la première volée mortelle suivi par la pluie de projectiles brisa rapidement l’esprit de la tribu. Leurs guerriers jetèrent leur arme au sol en quelques minutes. Même les Hobs avaient abandonné leurs armes et s’étaient rassemblées autour de leur chef, le protégeant des douloureux projectiles. Ils savaient compter. Les huit Hobs que Loks avait étaient assez intimidantes pour les faire abandonner.

Loks laissa les Gobelins tirer pendant une dernière minute avant de souffler de nouveau dans sa corne. Cela lui prit toute sa respiration, mais les effets furent immédiats et gratifiants. Ses guerriers arrêtèrent de tirer, et avancèrent avec elle vers la tribu qui venait de se rendre.

Les choses s’enchaînèrent rapidement ; les Goblins vaincus savaient quoi faire, et Loks avait désormais de l’expérience. Elle trouva rapidement le Chef et versa une potion de soin sur son torse alors qu’un Hob l’aida à retirer le carreau.

Une fois cela fait, Loks regarda autour d’elle. La Tribu des Cailloux Dorés était occupée à soigner les blessés ou regarder ses Hobs avec appréhension et envie. Elle leva la voix, et les Gobelins se précipitèrent pour exécuter ses ordres.

Premièrement, Loks organisa ses nouveaux Gobelins, les séparant. Elle mit les enfants et les femmes enceintes avec les autres, alors qu’elle ajouta les Gobelins avec des compétences d’archer et des arcs à ses rangs. Elle mit ceux qui avaient des compétences utiles dans des groupes spécifique, elle ajouta les meilleurs guerriers à son avant-garde personnelle et assigna les autres à plus grand groupe, celui des Gobelins qu’elle utiliser pour réaliser tout ce qu’elle avait besoin de faire.

Puis elle ordonna à ses Gobelins de rassembler leur arme, leur vivre, et de les ajouter aux siens. Les Gobelins se dépêchèrent d’obéir à ses ordres alors que leur ancien Chef se redressa et toucha son torse avec hésitation. Loks l’ignora, et compta mentalement ce qu’elle venait d’obtenir.

Presque deux cents Gobelins et quatre Hobs ? C’était un excellent résultat, et non pas parce que c’était probablement la dernière tribu que Loks pouvait battre sans courir trop de risque. La Tribu du Croc Rouge était en train de rassembler les tribus, peut-être pour les unir, mais au moins pour la poursuivre. Elle allait bientôt devoir se replier.

Le Chef des Cailloux Dorés se leva et tituba vers Loks. Elle lui jeta un regard, puis pointa du doigt de la nourriture que les Gobelins étaient en train de tirer. Il hocha la tête, et marcha faiblement vers eux pour se nourrir sans protester ou hésiter.

C’était le truc avec les Gobelins. Les Tribus se battaient peut-être, mais il était coutume pour une tribu vaincu de suivre le vainqueur, qu’importe ce qui s’était déroulé auparavant. C’était ça, ou ils partaient sans faire d’histoires ; massacrer les prisonniers n’était pas quelque chose que les Gobelins faisaient, qu’importe comment ils traitaient les autres espèces qu’ils capturaient.

Loks n’était pas inquiète de se faire poignarder dans le dos pas un autre Gobelin. La trahison et les assassinats n’étaient pas quelque chose de Gobelin, ce qui surprendrait peut-être les Humains et les autres espèces. Mais là ou les Gobelins n’hésiteraient pas à tuer un ennemi dans son sommeil, ils préféraient éviter de faire cela entre eux, ou au moins au sein de la même tribu. Un Chef dirigeait car il était le plus fort, quelqu’un qui s’appropriait cette place par couardise n’allait pas bien mener la tribu.

En revanche, déclarer que tu allais être le prochain Chef et empoisonner la nourriture de l’ancien Chef alors qu’il dormait ? Cela passait. C’était même impressionnant si personne ne te voyait le faire. Après tout, toute la Tribu t’observerait et serait prête à te tailler en pièce à l’instant où tu t’approches du camp. Un Gobelin capable de se faufiler parmi une centaine de yeux attentifs et disparaître dans la nuit était un Gobelin qui allait être un grand Chef.

Même le récemment vaincu Chef de la Tribu des Cailloux Dorés semblait être parfaitement heureux de manger la Corus que ses chasseurs avaient tué alors qu’elle changeait de position les Gobelins de sa tribu. Il avait été témoin de sa force et s’était incliné ; son service sous la tribu du Croc Rouge ne valait pas sa vie.

Loks était heureuse de l’apprendre. Cela avait été un combat facile qu’elle avait gagné en étant plus intelligente et en préparant un piège adéquat ; mais d’autre tribu aurait refusé de baisser les armes. Et mieux encore, le Chef de la Tribu des Cailloux Doré l’avait accepté. S’il pensait qu’elle n’était pas digne de la diriger, il l’aurait affronté jusqu’à son dernier souffle.

Un jeune Gobelin, jeune selon les standard Gobelin malgré qu’il ne soit qu’un an plus jeune que Loks, lui apporta un os recouvert de viande. C’était chaud, fumant, et encore saignant. Loks le dévora sans perdre une miette alors que ses Hobs reçurent le même traitement.

Une autre victoire ! Maintenant que tout était gérer, Loks se permettait de savourer sa victoire. Et c’était délicieux.

Elle avait vaincu une Tribu de plus de Deux cent Gobelins sans aucune perte de son côté et presque aucune perte du leur ! Et le fait qu’elle menait désormais plus de huit cents Gobelins… Elle avait du mal à s’en rendre compte. Mais elle avait gagné, et elle avait continué de gagner depuis le jour où elle avait décidé de se battre.

Et c’était tellement facile ! Loks avait l’impression qu’elle était en train de marcher sur des nuages, et elle avait envie de crier de joie. Elle avait battu des Gobelins avec sa tête, non pas qu’avec une épée et le surnombre.

Les autres tribus avaient été plus grandes, mais leurs Chefs ne savaient pas que les tactiques pouvaient tout changer. Loks le savait, et ceci combiné avec son sort de [Luciole] et ses arbalètes voulait dire qu’elle pouvait presque armer tous les Gobelins de sa tribu avec une arme à distance, même si cela n’était qu’un caillou.

Encercle-les, canarde-les, blesse leur chef. Attaque la nuit ou d’une position facilement défendable. Ce n’était que de basiques concepts, mais Loks savait comment un seul de ces facteurs pouvait changer le cours d’une bataille.

Elle avait déjà gagné plusieurs niveaux en tant que [Leader], [Tacticienne], et [Mage]. Loks ne s’était pas beaucoup battu d’elle-même, donc elle avait toujours le même niveau en [Guerrière], mais elle sentait qu’elle devenait plus fort. Et la force d’un Chef provenait de sa tribu ; plus la tribu était grande, plus leur Chef était puissant. Et Loks avait utilisé les ressources des vaincus à son avantage.

Elle avait construit plus d’arc à pierre, car les arbalètes demandaient des parties spécifiques que sa tribu ne possédait pas. Heureusement, chaque tribu vaincue apportait son nombre de Gobelins sachant utiliser des arcs, frondes, et parfois de rudimentaires javelots.

Et donc, Loks armait ses plus faibles Gobelins avec des arbalètes. Elles étaient plus efficaces dans les mains de ceux qui avaient besoin de s’entraîner. Il fallait du temps pour apprendre à utiliser un arc ou une fronde, mais une arbalète était aussi simple que vider et tirer, et même des enfants pouvait faire des minutions en argile.

Elle avait pris les meilleures armes de la collection de chaque tribu et les avait prises pour elle et ses meilleurs guerriers. Elle et ses Hobs portaient tous une armure, et avait des armes semi-décentes. Des masses d’acier, des haches de combat et même une dague magique... Loks se sentait forte avec son équipement.

Seul son épée de bronze et son bouclier étaient les mêmes. Il y avait de meilleures armes, bien sûr, mais Loks les avait reçus d’Erin et… Ils brillaient. Les Gobelins étaient impressionnés quand son épée reflétait la lumière, et c’était important.

Et elle avait des Hobs. Hobs !C’était le plus grand des miracles. Ils étaient de redoutables guerriers et chacun d’entre eux valaient au moins 20 Gobelins.

Ils étaient désormais douze, la plupart étant d’ancien Chef et leurs plus grands guerriers. Ils n’étaient pas gros, comme son ancien chef ou comme le Chef de la Tribu des Cailloux Dorés. Les Hobs pouvaient être grands et épais, mais certains étaient juste des Gobelins qui avaient grandi. Dans tous les cas, ils étaient ses meilleurs guerriers, facilement l’équivalent de deux compagnies d’aventuriers Argent.

Au niveau des Hobs, elle en avait plus que la Tribu du Croc Rouge, même si cela était une mauvaise comparaison. Loks savait que ses Hobs n’étaient qu’une goutte d’eau dans le sceau d’un plus grand conflit ; ils allaient devoir être bien utilisé ou perdu, comme une Reine dans un jeu d’échec.

Elle n’avait pas l’intention d’affronter la tribu du Croc Rouge ; Loks avait déjà décidé de se retraiter vers Liscor après ça. Ou ils allaient pouvoir se reposer et se préparer pour les futurs combats. Sa nouvelle tribu allait peut-être la mettre au même niveau que la Garde, ou au moins les rendre trop difficile à combattre.

De plus, Loks pouvait désormais chasser des ennemis plus dangereux. Les Crabroches étaient toujours des problèmes, mais ses Hobs avaient déjà combattus des Araignées Cuirassée, et ils lui avaient dit qu’il était facile de détruite un nid avec deux Hobs et assez de Gobelins.

Loks mordit dans son repas et se rendit compte qu’elle était à l’os. Elle commença à le casser pour sucer la moelle quand elle réalisa que tous les autres Gobelins étaient silencieux. Lentement, elle suivit leur regard et vit les loups.

Quand elle avait été plus jeune, Loks avait entendit les histoires mais n’avais jamais encore vu de Loups Carnassier en personne. Les massifs loups, au moins trois fois plus grand qu’un loup normal et capable d’abattre un cheval d’un coup, étaient mortels pour les Gobelins.

Mais il y avait cette tribu qui était connue pour avoir dressé les féroces animaux, tout comme la tribu de la Lance Brisée avait fait pour les Araignées Cuirassées. Cette tribu de Gobelin avait appris à élever les massifs loups et à les chevaucher. Avec eux, et mené par leur féroce Chef, ils avaient conquis des centaines de kilomètres de territoire au nord de Liscor.

Et ils étaient là, plus grand que la vie, regardant la tribu des Plaines Inondées. Ils étaient apparus sans un mot de la part de ses scouts, sans un murmure.

La Tribu du Croc Rouge.

Soixante Gobelins, assis sur le dos couleur rouille de leur gigantesque Loups Carnassier, baissèrent les yeux vers la tribu de Loks. Un Hob Gobelin était assis sur un immense loup à la tête du groupe de cavalier, tenant une épée rouge dans sa main.

Ce n’était pas l’intégralité de leur tribu. Ce fut la première chose qui passa dans l’esprit de Loks après que son cœur recommence à battre. Ce n’était qu’un group de scout. Mené par leur Chef. Mais ils étaient qu’une goutte d’eau comparée au torrent qu’étaient les forces de Loks.

Mais les mots ne pouvaient pas mentir si facilement au cœur, le celui de Loks était au bord de ses lèvres et en train de battre la chamade. Elle leva les yeux vers le Chef et ne vit que de la puissance.

Il était un grand Gobelin, mais pas trop grand pour un Hob. Il aurait eu la taille d’un Humain normal, mais ce n’était pas ce que le rendait si terrifiant. C’était sa présence. Le Chef de la Tribu du Croc Rouge semblait vibrer avec l’envie de se battre et la confiance qu’il avait en sa propre force. Son corps était recouvert de cicatrices, et ses yeux étaient semblables au feu d’un phare, une balise pourpre balayant les Gobelins du regard.

Ils eurent tous un mouvement de recul, incapable de rencontrer son regard. Le Chef baissa les yeux, cherchant quelqu’un parmi les Gobelins.

Loks.

Il ne la trouva pas. Même avec l’armure qu’elle portait, Loks n’était pas un Hob se tenant avec une tête de plus que le reste du groupe. Le Chef roula ses épaules et leva son épée. Loks se tendit, mais la prochaine chose qu’il fit ne fut pas de charger. A la place, il parla.


Tribu des Plaines Inondées ! Envoyez-moi votre Chef pour un combat singulier ! Je la défie !


Ses mots retentirent le long de la colline, résonnant dans la vaste nature. Loks leva les yeux, soudainement fragile. C’était un défi traditionnel, l’un qu’elle avait entendu à mainte reprise en grandissant. Mais il ne lui avait jamais été adressé.

Dans sa tribu, Loks régnait par son intellect supérieur. Et elle avait son arbalète noire. Chaque défi aurait été réglé en deux secondes et elle battait toujours les Chef ennemis avec sa tribu, et c’était juste.

Mais un défi ? Non. Loks leva les yeux vers le Chef de la Tribu du Croc Rouge et s’imagina l’affronter. Elle n’allait pas pouvoir le faire. Il allait la réduire en miette d’un seul coup.

Mais elle devait dire quelque chose. Ses Gobelins la regardaient, et Loks ne pouvait pas faire marche arrière. Elle s’avança, lâchant l’os dans la neige et regarda le Chef des Crocs Rouges.

Il la vit, et fronça les sourcils. Déçu ? Elle ne lui ressemblait pas du tout. Loks était encore jeune, elle n’était pas une Hob, et elle n’allait pas accepter son défi.

Elle fit passer le message en croisant les bras et en le regardant. Elle n’avait pas pris la fuite, ce qui serait indigne d’un Chef, mais elle refusait son défi. La seule chose qui allait en découler était un combat, et Loks était tendue et s’attendait à ce qu’il fasse cela.

Est-ce que toute sa tribu était proche ? Si cela était le cas, la seule option que Loks avait été de battre en retraite. Mais si ce n’était que ce groupe de cavalier… Pouvait-ils vaincre la tribu ici et maintenant ?

Probablement pas. Mais Loks avait l’arbalète noire, et l’avantage du nombre. Peut-être…

Le Chef bougea. Il donna un léger coup de talon dans les flancs du loup qu’il chevauchait, et il commença à descendre la pente. Les Gobelins de Loks se tendirent, mais elle les retint. À la place, elle croisa le regard d’un de ses guerriers et dessina lentement un cercle dans la paume de sa main. Il hocha la tête, et prévint d’autre Gobelin avant de bouger discrètement.

Ses guerriers allaient les encercler, piégeant les cavaliers. Ils allaient capturer cette tribu, Loks en était certaine. Le stress causé par cette situation la faisait trembler, et alors que le Chef des Crocs Rouges s’avança sur son loup…

De la pression.

Loks leva les yeux vers le Chef alors qu’il bougea avec ses guerriers. Il était le seul Hob parmi eux, mais chaque cavalier projetait la même aura de force. Ils étaient tous en armure, portant des cottes de mailles en bon état et du cuir épais. Et leurs armes…

Chacun d’entre eux était peut-être aussi fort qu’un Hob. C’était l’impression que Loks avait. Quel était leur niveau ? Et leurs montures étaient tout aussi dangereuses. Les grands animaux ne tressaillirent pas quand leurs cavaliers les guidèrent vers le centre de la tribu de Loks, et les guerriers Crocs Rouges ne semblaient pas être préoccupés.

Ils descendirent la pente, ignorant les innombrables arcs tendus vers eux. Le leader de la Tribu du Croc Rouge s’assit sur son loup et regarda Loks alors qu’elle s’approcha.

La différence de taille était plus que pharamineuse. Loks avait l’impression de regarder un géant. Mais c’était encore plus difficile car, proche comme il était, il émanait le danger. Loks n’avait pas d’[Instinct de Survie], mais elle était certaine que la compétence serait en train de lui hurler dessus si cela avait été le cas.

Le Chef regarda Loks et parla d’une voix profonde et rocailleuse.


Soumets-toi à ma tribu. Ou meurt.

Il parla la langue des Gobelins, qui était courte et rocailleuse, ce qui expliquait pourquoi de nombreux Gobelins préférait simplement grogner et pointer du doigt. Loks le regarda, et sentit son esprit se vider.

Se soumettre ? À sa tribu ? C’était mieux que mourir, et c’était ainsi qu’elle avait gagné le contrôle des autres tribus. Et c’était la chose sensible à faire. La Tribu du Croc Rouge… Ils étaient légendaires. Loks savait que sa tribu ne faisait pas le poids. Même s’il n’avait qu’une fraction de leur force, c’était la chose intelligente à faire.

Elle devrait le faire. Mais Loks regarda le Chef et ses soixante cavaliers. Ils étaient au milieu de sa tribu et son embuscade était en train de faire le tour pour couper leur retraite. Pouvaient-ils… ?

Se soumettre. C’était la chose intelligente à faire. La sécurité. Mais Loks leva les yeux et se souvint d’un Drakéide la toisant avec de la haine dans ses yeux. Elle vit les têtes coupées et connu la réponse en un battement de cœur.

Lentement, Loks secoua la tête. Le Chef plissa les yeux.


Alors périt.


Loks ne vit pas l’épée bouger. Elle ne vit que l’Hob le plus proche d’elle bouger, et puis le Chef de la Tribu des Cailloux Dorés se mettre devant elle, interceptant le coup donné d’une seule main qui lui était destiné.

Le coup brisa le bouclier de l’Hob et transperça son armure. Loks regarda alors que l’ancien Chef tomba, perdant du sang. Le Chef de la Tribu du Croc Rouge secoua la tête, et leva son épée. Et ses guerriers attaquèrent.

Loks hurla ses ordres alors que les cavaliers bondirent soudainement sur les Gobelins. Ses archers tirèrent et ses guerriers foncèrent vers les cavaliers, mais ils étaient trop lents. Les loups bondirent en avant et dans les rangs de ses Gobelins, grognant, et les cavaliers Gobelins transpercèrent et tranchèrent vers le bas, transformant les rangs en rubans sanguinolents.

Le Chef des Crocs Rouges pointa vers Loks et son loup bondit. Loks recula précipitamment, et d’autre Gobelins et Hobs foncèrent l’aider. Un Gobelin leva son arbalète…

Et le Chef lui trancha le dessus de la tête, et le coup de ne perdit pas de force en ouvrant le crâne du Gobelin. Le Chef sourit avec une furie sanguinaire alors qu’il trancha à gauche, à droite, à gauche à droite. Et un Gobelin mourrait à chaque coup.

Le Chef prit une flèche dans l’épaule et ne cligna même pas des yeux. La pointe de la flèche se brisa en touchant sa peau, et Loks réalisa qu’il avait une compétence. Il donna un coup de l’arrière de sa main qui envoya valser un Hob au sol. Son Loup Carnassier captura un petit Gobelin dans sa mâchoire et les referma sur le guerrier.

Loks vit ses Gobelins hurler et essayer de repousser les cavaliers chargeant dans ses rangs. Des flèches et pellettes d’argile se brisaient sur les armures des Gobelins et sur la fourrure des loups. Chaque guerrier de la tribu du Croc Rouge se battait avec la férocité et la vitesse d’un Hob, et leur loup étaient tout aussi horrible à affronter, les Gobelins luttaient pour s’approcher suffisamment proche des griffes acérées et des mâchoires claquantes.

Loks recula, regardant autour d’elle. Où était son embuscade ? Toujours en train de se mettre en position. L’attaque avait été si soudaine qu’ils avaient tous été prit par surprise, et maintenant le Chef des Crocs Rouges taillait son chemin vers elle.

Son Loup Carnassier hurla et repoussa les Gobelins pour passer, les piétinant sous ses pattes. Le Chef bondit de son dos et évita un carreau qui partait vers son torse. Il sourit, se retourna, trancha deux Gobelins en deux et charger vers Loks.

Elle laissa tomber son arbalète noire et dégaina son épée au dernier moment. Elle la leva et posa sa main sur le plat de la lame alors que le Chef leva son épée. Il l’abattit, et Loks vit blanc alors qu’elle eut l’impression que le ciel lui tombait dessus. Mais même si son épée trembla et se tordit, elle tint miraculeusement le coup.

Le Chef sourit, et Loks manqua de ne pas tourner sa lame pour stopper le prochain coup. Il bloqua volontairement leur épée. Loks pouvait sentir la force inébranlable derrière son épée, s’il le voulait, il aurait pu trancher à travers son épée et elle en un coup.


Tu n’es pas une vraie Gobeline.


Loks sentit un choc alors que ses pieds luttaient pour ne pas glisser dans la neige. Le Chef la toisa, semblant presque déçu. Il regarda ses yeux, le rouge des siens concentré sur son visage.


Tu es trop petite pour mener. Trop faible. Je le prouverai.


Il se retourna, son loup bondissant dans les ténèbres. Il rugit, et ses cavaliers se retirèrent soudainement, se libérant des autres Gobelins. Loks tituba pour prendre son arc et leva sa main pour tirer un sort, mais c’était trop tard.

La Tribu du Croc Rouge était déjà en train de se retraiter alors que les Goblins paniquaient en essayer de sortir leurs arcs. Loks regarda autour d’elle, mais ne vit pas de loups agonisants ou de cavaliers morts. Il n’y avait que ses Gobelins.

Soixante contre prêt d’une centaine, et pourtant ils s’étaient taillé un chemin sans la moindre égratignure. Loks était choqué. Elle regarda autour d’elle, voyant les morts et les mourants, et regarda ses mains. Ses petites mains. Elles tremblaient encore de la sensation de son duel face au Chef de la Tribu du Croc Rouge.

Ce fut quand le scout Gobelin fonça vers elle, hurlant et dépassant les Gobelins blessés. Loks se retourna, et il manqua de s’effondrer de panique. Elle l’attrapa, et il apporta son message. Loks manqua de tomber dans les pommes.

Plus d’un millier de Gobelins, peut-être des milliers, le scout n’avait pas de nombre précis, étaient en train de marcher vers eux. Le reste de la Tribu du Croc Rouge.

Ils devaient fuir. Loks regarda autour d’elle et commença à crier. Les Gobelins abandonnèrent les morts et s’emparèrent des blessés, mais d’autres cris retentirent.

Le Chef des Crocs Rouges. Il était en train de massacrer les Gobelins qu’elle avait envoyé pour les encercler. Elle pouvait voir au loin ses guerriers dissimilés briser leurs rangs et fuir alors que les cavaliers les rattrapèrent. Le Chef était le plus rapide, et il abattit son épée sur le chef de l’équipe d’embuscade. Le Gobelin s’effondra, et le Chef continua de chevaucher, abattant son épée. Une fois, deux fois. Des Gobelins saignèrent et moururent.

Loks cria, et ses Gobelins partirent vers les cavaliers. Mais ils furent encore trop lents. Loks regarda les cavaliers chevaucher leur monture et disparaître derrière une colline.

Cette fois Loks n’hésita pas. Elle ordonna à ses Gobelins de prendre tout ce qu’ils pouvaient et de commencer à faire marcher la majorité de sa tribu loin de la Tribu du Croc Rouge. Mais elle pouvait sentir que le Chef était proche. Il avait promis de lui montrer à quel point elle était faible ? Qu’est-ce qu’il voulait dire par là ?

Elle trouva rapidement. Le Chef attaqua huit fois sa tribu dans la même journée jusqu’à ce qu’elle réalise ce qu’il se passait. Puis il recommença le lendemain, et le surlendemain. Il força sa tribu sur la défensive, jusqu’à ce que les jours se ressemblent.

Se retraiter, fuir, courir.

Vers le Sud.

Vers Liscor.

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #123 le: 29 novembre 2020 à 23:52:40 »
1.27 G Partie 2
Traduit par Maroti

Ils étaient pourchassés. C’était tout ce que Loks savait. Elle s’assit autour du feu, la tête basse, trop épuisée pour réfléchir. Ses Gobelins gisaient autour d’elle, certain s’étant effondré l’un sur l’autre.

Il faisait encore jour, mais cela n’avait pas d’importance. Sa tribu était trop épuisée pour continuer, donc Loks avait ordonné une halte. Malgré cela, elle fit monter la garde à la moitié de ses guerriers au cas ou le Chef des Crocs Rouges reviendrait. Et il allait revenir.

Il revenait toujours.

Loks regarda autour d’elle. Sa tribu. Elle était encore majoritairement intacte. En partie. Mais elle avait perdu plus d’une centaine de Gobelins lors des derniers jours, et plus d’une cinquantaine étaient blessés. Et ce n’était pas parce que le gros des troupes de la Tribu du Croc Rouge les avait rattrapés, non. C’était la faute des soixante guerriers et du Chef.

Ils continuaient d’attaquer. Loks ferma les yeux et se souvint.


Des flashs.


Les cavaliers chargèrent de la forêt devant la tribu de Loks. Ses Gobelins hurlèrent et se dispersèrent, mais elle les reforma. Elle s’y attendait. Loks ordonna qu’ils forment un rang et prépara ses archers à tirer. Elle sortit quelque chose de sa ceinture alors que les cavaliers chargèrent.

Une gemme rouge. La gemme de [Terreur]. Cela n’avait que peu d’effet sur les Gobelins, mais les loups ? Loks la leva et activa sa magie.

De la terreur pire se déversa sur les Loups Carnassiers et les fit s’arrêter. Leurs cavaliers confus essayèrent de les faire repartir, mais ils refusèrent, commençant à se retraiter.

Le Chef de la Tribu du Croc Rouge regarda la gemme dans la main de Loks et plissa les yeux. Alors que les premières flèches et projectiles d’argile commencèrent à bombarder ses guerriers il leva son épée et…


Rugit.

Le son était assourdissant et bestial. Il fit hésiter les Gobelins de Loks, et les loups terrifiés se figèrent. Le chef pointa vers Loks et son cœur commença à battre la chamade alors qu’il hurla.


Charger !


Les loups bondirent en avant, leurs peurs oubliées. Loks hurla un ordre, et ses guerriers Gobelins se précipitèrent pour protéger ses archers mal gardés, mais ils furent trop lent. Le premier rang fut entièrement décimé alors que les cavaliers les taillèrent en pièces, les écrasèrent sous leurs loups, les…

De la douleur et le goût amère de la défaite. Encore et…

Cette fois Loks s’était préparé et avait l’avantage de la hauteur, mais le Chef n’hésite même pas. Il descendit dans le ravin, tellement rapide que ses archers n’eurent pas le temps de le viser. Mais c’était prévu. Loks attendit. La montée était étroite et il n’y avait que peu d’endroit où passer. Et chacun d’entre eux…

Les paquets d’écorces d’arbre kaboom étaient cachés sous les rochers, mais les explosions allaient transformer la pierre en shrapnel mortel. Elle garda la main baissée, le sort de [Luciole] prêt à être utilisé. Le Chef continua sans la quitter du regard. Les Hobs à ses côtés cachèrent leurs flèches trempées dans l’huile, prête à être tiré. Presque, presque…

Au dernier moment, le Chef regarda le sol et arrêta soudainement son loup. Loks regarda incrédule alors qu’il regarda le sol parfaitement camouflé ou l’écorce kaboom était caché, et puis il secoua la tête. Il cria un ordre, et ses cavaliers firent demi-tour avec lui. Loks regarda leurs dos, furieuse et confuse, jusqu’à ce qu’elle entendît des cris derrière elle et réalisa qu’il avait séparé son groupe en deux…


Et maintenant, aujourd’hui, elle avait essayé de tenir tête et de le coincer. Mais il avait repéré toutes ses embuscades et massacré ses rangs avant de repartir sans qu’elle puisse réduire la distance.

C’était le truc. Le Chef de la Tribu du Croc Rouge était peut-être un guerrier qui fonçait tête baissée dans la mêlée, mais il n’était pas stupide. Il ne les affrontait pas directement. Si elle arrivait à le coincer et le forcer à l’affronter, le combat serait peut-être plus juste. Ses cinquante cavaliers étaient peut-être forts, mais même avec les Loups Carnassiers ils étaient à huit contre un.

Mais ils ne faisaient pas ça. À la place, ils lançaient de redoutables offensives sur la Tribu de Loks, rattrapant ses archers et massacrant des douzaines de Gobelins avant de battre en retraite.

Ils étaient trop bien armés, trop fort individuellement, et ils n’affrontaient jamais les meilleurs guerriers de Loks. A la place, ils visaient les points faibles, les archers, et les flancs qu’elle ne pouvait pas protéger. Et Loks ne pouvait pas envoyer ses Hobs pour contre-carrer, à cause de leur Chef.

Si ses Hobs s’éloignaient du centre de sa tribu, le Chef les pourchassait. Il ne pouvait pas être arrêté. Les flèches ne le ralentissaient pas, et ne ralentissaient pas sa monture. Il avait déjà tué deux Hobs à lui seul. Il était un monstre, et il avait avec lui une force qui saignait petit à petit la tribu de Loks.

Si Loks avait eut le temps de s’arrêter, elle aurait peut-être trouvé une cave dans laquelle creuser, ou un endroit à fortifier pour éviter une nouvelle attaque des cavaliers. Mais ce n’était même pas une option, car le reste de la Tribu du Croc Rouge les suivait, prêt à descendre sur la tribu de Loks s’ils ralentissaient.

Le gros des troupes des Crocs Rouges et toutes les plus petites tribus les suivant avançaient lentement, approvisionnant leurs loups et forçant Loks à continuer de bouger. Ils bloquaient toutes les autres voies, forçant Loks et sa tribu à marcher vers Liscor.

C’était le piège le plus propre que Loks avait vu, et c’était terrifiant. Elle ne pouvait rien faire face à ces cavaliers ; son arbalète était la seule arme capable de blesser les cavaliers à distance ; et ils pouvaient distancer ses archers et battre presque tous ses Gobelins.

Malgré cela, Loks ne perdait pas espoir. Une centaine de morts était terrible, mais ce n’était qu’un dixième de son armée. Ils avaient tué plusieurs des cavaliers et loups en retour. Mais ce n’était pas la véritable conséquence des raids quotidiens, non. C’était l’effet qu’ils avaient sur le morale de sa Tribu, et pire encore, la confiance qu’ils avaient en elle.


Petite Gobeline ! Affronte-moi !


Le Chef de la Tribu du Croc Rouge hurlait son challenge chaque jour, et ses guerriers battaient leurs boucliers en faisant hurler leurs loups. Et a chaque fois Loks allait leur tourner le dos pour continuer de faire marcher ses Gobelins vers sa maison.

Elle ne pouvait pas se battre, et ses Gobelins le savaient. Cependant, ils voyaient leur Chef tourner le dos et voyaient qu’elle n’était pas capable de les protéger ou de vaincre son ennemi, et ils perdaient foi.

Loks essaya de se montrer confiante, mais c’était difficile car elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle devait faire. Elle devait retourner à Liscor. C’était son territoire ; elle connaissait le terrain et pourrait tendre un piège. Et ensuite ?

Attirer les Crocs Rouges vers Liscor serait inutile. La cité allait fermer ses portes et envoyé la Garde et les terribles Antiniums pour écraser les deux groupes. Les cavaliers allaient juste prendre la fuite alors que Loks allait se faire massacrer.

Ils ne pouvaient pas se cacher dans les grottes non plus. Elles n’étaient plus assez grandes pour tous les accueillir, et s’il se tassaient à l’intérieur, elle était certaine que le Chef allait venir pour personnellement les massacrer un par un.

Qu’est-ce qu’il y avait encore ? Loks était certaine qu’allait dans le donjon était du suicide, elle doutait que des Hobs soient capable de détruire les Golems de pierre derrière le mur brisé. Et si ce n’était pas ça il n’y avait qu’une seule chose à laquelle elle pouvait penser.

Erin. Mais Loks ne pouvait même pas imaginer l’aubergiste battre le Chef de la Tribu du Croc Rouge, même avec ses amis. Et de plus…

Non. Non, c’était le combat de Loks. Il lui restait la moitié d’une idée, une hasardeuse supposition. Elle devait juste retourner à Liscor pour la préparer, et rapidement. Parce que si elle ne se dépêchait pas, elle n’allait pas avoir de Tribu à sauver.

La seconde nuit après l’attaque des cavaliers, Loks se réveilla et se rendit compte qu’il lui manquait des Gobelins. Quelques familles et individus solitaires avaient disparues dans la nuit.

C’était normal. Les Gobelins quittaient les tribus s’ils n’étaient pas satisfaits, ils rejoignaient d’autre tribu ou erraient. Mais d’autres était partie la nuit suivante, et puis plus encore. Les Gobelins perdaient foi en leur Chef, et donc ils l’abandonnaient.

Pas tous ; c’était principalement ceux de la tribu des Cailloux Dorés, et même si, de manière surprenante, leur Chef avait persuadé la majorité de rester. Mais l’exode était épuisant.

D’autres Gobelins l’abandonnèrent cette nuit. Loks se leva et compta les lits vides. Vingt-six cette fois. Presque comme elle l’avait prédit. Mais elle ne tirait aucune fierté de ce fait.

Elle marcha jusqu’au feu, et trouva un bouillon en train de cuire. Il était plein de rations, de viande séchée et de restes. Le goût était horrible, mais c’était chaud et Loks dévora sa portion. Elle réalisa que quelqu’un se tenait derrière elle quand elle entendit les pas lourds s’approcher.

Elle se retourna, et mit la main à ses armes. Mais ce n’était qu’un Hob. Il était l’un de la Tribu des Preneurs d’Épées, un grand Hob qui utilisait un immense marteau comme arme.

Il était en train de la regarder. Loks hésita. Est-ce qu’il voulait manger ? En tant que Chef, elle avait le droit de se servir la première, mais il y avait plus qu’assez dans le pot. Est-ce qu’il attendait qu’elle termine ? Certaines tribus avaient différentes coutumes.

Mais l’Hob parla et Loks compris.


Chef. Combattons

C’était à moitié une requête, à moitié un ordre. Et le Hob n’aurait pas dû le dire, mais il venait de le faire, ce qui voulait dire que d’autres étaient en train d’y penser. Il la regarda en silence. Loks le regarda sans expression, puis autour d’eux.

D’autres Gobelins prétendaient d’être endormis, mais elle réalisa qu’elle avait une audience. Bon, cela n’avait pas d’importance. Loks regarda l’Hob et secoua doucement la tête.

Elle n’allait pas mourir. Mais elle n’allait pas se rendre. Pas sans essayer. Elle n’allait pas sacrifier l’intégralité de sa tribu ; elle ne mériterait pas de s’appeler Chef si elle était prête à le faire. Ses Gobelins devaient croire en elle.

Mais l’Hob était insistant. Il ne lâcha pas Loks du regard, et elle commença à avoir la chair de poule. Il n’allait pas lâcher l’affaire, et elle ne pouvait pas le faire non plus. Elle le regarda. Il ne portait pas d’armure, mais il était quand même plus grand et fort qu’elle. Il faisait au moins trois fois sa taille.

Les deux Gobelins se regardèrent en silence, et la tension entre les deux atteignit un nouveau niveau. Les Gobelins arrêtèrent de prétendre qu’ils dormaient et se redressèrent. Ils savaient ce qui allait arriver.

L’Hob parla.

Je te dé...

Loks plongea alors qu’un poing frôla sa tête. Elle attrapa l’arbalète avec laquelle elle dormait et tira. Le Hob gargouilla en tomba en arrière, touchant le carreau dans son torse. Les autres Gobelins le regardèrent alors qu’il s’effondra au sol. Il essayer de lever une main, la laissa tomber, et mourut.

Il fallait plusieurs minutes pour que Loks calme les battements de son cœur. Elle laissa le corps de l’Hob là ou il était, ils allaient peut-être l’utiliser comme nourriture, ou peut-être pas. Ils devaient continuer d’avancer. Mais sa tête était pleine de… Regrets. Cela n’aurait jamais dû arriver.

Aucun de ses Gobelins ne la regarda, même si elle avait agi en concordance avec leur tradition. C’était un combat juste, du moins selon les standards Gobelins. Ils savaient qu’elle avait une arbalète, et les Gobelins ne croyaient pas en l’honneur. Ou plutôt, tout était autorisé car un combat n’est jamais juste. Mais un Chef tuant un de ses Hobs était toujours une mauvaise chose.

Loks fit bouger sa tribu, et ils furent attaqués peu de temps après. Ils repoussèrent l’attaque des Crocs Rouges et Loks continua. Un essai. Quitte ou double.

Elle ne parla pas beaucoup durant cette journée, uniquement un peu à ses Hobs. Mais quand elle tourna le dos elle pouvait sentir leurs yeux sur elle.

Les Crocs Rouges attaquèrent encore et encore, mais cette fois leurs rangs serrés les empêcher de frapper et de se retraiter aussi rapidement. Loks abattit un autre cavalier et deux loups avec des tirs précis, mais elle allait bientôt être à court de munitions et aucunes autres armes étaient capable de percer l’épaisse peau des loups.

Ils atteignirent les frontières de la région de Liscor et firent leur camp pour la nuit. Ils étaient juste après la cave menant au donjon quand Loks décida de s’arrêter. Ses Gobelins commencèrent à travailler en silence alors que Loks prépara la dernière bataille. Elle connaissait le terrain, ce n’était qu’à un jour de marche. Ils pouvaient le faire, même s’ils allaient peut-être arriver tardivement à cause des attaques.

Elle alla dormir. S’inquiétant. Rêvant. Est-ce qu’elle faisait une erreur ? Non… Elle devait devenir plus forte.

Mais. Mais. Aurait-elle dû se rendre ?

Non. Oui. Loks se tourna et se retourna. Une dernière tentative. Qu’est-ce qu’elle avait ? Une dernière jarre d’acide d’Erin. De l’écorce explosive que le Chef des Crocs Rouges n’allait pas approcher. Et la connaissance du terrain.

Loks ferma les yeux. Elle était une Gobeline. Elle n’était pas faible. Elle allait le prouver au Chef des Crocs Rouges.

Elle dormit.

Et quand elle se réveilla, tous ses Hobs étaient partis.

***

Il était minuit quand les Gobelins de la Tribu des Plaines Inondées s’arrêtèrent finalement. Le Chef de la Tribu du Croc Rouge les regarder s’installer dans la petite vallée sans dormir. Il avait agressé leurs flancs durant toute la journée, tuant des Gobelins, mais la petite Chef n’avait pas réagi comme d’habitude. Elle avait continué d’avancer, jusqu’à atteindre cet endroit.

Il voyait pourquoi. La vallée était un piège naturel. Ses cavaliers allaient avoir des problèmes pour battre en retraite, et s’ils se faisaient encercler… Mais bien sûr, il y avait une autre raison à cela.

Le Chef secoua la tête. Il était déçu, mais il allait montrer à la petite Gobeline la véritable nature des Gobelins ici et maintenant. Il attendit, ses cinquante cavaliers prêts et attendaient autour de lui alors que leurs loups reniflèrent et tapissèrent la neige. Ils pouvaient aussi le sentir, sans aucun doute.

Les Gobelins dans la vallée commencèrent à se disperser, formant une large formation en cercle, des guerriers avec des boucliers et des épées leur faisant face alors que des archers, des femmes et des enfants armés de frondes et de quelques arbalètes se tenaient au milieu.

C’était une pathétique formation, l’une qui n’était pas à la hauteur de l’intelligence que les rumeurs lui avaient donnée. Mais, après tout, c’était tout ce qu’elle avait.

Sa Tribu était moitié moi grande que la nuit dernière, et tous ses Hobs étaient parti avec les Gobelins. Et, d’après ce qu’il pouvait voir, ils avaient pris la majorité des arcs, frondes, et des nouvelles arbalètes. Tout ce que les Gobelins avaient encore était de simples armes. Elle n’avait même pas assez de piques pour faire une véritable ligne défensive, même si cela n’aurait pas ralenti ses cavaliers.

Le Chef des Crocs Rouges secoua la tête. Il était temps de terminer cette affaire. Il leva sa main et ses cavaliers se préparèrent. Mais les Gobelins sous eux avaient déjà commencé à faire du bruit.

C’était la petite Chef qui l’avait commencé. Elle le regardait et avait commencé à taper son épée sur son bouclier. Elle cria, une petite voix dans l’immensité vide des plaines. Mais les autres Gobelins entendirent sa voix et la suivirent.

Ils commencèrent à hurler et taper du pied, frappant leurs armes contre le métal. Ils hurlèrent en direction des cavaliers alors que le Chef des Crocs Rouges baissa les yeux vers Loks. Elle croisa son regard.

Bien. Il semblerait qu’il y ait un peu de Gobelin en elle. Mais cela n’allait pas la sauver. Le Chef de la Tribu du Croc rouge dégaina son épée et la leva haut. Cela serait terminé cette nuit. Ils allaient briser sa volonté avec une dernière charge.

Le Chef prit une grande bouffée d’air frais et rugit alors que tous ses guerriers rugirent avec leurs montures.


Nous chevauchons !


Les guerriers Croc Rouge hurlèrent et suivirent leur Chef alors qu’il descendit la pente. Le Chef était en train d’hurler alors qu’il fit accélérer son loup géant, les yeux dans les yeux de la petite Chef. Il ne pouvait s’empêcher d’être un peu déçu.

Il attendait vraiment mieux de sa part.

***

Loks regarda le Chef des Crocs Rouges chargé et retint sa respiration. C’était maintenant ou jamais. C’était tout ce qui lui restait. Sa Tribu amoindrie était à ses côtés, loyale jusqu’à la fin. Ils étaient encore assez nombreux pour gagner. Si seulement ils pouvaient arrêter les cavaliers pendant une seconde. Si…

Le Chef des Crocs Rouges rugit en descendant la pente, et Loks sentit un frisson bien plus glaçant que l’air hivernal. Il était proche. Sa paume moite tenait son épée, et son corps battait trop rapidement.

Mais le Chef allait droit vers elle. Loks regarda son loup foncé dans la neige, levant un nuage derrière lui. Il ne l’avait pas remarqué.

Elle retint sa respiration. Encore un pas…

Le Chef donna un coup de talon à son loup, et l’immense animal se tourna et bondit vers la gauche, évitant le trou caché remplie d’Araignée Cuirassée. L’action fut décontractée, presque méprisante alors qu’il esquiva le premier trou, puis le second, et contournant un troisième.

Loks regarda le Chef, choquée, alors qu’il traversa la plaine sans déranger la neige d’un seul des nids d’Araignée Cuirassée. Le désespoir était dans son regard alors qu’il s’arrêta juste devant les rangs de ses Gobelins. Il secoua la tête. Il semblait presque épris de regret alors qu’il leva son épée et que ses cavaliers hurlèrent, chargeant vers son premier rang.


Meurs, petite.


Loks laissa le choc apparaître sur son visage pendant deux secondes supplémentaires, puis sourit. Le Chef de la Tribu du Croc Rouge cligna des yeux. Elle leva sa main et ferma son poing…

Et le sol bougea.

Les trous recouverts de neige s’effondrèrent derrière les chevaucheurs de loups. Les cavaliers se retournèrent, confus, et virent des Gobelins. Le Chef se retourna, et ses yeux s’écarquillèrent alors qu’il comprit la véritable nature du piège.

Des nids d’Araignées Cuirassée. Ils étaient faciles à détecter même sans [Instinct de Survie]. Chaque Gobelins encore en vie savait comment les détecter. Mais les Araignées Cuirassées n’étaient pas une véritable menace pour une véritable tribu. Tout ce dont ils avaient besoin pour nettoyer leurs nids était un groupe de Gobelins avec de longues armes et quelques Hobs.

Ils étaient tous là, tous les Hobs de Loks et la moitié de sa tribu. Ils se tenaient dans les trous, des Gobelins armés d’arc, de frondes et d’arbalètes. Ils tirèrent dans le dos et les flancs des cavaliers alors que d’autres sortirent des trous et chargèrent les cavaliers de toutes parts.

Loks hurla un ordre, et ses guerriers chargèrent aussi. Ses archers commencèrent à tirer, et les cavaliers se retrouvèrent encerclé et attaqué de toute part.

Le Chef des Crocs Rouges plissa les yeux en regardant les nids d’Araignées Cuirassées. Il réalisa aussitôt le problème. Dans ces abris, les archers de Loks pouvaient continuer de tirer sans crainte.

A moins que ses cavaliers aillent après eux.

Le Chef pointa du doigt, et hurla un ordre. L’un de ses cavaliers bondit dans le nid avec son loup et hurla. Son Loup Carnassier hurla à son tour ; ils s’étaient empalés sur d’épais pics de bois plantés autour des archers.

Loks sourit, et pour la première fois, elle vit le Chef des Crocs Rouges hésiter. Mais il se tourna et la regarda, et elle ne vit pas la moindre trace de peur dans ses yeux. Son sourire disparu. Non. Il n’allait pas…

N’importe quel autre Chef se serait rendu, ou aurait essayer de fuir. Mais le Chef des Crocs Rouges plissa les yeux, et leva son épée. Il la pointa du doigt, et hurla un mot.

Chargez !


Ses guerriers n’hésitèrent pas. Cinquante Gobelins chevauchant des Loups Carnassiers percutèrent des centaines de Gobelins, et commencèrent à se frayer un chemin. Et ils ne s’arrêtaient pas.

Un guerrier Croc Rouge hurla alors qu’il donna un coup d’épée, chevauchant son Loup Carnassier dans les rangs des Gobelins. Il frappa avec arde, ignorant les innombrables mains qui essayaient de le faire tomber.

Un Hob enfonça sa hache dans le crâne d’un Loup Carnassier. Le guerrier Croc Rouge tomba, mais se redressa aussitôt, combattant avec son épée même si d’innombrables armes traversèrent son corps. Il utilisa ses dernières forces pour partir en avant et arracher la gorge d’un Gobelin avec ses dents.

Des Gobelins reculèrent alors que le Chef abattit son épée, découpant plusieurs Gobelins d’un seul coup. Il ne détourna pas le regard, du sang gicla sur son chemin alors qu’il chargea droit vers Loks.

Elle avait l’arbalète noire à ses côtés. Elle n’avait qu’une seule chance. Loks arma le carreau, et tira. Le Loup Carnassier du Chef hurla et s’effondra avec le carreau dans le cou. Mais le Chef bondit de son dos et trancha des Gobelins en allant vers elle.

Loks était en train de trembler. Son sang était en feu. Mais elle ne prit pas la fuite. Elle jeta l’arbalète noire au sol et leva son épée. Il était temps.

Un défi.

Dans la nuit enneigée, des Gobelins combattirent et moururent. Des cavaliers chevauchants d’immense loups combattirent un vaste nombre de Gobelins, saignant, mourant, mais entrainant avec eux le plus de Gobelins possible. Et au centre de la bataille et des mourants, deux chefs se trouvèrent.

Loks et le Chef de la Tribu du Croc Rouge étaient séparés par une trentaine de mètres, et d’innombrables corps. Mais ils coururent l’un vers l’autre comme s’ils étaient seuls au monde, les yeux dans les yeux.

Ils chargèrent à travers la boue, hurlant. Deux types de Gobelins levèrent leurs épées alors que leurs tribus s’affrontaient. Ils se rencontrèrent dans le feu et la furie, l’un évitant, battant en retraite, utilisant de la magie et de la ruse. L’autre enragé, traversant les flammes, attaquant, tranchant.

Deux Gobelins, chacun avec une vision du futur. Et alors qu’ils croisèrent le fer, les deux Chefs regardèrent dans les yeux de l’autre et, pendant une seconde, leurs cœurs battirent au même rythme.

Ils le sentirent. Ils entendirent la voix faire écho dans leurs âmes alors qu’ils luttaient pour ne pas perdre du terrain sur le sol glissant, ils le sentirent dans chaque battement de leurs cœurs alors qu’ils s’affrontaient.

Ceci. C’est cela d’être Gobelin. C’est notre nature.

C’était le cri d’un millier de vies, d’un millier de souvenirs de Gobelins qui avaient vécu et périt avant eux. Cela résonna dans leurs oreilles, traversant leurs veines.

C’est cela d’être Gobelin. C’est pour cela que nous sommes nés.

Loks vit un pied nu partir vers son torse et le bloqua juste à temps. Elle sentit l’impact, alors qu’elle s’écrasa trois mètres plus loin. Son bras était cassé. Elle déboucha une potion avec ses dents et la versa sur l’os, le maintenant en place alors que le Chef des Crocs Rouges chargea.

Une autre potion. Loks la vida et pointa du doigt. Du feu jaillit de ses doigts et frappa le Gobelin en plein torse. Il hurla alors que les flammes l’embrasèrent, mais continua de courir.

De la foudre. Loks esquiva et roula entre ses jambes alors que le Chef des Crocs Rouges asséna son épée. Il manqua, mais se retourna pour trancher trois Gobelins qui foncèrent vers lui. Un Hob essaya de se mettre sur son chemin ; le Chef le transperça sans même regarda dans sa direction.

Les voix dans la tête de Loks l’urgeait de faire la même chose alors qu’elle leva son épée, et elle savait que l’autre Chef entendait les mêmes mots.

Bats-toi. Bats-toi ! BATS-TOI. Bats-toi ou meurs ! Tue ou meurt !

Ils chargèrent, une dernière fois. Mais en le faisant, Loks entendit une autre voix. Cette dernière était silencieuse, mais elle parla dans son esprit, une voix plus jeune, datant d’une vingtaine d’années. La voix d’un Roi. Qui lui murmura.


Ce n’est pas qui nous sommes.


Cela la fit douter. Loks hésita alors que l’autre Chef lui hurla dessus. Elle entendit la voix dans sa tête, plus fort que le reste.


Souviens-toi.

Et elle leva les yeux vers le Chef de la Tribu du Croc Rouge…

Et roula dans l’un des trous.

Il était assez proche pour que Loks puisse directement tomber au centre du trou. Elle vit les pics de bois s’approcher vers elle, aiguisée…

Et sentit l’un d’eux frôlé ses côtes. Mais elle était petite, et une douleur brûlante n’était pas différente de l’impact de la chute. Loks se releva rapidement, et vit le Chef. Il était en train de se tenir aux abords du trou, les yeux en feu.


Couarde !

Il bondit. Comme elle savait qu’il allait le faire. Les Gobelins autour d’elle s’éloignèrent, mais Loks attendit. Elle sentit l’impact, et vit le Chef rugir d’agonie alors que le pic l’empala. Mais il était déjà en train d’abattre son épée vers elle avant qu’elle ne puisse cligner des yeux.

Son bouclier…

L’impact déchira le métal et l’envoya voler contre l’un des murs de terre du trou. Elle tomba, étourdie, alors que le Chef des Crocs Rouges s’avança vers elle.


Toi.

Il toussa et arracha la lance de bois de son flanc. Il regarda son sang, et tendit la main et attrapa Loks. Elle lui donna faiblement des coups de pieds alors qu’il la souleva. Elle tendit la main vers sa ceinture alors qu’elle sentit le monde s’obscurcir.

Le Chef leva son épée et regarda autour de lui. Ses guerriers étaient en train de mourir. Il était seul dans le trou avec Loks, mais des Gobelins étaient déjà en train de s’approcher avec des arcs et des flèches. Il avait perdu, mais Loks était morte.


Comment. ? Comment peux-tu être aussi petite et faire autant de chose ?


Loks croisa son regard. Elle sentit le verre froid dans sa paume. Elle serra les dents, et parla.


Je suis Gobeline. Je suis petite. Mais je vous prends de haut.


Puis elle leva la jarre et la brisa au-dessus d’eux. De l’acide tomba, couvrant Loks et le Chef. Ils hurlèrent, et Loks tomba au sol, agonisante.

Brûlant. Douleur. Mort.

Loks ne pouvait pas voir. Elle pouvait à peine penser. Mais ses mains tâtonnèrent sa ceinture, vers sa seule chance de survie. Le verre était froid, et elle le brisa sur son visage, ignorant les bris de verre.

De la douleur. Mais soudainement sa peau fondante était aussi en train de se reformer. Loks sentit sa peau fondre et se régénérer en même temps. Elle hurla, un son guttural, et brisa une autre potion sur sa tête, nettoyant l’acide.

La douleur continua, s’imprégnant dans sa mémoire et dans son âme. Mais éventuellement, elle disparue suffisamment pour reprendre conscience du monde autour d’elle. Loks se rassit, hurla, et se leva.

Elle devait… Elle devait…

Le Chef de la Tribu du Croc Rouge gisait au sol, silencieux et fumant alors que l’acide dévora sa chair. Loks le regarda. Elle hésita, puis retira le bouchon de sa dernière potion avant de la vider sur sa tête.

Le bruit de la chair dissoute cessa. Loks vit la chair recommencer à recouvrir l’os, et elle pria pour qu’il ne soit pas trop tard. Mais elle vit le chef de rasseoir, et se lever pour mettre la main à sa propre ceinture.

Une seconde potion reforma ses muscles et sa chair, et puis il se dressa devant elle, soigné, et silencieux. Le Chef de la Tribu du Croc Rouge baissa les yeux vers Loks, mais elle fut la première à parler.


J’ai gagné.


Il la regarda. Puis il secoua la tête.


Une victoire. Cela n’arrivera pas deux fois.

Loks haussa les épaules.


Une victoire est tout. Pas de seconde fois.


Pendant une seconde, elle pensa que le Chef allait prendre son épée et la transpercer. Son visage était dépourvu d’expression, ses yeux fixés sur son visage. Puis le grand Gobelin sourit, et grimaça alors que sa chair recommença à se former autour de ses lèvres.


Vrai. Tu es Chef. La Tribu du Croc Rouge se soumettra.


Il leva son poing et hurla dans la nuit.


Tribu des Plaines Inondées plus forte ! Arrête de vous battre !


Autour de la vallée, des Gobelins abaissèrent lentement leurs armes, et même une poignée de Loups Carnassiers arrêtèrent de bouger. Le Chef de la tribu du Croc Rouge sortit du trou, et répéta ses mots aux Gobelins choqués. Ses guerriers survivants hésitèrent, et le suivirent. Les Gobelins de Loks répétèrent l’annonce, et la nuit fut pleine de voix. Loks se tint au milieu, écoutant les rugissements.

Le Chef regarda Loks, désormais sérieux.


Tu as gagné. Tu étais la plus forte, Chef.


Loks y réfléchit. Elle regarda les morts, les nombreux mourants, et repensa à tout ce qui était arrivé. Et puis elle regarda le Chef des Crocs Rouges et sourit.


Menteur.


***


Ce n’était pas juste. Tu m’as laissé gagner.


Ce fut ce que Loks dit après que la bataille se termina et que ses Gobelins étaient soit en train de reprendre des forces, soit en train de s’occuper des morts. Elle regarda le Chef des Crocs Rouges alors qu’il s’accroupit prêt d’un feu. Elle n’était pas méfiante, juste curieuse.

De prêt, il ressemblait à une sorte de dieu de guerre Gobelin. Ses cicatrices brillaient à la lumière, et son épée rouge était magnifique, trop bien forgée pour un Gobelin. Son loup géant était allongé prêt du feu, regardant Loks alors qu’il avait le regard perd dans les flammes.

Le Chef leva la tête. Il avait dit son nom à Loks. Garen. C’était… Un nom étrange. Ce n’était pas un nom de Gobelin. Mais Garen Croc Rouge était une légende, et Loks était certaine, oui, certaine qu’elle n’aurait pas dut gagner. Même avec un millier de Gobelins contre ses soixante.


Tu as fait semblant de perdre.


Il leva les yeux du feu et secoua la tête.


Pas prétendu. Testé. Tu as gagné. Je ne pensais pas que tu allais le faire.

Pourquoi ?


Il s’arrêta.


Doit avoir bon Chef. Doit avoir meilleur chef que moi.


C’était une explication, mais elle n’était pas satisfaisante. Loks avait vu Garen se battre. Il était un excellent leader, et un guerrier sans faille. Elle le lui dit, et il rit.


Je ne suis pas assez Gobelin. Pas assez pour mener tous les Gobelins.


Elle ne comprit pas cette partie, mais après tout, Loks était pratiquement en train de dormir debout, épuisée par le soin et la bataille. Elle pouvait poser la question plus tard, et elle sentit qu’il lui dirait. Il s’était incliné, et, plus fort ou non, elle était désormais en charge. Elle était désormais à la tête de l’intégralité de la Tribu du Croc Rouge et de toutes ses petites tribus. Elle ne l’avait pas encore réalisé. Mais une fois qu’elle allait rejoindre le gros de la tribu…


Petite Gobeline. Chef. Quel est ton nom ?


Loks redressa la tête, et réalisa qu’il lui posait la question. Aucun Gobelin ne lui avait posé cette question. Elle hésita, et secoua la tête.


Pas de shaman. Pas de nom.


Il fronça légèrement les sourcils.


Pas de nom porte malheur. Doit en avoir un.


Loks hésita de nouveau. Elle le savait. Elle regarda les flammes, puis lui.


Autres ont nom pour moi. « Loks. »


Il n’y avait pas de mots pour « Loques » dans le langage des Gobelins. Loks dut lentement prononcer le mot. Garen fronça les sourcils, et rit une fois qu’il réalisa ce qu’elle disait.

« Loks ? C’est un bon nom. Bon nom pour une Gobeline. »

Il parla ! Loks était si surprise qu’il fit un pas de recul. Garen venait de parler ! Pas avec le langage des Gobelins, mais celui des Humains, des Drakéides et des Gnolls ! Elle pensait que cela était impossible.


Comment ? Comment parle ?


Il haussa les épaules en réponse.

« De nombreux jours d’entraînement. De nombreux, nombreux jours. Je l’ai appris quand j’étais aventurier. »


Menteur.


« Je mens pas. J’étais aventurier y’a longtemps. J’suis devenu fort. Le plus fort. »

C’était impossible. Même les plus tolérants des aventuriers tuaient les Gobelins à vue, surtout un Hob. Mais Garen sourit quand Loks le lui dit.

« Des aventuriers spéciaux. Une fois. Ils me faisaient confiance. »


Et ?


Loks était intensément curieuse, mais le visage de Garen était indéchiffrable. Il étudia le feu, et la regarda.

« Faisaient. Je faisais équipe avec eux. Puis un jour, je les ai tués. »

Loks avait soudainement des centaines de questions à poser. Elle voulait toute le lui posé, mais Garen la regarda, et elle réalisé qu’il avait quelque chose à dire.


Suis venu ici pour trouver Chef. Toi ou moi. Devons unir les tribus.

Pourquoi ?

Ennemi au Sud. Grand Ennemi. Méchant Gobelin. Seigneur des Gobelins.



Seigneur des Gobelins. Loks regarda Garen alors que les mots la frappèrent. Non. Cela était impossible. Mais s’il le disait…

Elle regarda le ciel. Le ciel nuageux. C’était une nuit paisible, maintenant que le bain de sang s’était arrêté. Mais si Garen disait vrai, cela expliquait tout. Un méchant Gobelin ? Un mauvais Seigneur des Gobelins ? Si c’était le cas, alors…

Elle regarda sa tribu. Si c’était le cas… Si un Seigneur des Gobelins était en train d’apparaître, alors cela ne voulait dire qu’une seule chose.

Cela voulait dire que toute cette mort, toute cette violence, n’était que le prélude. Un Seigneur des Gobelins était en train d’arriver, et avec lui, une guerre qui dévorera cette région.

Garen sourit, et Loks vit le feu, la guerre et la mort dans ses yeux. Elle ne pouvait pas s’en empêcher. Elle commença à rire, et sentit le monde recommencer à bouger.

Hors ligne EllieVia

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #124 le: 02 décembre 2020 à 11:57:34 »

2.28 - Première Partie
 Traduit par EllieVia



La Tribu des Lances de Pierre n’était ni la plus grande tribu Gnolle de la moitié sud du continent d’Izril, ni la plus riche, ni la plus puissante, loin de là. Elle occupait les terres les plus au nord au-dessous des Plaines Sanglantes, et parcouraient principalement les pentes rocheuses près de la chaîne de montagnes qui séparait le continent en deux.
 
La vie était difficile si loin au nord, les animaux y étaient moins nombreux qu’au sud, dans les plaines riches ou les marécages grouillant de vie. Et les dangers des montagnes ne pouvaient être ignorés ; des monstres mortels descendaient souvent les pentes de Grisrith, la chaîne de montagne révérée par les Gnolls comme un endroit où les légendes et les mythes parcouraient encore les cieux, pour trouver des proies plus faciles en contrebas.
 
Et pourtant, la tribu vivait ici, et y prospérait même, à sa façon. Ils gagnaient bien leur vie en rapportant des gemmes et d’autres minéraux de valeur des cavernes et des falaises ; les avalanches constantes et la géographie changeante faisaient qu’il était possible de trouver des gemmes proches de la surface, et de nombreux Gnolls de leur tribu s’étaient spécialisés dans des classes de [Mineur].
 
Tout le monde aimait les objets brillants. Les Gnolls, les Humains, et surtout les Drakéides. Leur ascendance partagée avec les Dragons permettait aux membres de la Tribu des Lances de Pierre de vendre des pierres précieuses dans les villes Drakéides au prix fort, ce qui leur permettait d’acheter de la nourriture et des provisions lorsqu’elles venaient à manquer.
 
Mais cela signifiait aussi que la majeure partie de la tribu devait passer son temps à creuser ou à chercher des filons, loin du camp principal. S’aventurer sur les pentes était trop dangereux pour leurs jeunes et leurs anciens, et la plupart des adultes et des guerriers partaient pour de longues expéditions tandis que les jeunes et quelques guerriers expérimentés restaient derrière avec la tribu, en territoire sûr.
 
C’était là que se trouvait la Tribu des Lances de Pierre en ce moment, au milieu d’un terrain enneigé loin de la forêt lointaine ou du pied des montagnes au nord et à l’ouest. C’était une terre exposée, ce qui voulait dire que le vent glacial pouvait être agressif, mais les solides huttes que les Gnolls avaient construites les protégeaient du mauvais temps, et de plus, ils pouvaient surveiller de cette manière tous les dangers susceptibles d’approcher à des kilomètres.
 
Le petit campement grouillait d’activité alors qu’il était encore très tôt. Les plus vieux Gnolls étaient occupés à tanner des peaux, s’occuper des feux de cuisine, ou d’empenner des flèches et d’écorcher le gibier pour pouvoir le préparer plus tard. Il n’y avait pas de gaspillage dans une tribu de Gnolls.
 
De jeunes Gnolls, des créatures maladroites couvertes de poils qui se baladaient aussi bien à quatre pattes que sur leurs deux jambes et donnaient des coups de crocs et se fourraient dans les ennuis un peu partout dans le campement étaient la seule exception à leur efficacité. Ils avaient à peu près le champ libre pour faire tout ce qu’il leur plaisait… tant que cela n’impliquait pas de traîner dans les pattes ou de s’attirer trop d’ennuis. Les adultes et les anciens Gnolls avaient la main leste avec les enfants qui les dérangeaient et les malheureux chenapans revenaient avec les autres en geignant.
 
Les Gnolls étaient donc là, en train de travailler, occupés à vivre un nouveau jour ordinaire. Ils avaient grossièrement disposé leurs tentes en cercle pour aider à mitiger les bourrasques. La plus grande tente avait été montée plus proche du centre et permettait à toute la tribu de se rassembler et de prendre les repas ensemble, ou de prendre les décisions importantes. Un grand feu brûlait devant, entouré de pierres afin qu’aucune flamme ne puisse venir dévorer les tentes de peau et de bois.
 
Et là, devant le feu, se tenait une Humaine. Elle sortait du lot au milieu du campement affairé, déjà parce qu’elle n’avait pas de fourrure, mais aussi parce qu’on aurait dit qu’elle venait de survivre à une guerre.
 
Ryoka Griffin était assise sur un tapis de laine grossière, et frissonnait, le regard dans le vague. Elle regardait devant elle, le regard vide. Les yeux fatigués. Elle était très, très…
 
Fatiguée.
 
Une semaine s’était écoulée depuis le jour où Ryoka était partie de l’Auberge Vagabonde. Et la Ryoka assise en ce moment même au centre du campement Gnoll n’était pas la même que celle qui en était partie.
 
Elle était blessée. Le visage de Ryoka, son cou - toute la peau exposée à l’air libre et qui n’était pas recouverte par des vêtements était rouge et à vif. Elle avait enlevé ses vêtements les plus épais pour dénuder ses bras et ses jambes, et ses membres étaient couverts de coupures par endroits et de taches jaunes, noires ou violettes à d’autres. Elle avait des piqûres sur sa jambe droite et de fines coupures peu profondes sur le côté gauche de son corps et de son visage. Ce dernier avait l’air à moitié écorché.
 
Et elle était épuisée. Les yeux de Ryoka étaient entourés de cernes profonds, et son regard était creux, marqué par le désespoir. Elle leva à peine la tête lorsque le Cheftain Gnoll de la tribu des Lances de Pierre s’approcha d’elle, un bol entre les mains.
 
“Hrm. Tiens.”
 
Il se pencha, et s’assit en tailleurs à côté de Ryoka en posant le bol devant elle. Ryoka y jeta un regard dépourvu d’intérêt, et y vit une pâte d’un marron grisâtre tachetée de rouge mélangé à ce qui ressemblait à… un poisson.
 
Oui, c’était un poisson, une truite ou l’équivalent que connaissait ce monde. On aurait dit une truite ordinaire, cuite et encore fumante dans l’air glacé. Le Gnoll pointa le bol du doigt.
 
“Tiens. Mange pendant que je t’étale ceci.”
 
Ryoka hésita en levant les yeux sur le Gnoll. Elle ne l’avait rencontré que trente minutes plus tôt lorsqu’il avait aidé à la sortir de la neige. Il s’appelait… Urksh. Ryoka luttait pour s’en rappeler. Il était le Cheftain, ici, et il lui avait offert le gîte et le couvert. Elle avait été trop fatiguée et blessée pour refuser, mais…
 
“Merci. Mais vous ne devriez pas faire ça. Je suis suivie.”
 
“Mrr. Par les Esprits de l’Hiver ? Oui, c’est ce que tu nous as dit. Mais ils ne viendront pas te déranger ici, je pense. Et nous t’avons offert notre hospitalité, cela serait une mauvaise idée de nous la refuser, oui ?”
 
Ryoka haussa les épaules. Elle regarda la pâte d’un air soupçonneux en voyant le Gnoll y plonger un grand doigt poilu. Il tendit la patte vers son bras et elle s’écarta.
 
“Qu’est-ce que c’est ?”
 
“Un onguent de soin. Ce n’est pas une potion de soin, mais ça marche tout pareil, oui ? Et c’est mieux que de gâcher une potion.”
 
“Et le poisson ?”
 
“À manger. Mange. L’onguent ne lui donne pas mauvais goût.”
 
Ryoka dévisagea le Gnoll un instant, mais finit par prendre le poisson en ignorant chaleur brûlante qui manqua lui ébouillanter les doigts. Elle était affamée, et elle se mit rapidement à dévorer le poisson en recrachant les arêtes dans le feu.
 
Urksh leva sa patte et souleva précautionneusement le bras droit de Ryoka qui continuait de manger du gauche. Elle grimaça, et il ajusta sa patte pour la tenir le plus légèrement possible.
 
“Mes excuses. Mais il faut le faire, oui ?”
 
“Allez-y.”
 
Ryoka tenta d’ignorer la douleur à la fois cinglante et brûlante qui commençait à refroidir sous l’épaisse pâte que le Gnoll était en train de lui étaler sur le bras. La sensation était merveilleuse, elle courait avec la douleur depuis tellement longtemps que son absence était un pur soulagement.
 
Urksh fronça les sourcils en étudiant le bras de Ryoka. Il observa les bosses rouges circulaires sur son bras et le gonflement anormal de sa chair qui commençait à diminuer sous l’effet de l’onguent.
 
“Des piqûres de guêpes. Étrange d’en voir en hiver.”
 
Ryoka haussa les épaules, grimaça, puis brisa une arête entre ses dents. Elle se remémora la scène, et essaya de chasser l’image en prenant la parole, la bouche pleine.
 
“Une colonie n’était pas encore tout à fait morte lorsque les fées l’ont réveillée. Elles m’ont eue avant que je ne puisse m’enfuir.”
 
“Je vois. Et la peau ? Elle est trop rouge, même pour une peau humaine.”
 
“Des boules de neige. Beaucoup de boules de neige.”
 
“Hrm. Et ceci ?”
 
Délicatement, Urksh étala l’onguent sur les coupures sur le visage de Ryoka. Elle tressaillit, mais resta immobile, en mâchant son poisson chaud.
 
“Des aiguilles de glace. Elles ont fait exploser un tas de stalactites pendant que je passais devant.”
 
Le Gnoll se rassit et fronça les sourcils. Ryoka soupira en sentant la douleur irradiant de ses bras et de ses jambes commencer à s’apaiser. Elle se demanda s’il allait lui demander d’enlever son t-shirt et son pantalon pour pouvoir soigner le reste de son corps, elle avait bien assez d’ecchymoses pour que ce soit nécessaire, mais elle ne savait pas si les Gnolls reconnaissaient seulement la nudité humaine.
 
Mais Urksh était plus intéressé par les cieux. Il regarda en l’air, cherchant peut-être les Fées de Givre. Il n’y avait pas l’air d’y en avoir dans le ciel au-dessus de leurs têtes, mais Ryoka avait appris qu’elles n’étaient jamais loin. Il secoua la tête en examinant les blessures de Ryoka.
 
“Nous connaissons bien les Esprits de l’Hiver. Ils apportent la neige et parfois du grésil. Mais ils ont beau jouer des tours, je ne les ai jamais vus attaquer ainsi. Se défendre, oui, et causer des ennuis, mais jamais une telle misère.”
 
“Ah ça, je suis un cas particulier.”
 
“Hm. De toute évidence, oui ? Qu’as-tu donc fait pour les mettre en colère ? Même ceux qui tirent des flèches de fer sur les fées avec du fer n’engendrent jamais un tel courroux.”
 
Ryoka sourit, ou plutôt, dénuda ses dents.
 
“J’en ai frappé une.”
 
“Hr.”
 
L’Humaine se tourna vers le Gnoll, et le Gnoll la dévisagea, ses deux sourcils bourrus levés.
 
“Ça doit être une sacrée histoire.”
 
“Oui.”
 
Ryoka soupira. Elle avait vaguement expliqué ce qu’il s’était passé lorsque les Gnolls l’avaient secourue dans la congère, mais il était temps de raconter le reste.
 
“Pour résumer… je défendais une amie des Esprits de l’Hiver et j’ai dû en frapper un pour les faire s’arrêter.”
 
“Intéressant. Ton amie, c’était une demie-Elfe, oui ?”
 
“Oui. Ils ne s’entendent pas très bien avec les Fées de Givre.”
 
“Non. C’est connu. Mais leur animosité envers toi… c’est inquiétant, oui ?”
 
Ryoka ferma les yeux.
 
“Ouaip. C’était une erreur.”
 
Une erreur. Quel euphémisme. Ryoka frissonna en essayant de s’empêcher de se remémorer de nouveau. Urksh la regarda d’un air compatissant.
 
“Combien de temps penses-tu qu’elles vont te poursuivre ?”
 
“Un mois ? Un an ? Mille et un jours ? Jusqu’à ce qu’elles se lassent, j’imagine. Ou jusqu’à ce que je meure.”
 
Silence. Le Gnoll contempla Ryoka, assise devant le feu crépitant. De la chaleur. Elle avait presque oublié cette sensation après tant de jours à courir dans le froid.
 
“Cela ne me paraît pas juste.”
 
“Ce n’est pas une question de justice. Elles veulent se venger et elles obtiendront leur vengeance. Les lois, la pitié… elles n’ont cure de ce que pensent les gens. Elles font ce qu’elles veulent, et elles veulent que je souffre.”
 
Ryoka sourit à moitié.
 
“J’envie ce genre de mentalité.”
 
Là encore, le Cheftain des Lances de Pierre marqua une pause. Ryoka savait que c’était quelqu’un d’important - ou du moins, autant que n’importe quel Cheftain pouvait l’être. Elle n’aurait pas su dire à quel point il était important par rapport à, disons, Zevara, la Capitaine de Liscor, mais elle n’était plus capable de diplomatie en ce moment. Elle était juste épuisée.
 
“La tribu des Lances de Pierre t’a offert sa protection, et tu l’auras. La plupart de nos guerriers sont partis miner dans les montagnes, mais notre tribu est puissante, et nous avons du feu et du fer.”
 
“Cela ne suffira pas. Sérieusement, juste… si les fées reviennent, ne les embêtez pas. Vous ne pouvez même pas les voir, pas vrai ?”
 
“Elles sont… ténues. Et elles n’ont pas d’odeur. Mais nous avons promis…”
 
Ryoka éclata de rire.
 
“Je respecte cela, mais vous ne pouvez rien y faire.”
 
Elle contempla le feu, se remémorant à présent. Les Fées de Givre. Elles l’avaient pourchassée dès le jour où elle avait quitté Liscor, sans merci ni relâche.
 
“Je cours depuis plus d’une semaine à présent, sans m’arrêter. Depuis Liscor.”
 
“C’est loin.”
 
“Oui, mais tu sais quoi ? En descendant ici, je n’ai jamais croisé un seul monstre. Pas un.”
 
“C’est…. étrange en effet.”
 
“Pas si étrange que ça. Ce sont les Fées de Givre. Elles ont effrayé toutes les créatures dans un rayon de plusieurs kilomètres autour de moi.”
 
Urksh fronça les sourcils en dévisageant Ryoka, comme s’il voulait douter de ses paroles.
 
“Je ne savais pas qu’elles avaient un tel pouvoir. Ce sont les esprits de l’hiver et elles peuvent amener le froid, mais il y a beaucoup de créatures dangereuses ici.”
 
Là encore, Ryoka éclata d’un rire amer.
 
“As-tu déjà vu une Wyverne se faire tuer par une horde de fées ? Elles ont gelé cette maudite créature à trois kilomètres au-dessus de ma tête.”
 
Ryoka n’avait qu’eu le temps d’entendre un cri perçant au-dessus d’elle lorsque la créature à moitié morte s’était écrasée au sol à quelques mètres devant elle. La Wyverne était une bête énorme, presque trois fois plus grande qu’elle - un Dragon mineur sans griffes et avec des écailles d’un violet sombre.
 
Elle n’avait aucune idée de comment cette dernière parvenait à décoller du sol ; l’impact qu’avait fait la Wyverne en heurtant la roche l’avait jetée au sol. Pire, les fées n’avaient pas vraiment tué la bête, et elle avait lentement repris conscience et avait commencé à bouger tandis que le givre fondait, avait regardé autour d’elle et vu qu’il y avait un bon goûter à deux pas d’elle qu’elle pouvait manger pour se réchauffer.
 
“Je n’ai fait que les fuir, elles et rien d’autre. Je ne peux pas les semer, en revanche, et elles ne veulent pas me tuer. Elles veulent simplement me voir souffrir.”
 
Oui, souffrir. Les Fées de Givre se délectaient de la colère et de l’agacement de Ryoka. Depuis qu’elle en avait frappé une. Depuis ce moment, sa vie n’avait été qu’une succession de tourments.
 
***


Ryoka avait su qu’elle avait faut une erreur lorsqu’elle avait frappé cette fée à l’auberge d’Erin, mais qu’était-elle censée faire à la place ? Elle avait été en train de défendre Ceria, et elle n’avait aucun regret là-dessus. De plus, elle avait une livraison importante à faire pour Teriarch dans tous les cas.
 
Elle avait donc couru. Couru hors de l’auberge et à travers la neige, le plus vite possible. Au début, les fées s’étaient contentées de la suivre, en lui jetant des pelletées de neige, en lui hurlant dans les oreilles et en lui gelant la peau. C’était à la fois agaçant et douloureux, mais Ryoka avait été soulagée qu’il ne se passe rien de plus.
 
Puis la situation avait empiré.
 
Elle avait rapidement traversé le paysage gelé, franchissant la frontière sud des Plaines Sanglantes après quatre jours à se faire bombarder de neige aléatoirement. La première nuit, les Fées de Givre avaient versé de l’eau glacée sur Ryoka pendant son sommeil. Sa température corporelle avait chuté tellement vite qu’elle avait presque dû se coucher sur son feu de camp pour se réchauffer.
 
La deuxième nuit, elles étaient parvenues d’une manière ou d’une autre à soulever des charbons ardents de son feu de camp pour les lui jeter dessus pendant qu’elle dormait. Elle avait soigné ses brûlures en utilisant avec parcimonie ses potions de soin, mais elle avait cessé de s’en servir les jours suivants - si elle avait dû soigner chaque coupure et chaque bleu qu’elle recevait, elle aurait terminé sa petite provision de potions dès le deuxième jour.
 
Chaque jour, Ryoka s’était levée, avait mangé, couru, tout en se faisant harasser par une à au moins quarante fées d’un coup. Elles lui jetaient des boules de neige - cela semblait être leur mode de tourment par défaut lorsqu’elles n’avaient plus d’idées - mais elles pouvaient s’avérer créatives. Certaines prenaient des brindilles pour titiller Ryoka sans arrêt, tandis que d’autres lui soufflaient du vent au visage, ou trouvaient des choses terriblement odorantes à lui faire tomber dessus.
 
Pendant sa course, Ryoka avait connu tous les plus motifs météorologiques de l’hiver les plus désagréables qu’on puisse imaginer. Des averses de neige aveuglantes qui la faisaient dévier de sa trajectoire et rentrer dans broussailles, des pluies diluviennes qui lui volaient sa précieuse chaleur corporelle, de la grêle - et, parfois, à des moments bénis, les fées se lassaient et cessaient de l’embêter pendant quelques heures. Mais elles revenaient toujours avec de nouvelles farces.
 
Ryoka avait tenté de les ignorer, tenté de poursuivre sa course. La pierre que lui avait donnée Teriarch pointait plus loin au sud et au large à l’ouest des Plaines Sanglantes et elle avait donc gardé ce cap malgré les interférences de fées, traversant l’hiver d’un pays aux merveilles.
 
C’était un monde magnifique que voyait Ryoka, malgré les insectes de glace volants qui le ternissaient. Le paysage qui défilait devant ses yeux n’avait jamais été industrialisé ou pavé par des machines. Et tout ici était tellement vaste ! Les forêts qu’elle parcourait étaient remplies de conifères imposants bien plus hauts que le plus haut sapin de Noël qu’elle n’ait jamais vu, et elle avait traversé des champs ouverts recouverts de neige sur lesquels un paysan aurait pu conduire son tracteur pendant toute une journée sans en atteindre le bout.
 
Le sixième jour, Ryoka traversa un lac gelé si vaste, si immense qu’elle fut obligée d’y monter sa tente. Elle n’avait même pas compris que c’était un lac jusqu’à ce que son feu de camp ne se mette à en faire fondre la surface. Les Fées de Givre ne lui avaient rien fait ce jour-là, mais elles avaient soufflé toute la neige le lendemain pour que les rayons du soleil rendent la glace glissante et traître.
 
Courir sur presque seize kilomètres sur de la glace gelée l’avait couverte de bleus. Mais ce n’était qu’une misère qui s’ajoutait à sa collection déjà conséquente.
 
Ryoka avait ensuite quitté les basses terres pour commencer son ascension, suivant la roche le long des pentes ondulées, de plus en plus haut. Ces sessions d’escalade presque quotidiennes n’étaient pas pire que certaines des courses qu’avait réalisées Ryoka, mais cela signifiait que les fées pouvaient jouer à des jeux encore plus dangereux. Elles créaient de gigantesques boules de neige et les faisaient rouler sur Ryoka - la neige poudreuse la frappait suffisamment fort pour la faire tomber. Pire encore, les fées faisaient parfois geler des pentes particulièrement difficiles pour qu’elles soient recouvertes d’une couche de glace lisse. Ryoka glissait alors jusqu’au bas de la pente, en hurlant des malédictions qui faisaient rire les fées en se tenant les côtes.
 
Ce n’était toutefois pas le pire, non. Une nuit, Ryoka s’était réveillée tandis que les fées lui lâchaient une grosse masse grouillante dessus. Elles avaient récolté tous les insectes qu’elles avaient pu trouver, et la masse de bestioles mécontentes avait recouvert Ryoka, en la mordant ou en essayant simplement d’entrer dans sa bouche.
 
Un supplice.
 
Mais Ryoka avait refusé d’abandonner. Elle était restée en mouvement, avait continué de courir, en essayant d’éviter d’épuiser son stock de potions de soin. Elle avait continué sa route, serrant les dents lorsque les fées défaisaient les lanières de ses bottes, ou nouaient ses lacets. Elle ignora leurs insultes, leurs assauts répétés contre sa dignité. Jusqu’à ce qu’elle atteigne presque son point de rupture.
 
C’était arrivé le jour où Ryoka s’était rendue compte que les fées avaient volé tous ses vêtements pendant la nuit et les avaient tous accrochés en haut d’un arbre particulièrement haut. Elle avait… craqué.
 
Elle avait hurlé, jeté des cailloux, pollué l’air de tous les jurons qu’elle avait pu trouver. Les fées avaient ri et voleté autour d’elle tandis que Ryoka essayait d’écraser leurs petites têtes.
 
Après cela, Ryoka avait tout simplement abandonné. Elle s’était assise par terre, dévastée, convaincue que dès l’instant où elle essaierait de monter à l’arbre pour récupérer ses affaires, les fées se contenteraient de la faire tomber en faisant souffler le vent ou en brisant une branche sur laquelle elle se trouverait. Elle avait abandonné, et était restée assise dans la neige, ignorant leurs remarques et leurs tentatives pour attirer son attention. Puis un miracle s’était produit.
 
Les Fées de Givre étaient parties.
 
Peut-être qu’elles s’ennuyaient, peut-être - peu probable, mais peut-être - qu’elles avaient eu une once de pitié pour elle, ou peut-être que, plus plausiblement, elles avaient vu quelque chose d’intéressant. Tout ce que savait Ryoka, c’est que lorsqu’elles étaient parties, et lorsqu’elle avait été certaines qu’elles n’étaient pas juste en train de se cacher pour briser ses espoirs, elle avait récupéré ses affaires et s’était remise à courir avec bonheur, profitant de ce répit.
 
Les fées étaient revenues lorsqu’elle s’était sentie mieux, trois jours plus tard. Et lorsqu’elles la retrouvèrent, elles ne lui accordèrent pas plus de répit qu’auparavant. Ryoka avait toutefois continué de courir, courir jusqu’au jour où elles avaient décidé de jeter le plus possible de neige sur elle, l’enterrant sous une énorme congère. Elle avait cru que c’était la fin, jusqu’à entendre un grattement et vu un visage poilu venir l’observer d’un œil curieux au-dessus d’elle. Le Gnoll avait grogné quelque chose, puis d’autres sons étaient apparus, et de la lumière et de la chaleur et…
 
Pof.
 
Ryoka s’arracha à ses souvenir et regarda autour d’elle. S’était-elle endormie ? Elle était assise devant le feu de camp des Lances de Pierre, mais du temps s’était écoulé, le bol d’onguent était vide, le poisson n’était plus qu’un tas d’arêtes noircies dans le feu et une petite Gnolle était assise à côté d’elle, examinant le visage de Ryoka d’un air curieux.
 
“Quoi ?”
 
La jeune femme cligna des yeux en se tournant vers la jeune Gnolle. Elle était jeune, et c’était une Gnolle, sauf s’il existait également des nains Gnolls. Mais Ryoka pensait que c’était une enfant, de tout façon, parce que la jeune Gnoll avait chez elle ce mélange de curiosité et d’énergie sans limite qui apparaissait parfois chez les enfants. Et elle regardait Ryoka.
 
“Hrr ?”
 
La Gnolle tendit un doigt poilu et toucha le flanc de Ryoka avec précaution. Ce n’était pas méchant, mais les Gnolls avaient des griffes, même les petits. Ryoka tressaillit, et la Gnolle recula vivement.
 
“Arrête.”
 
Soit l’enfant Gnolle ne la comprenait pas, soit elle s’en fichait. Ryoka vit la Gnolle sortir de son champ de vision, mais refusa de tourner la tête. Elle contempla de nouveau le feu, puis sentit quelque chose lui piquer le dos.
 
Pof, pof.
 
Un tic agita l’œil gauche de Ryoka. La jeune Gnolle avait l’air ravie, et elle tendit la patte pour piquer de encore une fois Ryoka.
 
Stop.”
 
La patte inquisitrice de la jeune Gnolle se retrouva soudain dans la main de Ryoka qui venait de se retourner vivement pour lui attraper la main. La Gnolle dévisagea Ryoka, les yeux écarquillés.
 
Ryoka plongea son regard dans deux yeux terrifiés et eut l’impression d’être un monstre. Elle relâcha l’enfant. Tous les poils de la jeune Gnolle se redressèrent et… elle s’enfuit, en glapissant comme un chien.
 
“Hrm. Mes excuses. Mrsha est jeune et elle ne connaît pas encore les limites.”
 
La fille leva les yeux et vit Urksh en train de s’approcher d’elle, un autre bol dans les mains. Celui-ci était plein d’une espèce de pain plat et de lentilles. L’estomac de Ryoka gronda et elle se leva, des fourmis dans les jambes, pour s’adresser au Gnoll.
 
“Je suis… désolée. Je ne voulais pas lui faire peur.”
 
Le vieux Gnoll haussa les épaules.
 
“Il vaut mieux avoir peur qu’être trop confiant, oui ?  Elle reviendra à la charge plus vite que tu ne l’aurais souhaité. Mais sa curiosité a eu du bon aujourd’hui, je pense.”
 
“Comment ça ?”
 
Urksh pointa du doigt, et Ryoka se retourna pour examiner le campement bourdonnant d’activité. Mrsha, le jeune Gnolle, se cachait derrière l’une des tentes. Elle disparut lorsque Ryoka croisa son regard.
 
“C’est elle qui t’a trouvé, oui ? Les plus jeunes ont les meilleurs nez. Elle t’a flairée pendant que les autres récoltaient de la nourriture.”
 
Ryoka fronça les sourcils en voyant une queue touffue dépasser de derrière une tente. Apparemment, ce nez-là avait un odorat tellement développé qu’il avait pu sentir Ryoka sous un mètre cinquante de neige.
 
“Eh bien, je suis… reconnaissante. Ah, est-ce que les fées… ?”
 
“Nous ne les avons pas revues depuis qu’elles t’ont quittée. Ne t’inquiète pas. Tiens, mange. Il faut que tu reprennes des forces.”
 
Le Cheftain tendit le bol à Ryoka, et s’assit à côté d’elle. Ryoka mangea, mal à l’aise, et essaya de discuter. Elle avait beaucoup de questions et le Cheftain Gnoll était un hôte gracieux, mais au bout de quelques minutes, Ryoka sentit un picotement dans sa nuque.
 
Ce n’était pas inhabituel, la plupart des Gnolls l’observaient dans son dos. Mais une seule d’entre eux était vraiment assez brave pour venir lui piquer le cou d’une griffe à titre expérimental.
 
Ryoka se tourna.
 
“Quoi ?”
 
Mrsha se figea en tendant la patte vers l’une des oreilles de Ryoka. Urksh gronda et lui dit quelque chose dans la langue des Gnolls - Mrsha s’enfuit de nouveau. Ryoka se retourna vers le Cheftain et accepta ses excuses, mais cinq minutes plus tard, la petite Gnolle était revenue, se cachant cette fois-ci derrière une peau en train de sécher pour observer Ryoka.
 
Elle était d’une curiosité insatiable. Pas seulement au sujet de la peau de Ryoka, mais de ses cheveux et de ses vêtements aussi. Les Gnolls s’habillaient légèrement, même en hiver, et les couches de vêtements de Ryoka fascinaient la jeune Mrsha.
 
“Mes excuses, Ryoka Griffin. Ses parents sont tous les deux des guerriers qui protègent les [Mineurs], oui ? Nous devons la surveiller et elle est très intéressée par toi, je pense.”
 
Urksh se rassit près du feu après avoir chassé encore une fois Mrsha. Ryoka hocha la tête. Elle avait eu un bon aperçu de la vie des Lances de Pierre, et elle était curieuse au sujet des Gnolls de manière générale.
 
“Est-ce que tous les Gnolls vivent au sein de tribus ?”
 
La Cheftain parut surpris par sa question. Il hésita.
 
“Certains, non. Ils vivent en ville, oui ? Ils ont abandonné leurs tribus et sont donc des étrangers, mais nous parlons avec eux. Pourquoi ?”
 
Pourquoi ? Ryoka faillit sourire. Elle avait le corps rempli de bonne nourriture, de chaleur, et du soulagement ne pas se faire traquer. Et elle était assise aux côtés d’une espèce similaire aux Humains mais tellement différente de tant de façons. Pourquoi ? Pourquoi tout. Elle voulait tout savoir sur les Gnolls et leur mode de vie.
 
Mais Ryoka était tellement fatiguée qu’une fois son repas terminé, elle tombait déjà de sommeil. Urksh sourit.
 
“Nous aurons encore le temps de parler demain, oui ? Pour le moment, accepte notre hospitalité, Ryoka Griffin.”
 
Il la conduit à travers le camp à une tente que les Gnolls lui avaient préparée. C’était une haute construction circulaire qui lui faisait penser aux yourtes Mongoliennes. Elle entra à l’intérieur d’un pas mal assuré, et s’endormit immédiatement.
 
***

Le jour suivant, Ryoka se réveilla à cause d’une sensation désagréable - presque comme si quelqu’un était en train de lui frotter un torchon sur le visage. Elle ouvrit les yeux et se redressa - et tomba nez-à-nez avec deux yeux marrons en train de la dévisager.
 
Oh bordel !
 
La petite Gnolle bondit et s’enfuit ventre à terre lorsque Ryoka s’assit au bord du lit. Sa petite chambre était complètement sens dessus dessous, et lorsque Mrsha souleva le rabat de la tente, Ryoka vit que l’enfant Gnolle lui avait piqué des affaires. Ou plutôt, elle portait quelques affaires de Ryoka.
 
“Rends-moi mon soutien-gorge.”
 
Mrsha regarda timidement Ryoka, le soutien-gorge pendant lâchement devant sa propre poitrine. Elle avait réussi on ne savait comment à l’enlever à Ryoka pendant son sommeil, ainsi que le reste des vêtements de Ryoka dans lesquels elle s’était endormie. Elle avait pris tous les vêtements de Ryoka et ce n’était qu’un coup de chance qu’elle ne lui ait pas enlevé ses sous-vêtements.
 
“Mrsha. Rends. Moi. Ça.”
 
La Gnolle hésita. Elle regarda Ryoka, puis le rabat de la tente, puis Ryoka, puis glapit lorsque la fille fondit sur elle.
 
Les Gnolls de la tribu des Lances de Pierre virent Mrsha bondir hors de la tente de l’Humaine tôt le matin, suivi de près par l’humaine en question. Ryoka surgit de derrière le rabat et attrapa Mrsha qui essayait de s’échapper.
 
Ce fut difficile de reprendre son soutien-gorge à la petite Gnolle sans rompre le tissu ou blesser l’enfant qui s’attendait clairement à se faire rosser vue la façon dont elle se luttait pour s’enfuir. Mais au bout d’une minute, Ryoka avait réussi à récupérer son soutien-gorge, et se redressa… avant de réaliser qu’elle aurait peut-être dû mettre un autre soutien-gorge et quelques vêtements avant d’aller chercher celui qui lui manquait.
 
La moitié des jeunes Gnolls du campement regardaient Ryoka d’un air avide, tout comme quelques Gnolls plus âgés, même si certains restaient assez polis pour détourner le regard. Mais tous les adultes pouffèrent de rire, sauf Urksh, qui fronça les sourcils et partit à la poursuite de Mrsha.
 
Ryoka repartit d’un pas lourd vers sa tente et en émergea quinze minutes plus tard, entièrement vêtue, à la grande déception de certains Gnolls. Urksh l’attendait, avec une Mrsha boudeuse en train d’aider à enlever les arêtes d’un poisson sous l’œil attentif d’un vieux Gnoll.
 
“Toutes mes excuses, encore une fois. J’espère que ton sommeil n’a pas été interrompu jusqu’à maintenant ? Nos sentinelles n’ont rien vu cette nuit, et nous avons allumé d’autres feux. Ils devraient éloigner les esprits, oui ?”
 
Peut-être. Ryoka ne put que hausser les épaules. Elle ne connaissait aucun moyen d’éloigner les Fées de Givre, à part ne pas les inviter quelque part. Erin avait dit que Pisces avait tenté de les effrayer avec du feu et qu’elles avaient failli brûler l’auberge.
 
“Il faut que tu manges. Tiens.”
 
Le Gnoll tendit un nouveau bol à Ryoka, cette fois-ci rempli d’une soupe de poisson et d’un accompagnement de bœuf séché. Elle le mangea avec reconnaissance, même si la présence d’un accompagnement de viande avec le poisson titillait Ryoka. Est-ce que les Gnolls considéraient le poisson comme un équivalent des légumes ou quelque chose dans le genre ?
 
Ryoka venait de finir de racler le fond de son bol avec une cuillère en bois lorsqu’elle entendit des reniflements. Elle vit Mrsha assise à côté d’elle, en train de renifler ses cheveux d’un air curieux. La Gnolle recula à quatre pattes d’un air inquiet lorsque Ryoka se retourna, mais la fille se contenta de pousser un soupir.
 
“C’est bon.”
 
Elle n’était même pas si en colère que ça contre la petite Gnolle. Ryoka soupira en essayant de mâcher la dure viande séchée. Elle ne détestait pas les enfants ; c’était simplement qu’elle ne savait pas comment les gérer. Elle ignora donc la Gnolle de son mieux tandis que la petite tournait autour de Ryoka pour la renifler, la toucher, la tâter et même la lécher, à un moment.
 
“Arrête.”
 
Ryoka poussa la petite Gnolle, et sentit son corps lourd se déplacer de quelques millimètres. Même les petits Gnolls étaient lourds. Elle fronça les sourcils en la dévisageant, et vit alors que pour une fois, l’enfant ne la regardait pas elle, mais avait levé les yeux vers le ciel.
 
Tout comme tout le reste du camp. Ils s’étaient tous immobilisés, toute la tribu des Lances de Pierre, plus de cinquante Gnolls, en train de regarder le ciel. Ils observaient en silence.
 
Ryoka se figea, et sentit le bonheur de cette journée s’évanouir en un instant. Elle se tourna, et les vit.
 
Les fées.


Hors ligne EllieVia

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #125 le: 02 décembre 2020 à 11:59:27 »

2.28 - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia


Elles tournoyaient dans le ciel bleu du matin comme des vautours, et sous les yeux de Ryoka, le ciel clair s’assombrit soudain et des nuages se formèrent au-dessus de sa tête. Elle contempla les cieux, le regard vide, et lâcha le morceau de viande qu’elle était en train de mâcher.
 
“Tant pis pour le répit.”
 
Lorsqu’elle avait commencé sa course, Ryoka avait été remplie de défi, prête à ignorer les fées et à endurer tous leurs mauvais coups. Mais c’étaient des êtres d’éternité, et elle n’était qu’une mortelle. En une semaine, elles avaient presque réussi à la briser.
 
Elle avait une mission, un travail, une livraison à mener à bien. Mais c’était tellement dur. Ryoka était juste épuisée. Tellement épuisée, qu’elle voulait abandonner et rentrer chez elle. Mais elle n’avait plus vraiment de maison, si ? Juste une auberge, et Ryoka ne pouvait pas y retourner. Pas les mains vides, et pas avec…
 
Elle leva les yeux pour contempler le ciel. Les feux des Gnolls n’avaient pas tenu les fées éloignées bien longtemps, si les flammes les dérangeaient seulement. Un jour de répit. C’était… suffisant, probablement. Les fées étaient en train de descendre, et Ryoka pouvait voir l’expression sur leurs visages minuscules. Pour une fois, elle aurait aimé ne pas avoir une vision 20/20.
 
Elles souriaient. Et pour une raison qui lui échappait, Ryoka ne pouvait même pas leur en vouloir. C’était la nature des fées ; changeantes, tempétueuses, mais pas mauvaises. Juste… elles-mêmes.
 
Elle se leva. Les Gnolls observaient toujours les Fées de Givre avec méfiance, mais elle pouvait voir que plusieurs, dont Urksh, s’étaient armés. Elle ne pouvait pas les laisser se battre. Les fées ne pouvaient peut-être pas tuer - ou peut-être que si - mais elles détruiraient le camp en quelques secondes.
 
Ryoka se leva donc. Elle regarda les fées.
 
“Venez, alors. Qu’est-ce que vous attendez ?”
 
Toutes ses possessions étaient dans sa hutte. Ryoka pouvait probablement s’en saisir en quelques secondes - avec un peu de chance, les fées ne les éparpilleraient pas aux quatre vents. Puis elle sortirait du camp et courrait. Il n’y avait qu’ainsi qu’elle pourrait se sortir de la farce que les fées lui préparaient. C’était mal de laisser les Gnolls se faire enterrer sous une avalanche, surtout s’ils essayaient d’intervenir.
 
Ryoka sentit son ventre se serrer à l’idée de passer de nouveau des jours et des nuits à se faire traquer. Mais c’était la vie. C’était sa vie et c’était comme ça. Peut-être que c’était l’enfer. Mais ce n’était sans doute qu’une punition. Pour tout.
 
L’une des fées descendit en spirale devant Ryoka.



“Tu t’amuses bien avec le peuple chien, mortelle ? Nous ne craignons pas leur feu et leur camp est ouvert à tous. Mais tu sais, si tu te prosternes, nous pourrons peut-être nous apaiser un peu et ne pas tout enterrer sous la neige.”


Ryoka leva les yeux sur la fée, vaguement étonnée. Ce n’était pas ainsi qu’elles la saluaient, d’habitude. Il était plutôt de coutume de l’insulter en lui recouvrant le visage de neige.
 
“Va te faire foutre.”
 
Elle attendit, mais la Fée de Givre n’attaqua pas. Au lieu de cela, la petite fae fronça légèrement les sourcils.




“Tu en es sûre ? Si tu inclines un peu la tête, nous apaiserons notre courroux.”




Pour le coup, c’était suspect. Ryoka plissa les yeux. Son cerveau, inactif depuis si longtemps, occupée qu’elle était à courir et à se contenter de survivre, se remit lentement en route.
 
“Je ne ferai rien de tel. Et si vous aviez prévu de m’attaquer, vous vous ficheriez de ce que je fais. Qu’est-ce qui vous en empêche ?”
 
La fée hésita.


“Rien d’autre qu’un menu détail. Mais nous avons décidé qu’un peu de pitié était de rigueur, même pour une mortelle inutile comme toi.”



Ryoka se contenta de hausser un sourcil. La fée bouda en gonflant les joues.


“Eh bien, nous avons accordé une petite faveur. Une toute petite faveur, vraiment. Nous avons promis de te pardonner ton attaque, et nous le ferons. Mais un peu de prosternation ne ferait pas de mal, mortelle.”



La stupide mortelle ignora ce dernier détail, son esprit tournant à toute allure. Que venait de dire la fée ? Une faveur ? C’était à la fois incroyable, étrange, et suspect. Mais les fae ne mentaient pas, ou si c’était le cas, ce n’était pas souvent, et Ryoka pensait qu’elles disaient la vérité. Alors qui serait capable de les empêcher de l’embêter et comment… ?
 
Ses yeux s’étrécirent. Ryoka leva les yeux vers les fées.
 
“... Erin.”


***



Elle a réussi. Je ne sais pas comment, mais elle a réussi. Erin a réussi à obtenir la faveur des fae, et je…
 
Bon sang, je suis jalouse.
 
Et épuisée. Épuisée jusqu’à l’os. J’aimerais juste pouvoir me reposer.
 
Les fées m’ont laissée tranquille après ça. Oh, elles ont bien essayé de me faire m’incliner et les supplier de m’accorder leur pardon et de danser pour les distraire, mais on dirait que j’ai vraiment été pardonnée d’en avoir frappée une. Cela ne signifie pas que je sois immunisée contre leurs faces ordinaires, bien sûr, je les ai déjà vues soulever une flèche du carquois d’un Gnoll pour aller embrocher un poisson qui venait de se faire pêcher et l’emporter avec elles.
 
Est-ce que je devrais quitter la tribu ? Urksh me dit que tout va bien et c’est peut-être le cas. Mais je reste fatiguée.
 
Tellement fatiguée.
 
Certains jours… sont comme ça. En fait, la plupart des jours dans mon monde ressemblaient beaucoup à aujourd’hui. C’est le vide dont je me souviens. C’était ce néant vide dans ma poitrine, cette absence.
 
L’absence d’une raison de vivre.
 
Comment puis-je la décrire ? C’est comme être fatiguée, mais seulement dans mon cœur. Mon corps peut être aussi frais et dispos que je veux, mais il n’y a rien dans mon esprit, pas de passion brûlante dans mon âme. Je ne veux rien faire, rien pour lequel je veuille lutter/
 
C’est ce que je me souviens avoir le plus ressenti en grandissant.
 
Il y a un néant dans mon cœur, un petit trou vide qui aspire les sentiments à l’intérieur. Il attend, une toute petite créature qui grandit de jour en jour jusqu’au jour où ce il me dévorera entièrement. La grande bête du désintérêt.
 
Ou peut-être que c’est le murmure de mon désespoir. Plus grand encore.
 
Je ne vaux rien. C’est la vérité. La vérité indéniable.
 
Je suis dans un monde magique, mais je ne peux toujours rien faire. Je ne peux pas apprendre de nouveaux sorts, je rejette le système de classes, je ne peux pas tuer ni aider mes amis…
 
Toutes ces pensées me taraudent parce que je suis fatiguée en ce moment. Demain, peut-être, j’irai mieux, mais en ce moment, je suis déprimée et je le sais. Cela n’arrange en rien les choses. Parce que je sens le même cercle vicieux se déclencher dans ma tête.
 
Le même que pendant mon enfance. C’est le rythme auquel je cours, le rythme de ma vie.
 
Rester toute seule. Se battre avec ses amis. Ignorer mes parents. Me rebeller. Créer des ennuis. Rester seule. Vivre dans ma tête. Vouloir que d’autres gens meurent.
 
Quelque chose dans le genre.
 
Et maintenant, alors que je suis assise près d’un bon feu dans un sanctuaire, le ventre chaud et bien rempli, je désespère encore. Parce que je peux lever les yeux de quelques centimètres et contempler la limite de mes capacités en train de flotter à côté de ma tête.
 
L’une des fées de givre me fait signe et me jette un peu de neige au visage. Elle fond sur ma peau. Je jette un regard en coin à la créature miroitante de cristal, de glace et de magie et vois une merveille. Et je désespère.
 
C’est un mur infranchissable qui se dresse devant moi. C’est ridicule, mais je vois la fée, et je ne peux pas m’imaginer parvenir à en vaincre une. J’en ai frappé une, une fois, et j’ai failli perdre ma main à cause des engelures. Leurs corps sont de glace, mais leur nature est magique. Comment faire pour ne serait-ce que commencer à en détruire une ? Teriarch pourrait peut-être le faire, mais je ne suis pas un Dragon.
 
Elles peuvent congeler une Wyverne en quelques secondes, conjurer de la neige et de la glace, et elles sont pratiquement invisibles et intouchables. En effet. Une seule de ces petites guêpes de glace hypertrophiées est beaucoup, beaucoup plus puissante que Ryoka Griffin ne le sera jamais.
 
Et la voilà qui me parle, avec une voix qui donne envie à mon cérumen de partir en vibrant de mes oreilles.



“Tu devrais être reconnaissante, balourde. Si ce n’était pour l’intervention de ton amie Humaine, nous t’aurions chassée d’ici et t’aurions traquées jusqu’aux confins de ce monde.”



Un détail amusant chez les fées ; elles ne disent jamais bonjour ou au revoir, ni aucune des politesses dont font usage les Humains. Elles sont directes et vont droit au but, encore une chose que j’admire chez ces bâtardes
 
Et elles m’adressent la parole, ce qui est rare, mais pas inhabituel. Elles font ça, parfois. Quand elles se lassent de transformer ma vie en cauchemar éveillé. Elles flottent à côté de ma tête et me parlent, bien que lorsque je leur pose une question, elles refusent de me répondre.
 
Mais aujourd’hui, c’est différent. Je n’ai plus de fierté, et je me tourne donc vers les fées.
 
“Qu’est-ce qu’elle a fait ? Erin, je veux dire.”
 
La fée plisse les yeux, comme si elle se demande si elle doit daigner répondre. Mais elle lève alors son petit menton, comme une reine.




“Elle a fait ce que peu de mortels se souviennent de faire de nos jours. Elle nous a honorées. Elle a respecté les traductions. Mais plus merveilleux encore : elle a créé un banquet digne des fae.”




Je dévisage la fée. Une partie de moi, la plus importante, veut lui demander à quel point il peut être compliqué de touiller un bol de lait et de sucre. La deuxième a envie de demander à la fée combien d’escargots morts Erin a dû ramasser pour les nourrir toutes. Une troisième a juste envie de mettre une claque à la maudite créature.
 
Mais les trois ne feraient que me mettre dans le pétrin, ou au moins me valoir un visage couvert de glace. Je dévisage donc la fée et lui pose la question.
 
“Comment ? Une Compétence ?”
 
La fée paraît offensée. C’est presque leur expression par défaut lorsqu’elles sont avec moi.


“Une Compétence ? Peuh ! Comme si on pouvait mettre la connaissance et la magie véritable en bouteille si facilement ! Nay, ce qu’elle a fait, elle l’a fait seule, et c’est la raison pour laquelle elle est précieuse.”



Précieuse. Oui. Je ferme brièvement les yeux. Erin est précieuse. Stupide et bizarre, aussi, mais unique à sa façon.
 
Je me tourne. Mrsha est assise à côté de moi et a les yeux levés sur les fées. Je me demande ce qu’elle voit. Les autres Gnolls bougent les oreilles à chaque fois que je parle, mais je ne crois pas qu’ils entendent les fées parler.
 
Une partie de moi veut toujours ne plus entendre parler de ces fées, mais elles sont différentes des gens comme Persua.  C’est une abrutie lâche et haïssable, mais les fées au moins sont honnêtes au sujet de leurs actes et elles n’ont jamais tenté de me handicaper à vie.
 
Et de plus, elles sont magiques. Et je dois apprendre tout ce que je peux sur la magie. J’ouvre donc la bouche, malgré toutes mes réticences.
 
“J’ai entendu parler d’idio… de gens dans mon monde qui laissent de la nourriture et des cadeaux pour les fées. Est-ce que vous allez les voir eux aussi ?”
 
La fée paraît insultée. Elle lève deux doigts moi* et renifle.
 
*Ah, le charmant V de la victoire. Cela veut forcément dire qu’elle vient du Royaume-Unis ou d’un pays qu’ils ont colonisé. Je parie quand même sur le Royaume-Unis, d’après leurs accents.






“Nous ? Aller rendre visite à ta pathétique espèce et accepter vos petits cadeaux ? Nous avons abandonné votre monde mourant et agonisant il y a des siècles. La terre meurt, et la mort remplit les airs. Nous n’en voulons pas.”



Et elle lâche juste comme ça une bombe sur mes genoux. Je soupçonnais que les fées traversaient les mondes, mais le nôtre ? On a eu… ?
 
Et nous les avons perdues à cause de la pollution. Bordel.
 
“Tu veux dire qu’il y avait vraiment des fées dans notre monde autrefois ?”
 
La fée paraît déçue, et j’aperçois enfin que d’autres flottent non loin de là. Est-ce que le sujet les intéresse ?





“Autrefois. N’avez-vous donc plus d’histoires qui parlent de nous ?”




Elles ont presque l’air… déconfites. Et je les contemple, et je me souviens.
 
“Excalibur. Le Roi Arthur. Cette histoire est le pilier de la culture moderne.”
 
Mais les fées n’ont pas l’air contentes. L’une d’elle secoue la tête.




“C’est tout ce que tu sais ? Tu ne connais aucune des autres histoires ?”



Des fables moralisatrices, des histoires de fées voleuses d’enfants… je ne pense pas que ce soit ce qu’elles cherchent. J’hésite et me creuse la cervelle. Réfléchis. Les vieux mythes…
 
“Est-ce que vous êtes… les Tuatha Dé Danann ?”




“Des Tuatha ! Tu pourrais aussi bien nous traiter de Fomoires, espèce d’idiote !”



Super. Maintenant, elles se sentent insultées. Mais là encore, ce qu’elles impliquent est stupéfiant.
 
“Les Tuatha sont donc réelles ?”
 
C’est à leur tour d’hésiter.





“Peut-être pas dans ton monde, morveuse. Mais chaque conte contient un grain de vérité. Dans un autre monde, peut-être. Mais tu ne vivras jamais assez longtemps pour connaître cette vérité.”




“Je me souviens des histoires anciennes. Est-ce que les héros comme Cuchulainn ont un jour parcouru notre terre ?”
 
Les fées marquent une pause, puis un air d’infini regret traverse leur regard. Un instant seulement.




“Pas la tienne, mortelle. Pas la tienne. Il y a de la magie dans les mondes, mais le tien n’a ni héros, ni légendes qui aient parcouru vos terres. Rien de véritable, rien de valeureux. Tout ce que vous avez à présent sont de la poussière et de vieux rêves.”



 Ça ne devrait pas me blesser. Vraiment pas. Mais j’avais espéré… non. J’aurais dû le savoir. Je baisse la tête, amère. Ce n’était qu’un rêve d’enfant après tout.
 
“Pas de dieux, et pas de héros. J’imagine que les superhéros n’étaient qu’un vœu pieux.”
 
Un vœu insignifiant d’un monde trop faible pour se sauver lui-même. Je ferme les yeux et me détourne. Est-ce donc cela, notre monde ? Un lieu sans magie ni légendes ?
 
Je me lève. J’en ai terminé avec les fées. Je vais aller m’allonger dans ma tente. Pour réfléchir. Peut-être…




“Attendez, attendez. Qu’est-ce qu’elle vient de dire ?”
 
“Des superhéros ? Qu’est-ce que c’est ?”
 




Je m’arrête, dos aux fées. Mais je ne peux pas m’en empêcher. Je me retourner.
 
“Vous n’avez jamais entendu parler des superhéros ? Superman ? Batman ?”
 
Je me sens bête, à dire ces noms à voix haute devant de véritables êtres de mythes et de légendes. Mais les fées échangent des regards et secouent la tête.




“Non.”
 
“Nay.”
 
“Nous n’en avons pas entendu parler. Mais si ce sont des héros, tu connais sûrement leur histoire ?”




J’hésite. Mais Mrsha est à présent en train de me regarder. Et, doucement, une idée me vient en tête, tellement doucement que je n’arrive pas à y croire.
 
Bien sûr. Si les fées sont parties juste après l’aube de la pollution - la Révolution Industrielle, peut-être - elles n’ont jamais entendu parler des superhéros ou… ou de quoi que ce soit d’autre qui ait été inventé depuis.
 
Eh bien, quelle importance ? Aucune. Ce n’est qu’une histoire, et une histoire stupide avec ça. Des légendes des temps modernes créées dans le but de gagner de l’argent en vendant des comics. Mais j’hésite tout de même.
 
Il était une fois.
 
Il était une fois une petite fille qui bondissait de partout avec une cape rouge qu’elle avait fabriquée en arrachant des rideaux. Si je n’avais pas vu les photos je n’y aurais pas cru. Mais c’est vrai. Et si je dois l’admettre, je suis quand même allée voir les films.
 
C’est peut-être ceci qui me fait faire demi-tour et me rasseoir. Et c’est peut-être parce qu’elles me ressemblent un peu, les fées. Nous avons peut-être des tailles et des tempéraments différents… enfin non, pas les tempéraments, mais des natures différente, mortelle et fae, mais nous nous ressemblons par un aspect.
 
Nous ne pouvons pas laisser mourir certaines histoires. Nous espérons. Et c’est cela qui me fait prendre la parole.
 
“Je connais quelques histoires, en effet. Au sujet de héros dont vous n’avez jamais entendu parler.”



“Hah ! Elles ne sont probablement pas très intéressantes de toute façon.”



Mais est-ce que c’est moi, ou est-ce que toutes les fées sont à présent en train de flotter autour de ma tête ? Elles sont tellement agglutinées que même les Gnolls arrivent à distinguer quelque chose. Et Mrsha est assise, les yeux levés sur moi, et je regarde un peu plus loin et voit d’autres petits Gnolls en train de me regarder fixement au loin.
 
Très bien alors. Peut-être que… ? Mais quelle histoire raconter ? Elles sont toutes ridicules, et elles n’ont aucun sens d’un point de vue culturel. Comment ne serait-ce que commencer à raconter la moitié des choses que les superhéros font ?
 
Mais une partie de moi me souffle que ça n’a pas d’importance. Ce sont des histoires intemporelles. Les détails peuvent varier, mais les héros demeurent. Et j’hésite donc, puis je contemple le feu. Laquelle ? Eh bien, je pourrais être féministe, mais je ne l’ai jamais autant aimée que les deux autres.
L’un sombre, l’autre lumineux. Une dualité. Si je ne devais parler que de deux héros dans le monde à quelqu’un qui n’en a jamais entendu parler, ce serait ces deux-là*.




*Et peut-être aussi Spiderman. Mais honnêtement, je n’ai jamais été autant à fond dans les Marvel.



Et si je dois être honnête, je l’ai toujours légèrement préféré à Batman. Je lève donc les yeux vers le ciel. Les sombres nuages orageux sont toujours là, mais ils commencent un peu à s’éclaircir. Et est-ce que c’est un peu de ciel bleu que j’aperçois au-dessus de nos têtes ?
 
Peut-être pas. Mais c’est là tout l’intérêt. C’est peut-être le cas. Je prends donc une grande inspiration et me tourne vers les fées, Mrsha, et le ciel.
 
Et je commence.
 
“Est-ce que vous croyez… qu’un homme peut voler ?”




“Oui !”
 
“Non !”
 
“Imbéciles ! N’importe quel mortel peut voler avec de la magie !”
 
“N’importe qui peut voler pendant quelques secondes si on le pousse d’une falaise !”





“La ferme.”
 
Elles se calment. Et j’ai une audience, à présent. Je prends une grande inspiration. Mon cœur bat la chamade pour une raison que j’ignore. Pourquoi ? Ce n’est rien qu’une histoire.
 
Mais c’est une bonne histoire. Une histoire qu’il faut que je raconte. C’est une histoire à laquelle je me raccroche, une légende que je voudrais vraie. Et peut-être, juste peut-être, qu’il y a de la magie dans cette histoire.
 
“Il était une fois… non, loin d’ici, tellement loin que vous ne pourriez même pas en rêver, vivait un garçon. Et son monde était à l’agonie. Mais ses parents voulaient qu’il vive, et ils l’envoyèrent donc loin, très loin. Non pas grâce à un sort, ou n’importe quelle magie que vous pourriez connaître. Mais grâce à un vaisseau. Un vaisseau merveilleux, fait de métal et de verre. Il transporta le garçon à travers les airs, plus haut que les montagnes et plus loin que la mer la plus lointaine, à travers les mondes, à travers l’espace. Ses parents l’envoyèrent au loin pour qu’il puisse vivre, tandis que leur monde mourait. Et leur monde s’appelait Krypton. Mais le garçon n’allait pas le savoir avant longtemps. Il voyagea loin, et arriva dans notre monde - mon monde, où vivait un jeune couple. Ils étaient tous deux des Humains du nom de Martha et Jonathan Kent, et ils trouvèrent le garçon dans son vaisseau lorsqu’il atterrit sur leur monde. Et ils l’appelèrent Clark…”



***


Les histoires. Elles ne signifient pas grand-chose pour ceux qui n’écoutent pas. Mais pour certains, elles sont tout.
 
Peut-être que lorsqu’on vit à jamais, le passage des vies des mortels nous importe peu, les soucis de ceux qui vacillent entre l’existence et l’inexistence comme des éphémères. Mais je pense qu’on tient tout de même aux fables, même si l’histoire défile, sans intérêt. Parce que contrairement à la vanité fragile des empires mortels, certains contes sont immortels.
 
Et parfois, quelqu’un écrit de nouvelles histoires qui entrent dans la légende. Peut-être que le conte de Superman, Batman et de tous les autres héros avec qui j’ai grandi ne sont pas de telles histoires. Peut-être.
 
Mais elles y sont foutrement similaires.
 
Je ne suis pas conteuse, et je n’ai pas non plus le don des mots. Bon sang, ma gorge s’est mise à me faire mal au bout de cinq minutes. Mais j’avais une audience suspendue à mes lèvres, de petites bouches grandes ouvertes, et Mrsha et les Gnolls aussi. Ils ne comprenaient peut-être pas toutes les nuances, mais ils comprenaient les héros, et je crois qu’ils étaient tout aussi époustouflés par l’idée d’un superhéros. Pas quelqu’un qui possède une  [Classe], mais une personne réellement surnaturelle, capable de soulever une montagne par-dessus sa tête, à la peau plus dure que des écailles de dragon et tellement rapide qu’elle pouvait distancer n’importe quelle flèche*.
 
*Écoutez, j’ai dû improviser un peu pour expliquer tout ça. Et Batman… enfin, c’est compliqué d’expliquer un type qui pendouille dans les ombres et bondit de gratte-ciel en gratte-ciel à une espèce qui ne se déplace pas par brachiation. J’ai fait de mon mieux.


Peut-être que cela n’a eu aucune importance, mais ce jour-là, je restai assise auprès du feu pour conter des histoires de mon monde. Pas juste une heure, ni même cinq, mais la journée entière. Le feu devant moi s’affaiblit, puis devint brasier lorsque les Gnolls y remirent du bois. Le camp poursuivit ses activités, mais lentement, doucement, car les Gnolls travaillaient en écoutant les histoires.
 
D’abord les superhéros, mais pas seulement. Je compris quelque chose en contant la première histoire, puis celle de Batman. Ces gens, ce monde… n’ont jamais entendu aucune de ces histoires. Jamais. Et cet éclair de compréhension vaut plus d’argent que…
 
J’y réfléchirai plus tard. Certaines choses sont plus précieuses que l’or, comme l’expression des Fées de Givre lorsque je leur ai expliqué tout ce qu’elles avaient raté.
 
“Voir un monde dans un grain de sable
Et un Ciel dans une Fleur sauvage
Tenir l'Infini dans la paume de la main
Et l'éternité dans une heure.”

 
Blake, William, Augures d’Innocence. Je ne connais pas la date d’édition… les années 1800 ? Mais les fées n’ont jamais entendu ces mots. Des larmes véritables emplissent leurs yeux, et certains Gnolls ont l’air tout aussi bouleversés.
 
Combien d’années ? Deux cents ? Trois cents ? Quelque chose dans le genre. Pour les fae, j’imagine que cela ne fait pas beaucoup de temps qu’elles sont parties. Mais à quel point les Humains ont-ils créé pendant ce temps ? Peut-être pas grand-chose en termes de gains moraux ou d’évolutions corporelles, mais des pas de géants en termes de littérature, par exemple.
 
Elles n’ont jamais entendu parler du Seigneur des Anneaux non plus. Hah. Pendant toute l’histoire, elles ont voleté autour de ma tête en criant.




“Ils vivent, ils vivent !”
 
“Des anneaux ! Forgés dans les ténèbres pour lier les âmes ! Oui ! Comment l’Humaine l’a-t-elle su ?”
 
“Les petites gens ! Ils s’en souviennent !
 
“Jusqu’au Mordor ! Jusqu’à Isengard ! Jusqu’aux confins de la terre !”
 
“Vous ne passerez pas !”
 






“Mais fermez-la !
 
C’était le meilleur et le pire moment. Non, ce n’était que le meilleur moment. Je leur air raconté cette histoire aussi, et vous seriez surpris de voir à quel point les Gnolls peuvent être émotifs. Ils font preuve de beaucoup de démonstrations physiques, aussi.
 
Je pourrais fermer les yeux et me souvenir de milliers de fois où mon audience a retenu son souffle, hurlé de joie ou réagi avec émerveillement et béatitude aux histoires que j’avais presque oubliées. Mais un moment en particulier me revient, pendant que je contais sous un ciel noir empli d’étoiles et répétait un passage du Seigneur des Anneaux.
 
Mémoire épisodique. Ce n’est qu’un dialogue que j’avais retenu sur un film de trois heures, mais je m’en suis toujours souvenue.
 
“Et Gandalf s’arrêta, et prit la parole. Il regarda Pippin, un sourire aux lèvres, et dit : ‘Finir ? Non, le voyage ne s’achève pas ici. La mort n’est qu’un autre chemin, qu’il nous faut tous prendre. Le rideau de pluie grisâtre de ce monde s’ouvrira et tous sera brillant comme l’argent. Alors vous les verrez…’. Et Pippin répondit, ‘Quoi, Gandalf ? Voir quoi ?’”
 
Je parcours mon audience subjuguée du regard. Je prends une inspiration.
“‘Les rivages blancs, et au-delà, la lointaine contrée verdoyante, dans un fugace lever de soleil.’”
 
À la fin de la citation, je lève les yeux, prête à terminer la scène et à décrire l’arrivée des Rohirrims qui répondent à l’appel de Gondor. Mais je marque une pause, j’hésite. Je vois un éclat de quelque chose de lumineux, de pur et d’éternel tomber au sol et fondre dans la neige.
 
Une larme.
 
La fée qui flottait dans les airs au-dessus de moi descendit lentement jusqu’à se retrouver juste devant moi. Les yeux dans les yeux. Elle me dévisagea, et sa voix fut douce.



“J’avais tort, mortelle. Il y a encore des choses dans ton monde qui valent la peine d’être vues et entendues.”
 





C’est tout. Je me suis alors éclairci la gorge pour reprendre le fil de mon histoire. Mais j’ai senti un changement dans l’atmosphère après cet événement, une éclaircie. Un changement dans le regard des petites créatures qui me contemplaient.
 
Peut-être, oui, peut-être que toutes les histoires ne sont de simples histoires. Je continuai de conter des histoires jusque tard dans la nuit, jusqu’à ce que le feu ne soit que braises rougeoyantes et que tout le monde soit assoupi. Mais c’est en souriant que j’allai me coucher.
 
Certaines semaines, certains mois, certaines années sont mauvaises. Mais il suffit parfois d’une journée pour tout changer.
 
Une journée, ou une histoire. Un peu de magie.
 
C’est peut-être tout ce que nous avons apporté avec nous de notre monde, mais…
 
C’est suffisant.
 
***


Le jour était beau et clair lorsque Ryoka serra la patte du Cheftain de la tribu des Lances de Pierre et fit ses adieux aux Gnolls qui s’étaient rassemblés pour lui dire au revoir. Elle ne ressemblait en rien à l’Humaine qui était arrivée en boitant dans leur camp, blessée et exténuée. Elle se tenait droite et fière, et ses chairs étaient guéries. Et quelque chose l’habitait, une étincelle brillait dans ses yeux.
 
Elle sourit à Urksh et inclina légèrement la tête.
 
“Je te suis redevable, Urksh de la Tribu des Lances de Pierre. Un jour, je rembourserai ma dette.”
 
Urksh secoua légèrement la tête en offrant à Ryoka un sac à dos rempli de provisions.
 
“Aucune dette ne subsiste après la joie que tu nous as offerte. Si tu souhaites rester, tu es plus que la bienvenue, Ryoka Griffin.”
 
Au-dessus de leurs têtes, les Fées de Givre volaient haut dans le ciel, échangeant des blagues, riant, mais pour une fois, dépourvues d’intentions malveillantes à son égard. Urksh leva les yeux et secoua la tête.
 
“Tu ne sais pas où tu te rends ?”
 
“C’est l’idée.”
 
Ryoka hésita, puis lui montra la pierre gravée d’une flèche.
 
“Je crois qu’elle me mène vers une espèce de [Nécromancien].”
 
Il parut troublé.
 
“Nous avons entendu parler d’un Nécromancien, mais il est mort. Et même un nécromancien mineur peut s’avérer terrible. Se rendre à ses côtés, munie d’une simple pierre, peut s’avérer dangereux, oui ?”





“Hah ! Est-ce donc cela que tu cherches, Humaine ? Pourquoi ne l’as-tu pas dit plus tôt ? Nous pouvons te trouver ton leveur-de-morts bien plus aisément que cette babiole !”
 





Urksh et Ryoka levèrent tous deux les yeux. L’une des fées descendit et sourit à Ryoka de toutes ses dents pointues.



“Nous sentons où se rassemblent les morts. Si tu le souhaites, nous te mènerons à celui que tu cherches.”
 



Ryoka la dévisagea d’un air suspicieux, mais son expression finit par s’éclaircir. Elle hocha la tête.
 
“Si vous savez où aller. J’accepte.”
 
Quelque chose tira sur son t-shirt. Ryoka baissa les yeux. C’était Mrsha. La petite Gnolle tirait avec insistance sur le haut de Ryoka. Elle avait l’air affligé. Ryoka hésita, puis se tourna et se baissa. Elle tapota la tête de Mrsha, comme s’il c’était agi d’une enfant humaine, en lui ébouriffant les poils. La Gnolle recula timidement, mais regarda tout de même Ryoka d’un air implorant.
 
“Il faut que j’y aille.”
 
Ryoka se tourna, et… est-ce que les Fées de Givre avaient été en train de sourire ? Elle n’avait aperçu que brièvement leurs expressions, mais elle aurait juré qu’elles étaient en train de sourire à Mrsha. Mais lorsque Ryoka se tourna vers elles, elles affichaient leurs regards habituels remplis de malice et de mépris. Mais ce n’était qu’une façade aussi, n’est-ce pas ?




“Allez, mollassonne ! Nous partons vers l’ouest à présent, cap sur la mort ! Tu nous raconteras beaucoup d’histoires pendant le voyage, n’est-ce pas ?”
 





“Peut-être.”
 
Les fées froncèrent les sourcils. L’une d’entre elles fit un salto arrière.





“Bah ! Elle veut juste dire ‘jamais’ !”
 



“Je vous raconterai des histoires si vous ne m’embêtez pas, mais seulement quand nous ferons des pauses. D’accord ?”




“Peut-être.”
 






Ryoka leva les yeux au ciel, mais il était vraiment temps de partir. Mrsha s’accrocha à sa jambe, mais Ryoka finit par réussir à lui faire lâcher prise. La jeune femme se retourna pour faire un signe d’adieu aux Gnolls, et se mit à courir. C’était un jour de beau temps, le ciel était bleu et l’air de l’hiver était revigorant et frais.
 
Elle sourit, et fit signe une dernière fois aux silhouettes qui se détachaient au loin puis les tentes disparurent de son champ de vision. Pour une fois, Ryoka ne courait pas pour fuir quelque chose mais pour trouver quelque chose. Et elle suivait les fées.
 
La bonne humeur de Ryoka dura un bon quart d’heure pendant qu’elle courait dans la neige. Puis une boule de neige s’écrasa sur son visage et elle entendit une voix dans son oreille.


“Oups !”
 



Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #126 le: 07 décembre 2020 à 00:28:09 »
2.29 Partie1
Traduit Par Maroti

Certains l’appelaient Az’kerash. D’autres, désormais très peu nombreux, se souvenait du passé et l’appelait Perril Chandler. Personne, mort ou vivant, se souvenait qu’il avait un surnom qu’il avait lui-même oublié, Peril. Et ceux qui parlaient de lui ne prenaient pas la peine de l’appeler ‘Az’kerash. Ils l’appelaient le Nécromancien.

Cela n’avait pas d’importance pour lui. En fait, peu de choses avaient de l’importance, et ce manque d’émotion était un gouffre qui s’agrandissait avec les années. Une petite sphère de vide sentimentale dans son cœur. Mais il s’était aussi habitué à ça.

Il était occupé. En fait, il était tellement occupé qu’il ne prenait pas la peine de tourner la tête alors que son servant lui adressa la parole. Toute son attention était concentrée au-dessus de lui, et la lumière magique était la seule chose qui éclairait l’immense chambre qu’il utilisait pour créer.

Créer. Il n’y avait pas d’autre mot. Le Nécromancien leva les yeux et créa quelque chose qu’aucune espèce, présente ou passé, ne pouvait imaginer. Cela prenait presque l’intégralité de sa concentration, et pourtant il répondit de manière absente à la femme à la peau pâle et aux yeux verts qui se tenait attentivement à ses côtés.

Son nom était Venitra ; le reste n’avait pas d’importance. Elle se tenait devant son maître, dans les ténèbres et le silence de son château. Elle était là pour lui faire son rapport, et cela la comblait de joie. Quand elle parlait à son créateur… Quand elle était en sa présence et qu’elle sentait son attention sur elle, aussi minime soit-elle… Elle se sentait comblée.

« Un autre être a franchit la toile extérieure, maître. »

Perril Chandler ne fronça pas les sourcils ; son visage ne changea pas alors qu’il regarda au-dessus de lui. Il dévouait tellement d’énergie à ce qui flottait au-dessus de lui qu’un inutile changement d’expression aurait été du gâchis. Le fait qu’il puisse répondre était déjà incroyable pour ceux qui pouvait comprendre ce qui se déroulait. Mais il avait été un génie, il y a fort longtemps. Un prodige. Maintenant, il était une légende. Mais il se souviendrait de ce qui avait été dit une fois le sort terminé. S’il y avait quelque chose d’assez important pour mériter son attention arrivait, alors il se concentrerai sur ça, mais pour l’instant il faisait simplement confiance à son subconscient.

« Encore un ? Curieux. Décris-moi ce nouvel intrus. »

« Humaine. Un mètre quatre-vingt-deux. Cheveux noirs ; athlétique. »

« Hmm. Alors elle ne fait pas partie de l’armée. Y'a-t ’il d’autre trait la démarquant ? »

Venitra hocha la tête, même si elle savait qu’Az’kerash n’allait pas la voir. On lui avait enseigné à imiter les mimiques des vivants même si elle n’avait jamais été en vie.

« Elle ressemble à une native de l’Archipel de Drath. De plus, elle semble porter plusieurs pièces d’équipement hautement magique, et elle court dans cette direction. »

« Autre chose ? »

Venitra hésita. Les observateurs avaient vu autre chose autour de la fille. Des sortes de… Choses. Floues et bleues. Des Esprits de Givre. Mais son maître avait insisté, il y a fort longtemps qu’elle n’avait pas d’importance, donc elle ne les mentionna pas. Elle ne voulait pas le déranger oui lui faire défaut. Cela aurait été son plus grand cauchemar si elle avait la capacité de dormir.

« Rien d’important. »

« Hm. Et tu dis qu’elle court ? »

« Oui. Rapidement, mais sans l’aide d’une Compétence améliorant les mouvements. »

« Une Coursière, donc. Potentiellement une Courrière, même s’ils sont habituellement plus rapides. Intéressant. »

Une main pâle se posa sur ses lèvres alors que Peril concentra un peu plus de sa réflexion sur cette nouvelle information.

« J’investiguerai la situation moi-même si… Non, non. Elle est sûrement une messagère d’une des armées. Sont-elles toujours en train de combattre ? »

« Oui, maître. Zel Shivertail à battu en retraite après l’attaque du Seigneur des Murailles Ilvriss et essaye de reformer ses troupes. L’autre armée est activement en train de pourchasser les groupes de guerriers en déroute. Aucune des deux armées a remarqué la présence du château ou à traverse la seconde toile. »

Un soupir. Le Nécromancien aurait bien secoué sa tête, mais il n’avait pas besoin de tant réfléchir.

« Comment c’est pénible. Même dans cet endroit reculé, la malchance et les disputes insignifiantes des cités Drakéides peuvent apporter des armées à nos portes. Le gagnant n’aura pas d’importance. Observe-les, note les endroits où les morts tombent. Et si certains d’entre eux pénètre le voile et entre dans le château… Tue-les. »

Les yeux de Venitra s’illuminèrent et elle sourit.

« Oui. »

« Laisse-moi. »

Son moment était terminé. Elle se recula avec réluctance, et puis alla délivrer ses instructions aux gardiens de ce lieu. Elle quitta la grande pièce dans laquelle se tenait la légende supposément morte, et passa les doubles portes, les laissant se refermer derrière elle.

Az’kerash avait changé ce château en sa demeure, mais pas un qui aurait put être familier à quelqu’un étudiant les châteaux du monde d’Erin et Ryoka. Les corridors de ce château étaient vastes, et la pierre composant les murs, sols, et plafonds était de larges morceaux de pierres noires, bien trop large pour que des engins de construction provenant de ce monde puissent les soulever.

Et il était habité, mais pas par les vivants. Une petite armée se tenait devant ses portes, attendant un ennemi qui n’avait jamais pénétré ces murs. Mais il était mieux d’être toujours prudent, car l’échec voulait dire que leur maître allait être importuné, donc Venitra décida d’être très précautionneuse.

Elle leva sa main, et une douzaine de guerriers morts-vivants la suivirent alors qu’elle marcha à travers les halls. Venitra marcha dans le noir, n’ayant pas besoin de lumière. Seul le scintillement d’yeux dépourvus de vie illuminait les ténèbres, non pas que derrière elle, mais aussi depuis les corridors, les murs, le plafond…

Les morts-vivants se tirent immobiles, attendant. Attendant.

Attendant.

***

Ryoka se rendit compte qu’elle était en train de sourire quatre jours après avoir quitté la Tribu des Lances de Pierre.

Ce n’était pas quelque chose de surnaturel ; les êtres humains normalement constitués le faisaient tout le temps. Tout comme Ryoka. Mais elle avait du mal à se souvenir de la dernière fois où elle avait souri de manière inconsciente, simplement parce qu’elle était de bonne humeur.

Et ce n’était pas comme si elle faisait quelque chose d’incroyablement fun. En fait, elle était en train d’échouer. Mais c’était le challenge que Ryoka aimait, le sentiment de repousser ses limites pour accomplir quelque chose qui valait la peine d’être accompli.

Elle fronça les sourcils en regardant ses mains, qui étaient toujours en train d’être illuminée. Ce n’était pas une chose d’humaine normale, tout comme le son qui provenait de ses mains. C’était bruyant, et incompréhensible.

Il sonnait vaguement comme quelqu’un disant ‘eh’ dans un micro, mais seulement si ce quelqu’un était un caillou qui pouvait parler et que le microphone en question était une sorte de synthé qui faisait trembler et rebondir le bruit.

C’était bizarre à entendre, et suffisamment bruyant pour faire s’envoler les oiseaux alors que Ryoka marchait à travers la neige. Elle fronça les sourcils, se concentra, et les ‘eh’ se changèrent en un ‘ah’ qui était aigu, sonore et, d’une quelconque manière, plat.

« Est-ce que… ? Non. Bordel. »

Quelque chose se posa sur la tête de Ryoka. La fille l’ignora, même si le froid était devenu légèrement en dessous de ce qui était confortable. Elle fronça les sourcils en regardant ses mains, jusqu’à ce qu’un petit visage apparaisse à l’envers dans son champ de vision.


« Humaine. Qu’est-ce que s’est ? »


Ryoka ignora la question. Deux secondes plus tard la Fée de Givre tira sur la paupière de Ryoka et la fille agita sa main avec un cri de colère. La fée s’éloigna en volant, riant, et Ryoka leva les yeux.

Des Fées de Givre volaient au-dessus d’elle, environ une vingtaine. Seul l’une était en train de flotter autour de Ryoka, mais elle était certaine que les autres pouvaient entendre ce qu’elle disait. Ryoka répondit parce qu’elles étaient compagnons de voyage et aussi parce qu’elle savait que la fée n’allait pas la laisser tranquille si elle ne disait rien.

« J’étais en train de travailler sur un sort jusqu’à ce que tu m’interrompes. »


« Un sort ? Ooh, lequel ? Dis-moi ! »


« [Bruit]. C’est un sort d’Echelon 0 que Ceria m’a enseigné. »

La fée cligna des yeux en direction de Ryoka. Elle soupira, et leva sa main pour faire une démonstration. Sa main brilla pendant une seconde, et le même ‘eh’ résonna dans sa paume, un peu moins fort. La fée regarda la paume de Ryoka avec expectation, son regard variant entre la paume et le visage de la fille.


« C’est… Tout ? »


Ryoka haussa les épaules.

« C’est ce que le sort fait. Ceria me l’a enseigné pour que je m’entraîne à maîtriser la magie. Ce n’est pas très pratique, selon elle ; tu ne peux pas lancer le son ou faire des choses complexes comme des voix ou de la musique. »

Elle avait essayé de savoir si c’était vrai ou non. Mais après presque une heure à produire différent grognement, Ryoka devait admettre que Ceria avait probablement raison. Le sort était trop limité pour faire de véritable son, encore moins un son délibérément choisi qu’importe le mana qu’elle mettait dedans.

Non pas qu’elle est beaucoup de mana à disposition, ou qu’elle comprenait bien la magie. Ryoka ne pouvait sentir que la moitié des choses dont Ceria parlait. Pour elle, le sort était une vague sensation dans son esprit, une sensation sur laquelle elle pouvait se concentrer. C’était différent de tout ce qu’elle avait déjà ressenti ; si quelque chose comme un sixième sens existait vraiment, la magie serait ce qui s’en rapprocherait le plus. C’était comme avoir une nouvelle partie de son cerveau s’ouvrir, et Ryoka n’avait pas la moindre idée de comme cela marchait.

Elle pouvait ajouter du mana à un sort pour le renforcer, ajuster certains paramètres comme l’intensité de son sort de [Bruit] ou changer le son qui en sortait, mais rien d’autre. Mais même cela était supposément un travail titanesque pour un débutant, mais Ryoka avait espérer qu’elle aurait put tirer autre chose du sort.

Tout comme la fée. Elle regarda Ryoka et secoua la tête.


« La magie ici est tellement bête. Des Échelon ? Ce n’est que du vent pour vous, les jouets et les imbéciles. »


Elle vola autour de la tête de Ryoka et se posa sur l’épaule gauche de la jeune femme. Ryoka la regarda et vit la petite fée s’asseoir confortablement sur sa veste, agitant ses jambes. C’était une étrange vision, Ryoka cligna des yeux comme si c’était la première fois que la fée le faisait.

Elles étaient tellement familières que cela en devenait étrange. Mais après quatre jours, six en comptant les deux jours dans la tribu Gnoll, Ryoka avait apprit à connaître les Fées de Givre, du moins dans le sens qu’aucun des deux camps étaient activement en train d’essayer de tuer ou blesser l’autre.

Elle leur racontait des histoires, et en retour elles l’aidaient à la guider, lui faisait moins de blagues, et daignaient généralement répondre à ses questions. Ryoka avait toujours le sentiment de plus être un ‘être inférieur intéressant’ plutôt qu’un ‘être sentient au même niveau que nous’, mais elle ne faisait pas la fine bouche et encaissait les quelques remarques et les occasionnelles boules de neige dans le visage sans broncher.

Et, pour être franche, c’était quelque chose de fantastique qu’une fée, un être des mythes et des légendes, s’assoient sur l’épaule de Ryoka. Si seulement elle n’était pas aussi froide.

« C’est peut-être bête, mais c’est la seule magie que je peux faire. Ça et [Lumière]. »

La fée renifla de manière dédaigneuse.


« Aye, nous t’avons vu jouer avec tes petites lumières la nuit. Ce n’est qu’un pale spectre comparé au feu des fées ou aux lumières de wyrd. N’as-tu jamais vu de feu follet ? Leur lumière est une véritable lumière. »


« Jamais, et je n’ai pas particulièrement envie de me perdre. Qu’est-ce que tu veux par ‘petites lumières’ ? »

Ryoka avait expérimenté avec son sort de [Lumière, et sur ce sujet, elle avait réalisé qu’elle pouvait altérer l’orbe de lumière de manière signifiante. Au lieu de la faire flotter à côté d’elle, elle pouvait projeter la lumière de ses mains comme une lampe de poche, ou la tirer de l’un de ses doigts. C’était incroyable, mais de nouveau, uniquement pour Ryoka.


« Hah ! Tu penses que ta lumière est éblouissante ? Ce n’est qu’un minuscule scintillement comparé à la grande bougie au-dessus de nous. »



La fée fit un signe vers le haut, et Ryoka n’avait pas besoin de regarder pour comprendre qu’elle pointait vers le soleil.

« Je ne peux pas faire une lumière aussi puissante que celle du soleil. Je suis désolé si cela te déçoit. »


« Ne t’en fais pas, pathétique humaine. Tout ce que vous, les mortels, faites est être triste et décevant. »

La fée rit et fit un salto arrière en se laissant tomber de l’épaule de Ryoka uniquement pour réapparaître aux côtés de Ryoka même si la fille avait laissé tomber son entraînement magique et accélérer le pas. La fée se pencha en arrière dans l’air et adopta une position allongée, comme si elle se couchait sur l’air. Mais elle resta toujours devant Ryoka, même quand elle accéléra à travers la neige.


« Nous t’avons promis de t’amener à ta destination, mais pourquoi si lentement ? Nous nous ennuyons, Humaine ! Cours plus vite ! Ou racontes nous une histoire ! »


Ryoka serra les dents et leva sa voix alors qu’elle courut à travers la neige qui essayait de la ralentir à chaque pas.

« Je ne suis qu’une triste et désolante mortelle. Je ne peux pas voler, je n’ai pas de Compétences. Je suis désolé de ne pas être Val, d’accord ? »

La fée cligna des yeux en regardant Ryoka avant de rire, amusée.


« L’Humain ? Il est aussi lent que toi. »


C’était intéressant. Ryoka fronça les sourcils en regardant la fée. Elles n’aimant pas répondre à trop de questions quand elle les posait directement, mais elle avait appris à avoir ses réponses dans les conversations.

« Vraiment ? Je pensais qu’il serait rapide, a moins vous toi. Quand est-il d’Épervier ? Est-ce qu’il est rapide ? »


« Comparerais-tu les escargots aux oiseaux, Humaine ? Nous chevauchons le vent et faisons la course à travers les tempêtes ! Nous voyageons à travers des chemins allant par-delà le monde… Qu’est-ce que tes petits pieds peuvent faire pour nous rattraper ? »

La fée semblait insulter, et Ryoka changea rapidement de sujet.

« Bon, d’accord. Tu es rapide et je ne le suis pas. Je suppose que tu voyages beaucoup ? Est-ce que c’est comme ça que tu as connu Teriarch ? »

La fée plissa les yeux en regardant Ryoka. Elle et ses amis avaient déjà refusé de répondre aux nombreuses questions au sujet de leur lieu de vie, leur magie, et pratiquement toute chose de valeur. Elle hocha la tête avec réluctance.


« Nous avons déjà vu ce vieil imbécile. En passant, quand il n’était qu’un petiot, et plus tard. Pourquoi ?»


« Alors tu viens ici depuis fort longtemps. Es-tu plus ancienne que Teriarch ? Quel âge as-tu… Où est-ce que le temps passe différemment pour les fées ? »

Maintenant la fée fronça ses sourcils. Ses ailes tressaillirent et elle ‘s’assit’ dans l’air, le dos tourné à Ryoka.


« C’est un secret. »


« Oh, allez. Quel est le point d’un secret si tu ne peux pas le partager ? »

Ryoka avait l’impression d’encourager un gamin, mais les fées pouvaient parfois être enfantines, et parfois leurs regards devenaient anciens indéchiffrables, comme maintenant.


« Certaines choses ne peuvent pas être dévoilées, et certainement pour une simple histoire, mortelle. »


« Quand est-il d’une centaine ? Est-ce que tu ne me dois pas une faveur ? Tu m’as peut-être promis de m’emmener là ou les morts se rassemblent, mais je t’ai raconté d’innombrables histoires et poèmes. Est-ce que cela ne veut pas dire que je peux avoir quelques réponses ou… »

Squish

Ryoka grimace en marchant sur quelque chose de mou et gélatineux. C’était le problème en courant en hiver, en automne, ou dehors en général. Oh, bien sûr, les plaines enneigées semblaient pristines, mais elle avait probablement mit le pied dans un tas de boue a moitié gelé, ou des feuilles compressées et moisies.

« Bordel. »

La fée baissa les yeux vers Ryoka et secoua la tête. Ryoka grimaça alors qu’elle continua de courir. Elle détestait courir dans la neige. Elle avait des bottes et des vêtements lourds et, comme les fées, elle se trouvait bien trop lente.

Et elle ne pouvait pas voir ou est-ce qu’elle allait, ce qui donnait des moments comme celui-là.

« D’accord, alors pourquoi p… Merde ! »

Elle marcha dans une autre chose glissante qui céda sous sa botte. Ryoka grimaça alors qu’elle leva son pied plus haut pour pouvoir courir sur la poudreuse plutôt que sur ce qu’il y avait en-dessous.

« Bon sang. Est-ce que cet endroit est une espèce de marécage montagneux ? »

Cela ne semblait pas être le cas. Ryoka était en train d’avancer vers une colline, et elle avait traversé une forêt en altitude, au pied d’une immense montagne. Les fées volèrent le long de la colline, et Ryoka les suivit, lâchant plusieurs jurons en glissant lors de la montée.

« Allez. Je ne veux pas d’où de ces fleurs que vous données, je me contenterai de connaissance. Tu m’as dit que tu n’étais pas sensé t’adresser aux mortels, pas vrai ? N’es-tu pas déjà en train de briser les règles ? »

Quelques fées s’abaissèrent pour voler aux côtés de Ryoka. La première secoua la tête.


« Certaines règles peuvent être brisées. D’autre ne peuvent pas l’être. Tu demandes trop, mortelle. Ne continue pas. »

Elles avaient arrêté de sourire. Ryoka se demanda si elle était en terrain dangereux ; mais elle était certainement en train d’écraser quelque chose sous sa botte.

« Est-ce que des rumeurs sont aussi importante que ça ? Je pose simplement des choses sur ce monde, pas le secret des cercles de fées ou quelque chose du genre. Qu’en est-il de Teriarch… Je veux dire, le Dragon ? Est-ce que vous le dérangez ? »

Ryoka sourit en imaginant Teriarch essayer de rester digne alors que les fées l’embêtaient. C’était pour ça qu’il avait craché du feu. Elle laissa s’échapper un léger rire, essayant de ne pas perdre l'équilibre en courant.

Elle était encore en train de rire quand elle vit le premier corps.

Au début, il ressemblait à une sorte de forme dans la neige, un trait de couleur dans le paysage blanc. Puis, alors que Ryoka continua sa course, elle vit les sombres écailles vertes couvert de givre et de sang séché. Et elle réalisa ce qu’elle était en train de voir, et s’arrêta.

C’était un corps. Ryoka n’en avait jamais vu en venant dans ce monde. Bien sûr qu’elle avait déjà vu des cadavres et elle avait déjà assisté à des funérailles à cercueil ouvert, mais un corps ? Jamais.

Et maintenant elle voyait la mort partout ou elle allait. Elle aurait dû y être habituée, désormais. Après les Gnolls massacrés et les ruines de Liscor. Mais…

Cette personne… Non, ce Drakéide n’était pas juste mort dans la neige. Quelqu’un l’avait tué. Ryoka ne voulait pas, mais ses pieds la firent s’approcher du corps, jusqu’à ce qu’elle soit à environ trois mètres. Puis ils s’arrêtèrent. Elle ne pouvait plus s’avancer. Elle ne pouvait pas détourner le regard.

Mort. Le Drakéide avait été tué, oui, mais maintenant elle pouvait voir les détails. Il, ou elle, Ryoka regarda la taille du corps et détermina qu’il était un il, gisait face contre terre dans la neige. Le cuir du dos de son armure avait été ouvert par une grande taillade ; Ryoka pouvoir voir l’intérieur gelé de son corps d’ici. Même si elle ne le voulait pas.

Son estomac trembla. Son cœur tambourina contre sa cage thoracique. Ryoka regarda le corps pendant un long moment, essayant, et échouant, à comprendre.

Il était mort. Quelqu’un l’avait tué. Bien sûr. Cela faisait sens. C’était un monde dangereux… Les gens s’entretuaient. Ou des choses tuaient les gens. Dans tous les cas, c’était normal. Même dans le monde ‘sûr’ de Ryoka, des gens se faisaient tirer dessus et poignarder tous les jours. Cela avait du sens.

C’était ce qu’elle se répétait. Mais Ryoka ne pouvait pas accepter le fait qu’un Drakéide gisait dans la neige lors de ce jour clair et frisquet, au milieu de nulle part.

Elle devait détourner le regard. Elle le devait. S’il y avait un monstre dans le coin… Mais les Fées de Givre la préviendraient, pas vrai ? Où est-ce qu’elles le feraient ?

Ryoka regarda autour d’elle, et fit un pas incertain en arrière. Elle devait aller de l’avant, pas vrai ?

Elle fit un pas pour contourner le corps du Drakéide, et sentit autre chose s’écraser sous sa botte. La jeune femme se figea.

C’était juste quelque chose au sol. Mais une horrible prémonition passa dans l’esprit de Ryoka, son subconscient bondissant à la conclusion que son cerveau ne voulait pas accepter. Non, cela ne pouvait pas être possible.

Lentement, Ryoka regarda autour d’elle. L’endroit était recouvert d’une épaisse couche de neige. Il était difficile de voir quelque chose, mais elle avait mit le pied sur quelque chose qui s’était déchiré et avait éclaté sous son pied, n’est-ce pas ?

Ryoka regarda le sol, puis ses bottes. Lentement, elle les leva et regarda les semelles. Il y avait de la neige coincée sous ses pieds, mais aussi un bond ‘autre chose. Le gant de Ryoka retira un morceau de fourrure et de chair grise. Les cheveux étaient d’un blond terne, la chair était décomposée et gelée. La fille la regarda.

Puis elle vomit. Et courra.


« Ralenti, mortelle. »


Une fée apparut dans la vision de Ryoka alors qu’elle se précipita à travers la neige, glissant, courant, faisant son possible pour s’éloigner le plus loin des corps enterrés. Elle essaya de vomir à chaque fois que son pied s’enfonçait dans quelque chose qui n’était pas de la neige, mais elle continua de courir.

« Humaine, ralenti ! »


La fée était devant Ryoka, lui parlant avec urgence. Mais la fille paniquait, son esprit horrifié incapable de comprendre les mots. Elle s’arrêta uniquement quand une massive bourrasque la fit valser en arrière si fort qu’elle s’écrasa dans la neige avec un bruit sourd.

Ryoka tomba sur quelque chose de dur et paniqua, se débattant. Est-ce que c’était un autre corps ? Mais non, ce n’était que le sol. Elle essaya de se relever, mais un visage bleu était devant elle.



« Humaine ! »


« Qu-quoi ? Qu’est-ce… »

Ryoka se releva, tremblante, mais elle arrêta de courir. La fée flotta devant elle, désormais sérieuse, son visage dépourvu de malice.


« Tu es en danger. Ne t’égares pas comme une idiote que tu es ou tu vas périr à ton tour. »


Qu’est-ce que cela voulait dire ? Ryoka regarda la fée et essaya de parler malgré sa bouche soudainement sèche.

« Ils sont morts. C’est… Les corps… Combien d’entre eux sont morts ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? »

La fée regarda Ryoka.


« Qu’est-ce que tu crois ? Nous sommes désormais proches. Suis-moi. Lentement. »


Elle s’envola devant Ryoka avec les autres. La jeune femme hésita, mais elle tituba derrière elle. Son sourire avait disparu, remplacé par un puit de peur et d’horreur dans son estomac.

Les fées continuèrent de monter la colline, jusqu’à atteindre le sommet. Elles flottèrent en l’air, cherchant quelque chose en bas. Ryoka hésita, et puis monta les derniers mètres et vit ce qu’il y avait en dessous.



Son esprit s’absenta pendant un temps. Elle resta silencieuse en comprenant ce qui se déroulait devant elle. Elle avait déjà entendu le mot, bien sûr, elle l’avait entendu de maintes fois dans son monde. Et elle avait pensé connaître son sens, mais il y avait une différence entre savoir, et le voir de ses propres yeux. Un mot si simple. Elle le respira dans l’air froid.

« La guerre. »

Sous elle et bien loin d’elle, à des kilomètres, Ryoka pouvait voir les gens dans la neige. Se battant. Des Drakéides en armure et de grand Gnoll dans la mêlée, se tailladant à coup d’épée, de haches et d’autres armes, se brisant le crâne, combattant, saignant, mourant.

Du sang gicla du torse d’un Gnoll, et il s’effondra, la bouche ouverte. Ryoka entendit son pouls rugir dans ses oreilles alors qu’elle vit le Drakéide lever sa lance et lui enfoncer dans le torse.

Elle ne sait pas combien de temps elle resta à regarder la scène. Suffisamment longtemps pour que les battements de son cœur ralentissent légèrement. Et puis elle entendit les cornes, le soin des tambours, le léger bruit du métal cognant le métal et le bruit sourd des explosions.

Et des hurlements.

Depuis le sommet de sa colline, l’Humaine tituba en arrière, et l’une des fées la regarda. Les fées étaient toutes en train de flotter, regardant silencieusement la bataille sans la moindre trace de malice qu’elle avait habituellement.


« Ils se battent avec fureur, n’est-ce pas ? Les enfants des Dragons et les chiens de chasse. »


Les fées regardèrent Ryoka ; la fille ne pouvait que regarder en retour. Ses yeux voyagèrent de nouveau vers le combat, captivé par le carnage. Elle essaya de parler. Sa voix était tremblante quand elle arriva à émerger.

« Je… »

Hors ligne Maroti

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  • Traducteur de The Wanderin Inn par Piratebea
Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #127 le: 07 décembre 2020 à 00:46:33 »
2.29 Partie 2
Traduit par Maroti

Je n’arrive pas à croire ce que je suis en train de voir. Non. C’est parce que je peux croire que tout cela est vrai que si horrible.

La guerre.

Ils sont en train de se tuer en bas. Du sang et des entrailles se déversent sur le sol alors qu’un Gnoll éviscère un Drakéide avec sa hache. Je ne peux…

Mon estomac essaye de remonter, mais j’essaye de le contenir. Ne vomis pas. Regarde les fées. Je détourne le regard, et j’essaye de me concentrer sur les êtres merveilleux. Cela aide, un tout petit peu. Mais j’entends encore les cris.


« Tu es pâle. Tu n’as jamais vu une guerre auparavant, Humaine ? »


La fée pointe le champ de bataille du doigt et mes yeux s’y dirigent sans le vouloir. Cela ne semble pas réel. Mais je sais que ça l’est. Je ne peux même pas parler, mais les mots sortent quand même.

« Non. Jamais. »

La Fée de Givre hausse les épaules.



« Ce n’est qu’un énième combat. C’est naturel. »


Les fées me regardent alors que je secoue la tête.

« Ça ne l’est pas. »

Je n’arrive pas à détourner le regard. Le combat est loin, mais j’arrive à voir les détails de ce qui se passe maintenant que le choc est passé. Il y a des côtés, oui. Deux. L’un semble être fait de soldats arborant du violet, l’autre semble bien moins uni.

Et ce côté moins uni est en train de se faire massacrer.

Peut-être que c’est une compétence. Ou peut-être que c’est juste comme ça que ce monde fait la guerre. Mais je peux voir les soldats en violet en train de faire des percées dans les rangs de l’autre côté. Un Drakéide traverse un autre Drakéide avec son épée et la retire pour finir un ennemi avant de charger avec ses amis. Les rangs n’étaient pas harmonieux, mais maintenant, ils se tordent et se brisent alors que des soldats commencent à prendre la fuite.

Et ils sont font attaquer par-derrière.

Des sorts, du feu et de la foudre, frappe les guerriers dans le dos alors que des flèches tombent sur eux. Je peux voir un Drakéide d’ici, épée en main, pointant la bataille.

Certains des guerriers lancent leurs armes au sol et lèvent leurs mains en l’air. Ils sont ignorés, mais ceux qui ne le font pas se font tailler en pièces, et la neige se gorge de leur sang.

J’ai envie de vomir. J’ai envie de fuir. Mais je n’arrive à rien faire. Je suis captivé, et des idées de révulsion et d’horreur flotte dans ma tête. Juste quand je pense avoir compris ce monde, je réalise à quel point il m’est étranger.

La bataille est terminée, ou presque. Les rares qui ont atteint les arbres continue de courir alors que des archers leur tirent dessus, et c’est uniquement à cet instant que je peux voir l’immensité du carnage. Mes genoux tremblent.


« C’est un problème, n’est-ce pas ? »


La voix dans mon oreille me fait sursauter. Je regarde autour de moi et vois les fées.

« Qu’est… Qu’est-ce qui est un problème ? »

La petite créature pointe du doigt droit devant elle, par-delà la bataille.


« Ta destination est par-là. »


Ma destination… ? J’avais pratiquement oublié le Nécromancien. J’avale ma salive. Oh mon dieu. Comment est-ce que je suis sensé passé tout ça ?

En courant ? Ils ont des flèches et de la magie. Ce… Ce n’est pas la même chose qu’une Liche. C’était un monstre, là c’est une bataille. Qu’est-ce que je peux faire si l’armée décide que je suis une menace. Est-ce que les fées…

Je les regarde, et elles semblent lire dans mon esprit. L’une des fées me regarde avec un air sérieux.


« Nous n’interférons pas dans les affaires des mortels. Souviens-toi de cela, Humaine. »

Oh. Je ne sais même pas quoi dire, mais j’ouvre ma bouche et j’ai terriblement peur du fait que je vais les supplier de m’aider. De… Je ne sais pas, enfouir l’armée sous une avalanche ou quelque chose du genre ? Peut-être que je peux les contourner. Si je cours vers l’ouest puis nord sur dix… non, vingt kilomètres peut-être que je…


« Attention ! Baisse-toi, idiote ! »


Une fée crie et pointe du doigt. Je me retourne, et vois certains des archers et soldats tourner vers moi. Ils sont en train de pointer du doigt, et ils m’ont repéré depuis mon évidente position en haut de la colline. J’entends un cri, et ils lèvent soudainement des arcs.

« Mon Dieu ! »

Je me jette dans la neige alors que les distantes figures tirent. Quelque chose sifflent au-dessus de moi, et je vois des choses noires filées là ou ma tête s’était trouvé.

Oh non. C’est pas bon. Comment est-ce que j’ai pu être aussi stupide ? Qui se tient sur une colline et donne sa position comme ça ? Je ne réfléchissais pas et maintenant je suis morte.

Je rampe vers le sommet de la colline, de là ou je viens. Passe sous leur ligne de feu. Mais je peux déjà entendre des cris, de plus en plus proche.

« Merde. Hey, est-ce que vous… ? »

Je lève les yeux, et les fées ont disparu. Je suis seule.

Oh non.

J’essaye de ramper plus rapidement, mais la neige est tellement épaisse que j’arrive à peine à bouger, et je sais que je vais me faire tirer dessus si je me lève. Mais j’entends désormais des voix, colérique, et une voix féminine hurlant des ordres.

« Dispersez-vous ! Ne laissez pas l’Humaine s’échapper ! »

Je dois courir. Je me prépare à me lever et fuir. Quelle est ma vitesse dans cette épaisse neige ? Elle atteint mes genoux et pratiquement ma taille à certains endroits. Si je glisse… Je ne peux pas aller plus vite que des gens avec des arcs ou des sorts ! Mais il faut que je le fasse.

J’ai une idée. Attends, attends. Et si je… ?

Les cris s’approchent. Je regarde autour de moi, et je tente ma chance. Je creuse dans la neige autour de moi. C’est profond. Faut que je m’allonge, et ensuite ? Je pousse la neige sur mon corps, ma tête. Prétends être un cadavre. Cache-toi. Ne cours pas ; ils s’attendent à ça.

Je creuse mon chemin dans la neige, essayant de m’enterrer sans donner l’impression de m’être enterré. Pendant ce temps, j’entends les voix devenir de plus en plus proche, mais elles sont presque assourdies par le bruit des battements de mon cœur.

C’est la chose la plus stupide que j’ai jamais faite.

La neige recouvre ma tête, et je ne vois que du blanc. Le froid est autour de moi, mais je suis tellement paniqué que je ne le sens pas. J’essaye de respirer lentement, alors que je m’enfonce sans faire de bruit. Les cris sont tout autour de moi.

« Oh mon dieu. Putain de… Merde, merde, merde… »

Une infime partie de moi-même est outragée quand tant de crises, je n’ai pas le vocabulaire pour m’exprimer. Qu’est-ce que suis, un collégien ? Même eux ils savent comment jurer. Mais j’ai trop peur. Je ne crois pas en un dieu*, mais si je pouvais prier…


*Par cela, je veux dire que je ne crois pas au fait d’en prier un. Que les dieux existent, ou aient existé, enfin… C’est plutôt clair dans ce monde.


Qu’est-ce que je vais faire s’il me trouve ? J’entends la neige s’écraser, et je me demande s’ils acceptent les prisonniers humains. Si je dois me battre…

Des potions. Mon sac. Ce sont mes seules armes ; et je n’ai pas eut à les utiliser contre des monstres, mais des gens…

Je n’ai que quelques potions qu’Octavia m’a donné. Trois potions, deux sacs. C’était lequel… ?

Je mets la main à ma ceinture et me fige alors que j’entends quelqu’un parler à moins d’un mètre.

« Vous l’avez trouvé ? »

« Non, madame. »

« Alors l’Humaine est encore là. Faites installer un filet par les autres et cherché des pièges. Le reste d’entre vous, avec moi. »

J’entends la neige s’écraser, et la voix s’approche. Ils sont juste au-dessus de moi ! Je retiens ma respiration. Je suis invisible, introuvable…

Mais une terrible idée me frappe. Cela marcherait dans mon monde, mais ils ont des mages. Et la voix semble être juste au-dessus de moi.

« Nous savons que tu es là, Humaine. Si tu ne viens pas maintenant, nous allons réduire la colline en cendre avec notre magie ! »

Non, Non, non, non…

« Approche ! Maintenant ! »

Le ton de sa voix indique clairement qu’elle est à deux doigts d’ordonner un bombardement. Je dois bouger.

Lentement, je me relève de la neige, levant mes mains. Je suis presque ébloui par la lumière. Je cligne des yeux, regarde autour de moi…

Et voit les soldats.

Ils sont huit, tous Drakéides à l’exception d’un unique Gnoll avec un arc. Et ils sont armés, portes des armures, du cuir lourd, et tiennent des armes ensanglantées. Ils… ne sont pas en train de me regarder.

Nope. Pas du tout. La Drakéide les menant est en train de surveiller le pied de l’auberge. Ils me tournent le dos, et sont à environ cinq mètres de là ou je suis, en contrebas… L’un des Drakéides se retourne alors qu’il m’entend me redresser, et il crie. Les autres se retournèrent, et lèvent leurs armes, leur surprise affichée sur leurs visages.

Oh mon dieu.

C’était un bluff. Et je me suis fait avoir !

Leur chef est la première à réagir. Elle dégaine son épée et la pointe vers moi en hurlant.

« Pas un geste ! Soldats, à moi ! »

Sa voix résonne et j’entends des cris. Je garde mes mains levées, cherchant une solution.

Ryoka, maudite idiote… ! Qu’est-ce que tu peux faire ? Le Gnoll à son arc pointé vers moi. Je ne vais pas être capable d’attraper une potion, alors un sort ? Si j’arrive à avoir une seconde, je pourrai utiliser la potion de Teriarch. C’est dans les plus graves situations, mais…

J’ai deux sorts. [Lumière] et [Bruit]. Je peux utiliser les deux avec mes mains, et ensuite ? La flèche est vers mon visage. J’ai une idée pour un sort, mais non.

Non. Je regarde la flèche pointée vers moi. J’ai… J’ai trop peur pour essayer. Les soldats m’encerclent, et plus se dirigent vers nous.

La Drakéide capitaine ou commandante ou qu’importe point son épée vers moi. Elle semble être méfiante, mais le seul truc dangereux que je peux faire est recouvrir la neige de jaune.

« Debout, Humaine. Lentement. Pas de mouvements brusques. »

Ce n’est pas la première fois que je me fais arrêter, même si c’est la première fois dans ce monde et que je me rends sous la menace d’une épée. Je bouge avec extrême précaution, ne faisant aucun mouvement brusque pouvant alarmer les soldats. Les yeux de la Drakéides m’observent de la tête au pied.

« Qui est-tu ? Un soldat de l’Alliance Trisstral ? Une mercenaire ? Une aventurière ? Réponds ! »

L’alliance Trisstral ? Je ne sais pas de quoi elle parle, probablement les soldats qui viennent de se faire massacrer. Je secoue lentement ma tête.

« Je suis une Coursière. »

La Capitaine Drakéide cligne des yeux, avant de les plisser.

« Une Coursière ? Prouve-le. »

Heureusement, je peux le faire. Les Coursiers utilisent des Sceaux, mais nous avons aussi le nôtre pour dissuader les gens suspicieux… Comme elle. J’en ai un prouvant ma désignation à un Coursier de Ville, il y a un sort qui casserait le sceau s’il était hors de ma portée plus de cinq minutes.

« J’ai un sceau dans ma ceinture. »

Elle regarde l’un des Drakéides.

Le Drakéide m’approche avec méfiance. Elle est plus petite que moi, mais elle me regarde comme si elle ne voulait rien d’autre que me poignarder dans l’œil. Je ne bouge pas, mais je dois parler.

« Troisième poche sur la droite. Ne touche pas aux autres. »

Ce n’est peut-être pas la meilleure chose à dire, mais c’est un véritable concerne. L’anneau et la lettre se trouvent dans la seconde poche, et il m’a prévenu de ce qu’il se passerait si quelqu’un le touchait.

Le soldat n’aime pas du tout entendre ça. Ses mouvements sont lents et je peux sentir les sorts et les flèches pointées sur moi alors qu’elle fouille ma poche. Elle sort le sceau et recule pour le tendre à sa Capitaine.

La Drakéide l’étudie et hoche la tête avec réluctance.

« C’est un vrai. Tiens. »

Elle me le renvoie. Je l’attrape sans réfléchir, et je sens les soldats baisser leurs armes. Il semblerait qu’en tant que Coursière, je sois considéré comme non-combattante, mais ils n’ont pas encore rangé leurs armes.

« Qu’est-ce qu’une Coursière de Ville fait aussi loin d’une ville ? »

La Capitaine me regarde avec suspicion, mais ici au moins je peux mentir avec conviction. Avec beaucoup de conviction.

« J’ai une livraison pour une tribu dans le coin. Gnoll. Les Lances de Pierre. Je suis à la recherche de leur chef, Urksh. »

« Nous les avons rencontrés. Tu as plusieurs jours de retard. »

Je hausse les épaules.

« Je me suis fait courser par une Wyverne. Je partirai si tu me pointes dans la bonne direction. »

C’est une bonne histoire. Je continue de me le répéter, et j’espère que je peux mentir aussi bien qu’avant. La Drakéide est en train de hocher la tête, comme si elle me croyait, et j’ai l’avantage que je sais que Urksh me couvrirait s’il l’apprend.

Je pense qu’elle va me laisser partir quand elle fait un signe de la tête vers les autres soldats.

« Tu dis peut-être la vérité, mais je ne peux pas le confirmer sans une Compétence de détection de mensonge. Dans tous les cas, tu vas devoir nous accompagner. »

Merde. Mon cœur bat la chamade.

« Ou ça ? »

« Le Seigneur des Murailles Ilvriss veut te rencontrer. Tu ne seras pas blessé tant que tu ne résistes pas. Emparez-vous d’elle. »

Elle hocha la tête, et deux soldats viennent me flanquer. Ils ne m’attrapent pas, mais ils pointent dans une direction et je pars. Il ne faut pas combattre les soldats.

Mon dieu, j’ai fait une erreur. Ou peut-être pas. Peut-être que ce Seigneur des Murailles était un type raisonnable. Je suis certaine qu’il l’était. Je suis certaine qu’il allait me laisser partir en s’excusant et en me serrant la main… La griffe.

Je suis tellement dans la merde.

Je peux entendre la Drakéide hurler des ordres, rappeler ses soldats, alors que d’autre se regroupent autour de moi. Je n’allais pas rester avec mes deux amicaux compagnons. Je regarde le sang sur leurs armes jusqu’à ce que l’un d’entre eux me grogne dessus et je détourne le regard.

Je descends la colline et suis la petite colonne de soldat qui retourne vers le champ de bataille. J’essaye de trouver une solution en marchant. Est-ce que cette armée est là pour affronter le Nécromancien ? Les gens pensent qu’il est mort, et de plus, le Drakéide à mentionner une alliance.

Une guerre, alors ? Je doute que quelqu’un soit allié avec Az’kerash, et je n’ai pas vu de mort-vivant sur le champ de bataille. Des morts, oui, mais ils restaient morts.

Suis-je en danger à cause de cette guerre ? Je veux dire, qu’est-ce qu’un [Nécromancien] aime plus que des cadavres ? Merde. J’allais préparer mon plan sur comment rencontrer le type en allant frapper à sa porte, mais si cette armée se fait attaquer…

Je trébuche, et un soldat me pousse pour me faire avancer. Sympa de voir qu’ils sont tant intéressés en mon bien-être. Qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce que je peux faire ? Les potions…

Je vois un scintillement du coin de l’œil alors que je me fais pousser, et je vois une fée flotter pas loin, aussi innocente que possible. Mais les soldats ne voient probablement qu’une forme floue, et donc elle s’approche alors que je marche. Je la regarde du coin de l’œil, et elle me fait signe de la main.

Est-ce… Qu’elles vont aider ? Elle pointe les soldats du doigt, et mon cœur s’accélère. Si elle gèle leur arme ou le frappe avec quelque chose je vais probablement pouvoir faire le reste.

La fée tape une épée d’un soldat, la gelant pendant une seconde, puis me pointe du doigt. Elle trance une ligne au niveau de sa gorge, me fait un signe de la main, et s’envole. Je la regarde partir et je me mords la langue tellement fort qu’elle saigne presque.

Je déteste ces bâtardes.

***

Son nom était Zel, même si peu de gens l’appelait encore par ce nom. C’était un signe de respect, mais cela le rendait parfois solitaire. Pour les autres, il était Shivertail, le légendaire Général de Ligne, le fameux Brise-Marée.

Parfois, il souhaitait qu’ils ne croient pas autant en lui. Parce qu’un jour, il allait perdre une bataille, et sa vie.

Peut-être aujourd’hui.

Le [Général] se tenait au-dessus de ses cartes, regardant un dessin approximatif du terrain et du paysage. Leur armée n’avait pas été présente depuis bien longtemps, et ce lieu était un coin paumé que même les Tribus Gnolls ne visitaient pas souvent. Il marqua sombrement un point sur la marque et le tapota.

« Nous avons manqué le combat. Ilvriss vient de détruire l’intégralité du groupe de Verdam et n’a presque pas perdu de soldats. »

Les officiers et adjudants se tenant autour de la table murmurèrent en entendant cette nouvelle. Zel ressentait la même chose, mais il ne le montrait pas.

« Ils se sont fait tailler en pièces. C’était le dernier groupe qui ne s’est pas dispersé aux quatre vents, ce qui veut dire que nous sommes seuls. Donc. Résumons. »

Zel marcha autour de la table, regardant ses officiers hauts placés. Il grimaça dans sa tête. Ils ne valaient pas grand-chose. Ils étaient tous des [Tacticiens], des [Lieutenants] de bas niveau et même des [Chefs] envoyé par des cités alliées, pas comme les [Stratégistes] et [Capitaines] présent dans l’armée d’Ilvriss. Ce n’était pas une surprise d’apprendre que les soldats de Verdam avaient été massacrés.

Il aurait souhaité être à ce combat, pour équilibrer les chances. S’il avait été avec l’armée, le combat aurait été équitable, voir plus. Ses compétences auraient été un contre à celle d’Ilvriss, mais c’était la guerre, pas vrai ? L’équité était un rêve.

Zel racla sa gorge, et tout le monde présent la pièce devint attentif, même s’ils n’étaient pas distraits. Ils étaient braves, loyaux, et en train de se battre pour défendre leur terre. Il ne pouvait pas les blâmer pour cela, mais cela alourdissait le poids qu’il avait sur les épaules.

« Ilvriss nous a pris par surprise quand nous étions en train de réunir nos troupes. Les choses se seraient mieux passé si notre armée avait été regroupée, mais aucun de nos [Scouts] l’ont repéré et nos [Stratégiste] ne pensaient pas qu’un Seigneur des Murailles quittent l’une des Villes Emmurées. Mais, par-delà les récriminations, il l’a fait et il est là. Et il vient de prendre notre dernière chance de faire pencher la balance de notre côté. Ils sont deux fois plus nombreux que nous, et nous avons perdus plusieurs bons officiers lors de cette embuscade. »

Personne ne parla, même si Zel entendit un grognement étouffé. Il était d’accord, mais ses soldats avaient foi en lui, malgré la différence de niveaux, équipements, et soldat entre eux et Ilvriss. Il était un [Général], et ses capacités pouvaient changer le cours d’une bataille. Mais s’il mourrait ou ne pouvait pas les utiliser…

« Les forces du Seigneur des Murailles Ilvriss n’ont pas besoin de bouger ; ils savent qu’ils sont en train de garder l’unique passe viable. Soit nous essayons de partir en utilisant une autre sortie et ils nous attaquent dans le dos, soit nous les attaquons de face et essayons de les vaincre. »

Les deux options n’étaient pas bonnes. Zel le vit sur le visage de ceux qui l’entourait.

« Une offensive n’est pas ce qu’attend Ilvriss. Il espère que nous essayions de nous faufiler pour qu’il puisse nous coincer contre une falaise ou un endroit difficile pour nous vaincre. Cela peut marcher. »

Les Compétences ne pouvaient pas tout faire. Elles ne pouvaient pas faire de miracles. Zel s’arrêta et il pointa l’endroit où le campement d’Ilvriss se trouvait sur la carte.

« C’est ce qu’il attend. C’est ce qui conviendrait à mes capacités. C’est ce que nous n’allons pas faire. Nous avançons sur son camp et attaquons. Pas demain, pas dans une heure, mais maintenant. Ses soldats sont toujours en train de se soigner et il est probablement en train d’assumer que nous sommes en train d’essayer de regrouper nos soldats. Non. Nous bougeons dans dix minutes ; laissez le camp et faites que tout le monde soit prêt. »

Zel accompagna ses mots avec son action et quitta la tente. Quitte ou double. L’air froid était rêche sur ses écailles. Est-ce qu’il allait mourir aujourd’hui ? Il n’espérait pas. Mais si c’était le cas, il allait partir avec une griffe dans la foutue gorge d’Ilvriss.

Il n’allait probablement pas mourir. Un captif était exactement ce que les leaders des Villes Emmurées désiraient. Les officiers de hauts niveaux et les [Généraux] avaient trop de valeur pour être perdu dans une petite guerre comme celle-ci.

Le Drakéide grogna alors qu’il piétina la neige. Il ferma ses mains et prit une grande inspiration.

« Quelle stupide raison pour une guerre. »

De bons soldats allaient mourir pour de la politique. Il détestait ça. Mais alors que ces soldats se ralliaient et se préparaient à attaquer, Zel avait une consolation.

Au moins il allait voir la surprise sur le visage de cet arrogant lézard.

***

Je veux vraiment retirer le sourire satisfait du visage de ce bâtard.

Je me tiens dans une tente, en face du Seigneur des Murailles Ilvriss, le [Lord] en charge de l’armée qui vient de massacrer tous ses soldats il y a moins d’une heure. Contrairement à ses soldats, il n’est pas dans la boue, la neige et le sang. Plutôt, il est en train de porter une armure rouge et or sans la moindre trace dans une tente luxurieuse et chauffée au milieu du camp qui commençait à être installé.

Et il est arrogant. Terriblement arrogant. Je peux le voir dans la manière avec laquelle il remonte son menton, la façon dont il bouge et regarde tout le monde autour de lui comme s’ils étaient moins importants, et encore plus dans sa manière de s’exprimer.

Il me rappelle certains des potes de mon père, les politiciens et les gros bonnets à qui tu as envie de mettre quelques gifles, ou au moins envoyé de la merde de chien.*


*Plutôt spécifique ? Je l’ai fait une fois. C’était hilarant.

Et il est aussi confiant qu’un serpent, en plus d’être paranoïaque.

« Je te l’ai dit, je suis une Coursière. Je ne fais pas partie de ta petite guerre. »

Cela m’attire un regard de la part de l’un des Drakéides dans la pièce, celle qui m’a capturé. Son nom est Periss, et elle est une [Commandante] qui semble vénérer le sol sur lequel Ilvriss marche. Je pense qu’elle est sa seconde, mais franchement, je m’en fiche.

Je préférerai fuir d’ici et oublier tous ces gens, leurs noms et leurs titres. Mais ce n’est pas une option, apparemment.

« Et je vois que c’est la vérité. Mais une Coursière est toujours une menace, surtout si tu délivres des messages ou des objets à l’ennemi. »

Ilvriss me regarde longuement et je lui rends son regard. Au début, j’ai essayé d’être courtoise et polie, mais quand j’ai appris qu’il y avait une règle contre le meurtre des Coursiers et j’ai fais connaissance avec lui* j’ai perdu ces notions.

*Cela a prit cinq secondes. ‘Qu’est-ce qu’une Humaine fait dans ma tente ?’ Voilà le résumé, ou peut-être que c’était le ton sur lequel il l’avait dit.

« Je te l’ai dit, je ne suis pas ici pour faire une livraison à ce Zef ou Zwell ou qu’importe son nom. Tu peux aller chercher quelqu’un pour prouver que je dis la vérité. »

Ilvriss me foudroie du regard, mais je ne vais pas cligner des yeux. Lui non plus, d’ailleurs, mais il détourne le regard, trop important pour perdre du temps dans un combat de regard avec un Humain. Il renifle et sa queue trésaille légèrement dans ma direction.

« Un [Lord] peut détecter les mensonges aussi bien que les autres classes, Humaine. Je sais que tu dis la vérité, mais cela ne change pas le fait que tu es là. »

« Qu’est-ce que je pourrais faire de si dangereux ? »

« Tu pourrais envoyer des nouvelles de la… Situation de Zel, ou peut-être qu’il te contractera pour aller lui chercher quelque chose. Tu es un imprévu, et tu ne perturberas pas ma bataille. »

Il a presque raison. Même si je n’accepterais jamais une demande d’esquiver une armée ennemie — enfin, je ne le ferais probablement pas. Je me mords la langue et j’essaie de trouver une réponse.

« Je suis une Coursière de Ville, pas une citoyenne de vos Villes Emmurées. Tu n’as pas le droit de me détenir. »

Il lève un sourcil non-existant et j’entends Periss doucement ricaner.

« Vraiment ? Et qui va protéger tes ‘droits’, Humaine ? Une armée de l’une de tes précieuses villes ? Je serai déjà impressionné si tu arrives à dépasser Liscor. Mais en attendant, je suis un [Lord] et c’est mon armée qui décide de quel droit s’applique. »

Bon, je déteste le dire, mais il a raison. Tu ne peux pas exactement dire ‘toi et quelle armée ?’ à ce type, et il ne va pas bouger. Je peux le voir dans ses yeux.

Ilvriss se tourne et étudie la carte dans sa tente. Je la regarde aussi, essayant de trouver quelque chose comme, disons, un château fait d’os ou quelque chose pour localiser le Nécromancien.

« Zel a peut-être été blessé durant l’embuscade, mais le gros de son armée est toujours présent. Tu resteras dans notre camp tant que nous ne l’avons pas écrasé. »

Je serre les dents.

« D’accord. Super. Génial. Je suis honorée. »

« Tu ne serais pas maltraité ; à moins que tu essayes de prendre la fuite. J’honore tous les principes de guerre. Mais tu dois d’abord nous confier tous les items magiques sur ta personne. »

L’un des aides s’approche, tendant la main vers ma ceinture. Merde. Je fais un pas en arrière, et Periss met la main à son épée.

« Ne résiste pas, Humaine. »

« Je ne résiste pas. »

Encore. Je me demande comme je peux sortir de cette tente. La dernière chose que je veux est d’être attaché dans un camp alors qu’une armée s’apprête à attaquer. Je regarde autour de moi en parlant.

« Ne touche pas ma ceinture. Je suis en train de porter un artefact magique qui attaque quiconque n’est pas moi ou la personne à qui je dois la livrer. »

Ils m’ont amené au centre du camp, mais les soldats sont en train de se soigner et le périmètre n’est pas surveillé, du moins pas moi. Il n’y a que Periss qui m’observe, et si je peux créer une distraction, mes potions peuvent peut-être m’aider.

L’aide hésite, et Ilvriss nous regarde.

« Qu’est-ce que tu portes de si important ? »

« Un truc. C’est confidentiel. Je ne peux pas en parler. »

« Si c’est une arme, nous allons devoir nous en emparer pour notre campagne. »

« Je ne sais pas ce que s’est, mais si vous voulez y toucher, faite le à plusieurs kilomètres de moi, d’accord ? »

Periss me lance un regard, mais maintenant Ilvriss est assez intéresser pour s’approcher. Il me pointe du doigt.

« Montre-moi ce que tu livres. »

Lentement, je mets la main à ma poche et je sens le Drakéide derrière-moi poser la main sur le pommeau de son épée. Mais je ne compte pas utiliser d’arme, je prends plutôt le temps de me souvenir de l’emplacement des potions d’Octavia. Certains sont dans ma ceinture, d’autre dans mon sac. Bon, merde. Mais je sais qu’au moins une d’entre elle est assez petite pour tenir dans ma ceinture…

Je sors l’anneau et la lettre pour les montrer à Ilvriss. Il ne s’approche pas plus, ce qui est la bonne chose à faire, mais il les étudie.

« Berlyrssat. »

L’un des Drakéides s’avance. Ce n’est pas un soldat, probablement un servant. Il tient une pierre, un morceau de quartz claire ou quelque chose du genre. Il l’agite au-dessus de la pierre, et le quartz prend une couleur violette, presque noire.

Berlys… Qu’importe son nom, fait un pas en arrière et regarde Ilsvriss.

« Mon lord. C’est un artefact très potant. La magie dessus est au 5ème Échelon ou plus. »

Cela fait que le Seigneur des Murailles me regarde. Il plisse les yeux, et l’épée de Periss est si proche de mon dos que je la sens presque chatouiller ma colonne vertébrale. Ne bouge pas. Mais je sais exactement où se trouve la potion d’Octavia. Si elle bouge un peu…

« Quest-ce que tu transportes ? Non, ne me réponds pas. Tu as tes règles. Intriguant. Cela est peut-être une arme, mais si elle l’est, nous n’allons pas pouvoir l’utiliser. » Il regarde Periss, et la Drakéide hoche la tête avec réluctance.

« Nous n’avons pas le temps de défaire cette magie, si nous pouvons la défaire. »

Ilvriss hoche de nouveau la tête, puis se retourne vers moi, son attention est soudainement, et malheureusement, concentrée sur moi.

« Alors, qu’est-ce que tu as d’autres sur toi ? »

« Des potions. De quoi me défendre. Pas des choses que je veux voler. »

« Nous te récompenserons pour tes items, montre-moi. »

Super, il est curieux. Je soupire et mets lentement ma main à ma poche.

« Stop. Berlyrssat prendra tes objets, à moins qu’ils soient piégés ? »

« Non, mais soit prudent. »

L’aide Drakéide prend ma ceinture, et commence à ouvrir les poches. Mon sac est sur la table, et il a rapidement sorti la majorité de mes possessions. Ilvriss ignore mes outils normaux et étudie les potions, surtout celle que Teriarch m’a donné.

« C’est une étrange collection pour une simple Coursière de Ville. »

« Le monde est dangereux. Va savoir sur qui on peut tomber. »

Pique. Contrairement aux griffes de Mrsha, l’épée rentre dans ma peau et me fait un peu saigner. Je regarde Periss et elle me lance un regard noir en retour.

Ilvriss nous ignore et étudie la potion luisante. Puis il plisse les yeux en voyant le liquide d’une autre potion.

« Qu’est-ce ? Je n’ai jamais vu de telle potion. »

« Ne l’ouvre pas. »

« Est-ce mortel ? »

Le Drakéide regarde la bouteille, et je secoue la tête.

« Non. C’est juste que ça sent mauvais. »

Il me regarde et renifle.

« Sens mauvais ? Qu’elle genre de potion fait ça ? »

« Hey, j’ai rien dit sur ton armure. »

Pique. Je serre les dents. Aagh ! Ca fait mal !. J’essaye d’être le plus sincère possible.

« Ne l’ouvre pas, d’accord ? Ça empeste. Tu le regretteras. Ne fais pas l’imbécile. »

Cette fois Periss grogne, mais Ilvriss lève un sourcil. Ouaip, il est comme ces idiots arrogants. Dis-lui de ne pas faire quelque chose et il va le faire juste pour te montrer qu’il peut le faire.

« Une mauvaise odeur n’est pas quelque chose que je crains. Toutes les odeurs peuvent être effacées avec de la magie. »

Sa griffe s’approche du bouchon. Periss lève la voix.

« Mon Lord, est-ce une bonne idée. Laissez-moi faire. »

« Ce n’est pas mortel. L’Humaine l’a dit et je sais qu’elle dit la vérité. Voyons voir de quoi elle a peur. »

Je retiens ma respiration et j’espère que je ne vais pas venir. Ilvriss lutte pour débouchonner la potion, mais il réussit et…

« Par les dieux morts ! »

Avez-vous déjà senti… Non, attendez, je ne vais pas l’expliquer comme ça. Avez-vous déjà été renversé par une voiture ? Parce que l’odeur se répandant dans la tente est plus un coup physique qu’autre chose. J’y suis préparé, et pourtant je me plie en deux en manquant de vomir. Les autres ne sont pas aussi chanceux.

Ilvriss a un mouvement de recul, et je vois son visage changer. Il met la main à sa gorge, pour arrêter de vomir ? Alors que son autre griffe essaye d’attraper la fiole. Une erreur. Cette dernière tombe au sol et le liquide se répand au sol, et l’odeur empire.

Je vois l’aide devant moi s’effondrer et tomber dans les pommes. J’entends un bruit de vomi et je vois Periss courber en deux.

Pas le temps d’hésiter. Je me retourne, fait un pas et mon autre jambe fend l’air vers elle.

Periss est toujours en train de tenir son épée. Je suppose que les soldats ont de bons instincts. Elle me voit bouger et essaye de lever son épée, mais c’est trop tard. Mon tibia s’écrase contre son visage et elle s’effondre au sol.

Oh mon dieu. J’ai du vomi partout sur mon pantalon. Mais je n’ai pas de temps à perdre. Je charge vers Ilvriss et la table.

Il est encore en train d’essayer de reprendre sa respiration en luttant contre son envie de vomir. Je prends la potion de la table et il se tourne vers moi. Merde. Il a aussi une épée.

« Toi—»

Je débouchonne la potion et lui envoie au visage. J’ai acheté plusieurs potions d’Octavia, toutes basées sur des choses de mon monde. Je sais que celle-là marche, car elle là essayé sur elle.

La potion au poivre éclabousse le visage et les yeux d’Ilvriss et il recule brusquement, hurlant d’agonie. Je lance la bouteille en sol en espérant ne pas en avoir près du visage. J’enjambe le Seigneur des Murailles agonisant et attrape tout ce que je peux, les mettant dans mon sac.

Pas le temps de faire le tri. Je peux déjà entendre des gens crier et s’approcher. J’attrape le reste des objets d’Octavia, deux sacs et une potion, et regarde autour de moi.

Tout le monde dans la tente est au sol, mais Perris est déjà en train d’essayer de se relever et Ilvriss est en train de crier et de se rouler au sol. Il serait capable de me blesser s’il arrête de se frotter les yeux.

Est-ce que j’essaye de la prendre en otage ? Non. Quitter la tente ? Je vois des formes ? où… ?

Je me retourne et réalise que je suis de nouveau idiote. J’attrape mon sac, perds une seconde pour donner un coup de pied dans l’estomac d’Ilvriss, et charge un mur. N’importe quel mur. C’est une tente.

L’épée de Periss est très pratique pour couper le tissu. Je coupe une ouverture triangulaire alors que le premier soldat arrive dans la pièce. Je lui lance l’épée et il esquive, mais je lui touche la jambe. Les épées sont vraiment lourdes, d’accord ? Puis je sors de la tente et je cours.

Le camp est plongé dans le chaos. Quand j’ai utilisé la potion dans les Hautes-Passes, je l’avais simplement ouverte. Ilvriss a détruit la bouteille, donc tout le monde à directement prit une dose sans sommation. Certains Drakéides arrivent à bouger, comme moi, mais ils sont encore verts* et il semblerait que tous les Gnolls soient en train de se rouler au sol en tenant leurs nez.


*Vert dans le sens du teint de leur visage. Certains ont des écailles vertes, d’autres sont bleues, jaunes, noires… Bon, écoutes, je suis pressé là, d’accord ?


Je charge vers les abords du camp alors que les soldats me remarquent. Certains tendent la main vers leurs arcs et je laisse échapper un juron.

Cours en zig-zag, les épaules baissées et rapidement. Mais non, il y en a trop. Une potion ? Teriarch ou… ?

J’attrape un sac. Le premier sac que je lui ai demandé. Je défais la ficelle et le lance au sol alors que l’intérieur s’embrase.

De la fumée, épaisse et blanche, sort du sac. Les [Soldats] crient et certains battent en retraite, mais ce n’est pas du poison. Je me jette au sol alors que des flèches passent au-dessus de ma tête. La fumée m’entoure ainsi que tout ce qu’il y a autour de moi.

De la fumée. Je voulais une grenade, mais une mèche met du temps à s’allumer. Mais Octavia à réussi à en faire un sac, et elle a une pierre qui s’embrase au contact de l’air.

C’est une sorte de substance pyrophorique, et cela allume la mixture que je lui ai demandé. De la fumée. Il est possible de faire une grenade militaire avec un peu de salpêtre, de sulfure, de charbon et de sciure de bois. Tout cela se trouve facilement, les gens utilisent le salpêtre pour conserver de la nourriture. Il n’y a que le sulfure qui est difficile à obtenir. Mais une [Alchimiste] en avait un peu, et donc elle avait mélangé les ingrédients et rajouté quelque chose qui prenait feu au contact de l’air.

Grenade fumigène instantané. J’en faisais quand j’étais petite, jusqu’à me faire choper par la police.

Mais contrairement à la petite version que je faisais, celle-là est assez puissante pour couvrir une grande partie du camp. La fumée continue de monter et je tousse.

Garde la tête basse, sort du nuage. J’entends des cris et des bruits de course, mais je continue d’aller tout droit, priant pour ne pas rencontrer quelqu’un.

Cela m’arrive cinq fois. Mais ils sont aussi confus que moi, et le Muay Thai comporte de nombreuses manières de faire tomber, trébucher, et jeter au sol quelqu’un. Je sors de la fumée et du camp alors que les soldats me recherchent, puis ils chargent après moi.

Je suis presque aux abords du camp et courant vers la crête d’une colline quand j’entends un hurlement. Pas derrière moi, mais devant moi. J’hésite, et c’est quand la seconde armée franchit la colline et charge droit vers moi.

***

Zel Shivertail s’arrête avec ses soldats agenouillés à la base du sommet de la colline menant directement au camp ennemi. Il était confiant… Plutôt confiant que ses soldats étaient parvenus à éliminer tous les [Scouts] qu’Ilvriss avait posté, mais ils n’avaient que quelques minutes avant que leurs disparitions ne soient remarquées.

C’était le moment. Il regarda ses commandants, et vit qu’ils avaient confiance en lui. Il espérait qu’il n’allait pas trahir cette confiance. Il allait mener la charge, ce qui était risqué, mais il devait le faire. Un [Général] menait depuis la première ligne et était le plus grand guerrier.

Il leva un bras, et hésita alors qu’un [Scout] fonça vers lui, agitant une main velue en abandonnant le couvert des arbres. Zel fonça vers lui et il lui adressa la parole une fois suffisamment proche.

« Au rapport ! »

Il écouta le Gnoll pendant quelques secondes, et fonça de nouveau vers ses commandants. Ils le regardèrent, tendus, s’attendant au pire.

« C’est maintenant ! Les Ancêtres nous sourient en ce jour. Nos [Scouts] viennent de signaler que quelque chose vient d’arriver dans le camp. Le quartier général est en pagaille et ils ont baissé leur garde ! Suivez-moi ! »

Il bondit sur ses pieds, et ses soldats se levèrent avec lui. Zel chargea la colline en quelques secondes, et c’est en arrivant au sommet qu’il vit l’ampleur du chaos.

Le camp ennemi était rempli de soldats en déroute, et une épaisse fumée blanche recouvrait le camp principal. Zel vit les soldats foncer vers eux, mais ils n’avaient pas encore repéré l’armée. Non, ils étaient en train de chasser autre chose. Zel sourit.

« Une attaque de monstre, ou des renforts ? Dans tous les cas, c’est notre chance. »

Il regarda en arrière alors que les premiers [Soldats] gravirent la pente. Zel leva une griffe et hurla.

« Chargez ! »

Il déboula la pente, et il entendit l’armée rugir derrière lui en lui savant. Zel courut vers la fumée, ne savant pas ce qu’il allait trouver. Quelque chose était dans l’air, et l’odeur était tellement atroce qu’il avait envie de vomir. Mais il continua de courir, préparé à toutes éventualités.

Tout, sauf une grande Humaine courant hors de la fumée, courant comme si une Wyverne la pourchassait. La charge de Zal ralenti quand il l’a vit courir pour s’éloigner des soldats, hurlante.

« Putaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa—»

L’Humaine n’était pas seule. Des soldats sortirent hors de la fumée, pratiquement la moitié du camp. Ils s’arrêtèrent en voyant l’armée les chargeant, mais la fille se tourna et sprinta pour s’éloigner des deux groupes.

« Qui est-elle ? »

Zel n’avait pas de réponse. Une flèche perdue fila à côté de sa tête et il sourit. Il courut vers les soldats qui peinaient à faire une ligne et cria.

« [Charge Glorieuse] ! »

Les effets sur l’armée derrière lui furent instantanés. Ils rugirent alors que la compétence prit effet et Zel sourit en voyant l’expression des soldats ennemis. Tout le monde savait que Zel Shivertail était le plus grand général défensif du continent. Mais cela ne voulait pas dire qu’il n’avait pas quelques bonnes compétences offensives.

Peu de gens savaient qu’il avait cette compétence et à quel point elle pouvait être redoutable si bien utilisé. Zel sourit, sentant l’élan et la Compétence rendre son corps plus léger alors que ses soldats avancèrent tel un mur d’acier et de chair.

L’Humaine était déjà partie, mais la formation ennemie était en lambeau, et il pouvait sentir quelque chose d’horrible dans l’air et voir la fumée sortir depuis le centre du camp. Il allait peut-être devoir remercier cette fille une fois cette affaire bouclée. Le combat pas ne semblait plus si désespéré grâce à elle.

Le premier soldat vit Zel s’approcher et leva une lance, ses yeux s’écarquillant de peur alors qu’il vit le fameux [Général] le charger. Zel leva une griffe dépourvue d’arme et griffa, transperçant chair et armure. Puis il se retourna, tranchant un immense Gnoll. Il bloqua une lance d’une main, attrapant la pointe alors que le Drakéide tenant l’arme lutta pour la bouger.

L’un des soldats de Zel le chargea, l’empalant sur son épée, et puis le premier rang des soldats de Zel se fracassa contre les ennemis comme une marée. El sourit, et déchira un immense Drakéide se protégeant derrière son bouclier. Et le combat commença véritablement.

Hors ligne EllieVia

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #128 le: 09 décembre 2020 à 13:01:41 »

2.30 - Première Partie
 Traduit par EllieVia



Je me suis toujours considérée comme une personne plutôt détachée et distante. En grandissant, j’ai appris à ignorer les autres et à tracer ma propre route. Prenez la course, par exemple. Il y a beaucoup de coureurs et tout le monde s’accorde à dire que c’est bon pour la santé.
 
Mais ôtez vos s chaussures, et tout le monde se proclame subitement médecin et ne peut s’empêcher de donner son avis sur le fait qu’il est vraiment stupide de courir pieds nus à la fois pour les genoux, les pieds, la voûte plantaire…
 
Pour une raison qui m’échappe, ce que je fais importe aux gens, comme si je les forçais à courir pieds nus. Ou, au choix, si quelqu’un me voit courir en vêtements de sport à l’extérieur en hiver, il a subitement la certitude que je suis une pauvre fille sans abri prête à mourir de froid et essaie également de m’embêter.
 
Ce que j’essaie de dire, c’est que j’ai appris à ignorer les gens et à n’avoir aucune réaction vis-à-vis du monde qui m’entoure, ou du moins extérieurement. Je ne montre pas mes émotions, et je reste par conséquent calme la plupart du temps.
 
Merde, merde, merde !
 
Ce n’est pas le cas en ce moment. Je suis actuellement en train de ramper sur un andain de neige, et croyez-moi, je n’avance pas vite. Je guette toutes les deux secondes pour voir si je n’aperçois pas des silhouettes en train de bouger dans les ténèbres, et j’essaie de ne pas me pisser dessus.
 
Je suis en enfer. L’enfer au sens littéral. Vous voulez voir du sang et de la mort de partout ? C’est à peu près à cela que ressemble un champ de bataille, et celui-ci a traversé une descente aux enfers, principalement grâce à moi.
 
Plantons le décor. J’ai débarqué dans une escarmouche opposant deux armées, et me suis faite capturer. J’ai réussi on ne sait comment à m’échapper en créant beaucoup de chaos, utilisant un spray au poivre sur le général de l’armée et en lâchant une bombe fumigène au milieu du camp. J’étais en train de m’enfuir lorsque l’autre armée a attaqué et transformé ma charmante tentative d’évasion en merde noire.
 
Des milliers de soldats sont apparus sur la crête et se sont mis à charger pendant que je fuyais le camp. J’ai vu ce Drakéide en armure me passer juste devant en courant, sans armes exceptés ses poings. Mais l’armée qui le suivait est entrée en collision avec les soldats qui me pourchassaient comme un mur de briques, et je me suis soudain retrouvée au milieu d’une gigantesque bataille, trois fois plus grande que celle que j’avais vue du haut de la colline.
 
J’ai essayé de m’éclipser, mais j’imagine qu’attaquer un [Général] n’est pas un crime qu’on pardonne facilement parce que les archers et les mages ont continué de me viser pendant le combat des deux armées. J’ai fini par réussir à courir à toutes jambes me réfugier derrière un bosquet et me cacher à l’abri pendant que les deux fronts tentaient de se repousser l’un l’autre.
 
Tout était pour le mieux, n’est-ce pas ? Il suffisait que j’attende que l’attention s’éloigne de ma personne et que je m’enfuie en courant de là. Je peux courir vite. C’est pratiquement tout ce que je fais de ma vie.
 
Mais juste au moment où il semblait que les soldats commençaient à céder du terrain, quelqu’un - un mage- a décidé que ma bombe fumigène était une bonne idée. J’ai senti une brise, puis le monde entier s’est retrouvé recouvert d’une brume épaisse.
 
Brume ? Je retire ça. C’était plutôt du brouillard. On n’y voyait rien à plus d’un mètre cinquante, et je n’avais par conséquent aucune putain d’idée d’où je me trouvais. J’ai tenté de m’échapper deux fois, et me suis rendue compte que les deux côtés étaient tout aussi perdus que moi. Les soldats se sont mis à se disperser et à se battre en petits groupes de partout, et je n’avais donc aucune idée d’où m’enfuir.
 
C’est compliqué de se retrouver perdue au milieu d’un champ de bataille, mais le plus dur, c’est d’être la seule Humaine, coincée entre deux armées composées uniquement de Drakéides et de Gnolls. On a tendance à sortir du lot, et lorsque la première armée est sanguinaire et que l’autre ne te fait pas confiance, on a tendance à se faire tirer dessus.
 
Beaucoup.
 
Ma jambe brûle toujours. Je m’allonge dans la neige et la tâte. Je retire la flèche et verse une potion de soin dessus, mais j’imagine que ce n’est pas suffisant ou que la flèche n’était pas normale. Bordel. Est-ce qu’un fragment est resté coincé sous ma peau ?
 
Je suis incapable d’en être sûre. Il fait sombre, mes vêtements d’hiver recouvrent la plaie, et je n’ose pas allumer de feu ni même fabriquer une torche. J’entends des cris et des hurlements tout autour de moi. Les armées se battent toujours, et j’entends de temps en temps quelqu’un jeter un sort puissant, ou crier des ordres au loin. Je prie juste pour qu’ils ne me trouvent pas.
 
La neige fond dans mes vêtements, et je sais que cela va me ralentir si je reste ici plus longtemps. Je n’ai pas l’équipement d’hiver high-tech ; mes vêtements ne sont pas imperméables et je ne veux pas essayer de distancer ces soldats avec dix kilos en plus. Il faut que je me lève.
 
Lentement, je m’accroupis et regarde autour de moi. Bon, déjà, se localiser. Je suis peut-être à quelques kilomètres du camp où j’ai été retenue prisonnière, ou à quelques centimètres. La brume s’est dissipée au bout de quelques heures - juste au moment où le soleil se couchait.
 
Saletés de jours d’hiver. Saletés de soldats. Saleté de Seigneur des Murailles et saleté de chien d’attaque. Saleté d’armée ennemie opportuniste.
 
Et saleté de moi-même de ne pas avoir attendu qu’Octavia fasse des copies de tous les sacs et les potions que j’avais commandées ! À quoi je pensais, putain ?
 
Il ne me reste plus qu’un sac, une potion, et la potion magique de [Célérité] de Teriarch. Et le problème, c’est que le sac et la potion marchent ensemble - si je suis réaliste, il ne me reste plus qu’une seule tactique de diversion. Et elle est… comment dire…
 
Je tâte le lourd sac que j’ai attaché à ma ceinture. J’espère vraiment que le contenu n’a pas pris l’eau, sinon il ne me serait plus d’aucune utilité, mais Octavia m’a assurée que le matériau qui entre dans la composition des sacs alchimiques résiste aux déchirures et à l’eau. C’est indispensable si on veut pouvoir transporter la plupart des trucs que les [Alchimistes] fourrent là-dedans*.


* Ils ont de tout, des Sacalianes aux explosifs magiques mortels que j’aurais vraiment aimé avoir acheté là tout de suite. Voilà : Octavia connaissait les versions alchimiques de tout ce que je voulais, mais elles étaient toutes beaucoup plus chères que celles que je lui ai faites faire. Je n’ai pas exactement fait preuve de créativité lorsque je lui ai exposé ma requête, mais j’ai réussi à mettre au point des variations bien meilleur marché que les versions existantes. Une bombe fumigène made in mon monde ne m’a coûté qu’une poignée de pièces d’argent (sans compter le coût des expérimentations et de la recherche), alors que cela coûterait au moins quelques pièces d’or avec tous les ingrédients magiques et les sorts qui entrent dans leur composition ici.


Il faut d’abord jeter le sac, puis la potion. Compris, compris. Le problème, c’est qu’elle risque de tuer n’importe quelle personne lambda et que… je n’en ai pas envie.
 
Qu’est-ce que je raconte ? C’est la guerre. Mais je ne suis pas soldate, et je ne suis pas une tueuse. C’est Erin qui me l’a dit.
 
Bordel.
 
La potion, alors ? J’ai été tentée plusieurs fois d’ouvrir le bouchon et de prendre quelques goulées, mais la potion de Teriarch est vraiment mon dernier recours possible. Je ne l’utiliserai pas à moins d’être littéralement sur le point de mourir, parce si je finis dans ce genre de situation et que je n’en ai plus…
 
Autre chose. Une diversion mortelle, une potion d’urgence. Quelques potions de soin. Et ma jambe…
 
Agh. Je grimace en me relevant et avance dans les broussailles couvertes de neige. J’ai mal. Bordel, il y a bien quelque chose qui cloche. Il faut que je voie.
 
Mais la lumière… je regarde autour de moi.
 
Je suis dans un petit taillis, ou dans une énorme forêt ? Il y a un terrain à découvert à ma gauche, et la majeure partie du bruit vient de là.
 
Est-ce que je peux prendre le risque ? Est-ce que j’ai le choix ? Je m’accroupis dans le buisson, sans prêter attention aux branches qui m’éraflent. Ce n’est pas le problème principal. Je vais prendre le risque.
 
Et au moins je n’ai pas besoin de me battre avec de l’amadou et une pierre à feu dans le noir. Je prends une grande inspiration et me concentre.
 
“Ok, ok. Tu peux le faire.”
 
Je ne peux pas faire une sphère de [Lumière] ordinaire. Je me ferais immédiatement repérer dans la nuit ; j’ai vu quelques [Soldats] en créer et ils se sont immédiatement fait tirer comme des lapins par un groupe d’archers. C’est trop visible, mais j’ai bel et bien besoin de lumière.
 
Donc pourquoi ne pas altérer un peu le sort ? C’est le sort de [Lumière], et lorsqu’elle m’entraînait, Ceria m’a dit qu’il était très facile à manipuler. Je n’ai besoin que d’une image, et je visualise ce dont j’ai besoin en ce moment-même.
 
Je murmure en pointant un doigt sur ma jambe.
 
“Allez, tu as vu ça des millions de fois.”
 
Concentre-toi, pense précis, dirigé. Concentré. Un fin faisceau de lumière, comme une…
 
“[Lampe Torche].”
 
Quelque chose se tord dans mon esprit lorsque je prononce le mot. On dirait qu’une pression incroyable s’applique sur mon cerveau, puis un soulagement soudain se fait ressentir lorsque le sort de [Lumière] s’altère et qu’un nouveau prend sa place.
 
Et la lumière apparaît. Mais elle ne provient toutefois pas d’une orbe.
 
Je lève lentement mon doigt et le regarde fixement. Le bout de mon doigt brille d’une lumière blanc-jaune, et il émet un cône de lumière qui ressemble exactement à la lumière d’une lampe torche. C’est un faisceau étroit ; plus un stylo-lampe qu’autre chose. C’est parfait, et c’est exactement ce dont j’ai besoin.
 
“Eh bah bon sang.”
 
C’est tellement pratique. Pourquoi est-ce que Ceria ne m’a pas enseigné ce sort plutôt que l’orbe de lumière ? C’est tellement utile… mais là encore, c’est peut-être un sort différent qu’apprennent les mages. Ou pas. Si on a la capacité d’éclairer ce qu’il t’entoure, pourquoi s’embêter à créer un faisceau de lumière ?
 
Qu’importe, c’est parfait pour rester discrète. Je doute que la lumière soit trop visible là où je suis, dans les buissons, et j’éclaire donc rapidement ma jambe.
 
C’est étrange de retrousser le tissu autour de ma blessure alors qu’une de mes mains me sert de source de lumière, mais j’arrive à enlever le tissu et à voir enfin le problème.
 
“Ouille.”
 
On dirait que j’ai raté une zone en arrachant cette putain de flèche. Je vois une écharde - ou plutôt un gros fragment enfoui à l’intérieur de ma chair. La potion a fait repousser la peau autour, et je grimace en touchant doucement le morceau de bois.
 
Bordel. Il est coincé dedans, maintenant. Mais j’ai besoin qu’il sorte, donc je pince et je le tire.
 
Des étincelles. Des éclairs de douleur. Ma chair se déchire et je manque de peu crier lorsque le bois se fendille. Je porte la main à ma ceinture et en tire un petit couteau.
 
Lentement, très lentement, j’ôte des échardes et repousse ma peau pour récupérer le reste. La douleur…
 
Ce n’est pas la pire douleur que j’aie jamais ressentie, mais mes yeux sont emplis de larmes lorsque j’en ai terminé. J’attrape une bouteille dans mon sac et verse la fin de la potion de soin sur la blessure. Elle se referme instantanément, et la douleur a disparu.
 
Je dois rester assise un moment après ça. Juste un instant. Je sors à croupetons des buissons et m’accroupis dans la neige quelques secondes. Je ne réalise qu’à ce moment-là que mon doigt est encore en train de briller à la mode E.T. Je fronce les sourcils, et annule la magie.
 
J’enfouis mon visage dans mes mains. Bon dieu. C’est plus qu’intense. J’entends toujours les combats se dérouler autour de moi, plus loin. Qu’est-ce que je fais à présent? Est-ce que je tente de m’enfuir ? Je devrais faire ça, pas vrai ?
 
Réfléchissons à nos options. Soit je m’enfuis maintenant, soit j’attends et je me cache jusqu’au matin. Mais je ferai quoi ensuite ? Courir en plein jour me fera instantanément repérer, et si j’essaie de continuer à me cacher, les probabilités que je sois découverte augmenteront aussi. Après une bataille comme celle-ci, quiconque aura remporté la victoire va passer les bois au peigne fin à la recherche de survivants, et si l’armée du Seigneur des Murailles me retrouve, je n’en ferai pas partie.
 
Il ne me reste qu’une option : quitter la zone du champ de bataille, mais il reste un problème… où aller ?
 
N’importe où. N’importe où fera l’affaire. Si je choisis une direction et que je cours, je finirai forcément par leur échapper. C’est à cet espoir que je dois m’accrocher.
 
Je reste accroupie dans la neige, et je me rends soudain compte de quelque chose d’affreux.
 
J’ai besoin d’aller aux toilettes. Genre, maintenant. C’est dégueulasse, mais c’est la nature. J’étais avec les Fées de Givre ce matin, puis on m’a retenue prisonnière, ces crétins de [Seigneurs] et leurs pièges, puis j’ai couru pour sauver ma peau puis je me suis cachée le reste de la journée.
 
Merde. Je veux dire, pas merde. Ce n’est pas le moment pour ce genre de choses. Je suis prise au beau milieu d’une guerre, là !
 
Mais qu’est-ce que je suis censée faire ? C‘est un autre problème auquel je n’avais pas songé, mais là encore, je n’ai pas le choix.
 
Trouver un abri… je lorgne le buisson. C’est un endroit vraiment inconfortable pour s’accroupir, mais ça vaut mieux que tout le reste.
 
“Bordel.”
 

 
Est-ce que vous savez à quel point c’est difficile d’enlever plusieurs couches de vêtements d’hiver puis de faire ses petites affaires en entendant des gens mourir et se découper en tranches tout autour de soi ? Je veux dire, ça aide le transit intestinal, si on veut, mais en revanche…
 
La peur et la haine se partagent globalement mon cœur lorsque je me retrouve à écarter les branches et à forcer la nature à accélérer le mouvement. Je suis terrifiée à l’idée que quelqu’un me voit à un moment ou à un autre et ce n’est pas ainsi que je veux mourir…






“Est-ce que vous pensez qu’on devrait revenir quand elle aura fini ?”
“Bah ! Ce n’est qu’un peu de terre de nuit. Ça fera du bien aux ronces.”






Je pousse un juron, et suis saisie d’une petite attaque cardiaque en entendant les voix dans mon oreille. Je me retourne, et je vois un visage familier. Une Fée de Givre me sourit, perchée sur une feuille, et le reste de ses amies sont assises dans le buisson. En train de me regarder faire quelque chose de très intime.
 
Je leur grogne dessus.
 
Venez pas me faire chier !



“J’avais cru que c’était ce que tu cherchais à faire, pourtant, non ?”


Les fées rient aux éclats tandis que je me précipite sur mes vêtements. Un petit soulagement, cependant : j’ai du papier toilettes avec moi*. Je m’essuie rapidement et sort du buisson, les fées flottant autour de moi, papotant entre elles et batifolant dans les airs comme si elles ne voyaient pas la bataille.
 
* En l’occurrence, on parle ici de morceaux de parchemin, de larges feuilles, et de tout ce que j’ai pu prendre avec moi qui avait l’air doux pour la peau. Ce n’est pas comme s’il était possible de trouver des industries produisant du véritable papier toilette, et certaines personnes dans ce monde utilisent des pierres, de l’argile, des éponges… pas moi, merci.
 
Une fois ma dignité convenablement retrouvée, je crache :
“Qu’est-ce que vous foutez ici ?”
 
L’une des fées s’installe dans le buisson, ne prêtant apparemment aucune attention à l’événement qui vient de s’y dérouler.



“Nous sommes ici pour remplir notre part du contrat, stupide mortelle. Crois-tu donc que nous soyons des briseuses de serment, qui reprennent leur parole pour une petite guerre idiote entre mortels ?”
 
Je cligne des yeux, puis me souviens.
 
“Vous voulez dire que vous allez me mener au Nécromancien ? Est-ce que vous ne pouvez pas voir les gens qui s’entretuent par là-bas ?”
 
L’une des fées soupire et elle flotte jusqu’à la canopée.



“Je ne vois rien d’inquiétant. Tu as peur des soldats ? Hah !”
 
Elle hausse la voix et se met à crier.




“Venez vous battre, alors, mortels pitoyables ! Venez, avec vos lances et votre métal ! Cette Humaine va tous vous battre !”



Ferme-la !”
 
Je gronde le plus fort possible sur la fée, scrutant frénétiquement les alentours. Elle redescend et se moque de moi.




“C’est toi qui devrais te taire ! L’as-tu donc oublié ? Les mortels ne peuvent entendre nos paroles et ne peuvent voir nos vrais visages. C’est toi qui te balade en faisant du bruit dans les ténèbres.”




C’est… vrai. Vrai, mais j’ai juste envie de mettre une claque à la fée pour effacer son sourire narquois. Je prends plusieurs grandes inspirations. Même en pleine guerre, ces petits cauchemars ne changent pas. Si nous étions tous à la potence, elles raconteraient des blagues en mangeant du popcorn. Elles apprécieraient sans doute beaucoup le spectacle.
 
Mais elles sont là, et étrangement, leur présence me rassure, même si elles m’agacent. Je me reprends, et réajuste mon plan.
 
“D’accord, d’accord, tu as raison. Je suis désolée. Est-ce que vous pouvez… me mener au Nécromancien ?”



“Nous te mènerons là où se rassemblent les morts, comme convenu, Humaine.”
 
Les contrats des fées. Toujours lire les petites lettres en bas du contrat. Je ne suis pas d’humeur à analyser cette affirmation, et je hoche donc la tête.
 
“Est-ce que vous me ferez passer par un chemin sûr ? Loin des soldats, je veux dire ?”
 
Les fées me lancent un regard dur.
“Aucun chemin n’est sûr pendant la guerre, Humaine. Du moins, pas pour toi. Nous t’emmènerons loin des combats, mais nous ne te promettons rien.”
 
Merde. Mais c’est mieux qu’errer sans but, et, hé, peut-être que ce Nécromancien ne s’intéressera pas de trop près ) une humaine solitaire. Je n’ai toujours pas vu de morts-vivants, ce qui me donne plus ou moins envie de le chercher lui plutôt que n’importe quoi qui soit vivant en ce moment.
 
“Ça marche, je vous suis.”



“Marche d’un pas vif, et aussi silencieusement que tu en es capable, Humaine. Par ici.”


Les fées volent devant moi, à droite. Et s’enfoncent dans la forêt. J’hésite, puis je les suis, lentement, doucement, grimaçant à chaque crissement de neige sous mes bottes, à chaque branche qui craque.
 
Le voyage dans les ténèbres est long et éprouvant, et seule la lumière de l’aura bleutée des fées guide mes pas. Mais nous arrivons enfin à une clairière et les fées flottent devant moi en pointant du doigt.



“Voilà. Derrière se trouve le lieu que tu cherches.”


Mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine lorsque je m’arrête pour contempler les arbres. Ils n’ont rien de spécial. Des ombres ténébreuses semblent tout engloutir à quelques pas de là, mais à part ce détail, la rangée d’arbres m’a l’air tout à fait ordinaire.
 
“Vous êtes sû…”
 
 Évidemment qu’elles sont sûres. Je ravale ma question.
 
“D’accord, allons-y.”
 
J’avance lentement dans les arbres, repoussant les épaisses branches sur mon passage. J’ai les nerfs en pelote. Il fait tellement sombre. Qu’est-ce qui m’attend derrière ces arbres ? La mort ? Cela ne peut pas être pire que ce qui se trouve dans mon dos.
 
Mais alors… une voix résonne à mon oreille.




“Stop.”
 
Je m’arrête instantanément, guettant des bruits de pas. Mais la fée qui flotte devant mes yeux pointe du doigt.


“Va à gauche, là-bas.”
 
Je lui lance un regard suspicieux, mais suis ses instructions. Mais au bout de quelques pas, elle m’arrête de nouveau.


“Tout droit, à présent.”


Là encore, je ne fais pas plus de dix pas avant qu’elle ne dise :


“À droite à présent.”



“Oh pitié.”
 
La fée me fusille du regard en voyant mon air irrité.




“C’est le chemin, Humaine. Est-ce que tu veux trouver ce Nécromancien ou non ?”



Je préférerais m’en abstenir, mais peut-être qu’elles me font éviter des pièges, ou un truc du genre. J’obéis, grincheuse, mais la fée se met alors à flotter devant moi.




“Bien. Recule à présent.”
 
“Tu dis ça pour me faire chier.”
 
“Non, tu sais très bien le faire toute seule. C’est le seul chemin pour traverser ce labyrinthe.”


“Un labyrinthe ? Quel labyrinthe ? On est dans les arbres !”
 
La fée me lance à nouveau un regard, et je réalise à quel point ça a l’air stupide dit comme ça. La magie n’a pas besoin d’être visible, n’est-ce pas ? Mais là encore… elle pourrait juste être en train de se foutre de moi. Le problème étant que les deux théories ont l’air aussi valides l’une que l’autre.
 
Mais les fées ne mentent pas… beaucoup. Je me retourne donc dans un soupir, mais la fée me crie encore dessus.




“Non, ne te retourne pas ! Marche à reculons, folle que tu es !”
 
Je la fusille du regard, mais regarde de nouveau devant moi et me mets à reculer lentement.
 
“Si c’est encore une farce…”
 
La fée lève les yeux au ciel, exaspérée.



“Regarde ta pierre, espèce d’idiote !”
 
J’avais oublié un instant que j’avais la pierre enchantée de Teriarch. Je la sors alors de ma poche et regarde fixement la flèche magique.
 
Elle pointe dans mon dos. Je me retourne, et elle change de direction. Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? On ne peut se rendre à destination qu’en reculant, ici ?
 
J’essaie de suivre les directions de la pierre, en reculant, puis en avançant, en tournant à gauche et à droite, en suivant un chemin apparemment aléatoire. Pas étonnant que tout le monde croie que le Nécromancien est mort si c’est comme ça qu’il faut faire pour l’atteindre.
 
“C’est une bonne astuce.”



“Pas si bonne que ça. Et tu as raté un pas. Tu as trop avancé.”


Merde. Elle a raison. Je me retrouve je ne sais comment de nouveau dans la clairière. Je soupire, puis me fige en entendant une voix.
 
“Tu es une Courrier, alors ?”
 
Je fais volte-face. Derrière moi se tient un Drakéide, un grand guerrier vêtu d’une armure de plates. Mon cœur se glace dans ma poitrine. Oh non. Un soldat.
 
Je porte la main à ma ceinture, mais le soldat soupire.
 
“Ne bouge pas. Je ne veux pas te faire de mal, mais je ne suis pas d’humeur à me prendre une concoction d’[Alchimiste].”
 
Je me fige, et le Drakéide hoche la tête. Mes yeux parcourent la clairière, mais nous sommes seuls dans la clairière. Littéralement.
 
Les fées ont disparu. Apparemment, elles ne m’aideront pas en cas d’attaque. Je ne sais pas quoi faire.
 
Je dévisage le Drakéide et le reconnaît vaguement. C’est celui qui a mené la charge contre l’autre armée. Il est couvert de sang, on dirait presque qu’il en a peint ses bras.
 
“Je t’ai vu t’enfuir du camp d’Ilvriss. Je suppose que tu n’as rien pour moi ?”
 
Il n’a pas l’air trop hostile, et il n’est clairement pas avec les soldats auxquels j’ai échappé. J’hésite.
 
“Non. Je suis là pour une mission différente. Mais je suis une Coursière ?”
 
“Qui d’autre peut donc bien vivre si loin de la civilisation ? Non, inutile de répondre. Je n’ai pas spécialement envie de le savoir pour le moment. Mais dis-moi, est-ce que tu as vu d’autres soldats dans le coin ? J’ai été séparé de mon armée, et je n’arrête pas de revenir ici.”
 
Il est perdu ? Je jette un regard en coin aux arbres dans mon dos. Ça doit être un effet secondaire malencontreux du sortilège.
 
“Je n’ai vu personne, mais je crois que les combats se déroulent par là-bas.”
 
Je montre d’où je suis venue.
 
“Pas sûr de savoir s’ils sont de ton côté ou de l’autre, en revanche. Je ne me suis pas approchée pour vérifier.”
 
Le Drakéide hausse les épaules avec lassitude.
 
“Cela n’a pas d’importance, de toute façon. Tant que je retourne au combat. J’aimerais discuter avec toi quand tout cela sera terminé, si on gagne. On dirait que je te suis redevable d’avoir causé ce chaos dans leur camp.”
 
Sérieusement ? Un Drakéide qui n’a pas immédiatement des soupçons en me voyant ? Un soldat sensé ? C’est presque plus difficile que de croire à l’existence d’un labyrinthe magique de forêt. Mais à cheval donné, on ne regarde pas les dents, surtout quand il a l’air d’avoir récemment éventré un tas de gens avec ses griffes.
 
“Ça marche. Merci. Je vais y aller, alors…”
 
Je recule de quelques pas.  Le Drakéide sourit.
 
“Je comprends. Mais avant que tu partes… est-ce que tu peux me dire ton nom ? Je m’appelle Zel.”
 
“... moi c’est Ryoka.”
 
Il acquiesce et me sourit de nouveau.
 
“Ravi d’avoir fait ta connaissance, Miss Ryoka. Je te laisse reprendre ta route, à présent.”
 
Il se détourne et commence à partir, mais il s’arrête alors, et soupire. Je me tends, mais il n’est pas en train de me regarder, moi. Zel se gratte la joue d’un air las en y laissant une trace de sang.
 
“Oh, bouse de Dragon.”
 
Je me retourne. Là, au bord de la clairière, se trouve un groupe de soldats, les armes au clair, et à leur tête, deux Drakéides que je reconnais.
 
Le Seigneur des Murailles, Ilvriss, avance, resplendissant dans son armure or et incarnat, sa loyale subordonnée Périss à ses côtés. Sa cape virevolte lorsqu’il tire son épée, une lame brillante qui brille même dans le noir.
 
L’effet global est quelque peu gâché par ses yeux rougis et l’affreuse puanteur qui émane de Périss et lui. C’est peut-être la raison pour laquelle ses soldats d’élite se tiennent un peu plus loin du duo que nécessaire.
 
Ilvriss regarde fixement Zel et moi d’un air enflammé, battant très rapidement des paupières. Il a l’air en rogne. Et, euh, je suis peut-être en train de me cacher derrière Zel, à ce stade.
 
Le Drakéide solitaire regarda Ilvriss et ses guerriers sans une once de peur, mais plutôt avec lassitude et résignation. Il hoche la tête et Ilvriss lui retourne son salut.
 
“Zel Shivertail.”
 
“Seigneur des Murailles Ilvriss. J’imagine que tu n’es pas venu te rendre, n’est-ce pas ?”
 
“Bien au contraire. Je vais te faire abdiquer ici, maintenant, ou quand je t’aurai vaincu. Cette bataille est terminée.”
 
Zel acquiesce, comme s’il s’y attendait. Il examine les yeux rouges d’Ilvriss et Périss avec intérêt. Cette dernière a une sacrée ecchymose qui s’est étalée sous ses écailles là où je l’ai frappée, et Ilvriss et elle me regardent tous les deux avec une rage meurtrière contenue.
 
“C’est un sacré nombre de soldats d’élite venus me capturer. Je suis flatté.”
 
Ilvriss secoue la tête, agacé.
 
“Je ne voudrais pas souiller notre duel avec des tours aussi sournois. Ils sont là pour elle.”
 
Il tend son épée dans ma direction, et tous les regards se tournent vers moi. Oh merde.
 
Il doit y avoir au moins quinze soldats derrière Périss, et ils ont tous l’air d’avoir une armure spéciale. Comment je le sais ? Les runes magiques, le métal qui brille alors qu’il n’y a pas de lumière, et l’ambiance générale de… mort qui émane du groupe de soldats.
 
Je vais mourir, c’est clair.
 
Ilvriss fait un signe de tête à sa seconde.
 
“Je m’occupe de Shivertail. Capture l’Humaine.”
 
Je me tends, prête à m’enfuir, mais étonnamment, Zel intervient. Il s’avance d’un pas nonchalant vers Ilvriss et tous ceux présents dans la clairière lèvent leurs armes. Est-ce que c’est une espèce de gros dur à cuire ? Ou… le général de l’armée d’en face ?
 
“Attendez, c’est un peu injuste. Pourquoi ne pas envoyer quelques-uns de ces guerriers sur moi ? Je suis sûr que le combat sera plus équitable ainsi.”
 
Il lève une griffe sanglante, et Périss hésite. Elle se tourne vers Ilvriss.
 
“Mon Seigneur…”
 
Il la fusille du regard. On dirait qu’il veut un duel honorable, même si tout le monde pense que c’est une idée parfaitement stupide. Il me pointe du doigt.
 
“Va, Périss. Tranche-lui les jambes s’il le faut, mais ramène-la moi vivante.”
 
Ça, ça sent le roussi. Je recule de deux pas, mais l’un des Drakéides lève son arc. Eh bien, merde. Je ne peux clairement pas distancer une flèche. Réfléchis, Ryoka. Qu’est-ce que je peux...
 
Il fait sombre dans la clairière. Je regarde autour de moi. Les rayons de la lune filtrent faiblement à travers l’épaisse canopée. Si je fuis… non, leur vision est trop bonne.
 
Leurs yeux. Trop efficaces. Vision de nuit. Mes yeux s’étrécissent. Zel est en train de commencer à faire un cercle autour d’Ilvriss et Périss avance lentement dans ma direction, l’épée au clair. Ses yeux sont fixés sur ma ceinture, mais je n’essaie pas d’attraper une portion. Au lieu de cela, je lève lentement ma main.
 
“Hey, Seigneur de Mon Cul. Regarde bien ceci.”
 
Ilvriss m’accorde un regard et ouvre la bouche au même moment que Périss. Mais c’est tout le temps dont j’ai besoin. Je me concentre, et pousse toute la magie que je possède en un sort.
 
Maintenant.
 
Ma paume s’illumine d’une lumière blanche, et Drakéides et Gnolls poussent tous un cri en se protégeant les yeux. C’est de nouveau le sort de [Lampe Torche], mais avec une intensité maximale cette fois-ci.
 
Je me retourne et part en courant en direction de la section enchantée de la forêt, gardant ma main pointée en arrière. La lumière est aveuglante, mais j’entends les soldats se précipiter à mes trousses tandis que ce type, Zel, bondit sur Ilvriss.
 
Les arbres m’encerclent. J’hésite. La pierre de Teriarch est à ma ceinture. Dans quelle direction… ?
 

Hors ligne EllieVia

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #129 le: 09 décembre 2020 à 13:06:09 »
2.30 - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia

“À droite, Humaine !”


Une fée descend à côté de moi et me hurle dans les oreilles. Je cours immédiatement à gauche en gardant ma paume tendue derrière moi. Pour les aveugler. J’entends les cris furieux de Périss, sa voix qui résonne entre les arbres.
 
“Emparez-vous d’elle ! Annulez ce sort !”
 
La vive lumière émanant de ma paume s’éteint soudain. Je cligne des yeux, sous le choc, et manque tomber alors que les ténèbres de la forêt se referment soudain sur moi.
 
Oh bon sang. Je ne savais pas que les mages pouvaient faire ça. Je laisse retomber ma main et consacre toute mon énergie à courir. Les fées continuent de me crier les directions et je leur obéis en entendant mes poursuivants crier, sur mes talons.


“Tout droit ! À droite !”

“À gauche en diagonale ! Non, l’autre gauche !”
 
“Arrête-toi et tourne à droite ! Là ! Cours !”
 
“À gauche à présent !”



Mon pied se prend dans une racine, et je chancelle. Mes bras font de grands moulinets et je parviens dans un sursaut à rester debout…
 
Et m’arrête en voyant le château.
 
Il se dresse au milieu d’une grande étendue de terre plate recouverte de neige blanche. C’est impossible, mais un château se tient soudain devant moi, une structure nichée au milieu d’une portion de forêt mise à nu. Il restait invisible tant que je traversais ce labyrinthe ; j’aurais juré qu’il n’y avait encore que des arbres devant moi.
 
Mais le voilà. Un château. La maison du Nécromancien, je n’en ai aucun doute. Il me surplombe, une forteresse de pierre noire, une sentinelle solitaire au milieu du paysage ouvert couvert de neige. Il y a de la beauté, ici, mais je n’ai pas le temps d’admirer la vue.
 
“Ne bouge plus, Humaine.”
 
J’entends la voix une seconde avant qu’une main ne m’attrape et qu’une lame d’acier apparaisse sous ma gorge. Périss me traîne durement en arrière tandis que ses soldats se précipitent hors de la forêt qui se dresse dans mon dos. Ils ont, d’une manière qui m’échappe, réussi à me suivre dans le labyrinthe.
 
“Mage, surveille-la et neutralise tous les sorts qu’elle pourrait tenter de lancer.”
 
Périss est tellement focalisée sur moi qu’elle ne voit même pas le château. Je me tiens très immobile tandis que l’acier mord ma peau, regardant les autres soldats retenir leur souffle et reculer en apercevant l’imposant château. Mais Périss n’a d’yeux que pour moi. Elle donne des ordres d’un ton sec aux autres soldats.
 
“Que quelqu’un fouille sa ceinture et son sac ! Retirez-en tous les objets suspects.”
 
Un soldat, un grand Gnoll armé d’un merlin, hésite.
 
“Dame Périss…”
 
La Drakéide ne lui accorde aucune attention. Elle me fusille du regard.
 
“Nous allons retourner aux côtés du Seigneur des Murailles Ilvriss pour l’assister dans sa bataille. Préparez-vous à combattre Zel Shivertail. Et je te jure, Humaine, que si tu tentes quoi que ce soit, nous te trancherons les jambes et les bras…”
 
Dame Périss !
 
Elle finit enfin par lever les yeux et se fige. L’épée pressée contre ma gorge s’abaisse, mais je n’ose pas bouger. Périss me relâche lentement et recule d’un pas.
 
“Par tous les Ancêtres, qu’est-ce que… ?”
 
Elle se tourne vers moi, et l’épée revient soudain se plaquer contre ma gorge. Je lève les mains en l’air, mais la pointe de l’épée est littéralement en train de me chatouiller le larynx.
 
“Quel est ce lieu, Humaine. Où nous as-tu emmenés ?”
 
Je déglutis. C’est vraiment douloureux, étant donné que le bout de l’épée me transperce la gorge…
 
“C’est le lieu où se rassemblent les morts.”
 
Comment ?
 
“C’est le foyer d’un [Nécromancien]. Ah, du Nécromancien. Az’Kerash.”
 
On dirait que je viens de dire que je les ai amenés aux portes de l’enfer. Les soldats d’élite gémissent à voix haute,  et les écailles de Périss deviennent presque aussi blanches que la neige environnante. Mais, et c’est tout à son honneur, elle n’hésite pas un instant.
 
“Battez en retraite ! Tout de suite !”
 
Elle me prend à bras-le-corps et un autre Drakéide l’aide à me traîner en arrière. Je me sens pratiquement soulevée du sol tandis que les soldats se précipitent vers la forêt.
 
Nous réussissons à faire une quinzaine de pas à l’intérieur avant de nous retrouver brutalement en train de nous précipiter vers l’extérieur. Périss et ses guerriers s’arrêtent, décontenancés, mais j’ai compris le problème.
 
“C’est un labyrinthe. Il faut suivre le chemin pour ressortir.”
 
Elle se retourne et me saisit de ses deux serres.
 
“Quel chemin ? Dis-nous comment sortir d’ici ?”
 
“Je ne sais pas ! Je n’ai que ce truc, mais il pointe dans la direction du Nécromancien, pas l’inverse !”
 
Je lui montre la pierre magique. Périss la contemple puis secoue la tête.
 
“Nous sommes piégés ici, alors.”
 
Elle me relâche lentement puis regarde autour d’elle.
 
“Soldats, camarades. Ce fut un honneur. Prononcez vos derniers mots maintenant, si vous en avez.”
 
Les Drakéides et les Gnolls autour de nous regardent Périss, leurs armes légèrement baissées. Ils hésitent. Puis un Drakéide se met à murmurer, et un Gnoll hurle, la tête rejetée en arrière. Je contemple les autres se mettre à parler doucement, ou à attendre, tout simplement, les mains sur le pommeau de leur épée, les yeux rivés sur le château.
 
Périss me dévisage, toute trace d’hostilité envolée.
 
“J’ai toujours aimé mon Seigneur. J’aurais tant voulu avoir eu le courage de le lui dire.”
 
Je la regarde fixement sans comprendre. Périss soutient mon regard, puis hoche la tête, et se détourne.
 
Un adieu.
 
Je ne sais pas ce qu’il se passe. Je ne comprends pas. Et, à la vérité, je n’ai jamais compris.
 
Le Nécromancien. Az’Kerash. Il n’est qu’un nom parmi d’autres, pour moi, un autre gros bonnet dans un monde où tout le monde se promène tête nue. Comment pourrais-je comprendre qui il est, alors que tout le monde parle de lui comme si son nom était de notoriété publique ?
 
Ce qui est probablement le cas. Mais je ne le connais pas. C’est comme si quelqu’un qui n’avait jamais visité notre monde entendait parler d’Hitler et se demandait de qui il s’agissait. Je n’avais pas réalisé la gravité de la tâche que m’avait confiée Teriarch, et je ne comprends donc pas pourquoi les soldats ont l’air de se préparer à mourir.
 
Mais alors la terre tremble, et je comprends. J’entends un grincement, qui ne ressemblent en rien aux bruits d’un processus géologique naturel, mais plutôt à quelque chose qui ne serait ni vivant ni mort. LE bruit résonne dans le sol, un bruit horrible qui vient de l’au-delà, des profondeurs de l’horreur sombre et de la peur.
 
Une hémorragie du cerveau. Des formes grouillant sous ton lit. L’ombre qui se tient devant ta porte. Des asticots qui rampent dans ta bouche et dans tes yeux.
 
La peur.
 
Boum-boum.

 
Mon cœur résonne. Je me retourne, et aperçois une portion du sol en train de gonfler. Périss lève lentement son épée.
 
La terre tremble. Je le sens dans mes os.
 
C’est ici que se rassemblent les morts. C’est ici que vit le Nécromancien. Mais, je ne sais comment, j’avais oublié ce que cela signifiait.
 
Je sais, à présent. Je comprends, à présent.
 
Quelque chose surgit du sol, une main, à la chair grisâtre, aux tendons pourris. Mais rose par endroits, aussi, et d’un rouge purulent. Et des os. Un bras, mais qui ne ressemble à celui d’aucun Humain.
 
Il se tend vers le ciel, chacun de ses doigts aussi grand que moi, et le colosse se lève. Une tête traverse la neige, et deux yeux creux remplis d’asticots monstrueux nous regardent. Je hurle dans ma tête, mais seul le silence remplit l’air glacé.
 
Az’Kerash. Le Nécromancien.
 
Le géant mort-vivant sort lentement du sol et les soldats derrière moi lèvent les yeux sur lui. Leurs armes magiques, qui avaient l’air tellement menaçantes, ressemblent soudain à des jouets entre les mains d’une bande d’enfants. Ce sont des fourmis, et moi aussi.
 
Le géant s’arrête à mi-hauteur. Il lève son autre bras et le secoue pour faire tomber la neige et la terre qui le recouvraient. Puis il attend. J’hésite, mais j’aperçois alors d’autres silhouettes.
 
Elles sont assises sur la neige, ou en train de se déverser du château. Des squelettes, des zombies, et d’autres silhouettes encore plus monstrueuses. Une créature hideuse, gonflée, avec des os en guise de dents et munie de griffes se traîne au sol, un sang noir coulant de sa “bouche”. Une chose constituée d’un amas de vers rampe à travers la neige, se reformant sans cesse.
 
Le cadavre imposant d’un Gnoll avance sur nous, une hache de guerre massive à la main, vêtu d’une armure d’argent terni et d’un bandeau qui lui à la lumière de la Lune.
 
Une armée des morts. Ils avancent sur nous, lentement, comme s’ils avaient tout leur temps. Et c’est le cas. Ils sont morts, infinis, immortels. Et nous sommes piégés, et seuls.
 
“Humaine.”
 
C’est Périss qui s’adresse doucement à moi, sans quitter des yeux les morts-vivants en approche. Elle tient son épée prête, pointée droit devant elle.
 
“Qu’est-ce que tu étais censée livrer ?”
 
Je ne m’embête même pas à hésiter. Quel intérêt, à présent ? Je tâte l’anneau au rubis et la lettre dans ma bourse.
 
“Une lettre d’un Dragon à l’attention d’Az’Kerash.”
 
Elle me dévisage en silence. Puis ses lèves se tordent en un demi-sourire.
 
“Et mon Seigneur qui pensait que tu livrais un simple artefact ancien. J’aurais aimé qu’il sache ceci. Eh bien, va.”
 
Elle pointe le château du doigt et je la regarde fixement.
 
“Tu me laisses partir, juste comme ça ?”
 
Elle hausse les épaules tandis que l’horreur continue de sortir de terre. Les soldats autour d’elle se mettent en rang d’un air sombre.
 
“Tu as ton devoir. J’ai le mien. Que nous mourrions toutes deux en accomplissant nos tâches.”
 
De l’autre côté de l’étendue de neige, le Gnoll mort-vivant vêtu d’une armure s’arrête et prend la parole. Sa voix de stentor sonne creux.
 
Je suis Kerash, Commandant des Légions Infinies d’Az’Kerash. Mourez dans l’honneur.
 
Quelque chose marche à ses côtés. Elle semble presque humanoïde, mais elle n’a ni visage, ni traits. Son corps est de chair pourrie, verte par endroits, violette, bleue et noire à d’autres. Elle pourrit, même avec ce froid, dégageant une puanteur putride.
 
“Je suis Bea. Ne suis-je pas belle ?”
 
Sa chair morte bouge et je sens une contraction involontaire secouer mon estomac. Périss serre les dents, mais sa voix ne tremble pas.
 
“Cours, Humaine. C’est entre eux et nous.”
 
“Le vieux sang doit être vengé.”
 
C’est un Gnoll qui a dit ça. Il lève une flèche et vise la chose qui se fait appeler Bea, mais ne tire pas. Pas encore.
 
“Mort au Nécromancien.”
 
Je regarde Périss.
 
“Vous allez mourir. Fuyez.”
 
Elle me jette un regard, bref, et secoue la tête.
 
Un Drakéide ne prend pas la fuite. Va !”
 
Mes pieds m’entraînent loin du champs bataille tandis que les soldats se mettent à charger. Kerash lève sa hache de guerre d’une main et Bea écarte grand les bras. Je me détourne et accélère, dépassant les zombies et les horreurs qui tentent de m’attraper.
 
Il ne faut que quelques secondes pour que commencent hurlements. J’entends les bruits de la mort, de la chair qu’on déchire et des os qui se brisent. Mais j’entends les vivants lancer des cris de défi en se précipitant sur les morts, se battant jusqu’au dernier. Mais échouant.
 
Tous les uns après les autres.


***


Zel Shivertail et le Seigneur Ilvriss se battaient dans l’a clairière enneigée, échangent des coups en faisant des cercles dans la nuit glaciale. L’un est vêtu d’une armure scintillante d’enchantements et est armé d’une épée qui brille dans la nuit, l’autre n’est vêtu que d’acier ordinaire et se bat avec ses griffes.
 
Le combat était serré, mais déséquilibré. Zel était plus agile, plus fort, plus dur. Ses serres étaient d’acier et il en avait deux contre la seule épée d’Ilvriss. Mais les armes du [Seigneur] étaient magiques, et il se battait en profitant au maximum de cet avantage.
 
Les enchantements de l’armure d’Ilvriss faisaient dévier tous les coups de Zel, et le [Général] Drakéide se retrouvait petit à petit obligé de reculer devant les coups puissants et vifs comme l’éclair du [Seigneur] et de son épée longue.
 
À chaque blessure que Zel recevait, qu’importe à quel point elle était bénigne, il vacillait, et ses écailles s’assombrissaient autour des plaines. Ilvriss menait son attaque sans merci, protégeant son visage à découvert, la seule zone que Zel pouvait vraiment attaquer.
 
“Rends-toi, Shivertail. Ce lieu n’est pas digne de ta mort. Dès que ton Alliance abdiquera, tu seras libre.”
 
“Ce n’est pas encore terminé, Ilvriss.”
 
Zel plongea sous l’épée et donna un coup de pied à Ilvriss, qui tituba en arrière. Le Drakéide gronda et leva son épée, et la lame se mit à luire plus intensément. Mais il vacilla alors.
 
Dans le silence de la nuit enneigée, quelque chose craqua. Le [Seigneur] regarda fixement ses mains griffues. Elles étaient ornées de plusieurs anneaux chatoyants de lumière, mais l’un d’entre eux venait de s’éteindre. Lentement, l’émeraude, une gemme somptueuse aux profondeurs luminescentes, se brisa en deux. L’or dans lequel elle était sertie se fendit, et les morceaux tombèrent dans la neige.
Ilvriss regarda fixement l’anneau brisé. Pendant quelques secondes, le monde s’arrêta pour lui, et son épée s’abaissa. Il murmura.
 
“Périss ?”
 
Ilvriss regarda l’anneau une seconde de trop. Zel se précipita en avant et saisit l’épée longue à la base de la lame. Le Drakéide hurla lorsque la lame entama sa chair; mais Ilvriss était piégé, et le [Seigneur] eut beau se débattre, il fut incapable d’arracher sa lame à la poigne de son adversaire.
 
Zel leva une main et serra le poing. Ilvriss hurla de rage en laissant tomber son épée et saisit une dague à sa ceinture. Il fondit sur Zel, et un poing le cueillit au menton, l’envoyant s’écrouler au sol.
 
Lentement, Zel Shivertail s’assit à côté d’Ilvriss et soupira. Puis il chargea le Drakéide sur son épaule et regarda autour de lui. Il n’y avait aucune trace de Ryoka ou de Dame Périss et de ses soldats. Et il n’avait pas le temps de les chercher.
 
Le [Général] se mit à courir en direction de l’endroit d’où étaient arrivés Ryoka et les soldats d’Ilvriss, le [Seigneur] inconscient rebondissant sur son épaule. La bataille n’était pas gagnée. Pas encore.
 
Zel prétendit ne pas avoir remarqué les larmes sur le visage d’Ilvriss, et les gouttes tombèrent dans la neige alors que le Drakéide entraînait avec lui le Seigneur des Murailles, abandonnant l’anneau brisé dans la neige.



***


J’ai réussi je ne sais comment à traverser l’étendue de neige qui me séparait du château. Je ne sais pas comment, je me suis contentée de courir. Courir comme je n’avais jamais couru. Les morts-vivants ont tenté de m’attraper, mais la plupart étaient encore focalisés sur les soldats qui se battaient derrière moi.
 
Je cours, mon sang se glaçant dans mes veines, en direction du pont-levis. Il est baissé, et mes pieds martèlent le métal noir, et les voix vacillent dans mon dos. Je suis responsable. C’est moi qui les ai amenés ici.
 
Une cour déserte, des pavés recouverts de neige. Au bout, une énorme porte à double battants. Mes jambes engloutissent la distance qui m’en sépare et mes mains saisissent les imposants anneaux, et je tire de toutes mes forces.
 
J’entends un cri lorsque j’ouvre les larges battants et me précipite à l’intérieur. Périss. Je ne peux me concentrer sur sa mort, mais je sens une douleur me serrer le cœur. Elle est morte en combattant.
 
Je dois courir. Je n’entends pas de bruits de pas à mes trousses, mais les morts-vivants sont terriblement silencieux.
 
Les couloirs du château sont vastes et silencieux. Je les traverse en courant, à l’aveugle pour commencer, puis à la faible lueur de la pierre de Teriarch. Cours, cours !
 
Je suis entourée de petits points de lumière brillants. Les couloirs sont remplis de squelettes silencieux, de zombies, les morts-vivants ! Mais ils ne bougent pas. Ils ne me regardent même pas alors que je leur passe devant. Ils sont… inactifs. Mais quelque chose bouge par là-bas.
 
“Intrus. Arrêtez-vous et…”
 
Je m’arrête dans une glissade. Quelqu’un se tient au milieu du couloir sombre. Une femme. Non. Pas une femme.
 
Une… chevalière ? Elle porte une armure. Mais lorsqu’elle s’avance, je m’aperçois que cette armure est faite d’os. Sa peau est faite d’os. Elle est d’os.
 
La chevalière faite d’os n’est pas un Toren, toutefois. Son visage est celui d’une femme magnifique, malgré son aspect dur et anguleux, son visage est d’un blanc d’ivoire. De l’os. Et son armure, qui n’est qu’une autre partie de son corps, est d’un blanc lumineux. Elle a une grande épée faite d’os entre les mains.
 
Derrière elle se tient un groupe de squelette. Là encore, pas comme Toren. Ceux-ci ont l’air d’avoir été… altérés. Ils ont beaucoup trop de côtes, et on dirait que leurs structures ont été modifiées pour qu’ils ressemblent à des tanks sur pattes. Ils sont tous armés, et la femme d’os avance vers moi.
 
Je porte la main à ma ceinture. La portion de Teriarch ? Non. Le sac. J’arrache la ficelle et le jette sur la femme.
 
Elle tranche le sac en deux avant qu’il ne d’approche d’elle. Mais cela ne fait que mieux exploser son contenu à sa figure. Une poudre blanche remplit les airs et elle s’arrête, l’air désorientée.
 
Les fines particules remplissent le couloir, formant pratiquement un écran de fumée. La femme regarde fixement les particules qui les recouvrent, elle et le reste des squelettes, et s’époussette.
 
“... de la farine ?”
 
C’est exactement ça. Je ne sais pas comment Octavia s’y est prise pour réussir à autant tasser la farine - probablement de la même façon qu’elle s’y était prise pour faire l’écran de fumée. Mais l’air est à présent saturé, et j’attrape la dernière potion à ma ceinture. Je la débouche et la lance en un seul mouvement.
 
Des flammes jaillissent de la fiole dès l’instant où elle entre en contact avec l’air. Mais au moment où la femme d’os se baisse pour l’esquiver, le liquide à l’intérieur de la fiole entre en combustion et l’huile bouillante mélangée à la graisse animale et à la résine de pin jaillissent.
 
Du feu liquide. Du feu grégeois. Du napalm. Mon dernier recours. Mais il rate la femme et explose plutôt sur un squelette. Elle se retourne vers moi…
 
Et l’air explose.
 
Le mélange de poussière de farine et de sucre que j’ai demandé à Octavia de tasser dans un sac explose lorsque les particules fines prennent feu. Cela s’appelle une explosion de poussières et c’est la chose la plus semblables à une bombe que j’étais prête à fabriquer.
 
De la poussière dans l’air. Les gens savent que la farine explose lorsqu’on la chauffe, mais c’est vraiment le même principe pour n’importe quelles particules fines en espace confiné. Les mines de charbon, les silos à grain, même une cuisine, tous ces lieux peuvent recréer ces conditions.
 
Le souffle de l’explosion manque de peu me faire tomber et la chaleur me cuit. La poussière de farine explose et les flammes prennent de l’ampleur, engloutissant tout ce qui s’est retrouvé au centre de l’explosion.
 
Mais lorsque la fumée se dissipe, la femme d’os avance vers moi, indemne, intacte. Ses yeux luisent d’une rage argentée, et elle lève sa grande épée.
 
“Tu ne peux pas…”
 
Elle s’interrompt. Je suis déjà en train de courir dans le couloir, loin, très loin d’elle. Je courais même avant que la farine n’explose*.
 
*Règle numéro un avec les monstres. Vous ne les avez pas tués. Vous ne les avez même pas blessés. Je m’en fous que vous ayez lâché une bombe sur eux ou que vous leur ayez coupé la tête. Ils sont vivants. Courez.
 
J’arrive à un croisement dans les couloirs remplis de morts en attente. Je regarde ma pierre. À gauche. Je cours, et vois une énorme porte à double battants. Il y a des gardes à l’entrée, mais les soldats sont immobiles et silencieux comme les autres. J’hésite, mais j’entends le tonnerre résonner derrière moi, jette un œil derrière mon épaule et vois le monstre d’os mort-vivant foncer sur moi. Elle court vite pour quelqu’un d’aussi grand, mais on dirait un train de marchandises en train de m’arriver dessus.
 
Je me précipite vers la porte et tire dessus. Les battants sont lourds. Je pousse de tout mon poids contre l’un d’entre eux, mais lentement, très lentement, la porte de fauche s’ouvre. Je me glisse à l’intérieur, et dégringole dans une vaste pièce. Je bondis sur mes pieds…
 
“[Toile Collante].”
 
D’épais fils de toile s’envolent et m’encerclent. Je me retrouve instantanément couverte de toiles, à peine capable de bouger. Je regarde fixement la main qui vient de jeter le sort, et pour la première fois, je vois Az’Kerash, Perril Chandler, le Nécromancien en personne.
 
Ce n’est qu’un… vieux.
 
Az’Kerash est debout au centre d’une vaste pièce circulaire, et regarde au plafond, un doigt pointé sur moi. Il a l’air d’un vieux. C’est tout.
 
Son visage est ridé et il a les cheveux blancs, il ressemble à la forme humaine de Teriarch, mais sans le physique surhumain. Ce n’est qu’un vieil homme, avec des boucles blanches et une peau d’un blanc albinos.
 
Mais c’est le Nécromancien. Je sens son pouvoir flotter dans les airs. On dirait qu’il frémit autour de lui, une quantité d’énergie pure tellement grande que cela me rend malade. Je n’ai jamais eu aussi peur de quelque chose.
 
Sa main droite brille, et il regarde quelque chose dans les airs. Mes yeux suivent son regard, et mon esprit se vide.
 
Impossible. Horrifiant. Mais ce qui pend au-dessus de moi est un cauchemar de chair et d’os. On dirait une… baleine. Ou des portions d’une baleine. Quelque chose - sa magie - modèle la chair et les os au-dessus de nos têtes, transformant la carcasse en une masse mouvante d’organes et de muscles. Il y a trop d’os là-haut, qui s’incurve contre le crâne de la baleine. La créature tressaille, et je vois des tendons et des muscles s’activer…
 
Je dois détourner le regard. Le Nécromancien ne m’accorde même pas un regard, mais il prend la parole.
 
“Venitra. Baisse ton épée.”
 
Je ne peux pas regarder autour de moi. Je peux à peine bouger mes jambes : si j’essaie, elles vont probablement tomber. Mais j’entends le pas lourd dans mon dos.
 
“Maître…”
 
“Tu as échoué. Vois ceci comme une leçon et apprends de tes erreurs.”
 
“Oui, maître.”
 
Sa voix est grave, mais étonnamment douce. Je sens une présence dans mon dos.
 
“Je vais vous débarrasser de l’intruse, maintenant.”
 
“Ce ne sera pas nécessaire. Merci, Venitra. Je vais m’en occuper moi-même. Laisse-moi.”
 
Je vois la femme d’os apparaître dans mon champ de vision périphérique pendant un instant. Elle me regarde avec ses yeux remplis d’une rage froide, puis se détourne et quitte la pièce en silence.
 
Ce qui me laisse seule avec Az’Kerash. Et à présent que je peux arracher mon regard à la terrifiante vision au-dessus de ma tête, je commence à voir d’autres détails.
 
Il n’est qu’un humain ou... il y ressemble. Mais il porte d’autres marques de sa profession.
 
Sa robe est noire. Mais ce mot et cette couleur ne décrivent pas le dixième de son accoutrement réel. Est-ce qu’il est possible de tisser des ombres ?  Peut-on prendre minuit et le peindre des couleurs des ombres dans les ténèbres, et les tisser si finement que le monde se courbe là où les plis de la robe se rejoignent et tournoient ? C’est sa robe.
 
Elle est faite d’ombres, et elles ondulent lentement par-dessus son corps, absorbant toute la lumière. Et il a un anneau à son doigt, un morceau d’argent qui paraît normal, mais fait hurler tous mes sens magiques que ce n’est pas le cas.
 
Puis Az’Kerash prend la parole, et sa voix est normale. Vieille, cassée, mais toujours claire et forte. Et… distante. Lorsqu’il prend la parole, il ne m’accorde pas un regard.
 
“Quel est l’intérêt d’avoir des assistants s’ils ne peuvent même pas empêcher d’entrer une simple intruse ? Mais là encore, s’ils étaient aussi compétents que leur créateur, quel serait mon rôle ? N’es-tu pas d’accord, jeune femme ?”
 
“Je…”
 
“Je suis impressionné que tu aies réussi à arriver jusqu’ici. Mais je suis occupé, et je découvrirai sur ton cadavre ce qu’il me faut savoir plus tard.”
 
Il pointe un doigt sur mon visage et dit :
 
“[Faucille Silencieuse].”
 
L’air tressaille, et un anneau d’argent aiguisé fond sur mon visage. Je me jette contre les toiles, et tombe en avant.
 
La faucille tranche mes cheveux et la chair de mon épaule, et la plaie est si fine qu’elle ne se met à saigner que lorsque je tombe dessus. Et la blessure est tellement grave que je n’en ressens pas encore la douleur.
 
“Intéressant. Les sorts de bas niveau ont leurs faiblesses. Je te félicite.”
 
Son doigt remonte vers mon visage. Je contemple le Nécromancien et comprends alors que je vais mourir.
 
Il… il ne me regarde même pas. Son autre main est tellement chargée de magie que j’ai la nausée rien qu’à la regarder. Je ne pense même pas qu’il me prête la moindre attention, il marche en automatique !
 
“Attendez !”
 
Je crie en voyant le doigt d’Az’Kerash se mettre à briller. Il ne répond pas à mes cris désespérés.
 
“J’ai une lettre ! Je suis une messagère !”
 
L’aura noire autour de ses doigts s’éteint. Az’Kerash marque une pause.
 
“Une lettre ? De qui ?”
 
“Teriarch. Il vous envoie une lettre et un anneau. Les deux sont dans ma ceinture.”
 
Je ne sens pas le moment où les toiles d’araignée s’évanouissent. Mais, subitement,  elles ne sont plus là, et je me relève tant bien que mal. Je tends la main vers la bourse à ma ceinture, mais elle disparaît de ma taille et réapparaît dans la main du Nécromancien. Il l’ouvre avec nonchalance et jette la ceinture par terre en prenant l’anneau et la lettre dans sa main.
 
Pour la première fois depuis que je suis arrivée, il détourne le regard de la collection de morceaux de chair flottant au-dessus de nos têtes et jette un œil à la lettre. Je n’aperçois que brièvement ses pupilles - une lumière blanche et éthérée luisant derrière deux cornées noires.
 
Il ne m’accorde même pas un regard, mais mon cœur frémit dans ma poitrine. Il y a quelque chose derrière ces yeux. Quelque chose dans ce regard, quelque chose d’autre. Il n’est plus Humain, à présent, si cela a jamais été le cas. Mais il baisse les yeux et cille, une fois, et je descends mon regard sur sa robe sombre d’ombres et de minuit.
 
“Voyons voir. Ah, oui. Je m’y attendais.”
 
Je retiens ma respiration. Az’Kerash lit rapidement la lettre en murmurant.
 
“Les longues salutations habituelles… mes plus sincères félicitations… accepte ce modeste gage de mon estime. Ah. Et il a envoyé un anneau enchanté avec des sorts de protection et de mouvement à la mode Silvarienne… non, le connaissant, c’est probablement un original. Une allusion à mes passions et un cadeau inestimable et utile. Approprié.”
 
Le Nécromancien fait un geste de la main, et l’anneau disparaît.
 
“Que c’est… prévisible. Une note et un gage d’estime pour ma deux-centième année d’existence. Il n’aurait pas dû, surtout avec la tension qui s’est accumulée entre nous. Mais les Dragons sont plutôt consciencieux sur ce genre de choses et ils sont tout sauf informels. Je suppose qu’il n’y a pas de requête de réponse associée ? Non, je ne pense pas qu’il aurait voulu s’imposer de la sorte. Ah, baste.”
 
Le Nécromancien se tourna vers Ryoka.
 
“Autre chose ?”
 
***


Ryoka tenta d’humecter sa bouche soudain sèche. Quoi ? Son esprit était complètement envahi par un bourdonnement.
 
Az’Kerash se tourna de nouveau vers la monstruosité en mouvement perpétuel au-dessus de leurs têtes.
 
“Est-ce qu’il y a autre chose ?”
 
“N… non.”
 
“Très bien, en ce cas. Je suppose qu’il serait mal vu que je tue l’un de ses messagers. Va, alors.”
 
Ryoka resta immobile quelques secondes, mais ses jambes se mirent sagement à l’entraîner vers la sortie. Le bourdonnement s’amplifia dans ses oreilles. Une voix murmura à son oreille.
 
Voyons voir.
 
Des centaines de kilomètres.
 
D’innombrables dangers.
 
Une guerre opposant deux armées.
 
Des Fées de Givre.
 
Un Nécromancien et ses larbins morts-vivants.
 
Pour ça. Une livraison digne de huit cents pièces d’or.
 
Une lettre. Une… lettre d’anniversaire et un cadeau symbolique.
 
“Je vais… y aller, alors.”
 
Le Nécromancien ne se tourna même pas dans sa direction. Il était complètement absorbé par son projet.
 
“Ah, hm. Au revoir. Ferme la porte en sortant.”
 
Elle s’exécuta, ralentissant seulement pour ramasser sa ceinture par terre. Ryoka regarda la porte, puis se retrouva face à Venitra. Et Kerash. Et Bea. Ils l’encerclèrent, leurs expressions pleines de…
 
“Le Maître l’a laissée partir ? Pourquoi ?”
 
Il est occupé. Sa décision a peut-être été prise par erreur.
 
“Il ne fait pas d’erreur.”
 
“Non. Mais nous devrions la détenir jusqu’à ce qu’il ait terminé.”
 
Je suis d’accord.
 
Ryoka les dévisagea. Le bourdonnement ne s’arrêta pas.
 
Elle assena un coup de poing à Venitra en plein dans son visage osseux et sa main craqua. Un os cassé ? Non, juste une affreuse ecchymose. Elle plongea la main dans sa bourse de ceinture et en sortit une potion lumineuse d’un rose orangé. Bea plongea sur elle et Kerash intervint, repoussant d’un revers de la main ses mains blafardes.
 
“Il nous la faut vivante.”
 
“Mes excuses.”
 
Ryoka débouchonna sa potion. Les morts-vivants ne semblaient même pas la considérer comme une menace. Elle avala la bouteille entière. N’était-elle pas censée en boire que quelques gorgées ?
 
Venitra tendit la main vers Ryoka. Ses doigts commencèrent à se refermer sur l’épaule de la jeune femme puis se figèrent.
 
Ryoka battit des paupières en voyant les doigts se figer. Ils s’étaient arrêtés ? Non, ils bougeaient lentement. Prudemment, Ryoka recula et regarda les doigts se refermer  lentement. Le choc apparut sur le visage d’os de la femme, puis Kerash bougea pour tenter de frapper Ryoka, plus vite cette fois-ci, mais toujours à une vitesse d’escargot à ses yeux.
 
Elle s’éloigna. Puis se mit à trottiner. Puis à courir. Ryoka fronça les sourcils, mais ses jambes bougeaient contre sa volonté. Plus vite plus vite, plus vite.
 
Ohc’estpasbonçajepeuxplusm’arrêter.
 
Elle se retrouva hors du château en un battement de cils. L’esprit de Ryoka tournait à toute vitesse, mais il ne pouvait rattraper son corps. Quelque chose en elle guidait ses jambes, mais son esprit conscient essayait toujours de comprendre ce qu’il se passait. Puis Ryoka se contenta de courir…



***


Les soldats de Zel chargèrent en direction de l’ennemi, et le [Général] Drakéide leva une serre ensanglantée et rugit, une source d’inspiration pour ses guerriers, tout en démoralisant les troupes ennemies. Sans Périss ni Ilvriss, leurs rangs s’effondraient et leurs ses Compétences et ses capacités supérieures inversèrent le cours de la bataille.
 
“Reformez les rangs et préparez-vous à une autre charge !”
 
Ils allaient les exploser. Lorsque Zel prit place au front, il sentit la fatigue le gagner. Trop de blessures infligées par la maudite épée d’Ilvriss. Mais il se faisait vieux, aussi. Trop vieux pour ces batailles dépourvues de sens.
 
L’ennemi était toujours en train de se regrouper. Zel plissa les yeux. Ses troupes essayaient de se mettre en rang, mais c’était le moment.
 
Chargez !
 
Il se mit à courir dans un grondement de tonnerre, ses pieds soulevant de la boue teintée de sang. Les soldats ennemis levèrent leurs boucliers et tentèrent de refermer les rangs, mais il pouvait voir la peur dans leurs yeux. Zel leva une serre comme s’il s’était agi d’un marteau et hésita. Il tourna la tête.
 
“Qu’est-ce que c’est que ça ?”


***



Comme l’éclair. Comme la brise d’un jour d’été, insaisissable, fugace, un souffle d’air puis le ciel bleu. Elle court.
 
Une Humaine solitaire sort en courant de la forêt, s’éloignant de l’endroit où tout mourut. Elle court et traverse la magie, traverse la neige, traverse les forêts et les collines, ses pieds touchant à peine le sol. Son corps est en mouvement constant, et seul l’air la freine un peu. Son passage est une bourrasque, un orage ; la neige se soulève sur son passage et le vent crée une tempête de neige dans les airs.
 
Elle court et travers la neige, traverse le champ de bataille, entre les soldats qui se tournent et regardent, les yeux ronds, l’amas de mouvements flous dont les coups de pieds soulèvent un orage de neige sur son passage.
 
Les guerriers lèvent leurs armes et tentent de tuer l’Humaine, les archers lui tirent des flèches et les mages font exploser le sol derrière elle. Mais elle continue sa course, entre les soldats en train de charger, esquivant une lame sur le point de la transpercer, bondissant par-dessus un soldat en train de tomber. Encore et encore, sans répit, incapable de s’arrêter.
 
Une messagère, une porteuse de mots et de choses intimes.
 
Un courrier pour les riches et les pauvres.
 
Une voyageuse sans autre allégeance que la sienne propre.
 
Une Coursière.
 
En train de hurler des mots tellement rapidement que seules les Fées de Givre au-dessus de sa tête parviennent à l’entendre.
 
Jenepeuxpasm’arrêter!Bordeldemerdearrêtezderigoleretvenezm’aider!”
 
Les fées l’entendent, bien sûr, et elles suivent son rythme avec aisance. Elles pourraient peut-être l’arrêter, mais elles rient trop fort pour réussir à lui répondre quoi que ce soit.








Note d'Ellievia :  Bonjour à tous ! Juste un petit mot pour vous prévenir un peu à l'avance que nous ferons une pause après le chapitre du 16 décembre. L'histoire reviendra le 6 janvier ! Bonne lecture :)

Hors ligne EllieVia

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #130 le: 14 décembre 2020 à 00:59:44 »

2.31 - Première Partie
 Traduit par EllieVia

 
Erin regardait avec intensité la substance dorée en train de faire des bulles et de brunir sur le feu. C’était du fromage. Du fromage, par-dessus une sauce tomate bien étalée sur une base de pâte.
 
Avec du pepperoni. Le pepperoni était obligatoire, sinon quel intérêt ? Erin croyait fermement au pepperoni ; elle restait indifférente à l’ananas et refusait de reconnaître l’existence des anchois.
 
C’étaient là les secrets essentiels de l’univers, et c’était là la substance qui faisait tourner le monde. D’accord, peut-être pas essentiels, mais c’étaient des secrets plutôt importants !
 
“Une pizza.”
 
Erin murmura le mot dans un souffle, en sentant que c’était le moment. Elle tendit la main et retira la pizza de sa plaque métallique posée sur le feu, heureuse de s’être souvenue de porter des maniques, cette fois-ci.
 
De la pizza !
 
Elle était glorieuse. Parfaitement circulaire, on pouvait mordre tout à la fois dans une croûte moelleuse et une garniture généreuse comprenant à la fois du fromage et de la viande. Pas une garniture toute maigre par-dessus une couche presque transparente de sauce tomate, merci bien.
 
Erin fit glisser la pizza sur le plan de travail et attrapa un couteau. Elle n’avait pas de roulette à pizza, mais elle put facilement couper les huit tranches traditionnelles. C’était essentiel, ça aussi ; on ne pouvait pas couper des parts inégales, sinon quelqu’un risquait de se retrouver avec un couteau dans le dos.
 
Elle était prête. Erin contempla sa dernière création et sentit son estomac gargouille. Mais non, ce n’était pas pour elle. C’était pour ses clients.
 
Lorsqu’Erin retourna dans la salle commune, elle savoura ce mot. Des clients. Elle en avait quelques-uns ! Mais peut-être que le mot ne convenait pas vraiment aux gens assis dans son auberge. Hm. Des mécènes ? Non, ça ne sonnait vraiment pas bien.
 
“Des invités.”
 
C’était un bon mot. Erin sourit de toutes ses dents en posant sa pizza devant les Drakéides en train de dévisager l’assiette d’un air soupçonneux. Elle ne les connaissait pas, et ça, c’était glorieux aussi !
 
Elle avait des invités qui n’étaient pas ses amis. Cela ne paraissait pas être grand(chose, mais c’était un progrès ! Pendant ces derniers jours, Erin avait reçu des Gnolls, des Drakéides, et quelque rares Humains à son auberge, et non pas juste ses amis et Pisces. Elle se faisait de l’argent, et grâce à sa nouvelle création elle était certaine qu’elle allait s’en faire encore plus.
 
“Est-ce que c’est la… ‘pizza’ ?”
 
L’un des Drakéides tâta une part d’une griffe. Erin acquiesça fièrement.
 
“Yup ! C’est super bon ! Aussi bon qu’un hamburger. Essayez ; vous verrez !”
 
L’un des trois Drakéides qui étaient venus déjeuner à son auberge jeta un regard à ses compagnons. Il haussa les épaules, et prit délicatement une part de pizza encore fumante. Il souffla un peu dessus, puis en mordilla l’extrémité.
 
Il écarquilla les yeux, et sa queue s’agita légèrement. Erin observa son visage et sa queue d’un air anxieux. Les Drakéides avaient des attitudes similaires aux chiens, et les Gnolls encore plus. Ils savaient relativement bien mentir, mais ils étaient toujours trahis par leurs queues.
 
“Hm. Beaucoup de fromage. Beaucoup de mâche. Bien chaud.”
 
Il mordit un peu plus loin dans sa pizza sous le regard attentif de ses compagnons. Erin retint sa respiration. Sa queue tressailla… puis se mit à s’agiter !
 
Juste un peu. Mais lorsque la Drakéide eut terminé sa part et tendit une serre pour en prendre une autre, Erin sut qu’elle avait encore une fois réussi. Ou plutôt, réussi à copier la recette avec succès.
 
“Alors ?”
 
Le Drakéide mâcha d’un air pensif puis acquiesça d’un air satisfait.
 
“Délicieux. Cela correspond très bien à nos attentes.”
 
Erin se fendit d’un large sourire, et le reste des Drakéides acquiescèrent joyeusement pour marquer leur accord. L’un d’entre eux prit une part, mais au lieu de la manger, se mit à la disséquer, en examinant les différentes couches.
 
“Du fromage fondu, la sauce… d’une tomate ? Et une pâte levée. Extraordinaire. Mais tellement délicieux !”
 
Le troisième Drakéide acquiesça. Il ne mangeait pas non plus, ce qui parut étrange à Erin, mais inspectait également la pizza avec un vif intérêt.
 
“Cela me paraît facile à faire. Une recette simple…”
 
“Il risque d’être compliqué de trouver des tomates. Il n’y a pas vraiment un marché pour ça, ici.”
 
“Il y en aura. Si on passe une commande, on en aura assez.”
 
Le premier Drakéide acquiesça en léchant ses griffes.
 
“La base comprend du fromage et de la sauce… la viande est bonne, mais je pense que des tranches de poisson seraient tout aussi appétissantes. Je ferai quelques prototypes.”
 
‘Des prototypes ?”
 
Les trois Drakéides se figèrent et se tournèrent vers Erin. Le deuxième lui adressa un sourire peu convaincant.
 
“Eh… eh bien, nous nous extasions simplement sur cette recette épatante.”
 
“Oh. Hum. Merci ? Vous êtes des espèces de [Cuistots] ?”
 
Le troisième Drakéide hocha la tête. Il se leva et tendit une serre à Erin. Elle la serra, pas encore certaine de comprendre ce qu’il était en train de se passer.
 
“Terrès Hangclaw, pour vous servir. Je suis [Chef] au Drakéide Dansant de Liscor.”
 
“Oh, ravie de faire votre…”
 
Erin s’interrompit lorsque ses pensées parvinrent à reprendre le fil de ce qu’elle était en train de dire. Elle fronça les sourcils en dévisageant le troisième Drakéide, qui grimaça sous les regards noirs des deux autres.
 
“Attends une seconde, qu’est-ce que tu as dit ? Tu es un [Chef] ? Attends, est-ce que tu es là pour…”
 
L’uni des Drakéides posa vivement quelques pièces d’argent sur la table. Ses deux compagnons se levèrent, ils saisirent les parts de pizza et commencèrent à reculer vers la porte.
 
“Merci pour tout, Mademoiselle Humaine. Mais il faut qu’on y aille. Garez la monnaie !”
 
Ils se précipitèrent dehors pratiquement en courant avec le reste de la pizza. Erin les regarda s’en aller, bouche-bée.
 
“Je viens de me faire plagier ! Encore !”
 
Elle regarda fixement la table, ses sous, et la porte ouverte. Elle sentait qu’elle aurait dû être énervée, mais ils avaient laissé beaucoup d’argent pour une pizza. Mais ils lui avaient pris sa recette !... qui n’était pas la sienne. Mais ça restait du vol !
 
La porte commença à se refermer, mais quelqu’un l’attrapa au vol. Ceria entra, regardant par-dessus son épaule d’un air suspicieux.
 
“... est-ce que je viens de voir trois Drakéides en train de s’enfuir avec une brassée de bouffe ?”
 
“Ça s’appelle une ‘pizza’ et ils viennent de me voler ma recette.”
 
Ceria regarda Erin en clignant des yeux. La jeune fille eut du mal à s’expliquer, mais la demie-Elfe comprit l’essentiel de ce qui venait de se dérouler en quelques secondes.
 
“Ah, les voleurs de recette. Ça arrive. Dès que quelqu’un fait quelque chose à manger qui vaut le détour, il y a toujours une énorme course à la montre pour que les autres [Chefs] et [Cuistots] trouvent la recette pour l’améliorer. J’imagine que c’est un signe d’à quel point ces hamburgers ont eu du succès qu’ils aient voulu rester dans le coin pour voir si tu trouverais quelque chose d’autre.”
 
“Oui, mais…!”
 
Erin montra, impuissante, la porte et Ceria l’aida à ramasser ses pièces. Ceria jeta un regard en direction de la porte… les Drakéides n’étaient pas encore arrivés aux portes de la ville. Ils n’étaient pas vraiment rapides, surtout qu’ils s’efforçaient de ne pas faire tomber les morceaux de pizza.
 
“Tu veux que je leur jette un sort ? Je vise plutôt bien.”
 
“Non, non. J’aurais juste aimé avoir une journée pour vendre mon plat avant qu’il ne se fasse voler. J’imagine qu’ils vont gagner beaucoup d’argent ce soir.”
 
Ceria tapota l’épaule d’Erin avec empathie.
 
“Si ça peut aider, je pense que les gens sauront d’où ça vient. La prochaine fois, tu devrais attendre le dîner pour sortir les nouveautés. Comme ça, ça te fera au moins une grosse foule.”
 
Erin soupira, et Erin lui tendit la poignée d’argent.
 
“Ne t’inquiète pas. Ce n’est pas comme si c’étaient tes seuls clients.”
 
C’était vrai. Erin avait été satisfaite de l’augmentation de la taille de sa clientèle, mais ce n’était pas encore la foule qu’elle avait vue dans l’auberge de Peslas.
 
“J’imagine.”
 
Elle prit les pièces d’argent, puis hésita. Erin se tourna vers Ceria et sourit, oubliant le vol de sa recette pizza un instant. Elle avait attendu ce moment toute la journée.
 
“Dis, Ceria, je commence à être à court de pièces d’argents. Est-ce que tu pourrais me faire le change sur une pièce d’or ?”
 
“Pas de problème.”
 
Ceria tendit la main vers sa bourse, et cilla lorsqu’Erin lui tendit une pièce d’or brillante sous le nez.
 
“C’était rapide. Tu ne devrais pas laisser traîner ton or comme ça.”
 
“Oh, j’en avais une dans le coin.”
 
Erin sourit d’un air malicieux à Ceria. La demie-Elfe fronça les sourcils mais tendit la main vers la pièce.
 
“Eh bien, merci quand m…”
 
Ceria marqua une pause et regarda fixement la pièce d’or qu’Erin lui donnait. Puis ses yeux cherchèrent lentement l’une des fenêtres. Là, des boîtes pleines de fleurs de fées en train d’éclore, dorées et étincelantes à la lumière du soleil. Ceria examina sa pièce d’or, puis regarda Erin en plissant les yeux. L’Humaine essaya de garder son sérieux sous le regard perçant de Ceria.
 
“Une pièce d’or, huh ? Eh bien, je suis ravie d’en prendre une. Laisse-moi simplement…”
 
Ceria leva la pièce devant ses yeux et essaya de la plier entre ses doigts. Elle fronça les sourcils.
 
“Huh.”
 
La demie-Elfe hésita, et observa le visage d’Erin, agité de tics. Lentement, elle leva la pièce à sa bouche et la mordit. Elle examina les petites marques que ses dents avaient laissées dans l’or ductile.
 
“Ça a la goût de l’or, mais… Erin. Est-ce que c’est une illusion ou pas ?”
 
“C’est une fausse ! N’est-ce pas trop cool ?”
 
Erin pointa les fleurs du doigt.
 
“Je viens de comprendre comment les faire se transformer en pièces comme les fées ! Regarde, si je la ramasse et que je dis ‘or’...”
 
Erin brisa délicatement la tige d’une fleur et Ceria cilla. Soudain, Erin tenait une deuxième pièce d’or dans sa main.
 
“C’est incroyable, Erin. Je n’ai même pas senti de magie. Et ces pièces ressemblent vraiment à des pièces d’or… de l’or massif, en plus, pas les pièces d’alliages qu’on utilise.”
 
Elle fronça les sourcils en examinant la pièce et la soupesa.
 
“Le même poids, la même texture, la même odeur… chancre, c’est de la bonne magie. Est-ce que tu peux transformer les fleurs en autre chose ?”
 
Erin secoua la tête.
 
“Cela n’a pas l’air de marcher pour autre chose, non. Mais la pièce a l’air vraie pendant toute une journée. Puis elle redevient une fleur au matin.”
 
Ceria regarda le lit de fleurs de manière spéculative. Les bourgeons poussaient vraiment vite, alors qu’on était en hiver, et Erin avait déjà vu plusieurs rejets en train de pointer le nez hors du terreau.
 
“On dirait que la blague des fées a plus d’utilité que prévu. Est-ce que tu as prévu de faire quoi que ce soit de ces fleurs ?”
 
Erin regarda fixement son amie.
 
“Du genre ?”
 
“Oh, je ne sais pas… les utiliser pour acheter quelque chose de sympa, peut-être ?”
 
Ceria fit rouler la pièce entre ses doigts. Erin fronça les sourcils.
 
“Pourquoi est-ce que je ferais ça ? Je veux dire, ils s’en rendraient compte, et ce serait du vol, non ?”
 
Ceria toussa dans sa main.
 
“Je connais quelques commerçants humains qui… chancre, qu’importe. Tu es trop gentille.”
 
Erin éclata de rire. Ceria reposa la pièce sur la table et croisa les bras.
 
“Mais plus sérieusement, Erin. Ces fleurs sont peut-être utiles, mais tes nouvelles recettes sont tout aussi intéressantes. Fais attention à ne pas laisser les gens s’enfuir avec, d’accord ?”
 
Erin acquiesça docilement. Elle papota encore un peu avec Ceria puis la demie-Elfe monta à l’étage pour se reposer et s’entraîner à jeter quelques sorts. Erin soupira et retourna à la cuisine. Elle posa la pièce d’or sur le comptoir à côté de ses pièces d’argent et soupira deux fois en contemplant sa poêle vide.
 
Une bonne journée suivie d’une mauvaise journée. Ce n’était pas comme si celle-ci avait été particulièrement mauvaise jusque-là, mais Erin avait simplement l’impression qu’il lui manquait quelque chose. Ou quelqu’un, peut-être. Elle se demandait où se trouvait Ryoka. Leurs conversations lui manquaient.
 
Et concernant la recette…
 
Erin jeta sa pièce dans les airs en secouant la tête et la rattrapa. C’était vraiment incroyable. Mais c’était inutile. Elle claqua la pièce sur le comptoir. Au bout d’une minute, elle se mit à marmonner dans la cuisine silencieuse.
 
“De toute manière, je n’arriverais probablement pas à le faire en toute impunité…”



***


Halrac était d’une humeur massacrante, et il n’essaya même pas de le dissimuler. Non pas que ce soit particulièrement surprenant pour ses coéquipiers - l’[Éclaireur] était d’ordinaire juste grognon dans ses meilleurs jours.
 
Mais il était en ce moment même assis dans une auberge et, contrairement à ce que la plupart des gens préféraient, Halrac préférait être dehors assis sous la pluie ou en train de marcher dans la boue plutôt qu’à l’intérieur. C’était en partie à cause des gens avec qui il devait rester.
 
Les compagnies Or étaient souvent hautement sélectives lorsqu’elles recrutaient. Les nouveaux aventuriers passaient des tests approfondis, et même les meilleures compagnies avaient habituellement des moments de friction.
 
Dans ce cas précis, la friction était un état quotidien entre Halrac, Revi, et Typhenous. Ulrien était leur meneur silencieux et ne se mêlait d’ordinaire pas à leurs disputes, mais Halrac ne faisait aucun effort pour masquer les sentiments que lui inspiraient ses nouveaux coéquipiers, et Revi et Typhenous étaient l’exemple classique des mages.
 
“Calme-toi, Halrac.”
 
C’était Ulrien qui venait de s’exprimer, mais Halrac était dans l’aventure depuis plus longtemps que son Capitaine, et il avait connu Ulrien quand ce dernier n’était encore qu’un aventurier Bronze. Halrac fusilla son Capitaine du regard et tenta de modérer légèrement son ton.
 
“Je vous dis simplement qu’on n’a rien à faire ici ! C’est du gaspillage, surtout si on se contente de rester les culs vissés sur nos chaises !”
 
Revi fronça les sourcils et Typhenous leva à peine les yeux de son grimoire. Mais il prit la parole d’une voix blasée.
 
“Nous n’avons pas grand-chose d’autre à faire que rester assis en attendant que quelqu’un exhume ces ruines. Je ne vois pas le problème, Halrac.”
 
L’[Éclaireur] serra les mâchoires.
 
“Le problème, c’est que nous ne faisons rien pendant que d’autres aventuriers prennent peut-être les devants !”
 
Il pointa du doigt leur chambre privée. La Chasse aux Griffons avait obtenu cette chambre onéreuse et excentrée de l’auberge, une marque de respect ostentatoire pour leur rang et pour la somme d’argent qu’ils payaient à l’aubergiste… mais aussi, pensait-il, pour les garder hors de vue de la clientèle Drakéide habituelle.
 
“Ce maudit Drakéide a l’air de prendre plaisir à nous servir toutes les recettes locales. Avec ce que nous lui payons, on devrait manger tout ce qu’on veut.”
 
Revi leva les sourcils.
 
“Alors dis-lui de te faire ta spécialité locale, ou autre, Halrac. Mais arrête de bouder parce qu’on ne peut trouver personne pour aller creuser.”
 
“Comment ça se fait qu’il n’y ait pas un seul [Mineur] dans toute cette maudite ville ?”
 
“Il y en a. Mais ce sont tous des Antiniums. Si on les embauche…”
 
Typhenous s’interrompit en voyant Ulrien secouer la tête et Halrac gronder.
 
“Je ne travaillerai pas avec ces monstres. De plus, les Croisés ont essayé, sans succès.”
 
“En ce cas, je pense qu’on est coincés ici jusqu’à ce que nous décidions de faire appel à des gens d’Esthelm ou de prendre nous-même les pelles. Allez, rassieds-toi et prends une pinte.”
 
Halrac secoua la tête et se leva.
 
“J’en ai assez de rester ici en attendant qu’il se passe quelque chose. Je vais retourner chercher d’autres [Creuseurs] ou [Mineurs]. Je rentrerai ce soir ou demain.”
 
Aucun de ses camarades ne fit mine de l’en empêcher. Ulrien retourna à sa lecture, Typhenous aussi, et Revi tenta de nouveau de vider la bouteille de vin qu’elle avait achetée. Halrac secoua la tête en sortant d’un pas furieux de l’auberge, ignorant complètement les efforts tièdes de l’aubergiste Drakéide pour essayer de le faire s’asseoir prendre un verre.
 
Halrac marcha dans la rue, évitant les foules et tentant de trouver son chemin dans ce territoire inconnu. Voilà un autre problème. Il était [Éclaireur], il pouvait se battre en ville, mais cela ne voulait pas dire qu’il appréciait d’essayer de retrouver son chemin dans les rues où tout était écrit en Drakéide et donc incompréhensible pour lui.
 
Il fronça les sourcils en passant devant un groupe de Drakéides en train de rire. Ils se turent lorsqu’il passa devant eux, ce qui ne fit que renforcer le froncement de sourcils d’Halrac.
 
Toute cette quête pour le trésor d’un donjon - s’il existait seulement - ne servait à rien. Il n’aurait jamais dû laisser Ulrien le persuader. La Chasse aux Griffons était en train de perdre du temps et de l’argent alors qu’ils pourraient être en train d’aider ailleurs.
 
De plus, Halrac détestait cette ville. Il n’aimait pas beaucoup les Drakéides. Halrac avait passé beaucoup trop de temps à les combattre au fil des années en tant que soldat pour leur faire confiance. Idem pour les Gnolls, et en ce qui concernait les Antiniums…
 
Le regard de l’[Éclaireur] s’assombrit lorsqu’il vit l’un des Ouvriers en train de descendre la rue. Il ne pourrait jamais faire confiance à l’un d’entre eux. C’étaient tous des monstres sans cœur.
 
Il se détourna avec dégoût. Même s’il daignait songer à embaucher les Antiniums - et il y avait peu de chances ! - il avait entendu dire qu’ils avaient refusé de creuser même pour d’autres groupes d’aventuriers. Bestioles inutiles et égocentrées…
 
“Oh, hey, tu es l’[Éclaireur] de l’autre jour !”
 
Halrac s’arrêta et se retourna. Une jeune femme s’approchait de lui. Une Humaine. Elle lui était vaguement familière. Où l’avait-il… ?
 
Oh. L’auberge. C’était la propriétaire du squelette mort-vivant. L’[Éclaireur] hésita à s’éloigner, mais au moins, elle n’avait ni écailles, ni fourrure, ni chitine. Il essaya de se souvenir de son nom. Solstice… ?
 
“Bonsoir, Miss.”
 
“Hey, comment vas-tu ? Désolée pour l’autre jour. Uh, tu es… H… Hal… ?”
 
“Halrac.”
 
L’[Éclaireur] essaya d’éviter de froncer les sourcils, ou de lui lancer un regard noir, ou toutes ces choses qu’on lui avait dit de ne pas faire lorsqu’il parlait à des gens. Mais la jeune femme avait un enthousiasme plein d’énergie et de surcroît, la capacité à ignorer complètement l’allure austère d’Halrac;
 
“Halrac, c’est ça ! Je suis Erin Solstice. On, euh, s’est rencontrés lorsque vous avez essayé de tuer mon squelette. Je t’ai jeté un caillou dessus.”
 
“Je m’en souviens.”
 
“Hum.. Certes. Encore désolée.”
 
“Ce n’est rien.”
 
Que voulait-elle ? Halrac regarda autour de lui. Il n’avait aucune idée d’où se trouva la guilde des [Mineurs], si elle existait seulement. Il pouvait commencer à demander autour de lui, mais l’entreprise risquait fortement d’être vaine.
 
“Alors, hum, comment tu vas ?”
 
Halrac se tourna de nouveau vers Erin, vaguement étonné. Il n’avait pas l’habitude que les gens continuent de l’impliquer dans une conversation.
 
“Pas grand-chose à dire. Pourquoi ?”
 
“Oh, sans raison particulière. Je veux dire, j’ai entendu dire que ta compagnie dormait à une auberge, mais je cherche toujours des clients - et j’ai fait un nouveau plat hyper bon ! Je me demandais juste si tu voulais l’essayer. Dans mon auberge, je veux dire.”
 
L’homme regarda Erin en clignant des yeux. Il ouvrit la bouche pour refuser, puis hésita. Ce n’était pas la question de l’argent qui le faisait hésiter ; il avait plus qu’assez pour couvrir ses dépenses de nourriture et de boissons, en tant qu’Aventurier Or, mais il avait une mission.
 
Et pourtant, l’idée d’interviewer un tas de Drakéides et de Gnolls désagréables perdit beaucoup de son attrait lorsqu’il songea à s’asseoir seul dans une auberge. C’était certainement mieux que l’auberge de l’autre Drakéide, le gros aubergiste ne cessant jamais de rire et de parler d’une voix forte et d’agacer Halrac.
 
“... Ton auberge est-elle pleine et à quel point ?”
 
“Mon auberge ?”
 
La jeune femme parut soudain méfiante. Elle gratta du pied les pavés.
 
“Eh bien… il y a peut-être quelques personnes, mais même s’il n’y en a pas, je suis d’excellente compagnie !”
 
Elle ne s’attendait pas à voir un sourire apparaître sur le visage d’Halrac, mais bon, là encore, lui non plus. Une auberge vide ? Parfait. Il était [Éclaireur], il avait l’habitude d’être seul. Et c’était toujours mieux qu’avoir ce gros Drakéide en train de se dandiner tout le temps de partout.
 
Comment s’appelait-il ? Peslas ? Halrac secoua la tête, mais il accepta l’offre de la jeune fille.
 
“Donne-moi juste une table dans un coin et ça ira très bien.”
 
La jeune fille lui adressa un sourire éclatant et l’emmena avec elle dans son auberge; Halrac la suivit, médusé, et elle discuta tout le trajet. Erin Solstice ne paraissait pas avoir de problème à faire toute seule la conversation, mais il à sa grande surprise, il se mit à lui répondre au bout d’un moment.
 
“Si tu as un problème d’argent, pourquoi ne pas devenir aventurière ?”
 
“Vraiment ? Tu penses que je serais douée ? Je n’aime pas… je veux dire, je ne suis pas une tueuse.”
 
Halrac haussa les épaules, mal à l’aise, en marchant dans la neige à ses côtés. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas parlé à une personne de sexe féminin et qui ne soit pas membre de son équipe. C’était une expérience nostalgique, légèrement douce-amère.
 
“Tu t’es battue contre un guerrier Gnoll et l’a battu. À mains nues. Tu vaux au moins un aventuriers Bronze, et ton squelette est dangereux.”
 
“Oui, oui. J’imagine que tu as raison.”
 
“Est-ce qu’il est toujours… vivant ?”
 
Halrac avait percé le crâne de la créature morte-vivante d’une flèche, mais il l’avait vus se balader après la bataille.
 
“Quoi, Toren ? Il va bien. Mais tu sais, c’est bizarre. Je crois qu’il a une espèce de gemme dans sa tête - la gemme rouge que j’ai récupérée après l’attaque de ces morts-vivants sur mon auberge. Cela a rendu ses yeux violents, mais même après qu’elle se soit brisée, ses yeux n’ont toujours pas retrouvé leur couleur d’origine ! C’est bizarre, non ?”
 
En ce qui concernait Halrac, le squelette était un mystère ambulant qu’il souhaitait désespérément résoudre en réduisant ses os en poussière, mais il tint sa langue. Il ne comprenait pas le commentaire au sujet des morts-vivants, mais ça expliquait en effet le regard du squelette qui paraissait émettre de la peur.
 
“Qui sait ?”
 
“Pas moi. Oh, voici mon auberge !”
 
Ils étaient arrivés étonnamment vite. Halrac regarda Erin ouvrir la porte et le faire entrer. Là, elle l’assit à une table dans un coin de la pièce, comme il l’avait requis, mais elle était presque aussi horrible que Peslas. Elle l’assaillit de questions, lui offrant un verre de lait chaud, puis resta près de lui après lui avoir donné un menu avec peu d’options, juste deux ou trois dont il reconnut le nom.
 
“Est-ce que je peux te tenter par notre dernier plat ?”
 
Halrac hésita. La première réponse qui lui vint fut un “non” bref, mais c’était difficile de dire cela face à l’expression amicale de l’aubergiste.
 
“... Qu’est-ce que c’est ?”
 
“De la pizza !”
 
Halrac n’avait jamais entendu parler de pizza, mais il écouta la description que lui en fit la fille et décida qu’il pourrait toujours prétendre être malade. Mais du fromage par-dessus de la sauce tomate sur du pain ? Cela n’avait pas l’air très bon.
 
Et l’impression persista lorsque l’aubergiste sortit de sa cuisine avec la pizza. Halrac regarda les parts de pizza et en tâta une à titre expérimental. Une espèce de sandwich ouvert ?
 
Sentant le regard de la fille posé sur lui, Halrac prit une bouchée avec réticence. Ce n’était pas aussi affreux que ce à quoi il s’attendait, et la sauce tomate coula dans sa bouche pendant qu’il mâchait le fromage fondu et la pâte. Non, ce n’était pas mal du tout, s’il avait été un soldat pendant une nuit froide autour du feu de camp, Halrac pensait qu’il aurait adoré manger cela.
 
En l’état, il y avait bien pire à manger pour le dîner, et Halrac détestait gaspiller la nourriture. Il prit une autre bouchée et décida que la pizza était chaude et nourrissante. C’est à ce moment-là que la porte s’ouvrit et qu’une fille entra d’un pas pesant.
 
“Une [Serveuse] !”, siffla-t-elle d’un ton grinçant à Erin en traînant un fagot de bois par terre. Halrac se retourna à moitié, une main sur sa dague, mais la colère de cette nouvelle tête était dirigée uniquement contre Erin Solstice. Il la regarda se précipiter vers la jeune femme et comprit que c’était la fille qu’il avait aidé à sauver.
 
Cela avait peut-être été une erreur. Halrac grimaça lorsque la blonde monta sa voix d’une octave et se mit à crier sur Erin, qui arborait une expression agacée.
 
“Qu’est-ce qu’il y a encore, Lyon ?”
 
Lyonette ! Et je viens de gagner des niveaux de… de… [Serveuse] !”
 
“C’est une bonne chose, non ? Et attends, pourquoi as-tu gagné des niveaux ? Je t’ai demandé d’aller chercher du bois pour le feu !”
 
La fille répondant au nom de Lyon ou possiblement Lyonette hésita, et Halrac coula des yeux. Il pouvait voir que ses épais vêtements d’hiver étaient mouillés, et elle avait même de la neige coincée dans les plis de ses vêtements. Elle avait probablement fait la sieste en allant faire sa corvée - c’était un miracle que rien ne l’ait dévorée pendant son sommeil.
 
“Il se pourrait que j’aie… ce n’est pas le problème ! Je suis noble ! Je ne me ferai pas souiller par une classe de… de roturier !”
 
Erin fronça les sourcils et se mit à se disputer avec Lyon pendant qu’Halrac grognait en essayant de se boucher les oreilles. La fille était une noble ? Fugitive ou ruinée, peut-être.
 
Cela expliquait tout. Halrac avait déjà entendu des gens à Liscor grommeler au sujet de la voleuse Humaine, et elle avait l’air et l’attitude de la plupart des aristocrates collets-montés qu’il avait eu le malheur de rencontrer. Il décida qu’il ne l’aimait pas et se mit à ignorer sa dispute avec Erin en tendant la main vers une autre part de pizza.
 
Le plateau était vide, étonnamment, et lorsqu’Erin prit le dessus, Halrac plongeait le regard dans une chope toute aussi vide. La blonde énervée ramassa son fagot de bois d’un air boudeur et se précipita dans la cuisine. Erin revint pou sourire d’un air d’excuse à Halrac et remplir sa chope.
 
“Désolée. Elle est… eh bien, elle est nouvelle.”
 
Il grogna et agita la main. À présent qu’il avait le ventre plein, Halrac était tenté de partir se coucher, mais il doutait d’être capable de dormir tout de suite. Il regarda plutôt sa chope. L’eau chaude, c’était très bien, mais…
 
“De l’alcool ? Je veux dire, oui, j’en ai un peu. Je crois.”
 
Erin cligna des yeux en dévisageant Halrac, comme si sa requête la déstabilisait. Mais elle retourna derrière son comptoir et poussa une exclamation de surprise.
 
“Hey, regarde ! Un tonnelet ! Je me demande ce qu’il y a dedans ?”
 
Même si cette question n’était pas la bienvenue, ce n’était pas la pire chose qu’Halrac ait jamais entendue avant de se faire servir à boire. La fille revint avec une chope beaucoup trop chargée en mousse, mais avec le liquide ambré prometteur au fond.
 
“Merci.”
 
Il prit une gorgée, et tenta de dissimuler une grimace. Erin regarda furtivement Halrac prendre une autre gorgée. Cette fois-ci, son expression ne changea pas, mais celle d’Erin se décomposa.
 
“Tu n’aimes pas.”
 
Halrac commençait à détester la capacité de cette jeune femme à lire ses expressions. Il haussa les épaules, et tenta de choisir soigneusement ses mots, ce qui, il fallait le dire, n’était pas son fort.
 
“Ça va.”
 
Il était devenu pourri gâté après être devenu un aventurier prospère. Halrac avait bu des piquettes bien pires, même si ce tonnelet avait l’air d’avoir été largement dilué.
 
“Non. Non, ça ne va pas.”
 
Erin agita les mains d’un air angoissé et Halrac vit Lyon se faufiler à l’étage, probablement pour faire une autre sieste.
 
“Je savais que je n’aurais pas dû acheter le moins cher !”
 
Elle courut dans tous les sens pour trouver un autre tonnelet pendant qu’Halrac se tâtait pour savoir s’il valait mieux boire encore juste afin d’être saoul, ou s’il devrait arrêter les frais et partir maintenant. Mais étrangement, il se sentait détendu, malgré l’étrangeté de cette auberge. C’était peut-être simplement parce qu’il était entouré d’humains, ou peut-être que c’était juste Erin. Elle lui avait posé de nombreuses questions sans réserve et en flot continue, mais elle ne cherchait pas à creuser ou à juger comme les autres gens.
 
“Ahah ! Je l’ai !”
 
Halrac leva les yeux et vit la fille à côté d’un rebord de fenêtre .Elle était en train de piocher dans quelque chose - une boîte posée sur une table illuminée par le soleil. La vision augmentée d’Halrac n’eut aucun mal à discerner les fleurs dorées qu’Erin ramassait et… pressait dans une chope ?
 
La fille écrasa les fleurs et récoltait les quelques gouttes de nectar dans un mug. Puis elle ajouta de la bière - encore moins habilement que la première fois, et il y avait juste autant de mousse que de liquide. Elle apporta la concoction douteuse à Halrac et la colla sous son nez.
 
“Tiens, essaies ça ! C’est une boisson spéciale.”
 
“Qu’est-ce qu’il y a dans ces fleurs ?”
 
“ Hum. Je ne sais pas.”
 
Halrac regarda Erin, et elle se hâta d’expliquer.
 
“Ce sont des fleurs magiques, et quand on boit leur nectar, on devient un-peu-saoul. Et je veux dire, je me suis dit que ça irait bien avec de l’alcool - ça l’épice un peu, tu vois ? J’ai cette compétence - [Mets Prodigieux], et elle me disait que ça devrait marcher.”
 
Halrac n’avait jamais entendu parler de cette compétence, mais Erin le regardait d’un air suppliant, et ce n’était pas comme s’il avait mieux à faire. Ou à boire.
 
Il renifla la chope d’un air soupçonneux. Il était peu probablement que l’aubergiste tente de l’empoisonner ou de le droguer, mais il était toujours prudent. Aucune de ses Compétences ne lui disait qu’il y avait du danger, de toute façon, et il prit donc une gorgée prudente.
 
Et…
 

 
Le vent ébouriffa les cheveux d’Halrac. Il regarda autour de lui et se demanda où était partie la jeune fille. Mais l’instant suivant, il l’oublia, parce qu’il se comprit où il se trouvait.
 
Chez lui.
 
Non pas la ruine carbonisée qui était tout ce qui en restait dans le monde réel, mais chez lui, la maison qu’Halrac avait connue toute sa vie avant qu’elle ne lui soit arrachée. Il était debout au sommet d’une colline verdoyante au beau milieu d’une journée d’automne, les arbres autour de lui parés de couleurs, l’air frais et vivifiant. En contrebas, son petit hameau bourdonnait de vie et d’activité tandis que les [Paysans] accomplissaient leurs tâches et que les enfants aidaient à la chasse ou jouaient ensemble dans la rue.
 
Halrac baissa les yeux et vit ses bras. Une peau jeune, lisse et dépourvue de cicatrices, mais encore tannée par le soleil ni couverte de poils, brillait au soleil. Il était de nouveau un jeune homme de dix-sept ans, et il avait l’impression que son corps était fait d’air, plein de force et d’énergie juvéniles.
 
“Halrac ? Qu’est-ce que tu fais ?”
 
Son cœur rata un battement. Halrac se tourna, et vit Ariæl. Elle portait la robe de coton moelleuse de la Jeune Fille des Moissons - qu’on offrait à la plus belle fille du village. Et elle était debout sur la colline avec lui, en souriant. En lui souriant.
 
Cela avait été différent à l’époque. Halrac se souvenait de cette journée, où elle avait été avec Telfar à la place, qui se moquait de lui tandis qu’il regardait la scène d’un air misérable. Mais ce moment était différent, et Halrac savait qu’elle était amoureuse de lui. Et lui ? Il l’avait aimée toute sa vie, jusqu’au jour où elle était morte avec les autres.
 
Et à présent elle était ici, avec lui.
 
Halrac éclata de rire, et jeta ses bras autour d’Ariæl, la faisant tournoyer dans les airs comme il en avait toujours rêvé. Elle s’accrocha à lui et lui embrassa le visage lorsqu’ils se mirent à rouler sur la colline verdoyante, libres et légers, ensemble pour une journée parfaire.
 
Le jeune homme se retourna et vit son petit village en contrebas bourdonner de vie et de gens après la moisson. Il pouvait voir son père rire avec sa mère alors qu’il levait un énorme sac de grain sur une épaule et qu’elle emportait un seau de lait dans leur maison. Il pointa du doigt, et Ariæl se retourna et vit les premières tartes en train d’être amenées sur la grande table pour que tout le monde puisse en manger. Elle tira sur sa main et il la suivit d’un pas chancelant, riant en…
 

***

Erin ne s’était jamais vue comme une meurtrière, mais il était certain qu’elle était douée pour tuer des gens. C’était un problème auquel elle pensait devoir réfléchir sérieusement à un moment où à un autre, mais elle ne pouvait que voir à ce moment-là qu’elle venait de faire une autre erreur magistrale.
 
“Réveille-toi, pitié, réveille-toi !”
 
Elle secoua Halrac avec désespoir, agitant d’avant en arrière le dos de l’homme assis dans sa chaise, le regard dans le vague. Elle avait déjà arraché la chope de ses mains - il n’avait cessé de siroter son contenu pendant son espèce de transe mais… il n’en sortait pas.
 
“Allez, ce n’est qu’un verre ! Juste quelques fleurs… plus que quelques fleurs ! Ce n’est pas une drogue si c’est de la magie, et tu n’es pas en train de faire une overdose ou quoi que ce soit dans le genre ! Allez, réveille-toi !”
 
Erin se demanda si elle devrait lui mettre une claque. Cela n’avait jamais l’air de marcher. De l’eau, alors. Elle regarda autour d’elle, abandonna l’idée, et lui jeta la boisson dépourvue-de-fleur-de-fées à la figure.
 
Halrac cligna des yeux lorsque l’alcool l’éclaboussa. Il toussa, crachota, et regarda autour de lui.
 
“Ariæl ? Qu’est-ce que. .?”
 
“Je suis tellement désolée, Halrac ! Je ne savais pas ce qui allait se passer ! Je pensais juste que tu allais te croire super grand comme dans les histoires… mais l’alcool a rajouté un effet. C’est une drogue. Je vais la jeter…”
 
Erin prit la chope, mais la main d’Halrac bougea et il lui saisit vivement la main. L’aventurier à l’air d’ordinaire austère plongea un regard tellement intense dans les yeux d’Erin qu’elle prit peur.
 
“Ce n’est pas une drogue. Ce sont des souvenirs. Donne-moi un autre verre, s’il te plaît ! Je paierai ce que tu veux…”
 
“Non, c’est dangereux ! Tu t’es mis à regarder dans le vide. Je ne devrais pas en donner à qui que ce soit avant de l’avoir testée !”
 
Les deux se battirent pour la chope. Halrac était plus fort qu’Erin, mais il n’avait pas l’angle d’attaque adéquat et essayait de ne pas renverser la boisson ; à ce stade, Erin essayait de la renverser par terre. Ils s’engagèrent dans un duel silencieux jusqu’à ce que quelqu’un parle dans leur dos.
 
“Erin ? Est-ce qu’il t’embête ?”


Hors ligne EllieVia

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #131 le: 14 décembre 2020 à 01:00:32 »

 
2.31 - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia


Halrac et Erin se figèrent tous les deux. Erin tordit le cou et vit Ceria. La demie-Elfe était arrivée dans leur dos et sa main squelettique brillait de magie.
 
Elle n’était pas vraiment en train de pointer son doigt luisant sur le visage d’Halrac, mais elle avait un air sinistre sur le visage. Halrac et Erin échangèrent un regard, et ils réalisèrent tous les deux que Ceria avait très mal interprété ce qu’il se passait.
 
Lentement, Halrac lâcha Erin et elle recula.
 
“Ce n’est rien, Ceria. Je, euh, je lui ai servi une boisson avec ce nectar dedans. Tu sais, celui des fleurs ?”
 
“Oh ?”
 
Ceria hésita, mais son doigt cessa de briller. Erin tenta d’expliquer, et la demie-Elfe poussa un soupir qui semblait être de soulagement.
 
“Evidemment que c’est ce qui allait se passer. Eh bien… eh bien, très bien.”
 
Elle salua Halrac d’un hochement de tête et il lui rendit son salut. Il se tourna vers Erin et inclina la tête.
 
“Je suis désolé.”
 
“Oh, non. C’est moi qui suis désolée ! Je n’aurais pas dû te servir ça sans l’avoir testé sur Pisces d’abord. Ma Compétence m’a juste soufflé de le faire et… désolée ! Hum, huh, tu veux autre chose, Halrac ? N’importe quoi ? N’importe quoi d’autre qu’une boisson de fées que je ne suis pas certaine de resservir un jour ?”
 
Il hésita. L’aventurier Or paraissait encore secoué, et Erin le vit repasser plusieurs fois la main sur son visage avant de la regarder.
 
“À manger. Oui.”
 
“Est-ce que tu veux un hamburger ?”
 
“Un qu… D’accord. D’accord. Je vais prendre ça et autant de bière que possible.”
 
Nerveuse, Erin remporta la chope au nectar de fleur de fée à la cuisine et se mit à cuisiner. Ceria prit une chaise avec elle dans la cuisine.
 
“Je n’avais aucune idée de ce qui allait se passer. Mais il avait tellement l’air… ailleurs !”
 
“Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Il a dit que c’étaient des souvenirs ? Hm.”
 
Ceria se frotta le menton pendant qu’Erin retournait deux galettes de viande, cuisinant d’une main distraite en parlant. La demie-Elfe jeta un regard en coin à la chope à moitié vide, mais ne tenta pas de la prendre.
 
“Je ne suis pas une experte, Erin, mais on dirait que ces fleurs font partie de l’illusion des Fées de Givre. Tu peux les faire ressembler à des pièces d’or, et tu as dit que tu avais eu l’impression d’être une géante lorsque tu en avais siroté un peu. Peut-être qu’elles sont enchantées d’illusions qui nous font voir ce que l’on désire.”
 
“Oh, alors Halrac voyait ce qu’il désirait ? Il a dit un nom… je crois que c’était celui d’une fille…”
 
Ceria haussa les épaules.
 
“Je ne sais pas, mais c’est rare de le voir perdre son sang-froid.”
 
“Attends un peu. Tu connais Halrac ? Tu ne me l’avais pas dit !”
 
“Le connaître ? Hah ! De réputation seulement. C’est un aventurier Or vétéran, Erin. Il a fondé la Chasse aux Griffons avec Ulrien il y a presque dix ans, et il est célèbre pour ne jamais paniquer ni céder sous la pression. Ta boisson doit être puissante si ça l’a secoué.”
 
Erin fronça les sourcils en regardant sa boisson pendant que ses mains assemblaient machinalement un burger.
 
“Je ne voulais pas faire de bêtise. J’écoutais juste ma Compétence.”
 
“Ce n’est pas toujours sage. Dans tous les cas, je ne crois pas que tu aies fait quelque chose de mal. Je pense même qu’il te paiera en or si tu lui en donnes encore.”
 
“Peut-être.”
 
Erin n’en savait rien. Mais elle apporta son hamburger à Halrac, qui l’accepta, ainsi que sa boisson non magique, avec un grognement. Ceria et Erin mangèrent aussi un hamburger - Erin était trop bouleversée pour faire une pizza - à l’autre bout de l’auberge.
 
Au bout d’environ une heure de discussion - pendant laquelle Halrac se contenta de manger et de contempler ses bras et ses mains comme s’il était toujours en transe - la porte de l’auberge s’ouvrit et deux autres invités familiers entrèrent.
 
“Bonsoir, Erin.”
 
Pion inclina la tête lorsqu’Erin se tourna pour lui faire un grand sourire, et un Drakéide bien connu passa la tête à l’intérieur lui aussi.
 
“Oh, euh, salut Erin ! C’est marrant de te voir ici !”
 
Ceria pouffa de rire en voyant Olesm se frayer un chemin derrière Pion. Halrac s’était figé dans son siège, mais Erin accueillit le Drakéide et l’Antinium, les faisant s’asseoir au milieu de la pièce.
 
“Pion ! Olesm ! Ça fait des lustres que je ne vous ai pas vus ! Pourquoi est-ce que vous n’êtes pas passés me voir ?”
 
Pion hocha la tête pendant qu’Olesm regardait par-dessus l’épaule d’Erin.
 
“Je suis désolé, mais j’étais occupé à la Colonie, où nous essayons de créer plus d’Individus. Et jusqu’à récemment, je me faisais interviewer par Klbkch, Ksmvr, et la Reine.”
 
“Whoa. C’est du sérieux !”
 
“En effet. Olesm était avec moi et j’ai suggéré que nous venions dîner ici.”
 
Erin se tourna vers Olesm, et le Drakéide se gratta les épines au sommet de son crâne et détourna le regard.
 
“Je ne savais pas que tu étais à la Colonie ! C’est plutôt cool - tu enseignes aux Antiniums ? Et pourquoi n’es-tu pas passé plus tôt ? Tu sais que je suis toujours partante pour une partie d’échecs !”
 
Olesm se dandina en évitant de croiser le regard d’Erin.
 
“Tu sais ce que c’est, Erin.”
 
“Non, pas du tout.”
 
Il vacilla, cherchant du soutien auprès de Ceria. La demie-Elfe se contenta de lever les yeux au ciel en mordant dans son deuxième hamburger.
 
“Eh bien, c’est juste que je voulais essayer de jouer contre d’autres joueurs et les Antiniums sont toujours partants - et me paient même pour jouer ! Et je sais que tu es occupée et je ne voudrais pas t’empêcher de jouer ave…”
 
Ses yeux s’égarèrent à gauche, et Erin se tourna et vit l’échiquier magique, dont les pions spectraux et transparents étaient posés sur le bois. Elle n’avait pas terminé la dernière partie avec son adversaire mystérieux, comme il avait dû s’arrêter pour une raison inconnue. Erin fronça les sourcils, confuse, puis jeta un regard noir à Olesm.
 
“Attends une minute, Olesm. Même si je joue contre quelqu’un d’autre, j’adore jouer avec toi ! Même si tu n’es pas encore aussi fort que lui, tu restes un super joueur !”
 
Le Drakéide secoua la tête.
 
“Je connais ma valeur, Erin, et après cette partie contre lui… je ne voudrais pas te ralentir, vraiment.”
 
“Hey !”
 
Erin saisit Olesm et fusilla le Drakéide surpris du regard.
 
“Le talent et l’autorisation à jouer ne devraient pas avoir de lien. Tout le monde peut jouer aux échecs, et tu devrais jouer contre moi autant que tu veux ! C’est la seule manière de s’améliorer et…”
 
Elle jeta un regard noir à Pion qui se ratatina sur son siège.
 
“... Et cela ne m’ennuie pas d’enseigner aux nouveaux joueurs non plus. J’aime les échecs. Tous ceux qui aiment les échecs sont les bienvenus pour venir m’affronter, n’importe quand, n’importe où ! Enfin pas n’importe où, mais la plupart du temps, je suis partante pour jouer !”
 
Olesm cligna des yeux, mais le regard noir qu’elle lui lançait se transforma en un sourire, qu’il parvint à lui rendre.
 
“Je suis désolé, Erin. Tu as raison. Je ne sais pas ce qui m’est passé par la tête… bien sûr que j’adorerais jouer avec toi.”
 
“Bien. En ce cas, je vais vous affronter tous les deux à la fois. J’adore jouer deux matchs à la fois. Laissez-moi simplement vous nourrir d’abord. Hey, vous voulez essayer la pizza ?”
 
“Qu’est-ce qu’une pizza ?”
 
“C’est…”
 
“Olesm ?”
 
Le Drakéide tourna la tête. Il écarquilla les yeux, et Erin cilla, surprise.
 
“Zevara ? Qu’est-ce que tu fais ici ?”
 
La Capitaine de la Garden, grande Drakéide avec un tempérament et un souffle de feu, entra lentement dans l’auberge. Elle salua maladroitement Erin d’un signe de tête.
 
“Humaine. Est-ce que ton auberge est ouverte en ce moment ?”
 
“Quoi ? Oh, oui, oui, bien sûr ! Hum, tu veux manger ici ? Ou boire quelque chose ?”
 
Erin hésita. Elle n’avait jamais vu Zevara dans un contexte qui n’impliquait pas qu’elle crie, et elle se retrouvait complètement prise au dépourvu. Mais la Capitaine Drakéide regarda Olesm et parut presque aussi décontenancée qu’Erin.
 
“J’imagine que je peux prendre quelque chose. Je suis, heu, juste venue parce que je suis en congé et que je t’ai vu venir par ici, Olesm. Ça te dérange si je me joins à toi ?”
 
“Moi ? Euh…”
 
Olesm jeta un regard en coin à Ceria pour une raison mystérieuse. La demie-Elfe haussa les épaules, là encore pour des raisons qu’Erin ne saisissait pas, et Zevara se tourna vers elle.
 
“Springwalker.”
 
“Zevara. Je suis sûre qu’Olesm serait ravi que nous partagions une table, n’est-ce pas ?”
 
“Qui, moi ? Non, non.... je pensais plutôt aller faire une partie d’échecs…”
 
“On peut faire ça plus tard. Tu devrais discuter, Olesm !”
 
Le visage d’Erin s’illumina d’un sourire éclatant et le Drakéide s’affaissa légèrement lorsque les deux femmes s’assirent à ses côtés. Pion proposa poliment sa chaise à Ceria et la demie-Elfe prit le siège à la gauche d’Olesm tandis que Zevara s’asseyait à sa droite.
 
À présent qu’elle avait plusieurs invités, Erin se souvint de Lyon et la chercha du regard. Mais la nouvelle [Serveuse] n’était pas là.
 
“À chaque fois que j’ai besoin de quelqu’un pour faire le service… ce n’est même pas très dur ! Je fais toute la cuisine !”
 
“Je vais aller la chercher, si tu veux.”
 
Olesm se leva, mais Erin lui fit vivement signe de se rasseoir.
 
“Elle est probablement en train de se cacher. Je vais demander à Toren d’aller la chercher lorsqu’il reviendra. Je ne sais pas vraiment où il est. Non, assieds-toi. Je suis sûre que Zevara appréciera ta compagnie.”
 
Le Drakéide avait une expression vraiment étrange sur le visage. Pendant ce temps, Ceria avait commencé à discuter d’un air très cordial avec Zevara, et la Capitaine avait l’air toute aussi polie. Erin sourit ; c’était une bonne chose de voir ces deux-là aussi bien s’entendre, même si Olesm restait très silencieux. Erin s’activa dans la cuisine, préparant à manger pendant que les autres discutaient ou attendaient en silence. Il y avait beaucoup de silence, d’ailleurs, malgré le monde.
 
Olesm devait avoir faim, parce qu’il parut incroyablement soulagé lorsqu’Erin revint avec deux pizzas bien chaudes, une sur chaque manique. Pion hocha la tête d’un air appréciateur, mais s’arrêta en jetant un regard à Ceria et Zevara. Les deux n’avaient même pas regardé la pizza ; elles se souriaient et riaient, même si Erin avait raté la blague.
 
“Je pense que j’aimerais bien faire une partie, Erin, si tu es libre.”
 
“Carrément ! Criez juste si vous avez besoin de quoi que ce soit, d’accord ?”
 
Ceria et Zevara acquiescèrent sans regarder dans sa direction. Olesm hésita, puis il repoussa lentement sa chaise.
 
“J’imagine que je vais jouer…”
 
Assieds-toi.
 
Il s’assit. Erin trouva une table plus proche de Halrac et s’assit avec Pion. L’[Éclaireur] n’avait pas demandé grand-chose de plus qu’un autre verre et il tenait calmement sa boisson contre lui pendant qu’elle discutait avec l’Antinium.
 
Erin prépara l’échiquier et Pion s’assit sur sa chaise, mâchant calmement un morceau de pizza. Elle n’était pas sûre qu’il aime, mais elle avait trouvé d’autres insectes pour les Antiniums, et elle espérait simplement qu’ils étaient comestibles pour eux.
 
“Bon, tu préfères les noirs ou les blancs, Pion ?”
 
“J’aimerais choisir les blancs, si cela te paraît acceptable, Erin.”
 
Elle acquiesça joyeusement, et Pion étudia le plateau pendant une minute avant d’avancer un pion en D4. Erin avança immédiatement un pion en D5, et Pion avança un deuxième pion en C5, initiant le Gambit Dame.
 
Erin poussa immédiatement un deuxième pion en C6, Défense Slave, et le jeu s’arrêta là un petit moment. Pion étudia l’échiquier, puis, et ce n’était pas dans ses habitudes, leva les yeux sur Erin.
 
D’ordinaire, l’Antinium se concentrait uniquement sur le jeu, et ce changement d’attitude firent s’interrompre les réflexions de stratégie d’échecs d’Erin un instant. Elle leva les yeux.
 
“Quelque chose ne va pas, Pion ? Tu n’aimes pas la pizza ?”
 
“La pizza est parfaite, Erin. Mais je souhaiterais te parler de quelque chose.”
 
Erin fronça les sourcils.
 
“Oh ? Quoi donc ?”
 
Pion plaça une main sur une pièce d’échecs et hésita. Il regarda de nouveau Erin droit dans les yeux, et elle commença à comprendre qu’il n’était pas vraiment venu pour jouer, après tout.
 
“Je suis venu te demander conseil, Erin.”
 
Pion baissa la voix pendant qu’Olesm commençait à essayer d’expliquer à Zevara et Ceria les règles des échecs. Erin dévisagea l’Antinium, inquiète.
 
“Quoi ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Je veux dire, quelque chose ne va pas ?”
 
“Rien… enfin, je veux dire, j’imagine que ce n’est pas correct. Aujourd’hui, j’ai été convoqué par ma Reine, comme je le disais, avec quatre autres Antiniums, les quatre qui sont devenus des individus.”
 
“Oh.”
 
Cela avait l’air important pour Erin. elle ne comprenait toujours pas vraiment pourquoi les individus étaient si importants pour les Antiniums, mais elle avait une vague idée de la nouvelle importance de Pion. Il hocha la tête en avançant lentement un pion.
 
“Oui. Elle nous a appelé et nous a posé des questions sur notre nature. Elle… nous a analysés pour savoir ce que nous pourrions devenir, ce que nous pourrions accomplir.”
 
Erin regarda l’échiquier. Pion avait avancé un autre pion sur le plateau - mais c’était un coup terrible. C4-c5 ? C’était une mauvaise Slave. Elle lui avait enseigné comment l’éviter. Erin regarda Pion, déstabilisée, et remarqua pour la première fois qu’il y avait bel et bien quelque chose de différent chez lui, aujourd’hui.
 
Il avait l’air… plus petit. L’Antinium était assis, courbé sur sa chaise, et Erin réalisa qu’il ressemblait beaucoup à celui qu’il était lorsqu’elle l’avait rencontré. C’est-à-dire, comme un Ouvrier ordinaire, docile, discret, inaperçu.
 
“Pion ?”
 
Que s’était-il passé ? Qu’est-ce que sa Reine lui avait dit… ou fait ? Erin se souvenait de Ksmvr, mais Pion ne semblait pas blessé. Il avait juste l’air…
 
Impuissant.
 
Erin baissa les yeux sur le plateau, puis abandonna leur partie. Elle contempla pion d’un air grave.
 
“Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Qu’est-ce qu’elle t’a fait ?”
 
Il secoua lentement la tête.
 
“Des questions. C’est tout ce qu’elle nous a posé. Des questions.”
 
“Quel genre de questions ?”
 
Les questions pouvaient être mauvaises ou blessantes. Mais Pion se contenta de lever une main, paume levée vers le ciel, impuissant.
 
“Des questions auxquelles nous n’avons pas pu répondre, Erin. Elle nous a demandé ce que cela signifiait d’être un individu. Comment cela se produisait. Nous n’avons pas pu répondre. Et elle a posé d’autres questions…  qu’allons-nous devenir ? Quelles classes allons-nous prendre ? Comment pouvons-nous servir la colonie ?”
 
Il secoua la tête.
 
“Elle a demandé si j’allais mener des Soldats au combat. Moi. Parce que j’ai gagné une classe en jouant aux échecs et que je suis celui qui a le plus de niveaux après Klbkch. Mais moi ?”
 
Erin observa Pion. Elle ne le voyait pas se battre comme Klbkch ou Ksmvr.  Une image s’afficha dans son esprit. Un souvenir. Elle vit un Ouvrier, se débattant contre des Gobelins, se battant comme un enfant pendant qu’ils le poignardaient…
 
Pion continua de parler, d’une voix hachée. Sa voix paraissait serrée par une émotion qu’elle n’avait jamais vue chez un Antinium.
 
“Je lui ai dit que j’aimais ce jeu. J’aime jouer aux échecs. Mais je ne peux pas mener des armées. J’ai la classe de [Tacticien], mais… j’ai cessé de gagner des niveaux.”
 
Erin cilla. Pion hocha la tête.
 
“C’est un problème. Et pourtant, je n’ai pas envie de poursuivre une autre occupation. Je ne peux plus redevenir Ouvrier, mais même ma propre Reine ne sait plus ce que nous sommes à présent.”
 
Il écarta les mains, faisant tomber des pièces sur le plateau. Pion sursauta, surpris, puis baissa maladroitement la main pour rattraper les pièces. Mais il les laissa en l’état et regarda Erin.
 
“Je suis perdu. Si je ne suis pas un Ouvrier, que suis-je ?”
 
“Je ne sais pas. Pion…”
 
Il secoua la tête.
 
“Ma Reine ne le savait pas. Tu ne sais pas. Personne ne sait. Pas même nous.”
 
Il dévisagea Erin, et elle se sentit impuissante. L’expression de Pion ne changea pas, mais il ne pouvait pas changer d’expression, pas vraiment. Il n’avait pas de nez, ni de peau, ni même de conduit lacrymal. Mais ses mandibules cliquetèrent doucement, et ses mains se serrèrent sur la table.
 
“Nous sommes tous perdus. Mais je suis le premier, et ils cherchent donc les réponses chez moi. Et je…”
 
Pion leva les yeux sur Erin, puis les détourna.
 
“Je ne sais pas.”
 
“Pion. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut résoudre comme ça. Ce sont des choses complexes. Cela prend du temps.”
 
Erin tendit la main pour toucher celle de Pion, mais il la repoussa. Il dévisagea Erin en tremblant légèrement.
 
“Je leur ai demandé de venir à toi cette nuit-là. J’ai réuni les Ouvriers et leur ai dit de se battre. Et de mourir.”
 
Erin sentit un trou s’ouvrir dans son estomac. Pion plongea son regard dans le sien, ses yeux à facettes francs, remplis d’émotions cachées.
 
“Je leur ai demandé d’y aller. Ils y sont allés de leur propre volonté, mais c’est moi qui l’ai suggéré, qui leur ai dit de le faire. Pas ma Reine, ni Ksmvr, ni Klbkch. Moi, et personne d’autre.”
 
Elle se souvenait. Les yeux d’Erin étaient pleins de larmes, mais elle se força à regarder Pion.
 
“Ils m’ont sauvée, Pion.”
 
Il hocha la tête.
 
“Oui, et c’était nécessaire ! C’était une bonne chose ! Mais… que se passe-t-il ensuite ?”
 
“Quoi ?”
 
Erin ne comprenait pas. Pion la regarda, comme s’il voulait qu’il comprenne.
 
“Ils sont morts pour te sauver. C’était une bonne chose. Mais que deviennent ces morts ? Quand Bird, Garry, Belgrade et Anand et moi mourront, qui se souviendra de ceux qui sont tombés ? Ils ont vécu. Magnus, Tour, Calabrian, Vladimir, Emmanuel… ils ont vécu. Mais nous seuls nous souvenons d’eux. Nous seuls nous en soucions.”
 
Erin dévisagea Pion. C’était trop pour elle. Cela la dépassait tellement. Mais Pion était venu demander son aide. Mais quelle aide pouvait-elle lui offrir ? Quel conseil donner à quelqu’un qui parcourait un chemin que personne n’avait parcouru avant lui ?
 
“Je ne sais pas, Pion. Je suis désolée.”
 
L’Antinium était assis sur sa chaise et tremblait. Non. il ne tremblait pas. Erin le regarda plus attentivement.
 
Il… tressaillait. Tressautait. C’était exactement comme la première fois où Erin lui avait demandé son nom, mais en encore plus violent.
 
“Qu’allons-nous fAire, EriN ? qu’ALLons-nOUs dEvEnir ?”
 
Sa voix… Erin sentit un frisson glacé lui parcourir le dos, mais elle refusa de reculer. Elle dévisagea Pion. Il lui rendit son regard.
 
“qUE SoMmES-nOUS ?”
 
Un son léger la fit détourner les yeux. Olesm, Ceria et Zevara n’avaient pas remarqué son comportement, mais Halrac, si. Il tenait quelque chose dans sa main gauche. Une dague.
 
Erin le regarda et secoua légèrement la tête. Il contempla Pion, le visage fermé, et ses yeux s’égarèrent sur elle. Elle plongea son regard dans le sien. Et se contenta de le dévisager.
 
Lentement, Halrac remit sa lame dans son fourreau. Erin se tourna de nouveau vers Pion. Il tremblait toujours .Elle posa une main sur son épaule.
 
“Hey. Hey, écoute-moi. Tu n’es pas seul. Il y a d’autres gens comme toi.”
 
“pERsonNe n’ESt cOMme Moi.”
 
C’était vrai. Mais ce n’était pas vrai. Quelque chose surgit dans la mémoire d’Erin. Elle regarda Pion. Le premier de sa race, le meneur d’un peuple à qui personne ne faisait confiance, qui n’avait aucune importance. Qui ne savait pas…
 
La mémoire lui revint petit à petit. Pas des souvenirs récents, mais des histoires. Des fragments de quelque chose qu’elle avait entendu longtemps avant, dans un endroit calme, étant enfant.
 
Peut-être que c’était le dernier nom que Pion avait prononcé. Emmanuel. Mais Erin se souvint, et elle repoussa donc l’échiquier avant de rapprocher sa chaise de Pion. Elle posa une main sur sa chitine froide.
 
“Tu sais, autrefois, il y avait un mec comme toi. Il voulait sauver son peuple, lui aussi.”
 
“VraiMEnt ?”
 
Sa vois était en train de se calmer. Erin sourit à Pion, et sentit le regard d’Halrac dans son dos.
 
“Oui. D’ailleurs, je connais une histoire à propos de ce type. Il était célèbre, tu sais. Son nom est Moïse, et beaucoup de petits Humains le connaissent.”
 
“Qu’est-ce que… qu’est-ce qu’il a fait ? Qui était-ce ?”
 
“C’était… une personne ordinaire. Enfin, pas ordinaire. Mais il ne pensait pas qu’il ferait quoi que ce soit de spécial, jusqu’au jour où il a compris qu’il était différent des gens qui l’entouraient. Puis il a réalisé qu’il avait un peuple qui se faisait maltraiter, qui avait besoin de lui. Et il les a guidés.”
 
C’était à peu près juste. À peu près. Cela dépendait de l’histoire qu’on écoutait. De quel film on regardait. Erin n’avait jamais vu Les Dix Commandements, mais elle avait vu le Prince D’Égypte plus d’une fois.
 
“Son peuple était réduit en esclavage. Ils étaient sous le joug d’un roi dur - un Pharaon. Mais Moïse fut appelé, et il mena donc son peuple à la liberté.”
 
Pion pencha la tête sur le côté. sa voix revint à sa tonalité habituelle.
 
“Est-ce une histoire éducationnelle ou un récit historique ?”
 
Erin hésita. Elle se gratta la tête et sourit.
 
“‘Sais pas. C’est juste une histoire. Tu veux que je te la raconte ?”
 
Il hésita, puis hocha la tête. Erin lui raconta donc une histoire de son enfance.
 
“Il était une fois, dans un pays appelé l’Égypte, deux peuples. Ces deux peuples étaient Humains, mais ils étaient… différents. L’un des peuples était appelé les Égyptiens, et ils avaient des esclaves.  Les esclaves étaient appelés les Hébreux. Et le roi des Égyptiens était appelé le Pharaon. Mais il avait peur que les Hébreux se soulèvent un jour, et il ordonna donc de tuer tous les bébés mâles. Et la mère de Moïse ne voulait pas cela. Elle trouva donc une rivière - le Nil - et mit Moïse dans un berceau. Puis elle attendit que quelqu’un trouve Moïse. C’était la femme du Pharaon, et elle l’apporta avec elle dans la maison du Pharaon et Moïse grandit comme un prince Égyptien alors qu’il était un Hébreu en réalité. Mais un jour, il découvrit qui il était vraiment. C’est alors qu’il trouva un buisson ardent…”




***

Erin raconta l’histoire de Moïse, abrégée et légèrement incorrecte, mais du début à la fin. Pion écouta en silence jusqu’à ce qu’elle eût terminé, mais lorsqu’elle finit, il se contenta de secouer la tête.
 
“C’est une bonne histoire, mais j’ai bien peur que cela ne soit pas aussi facile pour nous. Les Antiniums ne sont pas les esclaves de notre Reine - elle fait partie de la Colonie, tout comme nous tous. C’est simplement qu’il n’y a pas d’endroit pour nous en ce moment, et notre but…”
 
Il s’interrompit, en secouant encore plus fort la tête.
 
“La rébellion ne mènerait qu’à la mort. Une mort dénuée de sens.”
 
Erin agita précipitamment les mains et faillit renverser son plateau.
 
“Oh non, non… je ne voulais pas dire que la Reine était comme le Pharaon. C’est juste une histoire. Une parabole. Je disais juste que Moïse était comme un meneur, et que tu es comme un meneur.”
 
Il hésita.
 
“C’est une bonne histoire, mais je ne suis pas un élu. De plus, tu dis que ce Moïse a été choisi par un dieu. Tu parles des dieux, mais on m’a dit que les dieux étaient morts.”
 
Erin hésita.
 
“Peut-être. Je veux dire, ici, on dirait que c’est vrai. Mais j’ai toujours grandi en sachant qu’il y avait un dieu. Puis ensuite, je… enfin, là d’où je viens, les gens croient qu’il y a des dieux. Les gens croient qu’ils sont venus sur terre, comme Jésus Christ.”
 
“Jésus ? C’est un autre Humain qui a mené son peuple ?”
 
C’était étrange d’entendre un Antinium parler de Jésus. Erin ne put s’empêcher de sourire.
 
“Oui, on peut dire ça. C’est quelqu’un qui a sauvé son peuple. Plus exactement, il a sauvé les Hébreux comme Moïse, juste très longtemps après. Et il était le fils de Dieu ! Enfin, ça dépend à qui tu le demandes.”
 
Pion dévisagea Erin. De l’autre côté de la pièce, la tête d’Halrac se leva lentement et il regarda Erin. Il haussa la voix et l’Antinium et l’aubergiste levèrent les yeux.
 
“Les dieux sont morts. Tout le monde sait ça. Mais je n’ai jamais entendu parler d’un descendant des dieux.”
 
“Je, euh, eh bien, tout le monde le dit de là d’où je viens.”
 
Erin réalisa qu’elle était au bord de la limite dont lui avait parlé Ryoka. Mais il était trop tard pour reculer.
 
“Nous avons des dieux. Ou un dieu. Il y en a d’autres, mais celui dont on m’a parlé quand j’étais enfant… je veux dire, les gens l’appelaient juste… Dieu. Masculin. Ou féminin. Ou les deux. C’est difficile à expliquer.”
 
Halrac regarda Erin d’un air dubitatif, mais il rapprocha quand même sa chaise.
 
“Explique-moi. J’ai toujours appris que les dieux étaient morts. Toujours. Et je n’ai jamais entendu parler d’un dieu qu’on aurait juste appelé… Dieu.”
 
Expliquer la chrétienté ? Erin n’était pas sûre de pouvoir. Mais Pion la regardait aussi, à présent, et il avait cessé de trembler. Elle prit donc une grande inspiration et essaya.
 
“Eh bien, on dit qu’il… je veux dire, Dieu… a créé la terre et tout le reste en sept jours et a fait tous ces trucs. Vous savez, des trucs de dieu. Il a viré les Humains du jardin d’Eden parce qu’on avait péché, et euh, grosso modo laissé le monde se débrouiller pendant longtemps. Mais son peuple, son peuple élu je veux dire, il a toujours veillé dessus. L’histoire de Moïse - c’était un exemple de la manière dont Dieu choisissait ses prophètes et ses messagers pour l’aider à les sauver.”
 
“Après qu’ils soient devenus des esclaves.”
 
Halrac grogna d’un air catégorique.
 
“Sacré Dieu.”
 
Erin n’avait rien à répondre à cela. Mais elle avait l’impression qu’elle se devait de défendre un tout petit peu cette religion.
 
“Eh bien, il a fini par les sauver, au final. je pense que c’était une espèce de punition pour quelque chose. Peut-être. Bref, ensuite, il a envoyé son fils mourir pour nous.”
 
“Pour nous ? Son fils ? Je ne comprends pas.”
 
Pion regarda Erin et Halrac grogna encore une fois. Et Erin…
 
Hésita.
 
Elle avait l’histoire de Jésus au bord des lèvres. Ce n’était pas ce que Pion voulait - ce n’était pas l’histoire qui allait l’aider à comprendre qui étaient les Antiniums. Mais c’était une bonne histoire.
 
Ce n’était peut-être qu’une histoire. Ou pas. Erin n’en savait rien.
 
Elle ne croyait pas. Ou plus. Mais elle avait entendu les mêmes histoires, encore et encore, et elle pouvait les répéter à son auditoire.
 
“Contentez-vous d’écouter, d’accord ? C’est relativement compliqué, mais j’imagine qu’un jour, longtemps après que Moïse ait sauvé les Hébreux, ils souffraient dans un autre pays. Cette fois-ci sous le joug des Romains. Et Dieu savait qu’ils avaient des ennuis, mais il regardait un peu le monde dans son entier, vous voyez ? Et partout où il regardait, il voyait le péché. Il décida donc d’y faire quelque chose. Il chercha alors les gens bien - Marie de Nazareth et son mari, Joseph de Nazareth, et les choisit pour élever son fils qu’il ferait descendre du paradis...”
 
“Le paradis ?”
 
Pion interrompit Erin. Il la dévisagea avec intensité.
 
“Qu’est-ce que le “paradis” ? Je connais l’enfer, mais je n’ai jamais entendu parler du paradis.”
 
Erin hésita.
 
“Attends une seconde. Comment tu peux connaître l’enfer et pas le paradis ? C’est quoi, l’enfer, ici ?”
 
Ce fut Halrac qui répondit. Il tritura sa chope.
 
“C’est de là d’où sortent les Démons. À Rhir - il y a un endroit d’où aucune armée n’est revenue. C’est ceci que les gens appellent l’enfer. Est-ce de cela que tu parles ?”
 
Erin fronça les sourcils.
 
“Non… l’enfer est plus une sorte de… enfin, c’est un endroit où on va quand on meurt, pas un véritable lieu.”
 
Pion et Halrac échangèrent un regard, puis détournèrent les yeux. Halrac fronça les sourcils. Erin secoua la tête.
 
“L’enfer n’est pas un lieu. Je veux dire, pas un lieu sur terre. Pas dans ce monde. C’est la vie après la mort. L’endroit où vont les gens mauvais quand ils meurent. On va en enfer à cause de nos péchés. Nous souffrons dans la vie parce que nos péchons… enfin, d’après la Bible.”
 
“La Bible ?”
 
“La… l’histoire de tout cela, j’imagine. Je veux dire, l’histoire des Hébreux et de leur Dieu.”
 
“Ah. Et le paradis ?”
 
Comment décrire le paradis à quelqu’un ? Erin ferma les yeux. Elle regarda le plafond, et fit de son mieux.
 
‘Le paradis est un endroit où vont les bonnes personnes. C’est un endroit dépourvu de douleur, de souffrance… tout le monde y est. On peut retrouver sa famille, ses amis, et tout est joie. À jamais. C’est ce qu’est le paradis, je pense.”
 
Lorsqu’elle baissa de nouveau les yeux, elle vit que Halrac et Pion étaient en train de la dévisager.
 
“Quoi ? Vous ne croyez pas en la vie après la mort ?”
 
Halrac secoua lentement la tête.
 
“Quand j’étais jeune, on m’a appris que nous revenions à la vie après notre mort. Cela dépendait de notre classe et de notre niveau - plus on avait de niveaux, plus notre vie était belle. Si on ne faisait pas grand-chose et qu’on mourrait avec peu de niveaux, on revenait sous forme d’animaux, ou pire, de monstres. Mais c’est tout.”
 
“Et toi, Pion ?”
 
Il resta silencieux quelques minutes.
 
“Les Antiniums ne connaissent rien après la mort. Mais nous connaissons la mort. Quand un Antinium meurt, ses souvenirs restent au sein de la Colonie. Mais de l’Antinium en lui-même…. rien. Seuls quelques-uns sont conservés pour revenir à la Colonie en temps de crise. Klbkch en fait partie. Mais même eux s’effacent. Et à la fin, tous les Antiniums mourront. Et après cela…”
 
Il regarda Erin.
 
“Ils cessent d’être. C’est ce qui arrive après la mort des Antiniums.”
 
Elle le dévisagea.
 
“Ce n’est… pas ce que croient certains Humains. Ils pensent que tout le monde peut aller au paradis, s’ils y croient.”
 
“Tout le monde ? Même un Antinium ?”
 
“J’imagine. Mais laisse-moi finir mon histoire. Vois-tu, Dieu était triste parce que nous étions tous en train de pécher - de faire de mauvaises choses. Il envoya alors son fils mourir pour nous. Parce que s’il mourait, tous nos péchés seraient pardonnés.”
 
Halrac scruta Erin.
 
“Comme une espèce de rituel de sang ? De la magie ?”
 
“Non. La rédemption. Pas de magie, ni de rituel. Juste le pardon. Ce serait une deuxième chance pour nous tous.”
 
“Une deuxième chance. Pour faire quoi ?”
 
Erin marqua une pause.
 
“Tout.”
 
Et Pion la contempla, silencieusement, avec la même expression grave dénuée d’émotions qu’avaient tous les Antiniums. Mais il y avait une lueur dans ses yeux sombres, un éclat de quelque chose.
 
L’espoir.
 
Erin prit donc une grande inspiration, et plongea dans ses souvenirs. Elle plongea dans les souvenirs de son enfance, de sa jeunesse, de l’innocence et de la foi. Elle leur raconta des histoires .Elle leur parla d’un fils qui mourut sur une croix pour sauver le monde, d’un Dieu qui créa tout et donna la loi à ceux qui n’en avaient pas. Elle raconta à l’aventurier et à l’Antinium attentifs des paraboles, des histoires, et des contes de miracles et de libérations.
 
Au bout d’un moment, Olesm renversa sa chaise et s’enfuit par la porte avec Ceria et Zevara sur ses talons .Mais personne n’y prêta attention. Erin raconta des histoires à l’homme en train de l’écouter, plein de scepticisme et d’amertume, et à l’Antinium, perdu, apeuré, et seul.
 
Et ils l’écoutèrent. Ce n’était pas un [Instant Immortel]. Il n’y avait rien d’immortel dans la manière qu’Erin avait de revenir sur ses mots, ou de faire des erreurs ou de se lever pour servir une nouvelle tournée de boissons. C’était peut-être parce qu’elle ne croyait pas.
 
Mais il y avait quelque chose, là-dedans. Quelque chose qui captura les cœurs pour lequel Pion écouta, et Halrac resta.
 
Les histoires.
 
La foi.
 
La religion.
 
***

L’auberge était silencieuse lorsqu’Erin germa enfin sa porte à clef et que son dernier invité disparut dans la nuit enneigée. Olesm avait fui bien longtemps avant et n’était pas revenu, tout comme Ceria et Zevara. Mais Halrac et Pion étaient restés jusqu’à minuit passé, en écoutant Erin.
 
L’aventurier était parti en premier, laissant de généreux pourboires à Erin, largement supérieurs à la moyenne. Il avait ignoré toutes ses protestations, et avait insisté.
 
Halrac était parti après avoir rempli sa gourde d’eau pleine à craquer de la boisson de fleur de fées d’Erin, mais il était rentré à Liscor sans la toucher. L’aventurier Or avait préféré regarder le ciel en traçant son chemin dans la neige.
 
Pion leva aussi les yeux au ciel lorsqu’il rentra en ville. Il n’y vit que les étoiles et les lunes jumelles au-dessus de sa tête. Rien qu’il n’ait pas déjà vu des centaines de fois.
 
Mais… combien de fois Pion avait-il réellement regardé le ciel ? Lorsqu’il y réfléchissait, il était plus que probable qu’il l’ait contemplé bien moins qu’une centaine de fois. Et il n’avait jamais prêté attention aux étoiles brillantes. Elles n’avaient été que des objets, des composantes inutiles de ce monde.
 
Mais à présent, Pion regardait le ciel et se demandait ce qui se cachait derrière les étoiles. Il levait la tête et se demandait si là-haut, quelque part, il y avait un endroit où il pourrait aller. Un endroit pour les égarés comme lui. Un endroit où être sauvé.
 
Et en regardant les cieux, Pion sentit quelque chose dans sa poitrine. C’était un désir, un désir ardent qui le frappa tellement fort que l’Antinium frissonna. Il n’avait jamais ressenti une telle envie de toute sa vie, mais cela le submergea, le désir féroce d’obtenir quelque chose qu’il ne possédait pas.
 
Le péché. L’enfer. L’esclavage. La trahison.
 
Les histoires d’Erin se plantèrent dans l’esprit de l’Antinium, murmurant à son tympan, chuchotant dans son cœur.
 
La rédemption, le salut, la renaissance. La résurrection. Le pardon de ses péchés.
 
Son fils unique.
 
Et…
 
“Le paradis.”
 
Ce n’était qu’un bref instant. Ce n’était qu’un espoir, le maigre désir de quelqu’un qui n’avait jamais su qu’il le voulait. Mais pendant un instant, Pion souhaita que tout fut vrai. Et à ce moment-là, il crut.
 
Et lorsqu’il leva les yeux, l’Antinium entendit le chuchotis. Il surgit de son cœur, puis Pion entendit la voix dans sa tête.


[Classe : Acolyte Obtenue !]
 
[Acolyte Niveau 1 !]
 
[Compétence : Prière Obtenue !]


Cela foudroya l’Antinium, et il tomba à genoux, dans la neige et dans la nuit. Il leva les yeux, et il sut.
 
Le ciel noir était suspendu au-dessus de sa tête, silencieux, distant, mais plus simplement le ciel. À présent, quelque chose se trouvait derrière§. Quelque chose fait de rêves et d’espoirs et de croyance, mais quelque chose tout de même. Pion crut, et il espéra, et cela suffit. C’était suffisant, de rêver au salut.
 
Et il y avait des Dieux. Ou au moins, un.
 



Hors ligne EllieVia

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #132 le: 17 décembre 2020 à 02:25:15 »

 
2.32 - Première Partie
 Traduit par EllieVia

 
Ceria se réveilla dans son propre lit. Elle se réveilla également seule, ce qui était vaguement décevant.
 
Mais pas vraiment. Elle était toujours partagée au sujet d’Olesm, et la nuit derrière avait été particulièrement…
 
Décevante. Surtout pour elle.
 
“Est-ce que je suis encore une gamine aux oreilles pointues qui se bat pour un garçon ?”
 
Ceria conjura un peu de neige et la fit fondre dans un bol. Elle s’arrosa le visage d’un peu d’eau et soupira.
 
“Zevara.”
 
Ceria avait plus de soixante ans. Pas jeune pour une demie-Elfe et certainement pas vieille pour une Elfe, à sa connaissance ; elle n’était qu’une adolescente d’après les standards de son espèce, et elle avait entendu dire que les Elfes pouvaient vivre des milliers d’années ce qui faisait d’elle... quoi ? Un têtard ?
 
Elle aurait de la chance si elle vivait plus de trois cents ans. Les demis-Elfes prenaient environ un an tous les trois ans d’un Humain. Ils mouraient également pour des raisons stupides, comme les Humains, et le demi-Elfe lambda mourait donc avant d’avoir atteint cent ans. Et oui, cela voulait dire que d’après les standards humains, elle avait à peine vingt ans, mais cela restait également une comparaison stupide.
 
Ceria avait plus de soixante ans. Parfois, elle avait l’impression d’être comme les vieilles Humaines, Drakéides et Gnolles qui secouaient la tête en regardant les jeunes courir de partout. Elle avait vécu et aimé et vu d’innombrables choses au fil des années, bien plus de choses que la plupart des gens qu’elle connaissait.
 
Elle était vieille. Et jeune. À d’autres moments, Ceria se sentait encore prête à marcher huit d’heures d’affilée, à camper dans une tente froide et humide, puis se lever pour aller affronter un Mitours au matin. Quel sentiment étrange que de se sentir coincée entre deux états.
 
Mais c’était cela, d’être une demie-Elfe. On avait les avantages des deux races, mais également leurs défauts. Et cela signifiait que Ceria avait souvent une jalousie humaine couplée à un détachement d’Elfe.
 
Elle pensait que c’était son héritage immortel (ou presque immortel) qui la faisait toujours finir par repousser ceux qu’elle aimait, mais ce n’était qu’une conséquence de l’âge. Les gens, les gens normaux, n’avaient aucune idée d’à quel point cela pouvait être compliqué.
 
Certains enfants grandissaient en quelques jours, comme les Gobelins ou les enfants forcés à combattre ou à s’occuper d’eux-mêmes ou de leurs familles. Les demis-Elfes grandissaient vite aussi, malgré leur longue espérance de vie, ils ne restaient pas des nourrissons braillards plus longtemps que les Humains, et ils atteignaient une taille convenable assez rapidement, aussi.
 
Mais cela étant dit, il restait quelques différences. Ceria avait atteint son corps d’adulte aux alentours de ses vingt ans, mais elle avait quand même bien été chamboulée par la puberté. Elle avait passé dix ans à gérer les pires dérèglements hormonaux, explosions magiques incontrôlables et autres.
 
C’était son côté Humain. Les Elfes ne connaissaient pas la puberté, mais les Humains, si, et cela chamboulait toute sa physiologie. Par conséquent, Ceria avait beaucoup d’expérience en termes de relations ratées. Elle ne voulait juste pas que ce soit le cas avec Olesm.
 
Mais peut-être qu’il le faudrait. Ceria soupira en se peignant les cheveux avec ses doigts. Elle n’avait pas assez d’argent pour s’acheter un peigne et elle avait perdu le sien dans les cryptes.
 
“Capitaine de la Garde ou aventurière Argent, hm ?”
 
Olesm, et c’était tout à son honneur, n’avait pas vraiment paru intéressé par aucune des deux, la veille. Il avait essayé de s’éclipser pendant que Ceria et Zevara échangeaient des piques, puis s’était contenté finalement de partir en courant. Il s’était enfermé dans sa maison, ce qui voulait dire qu’il n’y avait pas eu de fin heureuse pour qui que ce soit d’autre que lui.
 
Un autre soupir. Ceria regarda son reflet dans l’eau et sentit son estomac gargouiller. Elle regarda par la fenêtre, mais il faisait encore sombre dehors. Le soleil apparaîtrait derrière les montages bientôt.
 
Il lui avait sauvé la vie. Et il était gentil, attentionné, et pas Humains, ce qui étaient trois considérations importantes. Mais il aimait aussi Erin, et il avait déjà au moins une harceleuse opiniâtre, et il mourrait bien avant elle. Si Ceria ne mourait pas dans les mains d’un monstre.
 
Elle l’aimait. Mais…
 
La demie-Elfe secoua la tête. Mais elle avait sa propre vie. Elle avait quelque chose qu’elle devait faire, et elle n’avait cessé de repousser l’échéance en restant à l’auberge d’Erin et en se battant pour le cœur d’Olesm. Elle leva sa main squelettique et la contempla.
 
Elle sentait toujours quelque chose. Ceria pouvait plier ses os et sentir la magie circuler dans sa main, mais sa peau et son bras…
 
“Sacré prix à payer, hein, Gerial ?”
 
Pendant un bref instant, le visage de Ceria se froissa. Il n’était qu’un autre Humain décéd… Non. Il avait été son compagnon, son ami. Et il était mort, à présent. Tout comme Calruz et le reste d’entre eux. Elle avait tout perdu, encore une fois.
 
Pouvait-elle s’arrêter là ? C’était une pensée séduisante. Ceria regarda sa chambre. C’était un endroit charmant. L’auberge d’Erin n’était peut-être pas luxueuse, mais elle s’en occupait avec soin et bonté. Elle avait offert le gîte à Ceria pour aussi longtemps qu’elle le voudrait, et c’était une proposition séduisante.
 
Elle pourrait devenir serveuse. Peut-être. Elle pourrait au minimum apprendre à cuisiner ou à aider Erin d’une manière ou d’une autre. Elle pourrait abandonner son mode de vie trépidant, pour se bâtir une vie en ville avec Olesm. Elle pourrait faire ça.
 
Mais cela ne lui suffirait jamais. Ceria soupira et secoua la tête. La flamme brûlait toujours en elle, finalement. Qu’importe son déni, elle avait plus d’Humain en elle que la plupart de ses frères et sœurs demis-Elfes. Elle regarda fixement sa main morte et sentit le sang circuler à travers le reste de son corps.
 
“Une dernière fois.”
 
Ses mains - ses deux mains - se serrèrent. Ceria ouvrit sa fenêtre et jeta le bol d’eau dehors. Elle respira à plein poumons l’air froid du matin, le laissant la glacer et la revigorer tout à la fois. Elle s’adressa au ciel en train de s’éclaircir.
 
“Une Corne d’Hammerad est toujours en vie. La mort avant le déshonneur.”
 
Elle se détourna, et descendit. Vers son petit-déjeuner, et sa gloire ensuite. Ainsi vivaient les Cornes d’Hammerad.
 
***


Yvlon se réveilla. Elle contempla, l’air morose, son reflet dans le miroir de poche que sa mère lui avait offert, longtemps auparavant.
 
C’était l’une de ses rares possessions à avoir survécu aux cryptes. Ou plutôt, on le lui avait ramené lorsque les gardes l’avaient découvert et que la magie d’identité l’avait pointé vers elle.
 
Ils l’auraient probablement gardé ; c’était un objet coûteux, bourré de sorts de protection et recouvert d’argent pur enchanté avec d’autres sorts capables d’identifier des malédictions et des mauvais sorts et ainsi de suite - mais la famille Byres avait verrouillé le miroir. Il ne reflétait rien s’il n’était pas entre les mains d’un Byres. Si on voulait se l’approprier, il fallait annuler tous les sorts qu’il contenait et le prix n’en valait pas la chandelle.
 
Et à présent qu’il était de retour dans les mains d’Yvlon, il pouvait refléter tous ses défauts. Elle plongea son regard dans la surface lisse et y vit ses imperfections.
 
Son reflet dans la surface de verre lui renvoya des traits fiers, finement dessinés, une peau sans défauts, des cheveux blonds…
 
Et la trace infime d’une affreuse cicatrice sur le côté gauche de son visage. Elle grimaça et effleura la peau légèrement décolorée.
 
La potion de soin avait trop bien accompli son devoir. Lorsqu’Yvlon l’avait avalée pour récupérer ses forces et aider Selys, elle avait également restauré sa peau ravagée. Elle n’avait pas voulu cela.
 
Yvlon posa le miroir sur la commode de la Guilde des Aventuriers et commença à s’habiller pour affronter la journée. Elle s’activa doucement pour ne pas déranger ses voisins. À présent qu’elle était guérie, on lui avait proposé une des chambres mises à disposition des aventuriers dans une mauvaise passe.
 
C’était un petit espace confiné à peine assez large pour dormir et stocker quelques objets. Mais c’était tout ce dont Yvlon avait besoin et bien plus que ce qu’elle méritait, et elle n’en avait cure. Mais les murs étaient fins et elle savait que ses voisins dormaient, donc elle essaya d’éviter de faire des gros bruits de casserole en enfilant son armure.
 
C’était encore une fois ironique. Yvlon contempla l’armure de plates argentée en enfilant laborieusement chacune de ses composantes. Elle n’avait plus un sou à son nom. Pas un. Mais elle était encore riche, de toute évidence. Son armure, son épée et son bouclier et étaient de l’acier de la meilleure qualité qui soit, un alliage d’acier et d’argent, plus précisément, une spécialité Byres. Il n’y avait pas tant d’argent que cela à l’intérieur, mais suffisamment pour repousser quelques monstres et aider les sorts bénéfiques.
 
Une armure de plates. Une épée longue forgée par un [Forgeron] de Niveau 32, et un bouclier de qualité similaire. C’était un équipement de [Chevalier], alors qu’Yvlon n’était qu’une [Guerrière]. Elle ne méritait pas la classe de [Chevalier], de toute façon ; elle n’était que la fille d’une petite maison aristocrate aux racines marchandes. Et elle n’était qu’un échec.
 
Elle avait laissé des gens mourir. Elle les avait laissés mourir à cause de son incompétence. Et elle n’avait survécu que parce qu’elle avait été en train de protéger l’arrière-garde. D’innombrables aventuriers Argent, des hommes et des femmes bons qu’elle avait connus personnellement…. étaient morts dans les cryptes.
 
Et elle ne pouvait même pas mettre une seule pièce de cuivre sur leurs tombes. Tout était de sa faute.
 
Si elle avait été plus faible, Yvlon aurait songé à se laisser tomber sur son épée. Mais ce n’était pas ainsi que fonctionnaient les Byres. L’honneur leur importait, et ce serait déshonorer ceux qui étaient tombés au combat d’arrêter ici.
 
Elle avait besoin d’argent. Pas seulement pour survivre ; suffisamment pour verser une amende honorable aux familles de ses camarades décédés. C’était la raison pour laquelle elle devait continuer.
 
Yvlon attacha son épée à sa ceinture et ramassa son bouclier. Elle avança vers la porte,  sentant à peine le poids de l’armure qu’elle portait. Ce n’était pas ce qui lui pesait le plus lourd.
 
“Je suis faible.”, murmura-t-elle en poussant la porte.
 
Il n’y avait pas d’heure pour le petit déjeuner à la Guilde, elle n’avait pas d’argent pour cela de toute manière, et elle ne voulait pas encore creuser sa dette envers Selys ou la Maîtresse de Guilde - la grand-mère de Selys.
 
C’était l’heure. Elle était restée étendue dans son lit, à faire son deuil et à s’appesantir sur son échec, bien trop longtemps. Elle devait agir. Yvlon espérait simplement qu’elle pourrait s’élever là où elle avait échoué par le passé.
 
Elle sortit de la Guilde, traversa les rues, vers la porte Sud. Il lui restait une chance. Les Lances d’Argent étaient mortes, avec leur Capitaine. Mais peut-être pourrait-elle tout recommencer, humblement, dans un groupe qui l’accepterait malgré ses péchés.
 
Elle ne pouvait que se contenter d’espérer.
 
***

Pisces se réveilla, contempla le petit antre qu’il s’était faite dans ce qui avait autrefois été la caverne d’un ours et fronça les sourcils. Il n’avait pas beaucoup de soucis, mais l’argent en faisait partie.
 
Il détestait son antre étroite et odorante. Il avait eu beau renforcer l’entrée et y placer plusieurs sorts de protection, elle restait horriblement exposée. Et c’était la raison pour laquelle il avait besoin d’argent, et par conséquent la raison pour laquelle il avait décidé de devenir un aventurier.
 
Les sourcils froncés, Pisces se leva et épousseta vaguement sa robe couverte de terre en cherchant quelque chose à manger. Il se souvenait vaguement avoir pris quelques sandwichs qu’Erin avait faits la veille, mais il avait dû oublier où il les avait mis parce qu’il ne le trouvait plus. Encore quelque chose d’agaçant.
 
Si seulement cette Drakéide insupportable - Selys, c’était bien cela ? - voulait bien reconnaître ses talents ! Il avait des choses bien plus importantes à faire que nettoyer les égouts ou éliminer des menaces insignifiantes.
 
Pisces sortit et trébucha, en fusillant le ciel du regard. Il était beaucoup trop tôt pour tout cela, mais il avait promis à Springwalker d’être à l’heure, et elle s’irritait quand il arrivait en retard.
 
Pisces marcha à pas lourds à travers la neige en s’essuyant le nez et en reniflant, sans cesser de grommeler dans sa barbe. Une part de lui détestait encore tout, et en voulait à tout le monde. Mais il restait par ailleurs le même jeune homme qui avait rêvé de faire de grandes choses. Peut-être que c’était la raison pour laquelle il avait accepté sa proposition.
 
Ou peut-être que c’était parce qu’il s’était égaré en chemin. Juste un peu. Pisces avait travaillé dur pendant des années, tout sacrifié… et créé ce dont il avait toujours rêvé.? Toren, le squelette qu’Erin avait pris sous son aile et qu’elle avait nommé, représentait en soi une apogée dans les découvertes magiques. Mais il avait… tort.
 
Pisces ne pouvait pas se l’expliquer. Il savait simplement qu’il ne ressentait plus la même passion brûlante qui l’envahissait autrefois lorsqu’il regardait son squelette. Toren était puissant, versatile, et, de toute évidence, il avait même réussi à assimiler une partie de la magie de la gemme qu’il cachait sous son crâne. Cela dépassait tous les espoirs du mage, mais…
 
C’était juste qu’il se sentait seul, parfois. Il avait oublié, mais pendant ces quelques jours… depuis qu’elle était arrivée, pour tout dire… il était resté attablé à l’auberge d’Erin. Cette dernière ne le portait bien évidemment pas dans son cœur, et les plats qu’elle servait étaient la plupart du temps médiocre - si l’on exceptait les hamburgers. Mais il y avait quelque chose, chez elle, quelque chose qui le faisait revenir encore et encore.
 
Il ne savait pas pourquoi. Mais parfois, il se demandait ce qu’il se serait passé s’il avait étudié d’autres domaines de la magie en-dehors de la Nécromancie. Peut-être que l’agaçante Drakéide de la guilde ne l’aurait pas balayé d’un revers de la queue. Peut-être alors…
 
Pisces éternua, s’essuya le nez sur sa robe, et poursuivit sa route à travers la neige. Assez, assez. Il ferait son boulot. C’était tout. Il était [Nécromancien] jusqu’à la moelle. Mais il ne pouvait s’empêcher de se remémorer le passé en marchant dans la neige. D’autres sorts, qui n’étaient pas liés à la mort, affluèrent dans son esprit. [Rapière de Feu], et bien sûr, [Fouléclair] en cas de pépin. Il avait été différent, jadis. S’il avait choisi une autre voie…
 
Le mage trébucha et s’étala dans la neige, mais son esprit brûlait sous l’assaut de ses souvenirs. Il n’était ni un aventurier, ni un héros légendaire. Il était méprisé, et ses magies n’étaient pas reconnues. Il n’avait pas d’amis, pas même Springwalker, pas vraiment. Plus vraiment. Mais il n’en avait pas toujours été ainsi.
 
***

Erin retourna un pancake et cria sur Toren et Lyon. Parfois, elle n’arrivait plus à savoir lequel des deux l’énervait le plus, mais au moins, Toren était efficace. Quand il était dans le coin. Le squelette disparaissait beaucoup trop souvent à son goût, et il n’arrêtait pas de porter cette armure ridicule. Cela lui donnait un certain style, d’accord, mais quel intérêt quand on servait à manger ?
 
Elle se brûla sur sa poêle et glapit. C’était peut-être ça, la raison. Elle aurait vraiment, vraiment voulu avoir du sirop d’érable pour accompagner tout ça. Au moins, elle avait du beurre.
 
Mmh. Du beurre.
 
***

Trois aventuriers entrèrent dans un bar. Pour être plus spécifique, un [Nécromancien], une [Mage] spécialiste de la magie de glace, et une [Guerrière] entrèrent dans une auberge. Plus exactement, la [Mage] était là depuis le début.
 
Mais ils s’assirent près du bar, à l’une des tables et une [Serveuse] Niveau 1, boudeuse, leur apporta à manger. Les aventuriers se dévisagèrent.
 
“Pourquoi est-ce que tu es déjà couvert de neige, Pisces ?”
 
Le [Nécromancien] renifla. Il contempla d’un œil avide la pile de pancakes posés devant Ceria et se lécha les lèvres.
 
“Qu’importe, Springwalker. J’imagine que tu paies pour le petit déjeuner ? Et comme nous sommes réunis ici, j’imagine que nous sommes bel et bien partis pour profiter de ce genre de service… ?”
 
Ceria fronça les sourcils et Yvlon haussa un sourcil.
 
“Tu ne paies jamais rien, de toute façon. Mange. J’imagine que je peux abuser de la générosité d’Erin encore un peu. Cela vaut pour toi aussi, Yvlon.”
 
“Tu es trop aimable.”
 
Les aventuriers levèrent les yeux en voyant Lyon approcher d’un pas pesant. Ils n’étaient pas seuls dans l’auberge, mais ils avaient tout de même réussi à avoir la malchance d’être servis par elle. Deux pas plus loin, Halrac était attablé et contemplait Toren. Le squelette tenait un menu - quelques lignes gribouillées sur un morceau de parchemin - et le pointait du doigt.
 
Lyon était plus directe.
 
“Qu’est-ce que vous voulez ?”
 
Elle dévisagea - ou plutôt fusilla du regard - les trois aventuriers. Pisces renifla, Yvlon croisa poliment le regard de Lyonette et hocha la tête, et Ceria soutint son regard jusqu’à ce que la fille détourne les yeux.
 
“Je vais prendre une pizza, un hamburger, les pancakes, un verre de lait et n’importe quel alcool que vous avez en tonneau.”
 
“Erin dit que tu te contenteras de ce qu’elle te fera. La demie-Elfe est servie. Et toi, tu veux quoi ?”
 
“Des pancakes pour moi aussi, je suppose. Merci.”
 
Yvlon regarda Lyonette retourner en traînant des pieds à la cuisine tandis que Pisces s’affaissait sur sa chaise en boudant. Ceria soupira en commençant à couper ses pancakes. Son estomac était déjà en train de gargouiller joyeusement.
 
“C’est vraiment de la charité. Je ne sais pas comment Erin arrive à la supporter.”
 
“Elle me fait penser aux enfants de l’aristocratie.”
 
Ceria jeta un regard en coin à Yvlon.
 
“Comme toi ?”
 
Yvlon haussa les épaules.
 
“Si tu veux, oui. Ma famille n’est pas riche donc je n’ai jamais grandi comme ça, mais certaines des maisons les plus riches… je me demande d’où elle vient.”
 
“Je n’en ai cure, du moment qu’elle nous ramène à manger avant que je ne meure de faim.”, marmonna Pisces en voyant Toren s’approcher d’une autre table pour pointer le menu du doigt afin que les Drakéides et l’Humain, surpris, puissent passer leur commande. C’était rare de voir d’autres gens à l’auberge d’Erin, mais elle avait de plus en plus de client dernièrement. Pas beaucoup, certes, mais il pensait qu’elle gagnait un peu d’argent.
 
Yvlon venait de remarquer Halrac. Elle regarda fixement l’[Éclaireur], qui se tourna vers elle puis revint à son verre, le visage dénué d’expression.
 
“Est-ce que c’est… ?”
 
“Arrête de le dévisager. Je crois qu’il a une Compétence qui lui permet de savoir quand il est observé. Oui, c’est Halrac de la Chasse aux Griffons. Apparemment, il aime cette auberge et Erin sert une espèce de boisson qu’il aime bien.”
 
“Je vais de surprise en surprise !”
 
Yvlon secoua la tête, émerveillée, en voyant l’aubergiste de l’Auberge Vagabonde sortir de la cuisine, tenant une pizza en équilibre sur un plateau.
 
“De la pizza ? Pour qui est la pepperoni ? Et celle aux lanières de poisson… ?”
 
Pisces leva la main, mais Erin l’ignora et s’approcha de l’autre table de clients. Il fronça les sourcils, mais Lyon était en train de s’approcher, tenant maladroitement une assiette pleine de pancakes.
 
“C’est lourd. Tenez. Prenez-la.”
 
Elle faillit renverser l’assiette sur la table, mais Pisces et Ceria pointèrent tous les deux l’assiette du doigt et elle se stabilisa avant de pouvoir renverser sa précieuse cargaison. Lyon renifla.
 
“Voilà.”
 
Elle s’éloigna. Pisces et Yvlon attaquèrent leur repas, puis la table resta silencieuse quelques minutes. Ceria observa ses deux camarades, puis, lorsqu’elle eut terminé son deuxième pancake, s’éclaircit la gorge et prit la parole.
 
“Je ne suis pas sûre que ça va marcher. C’est tout ce que je dis.”
 
Pisces pouffa au-dessus de son assiette. Yvlon l’examina en fronçant les sourcils.
 
“Pourquoi est-ce que ça ne fonctionnerait pas ? On a deux mages et une guerrière compétente. On devrait réussir à gérer n’importe quelle quantité de monstres.”
 
“Tu dis ça, mais tu n’as jamais été aventurier, Pisces. Yvlon et moi, si, et on sait toutes les deux qu’une bonne équipe a besoin de plus que trois personnes.”
 
“La force du plus grand nombre ? Bah.”
 
“Les aventuriers classés Argent sont souvent sollicités pour nettoyer des invasions entières ou des cavernes à eux seuls. Tu veux affronter toute une meute de Loups Carnassiers à trois ?”
 
Pisces cessa de mâcher et regarda Ceria, d’un air vaguement inquiet.
 
“C’est une menace de rang Argent ?”
 
“Ça te surprend ?”
 
Ceria lui sourit, même si elle se disait intérieurement qu’il serait étonnant pour une équipe d’aventuriers Argent d’essayer de s’y prendre seule. Les Cornes de Hammerad auraient fait du stock d’équipement, et se seraient peut-être même alliés à une autre équipe ou à quelques aventuriers indépendants avant de se lancer là-dedans.
 
Le mage Humain déglutit et parut pensif.
 
“Ah, oui, tu as peut-être raison. Mais augmenter le nombre ne garantit à aucun moment la victoire. Les plus petites compagnies sont celles qui se débrouillent le mieux, elles ont moins de butin à partager, et elles peuvent faire les mêmes tâches qu’un groupe plus important tant qu’elles ont le niveau requis.”
 
“C’est une affirmation téméraire.”
 
Yvlon regarda Pisces d’un air sceptique, mais il se contenta de renifler.
 
“Pas du tout. J’ai suivi un cours à Wistram qui étudiait les tendances des aventuriers, entre autres. Les plus petits groupes de guerriers de haut niveau sont meilleurs que les grands groupes. Pourquoi crois-tu que la plupart des équipes classées Or sont comprises de six aventuriers, voire moins ?”
 
Yvlon ouvrit la bouche, mais se tut. Ceria soupira.
 
“Même si tu as raison, je maintiens que quatre est le nombre optimal. On a besoin d’un autre membre. Quelqu’un qui ne s’appuie de préférence pas sur la magie.”
 
Pisces haussa les épaules.
 
“Tu as peut-être raison. Mais qui… ”
 
Il s’interrompit lorsqu’Erin s’approcha, portant cette fois-ci plusieurs chopes. Elle sourit à la cantonade, ou plutôt à Ceria et Yvlon.
 
“Hey, ravie de vous voir tous ! Voici de l’eau, Pisces. Est-ce que vous voulez quelque chose de plus costaud, Ceria, Yvlon ?”
 
“Ça ira, Erin.”
 
“Moi aussi. Merci, Miss Solstice.”
 
“Oh, appelle-moi Erin. Appelez-moi si vous avez besoin de quoi que ce soit, d’accord ?”
 
Erin sourit à Yvlon. Puis elle se tourna vers les escaliers et son ton se durcit.
 
“Lyon, je t’ai dit que tu peux avoir une pause. Une. Et pas d’une heure !”
 
Elle s’éloigna d’un air affairé. Pisces regarda son eau chaude d’un air sombre mais la but tout de même.
 
“Comme je le disais, très bien, un quatrième membre - à la condition qu’il soit physiquement apte et sain d’esprit - pourrait être utile. Mais à moins que je ne me trompe, nous avons encore plus besoin d’armes et d’équipement ?”
 
Les deux femmes hochèrent toutes deux la tête avec réticence. Yvlon tapota la table d’un doigt.
 
“C’est un vrai problème. On a peut-être les niveaux, mais je ne suis jamais partie en mission sans potions de soin, et je n’ai même pas assez pour acheter un onguent. Et Ceria, je sais que tu as cassé ta baguette…”
 
“Ce n’est plus un problème. Je peux quand même jeter des sorts, apparemment.”
 
Ceria leva sa main squelettique avec un sourire piteux. Pisces l’examina avec intérêt.
 
“Est-ce que tu as observé une diminution dans tes capacités magiques ? Ta baguette précédente était plutôt bon marché, mais elle était accordée aux sorts de type glace.”
 
Ceria le fusilla du regard.
 
“Pas tant que ça. Je peux jeter des sorts aussi efficaces - voire plus. Je n’ai pas de stock de mana dans lequel puiser comme avec une baguette, bien sûr, mais je peux quand même lancer des sorts à la même vitesse.”
 
“C’est fascinant. Mais bien sûr, cela aide sans doute également avec le contrecoup des sorts de contact direct, n’est-ce pas ? J’imagine que tu n’as pas besoin d’incorporer un effet bouclier lorsque tu jettes [Poigne de Glace], par exemple…”
 
“Ça aide pour le mana, mais je peux quand même me geler la peau. Je ne recommanderais pas de se geler la peau pour ça, mais tu ne peux pas savoir à quel point c’est pratique d’avoir cinq doigts. Je peux lancer cinq [Stalactites] simultanément à travers chaque doigt et le coût en mana est…”
 
Yvlon s’éclaircit poliment la gorge en voyant les deux mages s’engager sur une discussion magique. Ils se tournèrent vers elle, et elle hocha poliment la tête.
 
“Je suis certaine que c’est important, mais est-ce que nous pouvons revenir au sujet ?”
 
Ceria parut honteuse et même Pisces hocha la tête à contrecœur.
 
“Désolée, Yvlon. Tu as raison. Eh bien, comme je le disais, je peux encore jeter des sorts.”
 
“Et toi ? Euh, Pisces, c’est bien cela ?”
 
La coutume voulait qu’Yvlon s’adresse à Pisces par son nom de famille, mais il ne parut pas remarquer l’invitation à se présenter convenablement. Il hocha la tête.
 
“Ne t’inquiète pas. L’absence de baguette n’entrave aucunement ma magie.”
 
Yvlon jeta un regard en coin à Ceria. La demie-Elfe expliqua.
 
“Il a une compétence. Mais je m’inquiète tout de même pour l’équipement, moi aussi. J’ai ma robe et ses enchantements sont bons, mais Pisces n’a rien du tout.”
 
“J’aurais bien besoin d’une robe comme la tienne. Quelque chose avec des enchantements de protections, par exemple.”
 
“Et qui résiste aux taches.”
 
Ceria jeta un regard appuyé à la robe sale de Pisces, et le mage renifla.
 
“Très bien. Des potions de soin, des potions de mana bien sûr, et des artefacts. Et comment, dites-moi, comptons-nous payer pour tout cela ? J’ai quelques pièces d’argent.”
 
“J’ai un peu d’argent que m’a donné Erin lorsque je l’ai aidée pour l’auberge.”
 
Ceria soupira en tirant une bourse très plate de sa ceinture. Elle la retourna et une pièce d’or et quelques pièces de cuivre en tombèrent.
 
“Il y a là de quoi payer pour une potion et des provisions pour quelques jours, peut-être. Ce n’est clairement pas suffisant. Pisces ?”
 
Il la regarda fixement. Ceria soutint son regard.
 
“Ta bourse. Allez.”
 
“Je ne vois pas pourquoi je devrais contribuer sur mes économies…”
 
“C’est toi qui voulais nous rejoindre. On te remboursera.”
 
“Naturellement.”
 
Mais même avec l’argent de Pisces, leur somme commune n’atteignait même pas deux pièces d’or. Les trois aventuriers contemplèrent l’argent posé sur la table.
 
“Eh bien, si on accepte quelques missions dénuées de danger…”
 
“Je n’apprécie pas de prendre des risques, Springwalker.”
 
“Un prêt ?”
 
“Est-ce que tu te sens de rembourser l’un de ces marchands ?”
 
“On a besoin de combien, si on est réalistes ?”
 
“Je dirais… quinze pièces d’or pour être pleinement équipés ? En comptant un quatrième aventurier aussi. On aurait des potions, un ou deux artefact magique… le strict minimum serait sans doute autour de six pièces d’or.”
 
“Merveilleux. Et je me dois de préciser que nous n’avons pas de montures.”
 
“C’est un facteur limitant, oui. Les boulots sont rares dans le coin avec de tous ces nouveaux aventuriers.”
 
“Et si Springwalker vendait sa robe ? Cela nous permettrait largement de couvrir nos débuts ?”
 
“Et si je te frappais ?”
 
“Je vois que j’ai touché une corde sensible. Eh bien, je vous laisse trouver une solution. Il faut que je passe aux latrines.”
 
Pisces se leva et repoussa sa chaise lorsqu’Erin émergea de nouveau de sa cuisine, tendant une chope de bière saturée de mousse à un Drakéide médusé. Le mage s’aventura vers la porte, se retourna, marqua une pause, et se tourna vers Yvlon et Ceria.
 
“Ah, je devrais peut-être mentionner ceci. J’ai été notifié qu’animer des morts-vivants comprenant des os de Drakéides ou de Gnolls ne sera pas admis tant que je résiderai à Liscor ou dans ses environs. Donc à moins que vous ne prévoyiez d’abattre un monstre et de me laisser ranimer son cadavre, j’ai bien peur que la plupart de mes sorts me soient indisponibles.”
 
Ceria ne parut pas étonnée, mais Yvlon fronça les sourcils. Pisces ouvrit la porte et sortit de l’auberge, laissant les deux aventurières discuter.
 
“Désolée pour Pisces, Yvlon, je t’avais prévenue qu’il était agaçant, mais les mots ne suffisent pas vraiment à décrire à quel point, n’est-ce pas ?”
 
La blonde haussa les épaules.
 
“J’ai déjà travaillé avec des aventuriers difficiles par le passé. Mais je suis inquiète. Tu as dit que sa classe principale était [Nécromancien]. S’il ne peut pas utiliser la plupart de ses sorts, est-ce qu’il peut vraiment se battre à nos côtés ?”
 
“À moins qu’il n’ait perdu la main, je pense qu’il s’en sortira très bien, même sans artefacts.”, répondit sèchement Ceria en prenant une gorgée d’eau. Elle grimaça. L’eau chaude et bouillie n’était pas exactement l’idée qu’elle se faisait d’une bonne boisson. Yvlon se tourna vers la porte pour s’assurer que Pisces n’était pas revenu et baissa la voix.
 
“Qu’est-ce qu’il vaut ?”
 
“Pisces ? C’est un excellent mage, même si cela me peine de l’admettre.”
 
“Vraiment ?”
 
Les deux aventurières sursautèrent. Erin était derrière elles, une nouvelle assiette de pancakes entre les mains.
 
“Oups, désolée, désolée ! J’ai juste entendu… qu’est-ce que vous disiez au sujet de Pisces qui serait doué à quelque chose ?”
 
Ceria sourit en regardant Erin poser l’assiette et attrapa le pancake au sommet de la pile. Elle haussa les épaules.
 
“Écoutez, je sais que vous restez sceptiques, mais Pisces est un mage puissant. Il a plus de niveaux que moi.”
 
“Oui, mais c’est… Pisces, m’vois-tu ?”
 
Erin resta à côté de la table, l’air sceptique. La même expression était affichée sur le visage d’Yvlon, même si elle restait suffisamment polie pour ne rien dire. Ceria soupira en commençant à déchirer des bouts de pancake pour les enfourner dans sa bouche.
 
“Dites-vous plutôt ceci. Il a beau être un marginal arrogant, qui a volé de l’argent en terrifiant des gens, il a réussi à survivre seul tout ce temps, pas vrai ? Combien de gens connaissez-vous qui soient capables de survivre seuls dans les terres sauvages de Liscor ?”
 
Erin leva la main, et Ceria sourit. Yvlon ne put s’empêcher d’éclater de rire.
 
“Oui, mais je veux dire seul. Je ne sais pas quand est-ce qu’il est arrivé sur Izril, mais il a dû principalement se débrouiller seul pour venir jusqu’ici. Il a réussi à esquiver les bandits et les monstres et je sais qu’il a tué au moins une centaine de morts-vivants à la bataille pour Liscor. Olesm dit qu’il a même noyé un Seigneur des Cryptes tout seul.”
 
“C’est impressionnant, mais pas exactement difficile pour un [Nécromancien].”
 
Ceria acquiesça. Puis elle grimaça de nouveau.
 
“Écoutez… il n’a pas grand-chose pour lui en ce moment, mais ça a été le cas par le passé, d’accord ?”
 
Elle regarda en direction de la porte, mais Pisces n’était toujours pas rentré. Ceria soupira, et se tourna de nouveau vers Erin et Yvlon.
 
“Okay, sans blague, sans sarcasme. Pisces est un mage puissant, surtout si on considère son niveau. Il se concentre sur la [Nécromancie], mais il connaît beaucoup d’autres sorts ; bien plus que moi. Et il sait bien s’en servir. C’était un excellent duelliste quand on était à Wistram. C’est un spécialiste des batailles en un contre un. Il connaît un sort d’Échelon 4 - [Invisibilité], et il peut conjurer une petite armée de larbins. C’est un meilleur aventurier rang Argent que nous.”
 
La mâchoire d’Erin se décrocha. Yvlon haussa les sourcils, mais elle ne contredit pas l’affirmation de Ceria.
 
“Eh bien, en ce cas, pourquoi n’est-il pas devenu aventurier avant ? et pourquoi est-ce que tu ne voulais pas de lui lors de notre expédition ? Je me souviens que…”
 
“Je sais. Mais il ne serait pas venu, et il n’est pas un bon aventurier à avoir avec soi en voyage. L’unique raison pour laquelle il veut bien nous rejoindre aujourd’hui est qu’il a désespérément besoin d’argent.”
 
Ceria fronça les sourcils en fixant sa boisson. Puis elle leva les yeux.
 
“Le problème de Pisces est qu’il n’obéit pas aux gens qu’il n’aime pas, et il ne suit pas les ordres qu’il considère comme stupides.”
 
“Est-ce qu’il t’obéira ?”
 
La demie-Elfe grimaça.
 
“Vaudrait mieux pour lui. Mais Pisces prends ses propres décisions. C’est pour ça qu’il n’aurait pas pu travailler avec Gerial et Calruz. Mais on sera peut-être capable de le faire coopérer. Peut-être.”
 
“Oh…”
 
Erin leva les yeux. Pisces rentra dans l’auberge, se lava rapidement les mains avec un morceau de neige qu’il jeta nonchalamment dehors par-dessus son épaule et ferma la porte.
 
“Le travail m’appelle ! Où est Toren… ?”
 
L’aubergiste s’éloigna et Pisces prit sa place. Il regarda les deux aventurières.
 
“Vous parliez de moi ?”
 
“On se demandait juste si tu pouvais faire ton boulot sans un zombie pour le faire à ta place. Écoute, oui, peut-être qu’on arrivera à trouver assez d’argent. Erin pourrait peut-être nous dépanner un peu.”
 
Yvlon hésita.
 
“Je n’aimerais vraiment pas l’importuner…”
 
“Tu vois une autre solution ? On peut lui offrir de lui rembourser le double, mais il nous faut des potions. Et des artefacts. Hey, Erin !”
 
Erin sortit la tête de la cuisine et revint vers eux.
 
“Quoi ? Il te faut quelque chose, Ceria ?”
 
“Peut-être. Tu n’aurais pas une arme mortelle en bouteille à nous prêter, à tout hasard ?”
 
La jeune femme dévisagea la demie-Elfe d’un air soupçonneux qui était reflété sur tous les visages autour de la table.
 
“... du genre ?”
 
“Je ne sais pas. Un poison létal ? Une espèce de parchemin magique ?”
 
“Pourquoi est-ce que j’aurais ce genre de choses ?”
 
Erin posa ses poings sur ses hanches, mais Ceria resta impassible.
 
“À un moment, tu vendais des fioles d’acide aux Gobelins. Et tu as bâti ta maison avec le bois d’un arbre qui explose quand quelque chose passe devant.”
 
“Oh. C’est vrai. Eh bien, je n’ai plus d’acide, mais je pourrais vous récupérer un peu de cette écorce kaboum.”
 
“Écorce kaboum ?”
 
“Les arbres Krakk.”
 
“Ah.”
 
“Si l’on oublie le fait que je préférerais m’abstenir de transporter un explosif aussi instable sur moi… j’ai vérifié. Apparemment, quelqu’un a coupé toute la forêt.”
 
“Bizarre. Huh. Mais je n’ai rien d’autre. Je suis désolée.”
 
“Hmm.”
 
Ceria secoua la tête. Erin hésita.
 
“Je sais que vous voulez repartir à l’aventure. Vous savez, si vous avez vraiment besoin d’argent, je pourrais vous prêter Toren…”
 
Ceria jeta un regard en coin au squelette. Elle réfléchit un instant puis secoua la tête.
 
“Non.”
 
“Je dois également refuser.”
 
Yvlon regarda Toren en train de circuler dans l’auberge, guidant Lyon en lui donnant des petits coups à répétition dans le dos. Pisces se contenta de hausser les épaules.
 
“Il est relativement compétent, mais je respecterai le choix de la majorité. À moins que tu n’objectes simplement à mes capacités de [Nécromancien], Springwalker ?”
 
Ceria secoua la tête et soupira.
 
“À moins que tu n’aies créé l’un de tes morts-vivants flippants qui gagnent des niveaux dont tu n’arrêtais pas de soutenir qu’ils étaient réalisables, oublie. Même un squelette autorégénérant ne servira pas à grand -chose face à, disons, un Crabroche.”
 
Pisces renifla.
 
“Inutile de le dénigrer. Toren est une construction parfaitement capable. Très bien, toutefois. Si ce n’est pas lui, alors qui ?”
 
Erin réfléchit.
 
“Ryoka ?”
 
Hah !
 
Ceria éclata de rire et même Yvlon se permit de sourire. Erin eut l’air confuse.
 
“Quoi ? Qu’est-ce qui ne vous va pas chez elle ?”
 
“Honnêtement, Erin, même Pisces est un meilleur partenaire que Ryoka.”
 
“Merci de le relever.”
 
Yvlon hocha la tête.
 
“Elle a beau avoir de bonnes aptitudes, elle n’a pas de niveaux, et ses compétences de combat ne sont pas adaptées pour tuer les monstres. Non.”
 
“Alors pourquoi ne pas m’embaucher moi ?”
 


Hors ligne EllieVia

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #133 le: 17 décembre 2020 à 02:32:37 »

 
2.32 H - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia

Cette fois-ci, ce fut au tour d’Erin de sursauter. Elle se retourna et cligna des yeux.
 
“Olesm ? Quand est-ce que tu es arrivé ?”
 
“Juste là. Je, euh, j’étais en train d’esquiver Zevara mais je savais que vous alliez en parler aujourd’hui. Ceria m’en avait parlé.”
 
Le Drakéide parut fier lorsqu’il prit place à la table. Erin retourna à la cuisiner chercher davantage de pancakes et Ceria se couvrit le visage d’une main sous le regard dénué d’expression de Pisces et Yvlon.
 
“J’en ai parlé ? Quand ça ?”
 
“La nuit dernière. Je… veux me joindre à vous.”
 
Pisces haussa un sourcil en prenant une gorgée. Yvlon resta silencieuse, mais Ceria était capable de sentir l’humeur générale. Elle soupira. C’était difficile.
 
“Olesm…”
 
Le Drakéide regarda autour de la table, et haussa légèrement la voix.
 
“Les [Tacticiens] sont très utiles ! N’ai-je donc pas prouvé ma valeur dans les cryptes ?”
 
“Si, en effet. Je ne dis pas que tu n’es pas utile. Tu peux sauver des vies. C’est juste que…”
 
“La classe de [Tacticien] ne sert pas à grand-chose dans les petits groupes. Tes compétences ont plus leur place pour aider de grandes formations, pas des individus. À moins que tu aies une compétence de combat adéquates, tu restes relativement inutile.”
 
Pisces donna l’explication sans détours, sans regarder Olesm. Le Drakéide regarda fixement l’Humain.
 
“Je veux devenir plus fort.”
 
“Alors je t’en prie, rejoins une armée ou fais des parties d’échecs. Mais je voterai contre ton inclusion à n’importe quelle équipe d’aventuriers.”
 
Yvlon soupira. Le regard qu’elle lança à Pisces n’était pas exactement chaleureux, mais elle hocha la tête.
 
“Moi de même. Je suis désolée, Olesm, mais Pisces a raison. Il est malpoli, mais il a raison.”
 
“Ceria ?”
 
Elle ne parvint pas à croiser son regard.
 
“Je… tu as déjà ton travail, Olesm. C’est mon métier, mais toi… je suis désolée.”
 
Olesm parut blessé et en colère. Ceria en eut le cœur serré. Sans un mot, il se leva.
 
“Hey, Olesm ! J’ai des pancakes ! Enfin, certains ressemblent plutôt à des crêpes, mais…”
 
Erin s’interrompit en voyant le Drakéide se détourner et sortir de l’auberge sans un mot. L’aubergiste regarda la table d’un air confus.
 
“Qu’est-ce qu’il s’est passé ?”
 
“Ce n’est rien. C’est juste… Olesm ne peut pas devenir aventurier. Il l’a très mal pris.”
 
“Oh.”
 
Erin marqua une pause, puis posa les pancakes sur la table. Pisces en attrapa un, et Ceria soupira. Le silence s’appesantit.
 
Et la porte s’ouvrit de nouveau.
 
Ceria leva les yeux d’un air plein d’espoir, s’attendant à voir Olesm revenir. Elle pouvait s’excuser…
 
Mais ce n’était pas Olesm. C’est un Antinium qui entra dans l’auberge, mais Ceria se souvenait à peine de lui. Ce n’était ni celui qui se faisait appeler Pion, ni celui qui s’appelait Klbkch. Erin le reconnut. Elle poussa une exclamation.
 
Ksmvr ? Que t’est-il arrivé ?”
 
L’Antinium était blessé. Il entra dans l’auberge d’un pas mal assuré, son sang vert coulant de ses blessures. Ceria se leva à moitié, prête à jeter un sort de [Stalactite] tandis qu’Yvlon se levait aussi et que Pisces enfournait rapidement son pancake. Halrac s’était retourné sur son siège, et l’assemblée de Drakéides et d’Humaine s’était figée.
 
Ksmvr ne parut tout d’abord pas entendre Erin. Il fit quelques pas chancelants, et s’arrêta lorsqu’elle se précipita sur lui. Toren était à ses côtés, mais le squelette avait la main serrée sur la garde de l’épée à sa ceinture.
 
“Tu es blessé !”
 
Ksmvr acquiesça. Il avait plusieurs blessures profondes qui avaient entamé son exosquelette, mais c’étaient ses bras qui avaient été le plus touchés. Il lui en manquait un. Son bras droit le plus bas n’était plus qu’un moignon déchiqueté d’exosquelette. Il avait été recouvert d’une espèce de bouillie grise, mais des traces de vert suintaient encore du pansement.
 
“J’ai été… relevé de mes fonctions.”
 
Il chancela, et s’effondra presque sur la chaise où Erin l’avait amené précipitamment, près des trois aventuriers. Ceria et les deux autres retournèrent à leur repas, mais tout le monde écoutait la conversation entre Erin et Ksmvr.
 
“Que t’est-il arrivé ? Est-ce que quelque chose t’a attaqué ?”
 
Ksmvr acquiesça à moitié puis se reprit et secoua la tête tandis qu’Erin claquait des doigts pour qu’on lui apporte de l’eau et des bandages. Une Lyonette recroquevillée apporta ce qu’on lui demandait sur une autre table et Erin se mit à faire un garrot maladroit.
 
“Je ne suis plus le Prognugator de ma Colonie. Ou plutôt… si, mais on ne me demande plus de remplir mes fonctions.”
 
L’Antinium avait répondu d’un ton sourd tandis qu’Erin soignait ses blessures. Elle le regardait avec une inquiétude sincère. Ceria avait du mal à faire de même ; malgré ses blessures et le reste des Antiniums qu’elle avait rencontrés, elle avait encore beaucoup de mal à oublier ce qu’ils avaient fait. d’après les expressions d’Halrac et Yvlon, ils avaient plus ou moins le même sentiment.
 
“Quoi ? Alors il n’y a plus de Prognugator ? Mais je croyais que c’était un rôle important.”
 
“Le Revelantor Klbkch accomplira mes tâches en intérim. Il est… beaucoup plus qualifié que moi.”
 
“Mais qu’est-ce que tu as fait ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?”
 
“J’ai échoué à tenir la ligne.”
 
Ksmvr n’ajouta rien de plus tandis qu’Erin finissait de bander ses blessures et de lui offrir à manger - de la viande et du poisson crus, que les Antiniums pouvaient digérer. Ceria observa ses blessures. On aurait dit qu’il revenait de la bataille, d’après ses blessures, mais il manquait un détail. Qu’est-ce que c’était ?
 
Ses armes. C’était ça.
 
Il lui manquait ses deux épées et ses dagues. Sans elles, Ksmvr avait l’air nu et diminué.
 
“Apparemment, les Antiniums ont leurs propres batailles. Intrigant.”
 
Pisces ne prit même pas la peine de baisser la voix. Ceria lui jeta un regard irrité, mais le mage étudiait Ksmvr avec intérêt. L’Antinium hochait la tête pendant qu’Erin était aux petits soins et lui demandait s’il avait besoin de quoi que ce soit.
 
“Je vais bien. Je vais… bien. Je n’ai pas de but. Je suis venu pour… pour…”
 
Ksmvr regarda Halrac.
 
“Ma Reine va commencer à négocier les termes d’une exhumation immédiate des ruines. L’entrée est connue des Antiniums. Il y a beaucoup… beaucoup de monstres qui la gardent.”
 
Halrac hésita. Il fronça les sourcils en regardant l’Antinium, mais jeta un regard à Erin et se contenta d’acquiescer.
 
“Nous pouvons en discuter.”
 
“Bien. C’est bien.”
 
Ksmvr était assis sur sa chaise, la tête baissée. Ceria essaya de continuer de parler avec Yvlon et Pisces, mais leur attention était complètement focalisée sur la conversation qui se déroulait à côté d’eux.
 
“Donc, euh, premières missions ? On commence par quoi ?”
 
Yvlon haussa les épaules.
 
“Si possible, j’aimerais bien trouver un bon boulot dans le coin, mais il y a peu de chances. Il faudrait qu’on aille soit au nord, soit au sud.”
 
“Au nord.”, déclara fermement Pisces.
 
“J’ai déjà fait affaire avec des Drakéides et des Gnolls ; ils ne font pas confiance aux humains. Étant donné que nous sommes presque tous humains, ou avec des ancêtres humains, nous trouverions de meilleures missions au nord d’ici. Peut-être à Esthelm.”
 
“Mais c’est loin, et cela nous prendra du temps pour décoller là-bas. On ne gagnera que quelques   pièces d’argent pour les quêtes les plus sûres, et sans même avoir la garantie d’être décemment payés pour combattre les gros monstres. Dans tous les cas, ça va être compliqué. Qu’en penses-tu, Ceria ?”
 
“Hmm ? Ouais…”
 
Ksmvr discutait avec Erin. Ceria avait une meilleure ouïe que les Humains, et elle parvenait à entendre ce qu’il disait à Erin à voix basse.
 
“Je suis venu te voir. Tu as donné un objectif à Pion et Klbkch te tient en haute estime. Je… ne sais pas quoi faire. Je suis un échec.”
 
“Ne dis pas ça ! Tu es très doué ! Comme pour… découper des trucs en morceaux. Je veux dire, tu sais ta battre, pas vrai ?”
 
“Le Revelantor Klbkch est bien meilleur que moi, malgré la réduction de son nombre de niveaux. Je ne vaux rien. Je ne peux pas…”
 
“Springwalker ? Tu nous écoutes, au moins ?”
 
Ceria se retourna.
 
“Quoi ?”
 
Pisces la regarda d’un air peiné.
 
“L’argent. Où disais-tu que nous pouvions en trouver ?”
 
“Je n’en ai aucune idée. La dernière mission que les Cornes de Hammerad avait entreprise - enfin, avant les ruines - consistait à creuser dans les Ruines d’Albez, vers Celum.”
 
“Albez ?”
 
Yvlon plissa le front.
 
“C’est une entreprise risquée. Il n’y a pas grand-chose à trouver là-bas et de nombreux monstres très puissants. Ça en valait la peine ?”
 
Ceria sourit.
 
“Oui, plus ou moins. On a trouvé quelques artefacts enchantés - des trucs ordinaires, comme des ustensiles de cuisine enchantés, et un vieux livre de recette et quelques assiettes très onéreuses. Cela a suffi à couvrir le coût de nos soins et nous a permis de récupérer pas mal d’or. Mais c’est risqué.”
 
“Tout de même, si on était sûrs qu’il y avait des trésors là-bas…”
 
“On n’en est pas sûrs. J’ai mené pas mal d’expéditions, et je suis revenue aussi souvent les mains vides que pleines.”
 
Yvlon secoua la tête d’un air de regret.
 
“Si on est prêts à se risquer dans des missions dangereuses pour gagner de l’argent, je préférerais avoir de meilleures probabilités de succès que ça.”
 
“Ouaip.”
 
Ceria regarda de nouveau Ksmvr et Erin. Elle lui parlait avec intensité, mais en jetant des regards en direction de leur tablée toutes les deux secondes. Qu’était-elle en train de… ?
 
Au moment où la demie-Elfe commençait à froncer les sourcils, Ksmvr se leva et suivit Erin à leur table. Ceria leva les yeux sur lui d’un air hésitant.
 
“Ksmvr ?”
 
“Salutations.”
 
Il inclina poliment la tête en direction d’Yvlon et Pisces. Le mage se contenta de grogner et Yvlon inclina la tête avec raideur. Le vertige de l’Antinium était passé ; il paraissait avoir retrouvé son équilibre, malgré l’hémorragie qu’il avait subie et la perte de son bras.
 
“Erin ?”
 
La jeune femme sourit nerveusement au trio.
 
“Hum, eh bien, Ceria, je viens de réfléchir à un truc. Vous cherchez un aventurier, et Ksmvr vient en quelque sorte de se faire virer de sa Colonie pour un petit moment, et je me disais…. tu sais, pourquoi pas ? C’est un combattant, et il est plutôt doué.”
 
Les trois aventuriers attablés échangèrent un long regard. Pisces toussota et haussa les épaules. Ceria tripota une fourchette, et Yvlon fronça les sourcils. La femme blonde décida de prendre la parole.
 
“Sans vouloir te vexer, Erin, ton ami Ksmvr est blessé. Et nous cherchons un quatrième membre talentueux, pas…”
 
“Je suis considéré comme l’égal d’un aventurier Argent au sein de ma Colonie.”
 
Ksmvr regarda Yvlon. Il indiqua son bras manquant.
 
“Ceci ne me ralentira nullement. Je suis capable de me servir d’une grande variété d’armes.”
 
“Comme un arc, par exemple ?”
 
Ceria fronçait toujours les sourcils, mais elle contempla Erin, puis Ksmvr, en réfléchissant furieusement. L’Antinium acquiesça.
 
“Le tir à l’arc fait partie des compétences que j’ai acquises. Je n’ai pas de Compétences, mais je suis apte à manier tous les arcs communs.”
 
“Mais tu t’es fait virer de ta Colonie parce que tu n’étais pas assez doué.”
 
Là encore, Pisces avait la délicatesse d’une masse d’arme. Ksmvr hésita, et Erin intervint.
 
“Oui, mais il dit que c’est parce qu’il n’est pas aussi doué que Klbkch. Et ce n’est pas vraiment juste, pas vrai ? Je veux dire, Klbkch est le coéquipier de Relc, et Relc…”
 
“Le Drakéide vaut au moins un aventurier de rang Or.”
 
Pisces fronça les sourcils et acquiesça.
 
“Je l’ai vu se battre en duel contre ces aventuriers la dernière fois. Il est parvenu à les repousser sans équipement magique. Si c’est la norme…”
 
Il jeta un regard appuyé à Ceria. Elle voyait bien où il voulait en venir, mais elle n’était pas entièrement convaincue. Yvlon fronçait toujours les sourcils. Elle soupira. Erin trouvait toujours une solution pile au moment où on avait besoin de quelque chose, mais ses idées étaient toujours des plus étranges. Elles restaient généralement bonnes, mais…
 
Un Antinium ? Vraiment ? Ceria avait voyagé avec Calruz, et cela s’était bien passé, mais le souvenir des Guerres Antiniumes faisait encore à ce jour courir un frisson glacé le long de son dos. Elle n’avait pas été sur le continent à l’époque, mais elle avait entendu les histoires que l’on racontait.
 
Des bêtes horrifiantes. Des monstres. Mais n’était-ce pas ainsi que les gens parlaient des demis-Elfes ? Ceria fronçait encore les sourcils lorsqu’elle entendu des cris dehors.
 
“Chancre, qu’est-ce que c’est encore ?”
 
Elle se leva et un Drakéide débarqua dans la pièce. Il avait la respiration hachée et les yeux fous. Il ne portait pas d’armure ; d’ailleurs, il portait des vêtements plutôt adaptés au travail de la terre. Il balaya la pièce du regard.
 
“S’il vous plaît, est-ce qu’il y aurait un aventurier par ici ? Il y a une armée de Gobelins en train d’attaquer notre village !”
 
Halrac bondit immédiatement sur ses pieds. Ceria cligna des yeux - elle avait presque oublié sa présence, mais l’aventurier était à présent une flèche, concentrée sur sa mission. Il s’avança d’un pas déterminé vers le Drakéide.
 
“Je suis un aventurier Or. Emmène-moi à ton village.”
 
Le Drakéide acquiesça, soulagé.
 
“Je vous en prie, dépêchons-nous ! L’un de mes amis est allé chercher la Garde, mais ils sont des centaines !”
 
Il se précipita vers la porte. Erin vacilla en le regardant partir. Ceria l’attrapa par l’épaule.
 
“N’y penses même pas. Ferme l’auberge. Va à l’étage et fais garder l’entrée par ton squelette. Pisces, Yvlon…”
 
“Tu n’es pas sérieuse !”
 
Yvlon fronça les sourcils et attrapa Pisces par le bras pour le soulever.
 
“C’est notre boulot. On protège les gens contre les monstres, même lorsqu’il n’y a pas de requête. Allez, viens !”
 
Il grogna, mais se dégagea de sa poigne et se dirigea vers la porte avec un hâte étonnante. Ceria s’apprêtait à les rejoindre lorsque Ksmvr prit la parole.
 
“S’il vous plaît, laissez-moi aider. Je me suis engagé à défendre Liscor, dans tous les cas.”
 
Elle hésita.
 
“Tu n’es pas armé…”
 
“Tiens ! Tiens, prends ça !”
 
Erin déboula hors de sa cuisine, jonglant avec plusieurs bouteilles et un couteau. Elle tendit le couteau à Ksmvr.
 
“Il est aiguisé. Et ça, ce sont les potions que j’ai. Deux potions de soin…”
 
“Tu en auras peut-être besoin.”
 
Ignorant les protestations de Ceria, Erin lui fourra la bouteille dans les mains. Ceria hésita pendant une seconde supplémentaire puis hocha la tête. Ils en auraient peut-être besoin.
 
“Merci, Erin. Fais attention à toi.”
 
Elle se tourna vers les autres. Yvlon était déjà à la porte, suivant du regard le Drakéide et Halrac qui couraient dans le paysage enneigé. Pisces attendait lui aussi. Il avait beau rouspéter, le mage n’était pas mauvais, et il était sérieux, pour une fois. Et Ksmvr…
 
L’Antinium tenait le couteau à la main, tendu comme la corde d’un arc. Tellement différent de lorsqu’il était entré. Qu’avait-donc pu lui dire Erin ? Elle n’avait pas le temps d’y réfléchir. Quelqu’un était en danger. Des Gobelins. Une armée ?
 
Ceria prit une grande inspiration. Elle ouvrit la porte.
 
“Allons-y.


***


Une compagnie d’aventuriers dépendait entièrement de la composition de son groupe. Il fallait fonctionner en équipe ; Ceria en était consciente. Les Cornes de Hammerad avaient été formées pour les combats rapprochés et les déplacements rapides. Calruz avait composé le groupe de guerriers et de mages capables de tenir la cadence. Ce nouveau groupe était différent.
 
Yvlon était rapide et vive, et Ceria savait déjà qu’elle ferait un excellent membre pour n’importe quelle compagnie. C’était l’une des raisons pour lesquelles elle avait décidé de ne pas rejoindre les Croisés ; elle avait déjà de quoi faire une bonne équipe. Pisces était un autre mage puissant, possiblement meilleur qu’elle, mais il n’était plus très en forme et il haletait en courant dans la neige. Mais Ksmvr…
 
L’Antinium traçait à travers l’épaisse couche de neige comme un cheval, inexorablement, infatigable. Ceria l’observa avec méfiance en courant. Il était une variable inconnue, mais ils avaient besoin de toute l’aide possible. Halrac avait déjà pris beaucoup d’avance sur eux, mais si c’était bel et bien une armée de Gobelins, ils allaient devoir se contenter d’attirer leur attention et de se mettre à courir pour sauver leur peau.
 
Le village apparut au loin lorsque les quatre atteignirent le sommet de la colline. Ceria se protégea les yeux et Pisces murmura un sort pour mieux évaluer la scène.
 
“Ce n’est pas une armée.”
 
Yvlon ne pouvait pas discerner les détails, mais elle acquiesça.
 
“Ce n’est qu’un raid. Deux cents, possiblement trois cents Gobelins.”
 
“Oh, merveilleux. Rien d’inquiétant, alors.”, répondit sèchement Pisces en contemplant la masse de Gobelins en train de se battre dans un grand village. De là où elle était, Ceria pouvait voir quelques défenseurs en train de tenter de les repousser, mais ils étaient désespérément en sous-nombre, et les Gobelins essayaient de pénétrer dans leurs maisons.
 
“Qu’est-ce que nous sommes censés faire, je vous prie ?”
 
“Aider du mieux que nous le pouvons. Nous ne sommes pas seuls ; regarde. Il y a la Garde.”
 
Ceria pointa du doigt à gauche, en direction de Liscor. La Gade s’était déployée rapidement et en grand nombre. Elle vit au moins quatre-vingts gardes s’approcher de la petite armée de Gobelins, menés par une Drakéide à l’allure familière. Quelque chose - quelqu’un surgit du groupe lorsque les Gobelins se retournèrent, et un énorme Hob au centre leva son épée et la pointa en direction des gardes.
 
Un nuage de mouvement vert fendit la neige. Relc s’écrasa dans le groupe de raid puis s’éloigna d’un bond, et deux Gobelins s’effondrèrent, les torses troués. Ceria le vit esquiver une volée de flèches.
 
“Bon sang. Il y a même un Gobelin [Shaman] là-dedans. Regardez-moi ces éclairs !”
 
“Allons-y, nous aussi. Ces gens ont encore besoin d’aide !”
 
Le groupe d’attaque Gobelin s’était séparé en deux. La grande majorité était en train de fondre sur la Garde, qui s’était arrêtée pendant que Relc revenait en courant vers elle. Des sorts et des flèches étaient déjà en train de voler, mais un grand groupe de Gobelins était resté dans le village et essayait encore de tuer tous ses habitants.
 
“Allez !”
 
Ceria se précipita vers le village, visant l’une des maisons. Pisces, pantelant, la rattrapa et hurla dans ses oreilles.
 
“Ils sont beaucoup trop nombreux ! Est-ce que tu es devenue complètement folle, Springwalker !?”
 
“Il faut qu’on fasse quelque chose ! Et Halrac est dans le coin ! Regarde !”
 
Elle pointa du doigt. De l’autre côté de l’étendue enneigée, à presque trois cents mètres de là, elle pouvait voir l’[Éclaireur] et le Drakéide qui l’avait amené ici. L’Humain était agenouillé, mais il avait un arc entre les mains. Sous ses yeux, il le leva et tira.
 
Devant elle, un Gobelin en train de se faufiler dans une fenêtre fermée tourbillonna et s’effondra, une flèche plantée dans la poitrine. Ses compagnons se retournèrent et cherchèrent d’où provenait la flèche en hurlant, et aperçurent Ceria et son groupe. Mais une autre flèche transperça l’œil d’un Gobelin, et ils se retournèrent et virent l’[Éclaireur] solitaire au loin.
 
Là encore, les Gobelins se divisèrent. Un groupe se précipita en direction d’Halrac, mais se mit à s’effondrer peut à petit, des flèches apparaissant dans leurs corps comme par magie. Halrac avait forcément une compétence, parce que les Gobelins tombaient de partout.
 
Pendant un instant, Ceria crut qu’il allait vraiment être capable de se charger de tous les Gobelins à lui seul. Halrac s’était positionné loin du combat et il descendait rapidement les Gobelins. Mais alors quelque chose d’étrange se produisit.
 
L’un des Gobelins cria, et les guerriers se regroupèrent soudain et levèrent leurs boucliers. Ceria cilla. Des boucliers ?
 
Mais oui, ces Gobelins avaient des boucliers, et même des armures ! Ce n’était pas de la grande qualité ; il y en avait des rouillées et la plupart étaient faites de fer ou de bronze, mais ils étaient tous armés. Ils ressemblaient à une véritable armée, et pas juste à un groupe de raid.
 
Les Gobelins se mirent à avancer sur Halrac, usant de leurs boucliers pour bloquer les flèches qui leur arrivaient dessus. Il trouvait tout de même des faiblesses dans leurs armures, et des Gobelins titubaient et tombait lorsqu’il leur transperçait les bras, les jambes, et tous leurs points faibles, mais ils avançaient tout de même dans sa direction.
 
Et le reste regardait Ceria. Ce n’étaient pas tous des Gobelins ; elle vit un Hob parmi eux, un énorme Gobelin aussi fort que la plupart des aventuriers Argent. Mais Ceria entendit aussi les Drakéides hurler dans leurs maisons. Elle leva donc sa main squelettique.
 
“[Stalactite] !”
 
L’aiguille de glace cueillit un Gobelin en pleine poitrine et il s’effondra, rendant son dernier souffle dans un cri. Yvlon s’arrêta près de Ceria et leva son épée et son bouclier. Ksmvr fit de même, et Pisces tenta de se redresser, toujours pantelant.
 
“Ils arrivent.”
 
Le visage d’Yvlon était fermé. Ceria compta. Presque… soixante Gobelins. Certains combattaient toujours les villageois, mais ils étaient bien trop nombreux pour pouvoir les combattre.
 
“Il faut qu’on les ralentisse. Qu’on gagne du temps. Pisces, arrête de haleter et viens aider !”
 
“Oh… bien… sûr… laisse-moi… juste…”
 
Le [Mage] reprit son souffle, puis se redressa. Il prit une grande inspiration lorsque le Hob à la tête des derniers Gobelins pointa le doigt sur Ceria et cria. Un autre groupe se détacha et s’avança vers eux, laissant les défenseurs derrière eux, forcés de reculer de plus en plus.
 
“[Stalactite] ! Pisces !
 
“Un instant, Springwalker. Je cherche le meilleur endroit pour… ah, voilà.”
 
Pisces pointa du doigt et Ceria vit une zone où plusieurs Gobelins s’étaient effondrés sous les tirs d’Halrac. La pointe du doigt de Pisces s’illumina d’une lumière violette, et sa voix devint plus profonde, plus sonore.
 
Ô Gobelins tombés au combat. Sortez de vos tombes et partez à la recherche de mes ennemis !”
 
Huit des guerriers Gobelins tombés au combat tressaillirent et se levèrent lentement, leurs yeux brillant d’une lueur bleue et non rouge. Ils se précipitèrent immédiatement sur leurs amis, qui se retournèrent et poussèrent des cris perçants en apercevant les morts-vivants.
 
Ceria sentit un frisson la parcourir en voyant les morts se lever, et sentit Yvlon frissonner à côté d’elle. Pisces ne faisait pas cela avec une telle nonchalance, avant. Lorsqu’ils s’étaient séparés, il prétendait encore être un [Mage], mais à présent, il ne cachait plus sa véritable identité, et elle se battait à ses côtés. Aux côtés de morts-vivants. Le sentiment était toujours…
 
Les morts-vivants ralentirent les Gobelins qui se précipitaient sur leur groupe. C’était suffisant pour que Ceria continue de jeter des [Stalactites], sans se préoccuper de tout le mana qu’elle brulait. Elle n’avait pas beaucoup d’autres sorts longue distance, et [Tesson de Glace] pourrait peut-être en tuer quelques-uns, mais en combat rapproché…
 
Les morts-vivants décimaient les Gobelins, sans se préoccuper des blessures vicieuses qu’ils recevaient sous les coups de leurs anciens camarades. L’armure qu’ils portaient était soudain devenu un désavantage pour ceux qui les combattaient.
 
Mais les Gobelins étaient nombreux et les morts-vivants n’était qu’un mur en train de s’effriter. Ceria serra les dents et jeta un autre [Stalactite], mais cette fois-ci, l’aiguille s’enfonça dans le bouclier de l’un des Gobelins. Ces derniers étaient à présent proches du groupe, courant dans une formation en damier, boucliers levés, armes pointées.
 
“Des formations ? Mais qu’est-ce que…”
 
“Reculez ! Ceria, couvre-moi !”
 
Ceria vit Yvlon charger, puis Ksmvr se précipiter sur ses talons. Les deux guerriers portèrent un coup au front de l’armée puis reculèrent tandis que Ceria jetait des sorts de glace. Pisces leva la main et pointa les Gobelins du doigt.
 
“[Vent de Glace].”
 
L’air gela autour de sa main, faisant ralentir les quelques Gobelins à l’avant qui hurlèrent d’agonie pendant qu’Yvlon et Ksmvr esquivaient le sort. Pisces sourit et lança une boule de feu, et les Gobelins furent forcés de ralentir et de lever leurs boucliers pour éviter d’être pris dans les tirs croisés des deux mages.
 
“Ah, diantre. Un autre Hob !”
 
Yvlon taillada à gauche puis à droite, puis recula, se battant en duel contre un Hob qui avait rejoint les Gobelins. Pisces la regarda et leva la main.
 
“Recule.”
 
Elle dégringola en arrière et le jet de flammes atteignit le Hob de plein fouet, le faisant rugir de douleur. Mais il chargea à travers les flammes pour fondre sur Pisces.
 
“Ce serait le bon moment pour…”
 
Ksmvr rentra dans le flanc du Hob, le poignardant vivement avec le couteau qu’Erin lui avait donné. Le Hob le jeta sur le côté, et Pisces secoua la tête.
 
“Springwalker ?”
 
“[Sol Gelé].”
 
Ceria pointa le sol du doigt et la neige cristallisa. Le pied du Hob glissa, et Pisces leva de nouveau la main.
 
“[Choc Électrique] !”
 
C’était un autre sort d’Échelon 2. Celui-ci consistait en un choc d’électricité qui explosa hors des paumes de Pisces, et traça un arc de cercle en direction de l’armure métallique du Hob. L’énorme guerrier hurla en luttant pour se relever. Il leva sa masse d’armes, et une aiguille de glace surgit de son œil comme une fleur rouge.
 
Ceria baissa la main et exhala fort.
 
“Bordel. Je déteste les Hobs.”
 
“Reculez, ils se remettent en formation !”
 
Yvlon pointa du doigt, et Ceria vit les Gobelins se précipiter sur eux, un groupe de trente, cette fois(ci. La demie-Elfe pointa immédiatement le sol du doigt.
 
“[Sol Gelé] !”
 
C’était dur de recouvrir une grande surface, même en hiver. Mais Ceria vit la zone devant eux geler, et les Gobelins se divisèrent immédiatement en deux pour esquiver la zone de glace.
 
“Je n’ai presque plus de mana. Pisces ?”
 
Le mage hocha la tête en s’essuya le front.
 
“J’en ai assez pour d’autres sorts ou des morts-vivants. Est-ce que je devrais… ?”
 
“Vas-y !”
 
Yvlon se mit en garde tandis que le groupe reculait. Ceria ôta sa dague de son fourreau ; elle était d’un niveau acceptable avec, et sa robe aiderait, mais elle ne voulait pas se battre si elle n’y était pas obligée. Yvlon pointa du doigt l’autre côté de la zone gelée.
 
“Ksmvr, j’aurais besoin que tu prennes ce côté.”
 
“Bien reçu.”
 
“Pisces, si tu peux les ralentir…”
 
Le mage se concentrait, les yeux plissés. Il répondit lentement.
 
“Je peux faire un peu mieux que ça.”
 
Il pointa du doigt.
 
“[Animer les Morts].”
 
Au loin, l’Hob se redressa. Ceria hoqueta, mais l’énorme mort-vivant était à présent debout, et se tournait vers les Gobelins. Ils hurlèrent lorsqu’il fondit sur eux, masse d’arme levée au-dessus de sa tête.
 
Après cela, ils n’eurent plus grand-chose d’autre à faire qu’observer. Ceria et Pisces restèrent debout derrière Ksmvr et Yvlon, en dernière ligne de défense, leur mana épuisé. Mais il n’y eut jamais de mêlée ; le Hob que Pisces avait ranimé termina seul la bataille. Ignorant les blessures, à présent, il écrasa tous les Gobelins jusqu’à ce qu’ils l’achèvent par le pur poids de leur nombre. Et entre-temps, Yvlon et Ksmvr les avaient attaqués par les flancs.
 
Yvlon tua encore deux Gobelins, tranchant des membres et leur infligeant des blessures profondes sans jamais les laisser s’approcher. Elle n’avait pas de compétences activables, mais elle compensait largement avec son talent de bretteuse. Aucune lame ne parvint même à effleurer son armure ; elle déviait tous les coups avec son bouclier et l’utilisait aussi pour repousser violemment les Gobelins, les faisant perdre l’équilibre et garder leurs distances.
 
Ksmvr avait abandonné le couteau d’Erin et prit deux épées. Il tailladait les Gobelins tandis que son troisième bras brandissait un bouclier pour se défendre. Il reçut quelques blessures, mais elles restaient légères et ne pénétrèrent pas à l’intérieur de sa carapace.
 
Et ensuite, tout fut vraiment terminé. Les derniers Gobelins s’enfuirent, et Ceria se retourna et vit une file de Gobelins menant à une pile de Gobelins là où Halrac s’était tenu. L’[Éclaireur] avançait en direction du village, l’arc levé, éliminant les Gobelins en fuite avec des tirs précis.
 
Et la Garde…
 
Un groupe de garde arriva en courant dans le village, Zevara à leur tête. Elle s’arrêta en voyant que les autres Gobelins étaient tombés, et jeta un regard étrange à Ceria et au reste des aventuriers.
 
“Vous les avez tous tués ?”
 
“La plupart. Halrac en a tué la majeure partie.”
 
Ceria pointa du doigt l’[Éclaireur] qui haussa les épaules et grogna. C’était vrai ; plus de la moitié des Gobelins morts dans le village avaient été tués d’une flèche, et le chef des Gobelins était étalé dans la neige, trois flèches dépassant de la visière de son heaume.
 
“Beau travail.”
 
Zevara prononça ces mots d’une voix étrange, comme si elle n’avait pas l’habitude que des aventuriers aident la Garde. De ce que Ceria savait des Drakéides, c’était peut-être vraiment le cas : les milices locales faisaient souvent plus de travail que les aventuriers, au sud.
 
“Comment ça s’est passé avec le reste ?”
 
La Drakéide hésita, puis grimaça.
 
“Nous avons perdu quelques bons soldats, mais quelques-uns seulement. Ces maudits Gobelins se sont bien battus, presque comme s’ils s’étaient entraînés. Ils n’ont pas cédé de terrain, jusqu’au dernier.”
 
“Et les Hobs. Il y en avait beaucoup pour un groupe de raid.”
 
“Oui. En effet.”
 
Ceria et Zevara échangèrent un regard, puis l’espèce de trêve qu’il y avait eu entre elles passa. Ceria toussota.
 
“J’aimerais réclamer une récupération partielle des droits sur les morts, à moins que vous n’ayez une objection ?”
 
“Récupération partielle… ? Tu veux dire, récupérer le butin ?”
 
“C’est un truc d’aventuriers. On a aidé, donc on aimerait récupérer leurs artefacts et leur équipement.”
 
Zevara secoua la tête, mais agita une serre.
 
“Allez-y. Faites ce que vous voulez. J’enverrai mes hommes dépouiller et brûler le reste plus tard.”
 
Ceria hocha la tête. Elle se tourna vers Halrac. L’[Éclaireur] n’avait même pas adressé la parole à Zevara. Il passait de cadavre en cadavre, récupérant les flèches qu’il pouvait réutiliser.
 
“Halrac ? Merci de nous avoir couverts, tout à l’heure. On est en train de réclamer les droits de récupération. Est-ce que tu veux… ?”
 
Il secoua la tête et grogna.
 
“Allez-y. J’ai besoin de rien.”
 
La coutume voulait que l’aventurier au rang ou au niveau le plus élevé, ou qui avait le plus travaillé, choisisse en premier ce qu’il désirait. Mais Ceria doutait fort qu’un aventurier Or voudrait perdre son temps pour cela, dans tous les cas, elle était même vaguement étonnée de le voir récupérer des flèches.
 
Elle retourna vers le reste de sa compagnie - et c’était bien une compagnie, à présent -, épuisée. Pisces était assis dans la neige, et Yvlon parlait avec une Drakéide - une vieille femme avec des larmes dans les yeux.
 
“Je ne sais pas comment vous remercier…”
 
“Ce n’est rien. Je vous en prie, c’est notre travail. Y a-t-il des blessés ?”
 
“La Garde a des potions. Mais merci ! Si vous et l’autre Humain n’étiez pas arrivés…”
 
C’était étrange. Parfois, c’était comme ça après une bataille, mais ce n’était pas le cas la majeure partie du temps. Ceria ne se souvenait plus de la dernière fois où les Cornes de Hammerad étaient intervenues pour sauver un village, mais là encore, ils recevaient souvent des requêtes et ne voyaient que rarement des monstres attaquer subitement.
 
D’ordinaire, les aventuriers prenaient leur récompense et repartaient, après avoir souvent dû le récupérer sous la menace face à un chef de village ou un conseil de villageois soudain bien moins reconnaissants. Mais les Drakéides, ici, étaient incroyablement reconnaissants, et Ceria se rendit compte qu’elle et ses compagnons étaient soudain la cible de compliments et d’adoration.
 
“Ce n’est rien, vraiment. Pisces, nous avons reçu la permission de fouiller les morts. Est-ce qu’il te reste du mana… ?”
 
“[Détection de Magie]. Là, là et… les Hobs.”
 
Il pointa du doigt. Ceria s’excusa auprès de la foule pour s’approcher des corps que Pisces avait identifié.
 
“Ah, celui-ci était le [Shaman] Gobelin. On dirait une espèce de baguette, el il y a son amulette de plume.”
 
“Attention. On ne sait jamais quel type d’enchantement…”
 
“Je ne suis pas une amatrice, Pisces.”
 
Ceria attrapa délicatement les deux objets dans un morceau de tissu et les rangea dans un sac. Puis elle examina le reste des corps.
 
“Des anneaux magiques ? Un collier ? Et cette épée n’est pas mal. Ksmvr !”
 
L’Antinium s’approcha et Ceria lui tendit l’épée. Il l’étudia.
 
“C’est une lame de qualité supérieure à ce que l’on pourrait s’attendre chez un Gobelin. Étrange. Ma connaissance des Gobelins m’indique que cela serait d’ordinaire l’équipement d’un Chef de Tribu, non pas d’un simple Hob.”
 
“Est-ce que c’était une tribu, vous croyez ?”
 
Yvlon secoua la tête en examinant un autre cadavre, et trouva un anneau d’or.
 
“Pas d’enfants, pas de femelles en gestation. C’est un groupe de raid, mais il doit provenir d’une énorme tribu.”
 
Ceria échangea un regard avec Pisces. Ils pensaient tous deux à la même chose.
 
“Est-ce que ça pourrait être cette Gobeline qu’Erin accueille souvent ? Loks… ?”
 
Il parut troublé, mais secoua la tête.
 
“Je lui ai enseigné quelques sorts. Elle est… intelligente. Elle ne serait pas assez stupide pour attaquer lorsque la Garde est dans le coin, et ces Gobelins sont différents. Regardez l’armure et les marques, là et là.”
 
Il leur montra, et Ceria vit que ces Gobelins avaient des entailles sur les oreilles.
 
“C’est une différente tribu.”
 
“D’où viennent-ils ?”
 
“Du sut. C’est ce que les villageois nous ont dit.”
 
Tout le monde se tourna vers Ksmvr. Ceria se tourna au sud, inquiète. Yvlon hocha la tête.
 
“Ils viennent du sud. Des Plaines Sanglantes. Il doit y avoir une nouvelle tribu là-bas, et dangereuse avec ça. Si c’est cela, leur groupe de raid, je n’ose imaginer à quoi ressemble la tribu au complet.”
 
Quelque chose bondit dans l’estomac de Ceria. Elle souffla un mot.
 
“Ryoka.”








Note d’EllieVia : Voilà cher lecteurs, la traduction va s’arrêter sur ce dernier - gros^^- chapitre pour la période de Noël ! Nous allons en profiter pour nous reposer un peu, nous nous remettrons au travail le 6 Janvier ;) ! En attendant, portez-vous bien, profitez des fêtes, et on se retrouve en 2021 qui, je l’espère sera mieux pour tout le monde^^

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #134 le: 06 janvier 2021 à 19:06:25 »
Petit message des traducteurs.

J'espère que vous avez tous passez de bonnes fêtes! Le prochain chapitre arrivera ce dimanche, désolé du retard :c

 


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