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Le Monde de L'Écriture » Salon littéraire » Salle de lecture » Théâtre et poésie » [Poésie, auteur] Henri Michaux

Auteur Sujet: [Poésie, auteur] Henri Michaux  (Lu 7467 fois)

okho

  • Invité
[Poésie, auteur] Henri Michaux
« le: 03 juin 2017 à 18:51:52 »

    MAGIE (1)

    J'étais autrefois bien nerveux. Me voici sur une nouvelle voie :
    Je mets une pomme sur ma table. Puis je me mets dans cette pomme. Quelle tranquillité !
    Ça a l'air simple. Pourtant il y a vingt ans que j'essayais ; et je n'eusse pas réussi, voulant commencer par là. Pourquoi pas ? Je me serais cru humilié peut-être, vu sa petite taille et sa vie opaque et lente. C'est possible. Les pensées de la couche du dessous sont rarement belles.
    Je commençai donc autrement et m'unis à l'Escaut.
    L'Escaut à Anvers, où je le trouvais, est large et important et il pousse un grand flot. Les navires de haut bord, qui se présentent, il les prend. C'est un fleuve, un vrai.
    Je résolus de faire un avec lui. Je me tenais sur le quai à toute heure du jour. Mais je m'éparpillai en de nombreuses et inutile vues.
    Et puis, malgré moi, je regardais les femmes de temps à autre, et ça, un fleuve ne le permet pas, ni une pomme ne le permet, ni rien dans la nature.
    Donc l'Escaut et mille sensations. Que faire ? Subitement, ayant renoncé à tout, je me trouvai... je ne dirai pas à sa place, car, pour dire vrai, ce ne fut jamais tout à fait cela. Il coule incessamment (voilà une grande difficulté) et se glisse vers la Hollande où il trouvera la mer et l'altitude zéro.
    J'en viens à la pomme. Là encore, il y eut des tâtonnements, des expériences ; c'est toute une histoire. Partir est peu commode et de même l'expliquer.
    Mais en un mot, je puis vous le dire. Souffrir est le mot.
    Quand j'arrivai dans la pomme, j'étais glacé.


(Dans le recueil Lointain intérieur, Entre centre et absence)
« Modifié: 03 août 2017 à 14:36:21 par okho »

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Re : [Poésie, auteur] Henri Michaux
« Réponse #1 le: 20 novembre 2017 à 10:38:01 »
 TELEGRAMME DE DAKAR


Dans le noir, le soir.
auto dans la campagne.
Baobabs, Baobabs,
baobabs,
Plaine à baobabs.
 

Baobabs beaucoup baobabs
baobabs
près, loin, alentour,
Baobabs, Baobabs.

 
Dans le noir, le soir,
Sous des nuages bas, blafards, informes,
loqueteux, crasseux,
en charpie, chassés vachement
par vent qu’on ne sent pas,
sous des nuages pour glas,
immobiles comme morts sont les baobabs.
 

Malédiction !
Malédiction sur CHAM !
Malédiction sur ce continent !

 
        Village
        village endormi
        village passe

 
De nouveau dans la plaine rouverte : Baobabs
Baobabs baobabs Baobabs
Afrique en proie aux baobabs !

 
Féodaux de la Savane. Vieillards-Scorpions.
Ruines aux reins tenaces. Poteaux de la Savane.
Tams-tams morbides de la Terre de misère.
Messes d’un continent qui prend peur
Baobabs.

 
        Village

 
Noirs
Noirs combien plus noirs que de hâle
Têtes noires sans défense avalées par la nuit.
On parle à des décapités
les décapités répondent en « ouolof »
la nuit leur vole encore leurs gestes.
Visages nivelés, moulés tout doux sans appuyer
village de visages noirs
village d’un instant
village passe

 
Baobab Baobab
           Problème toujours là, planté.
           Pétrifié — exacerbé
           arbre-caisson aux rameaux-lourds
           aux bras éléphantiasiques, qui ne sait
           fléchir.
 

Oh lointains
Oh sombres lointains couvés par d’autres
     Baobabs
           Baobabs, Baobabs, Baobabs
           Baobabs que je ne verrai jamais
           répandus à l’infini. Baobabs.
 

Parfois s’envole un oiseau, très bas, sans élan,
     comme une loque
     Un Musulman collé à la terre implore Allah
     Plus de Baobabs.

 
           Oh mer jamais encore aussi amère
           Le port au loin montre ses petites pinces
               (escale maigre farouchement étreinte).

 
Plus
plus
plus de baobabs
baobabs
baobabs
peut-être jamais plus
baobabs
baobabs
baobabs.
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Re : [Poésie, auteur] Henri Michaux
« Réponse #2 le: 15 avril 2018 à 18:29:46 »
Quelqu'un a lu Plume ? C'est fort fort étrange

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Re : [Poésie, auteur] Henri Michaux
« Réponse #3 le: 15 avril 2018 à 19:19:05 »
Citer
Quelqu'un a lu Plume ? C'est fort fort étrange
Une partie de mon Pseudo vient de là à l'époque ou j'étais à fond sur Michaux. (Je m'explique, j'use souvent comme nom de scène de "Baptiste Plume" et donc en référence à Michaux)
Moi j'aime beaucoup. Mais oui c'est un peu chelouitude.

J'ai toujours d'ailleurs réver de faire un spectacle qui s'intitulerais "Incertain Monseur Plume". Mais pour être honnête, je sais pas encore quoi y mettre dedans.

Du coup c'est quoi qui t'a semblé étrange Miro ?
Moi je vois ça comme une espèce de surréalisme remplit de cynisme et de colère mais ça me parle quand même.

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Re : [Poésie, auteur] Henri Michaux
« Réponse #4 le: 15 avril 2018 à 21:35:22 »
Citer
Une partie de mon Pseudo vient de là à l'époque ou j'étais à fond sur Michaux. (Je m'explique, j'use souvent comme nom de scène de "Baptiste Plume" et donc en référence à Michaux)
Ohhhh  :coeur:

(c'était tellement bien)
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Re : [Poésie, auteur] Henri Michaux
« Réponse #5 le: 23 mai 2018 à 19:10:46 »
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Du coup c'est quoi qui t'a semblé étrange Miro ?
Moi je vois ça comme une espèce de surréalisme remplit de cynisme et de colère mais ça me parle quand même.

Je voulais te répondre en faisant référence aux passages mais j'aurai pas accès au bouquin avant un moment donc autant me baser sur ma mémoire... hum j'ai pas vu ça sous un angle cynique ^^ Au début je me demandais même si on avait pas lu deux Plume différents. Ca spoile un peu donc du coup

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Re : [Poésie, auteur] Henri Michaux
« Réponse #6 le: 23 mai 2018 à 19:51:13 »
Je dirais pas que le personnage est cynique - amoral oui, mais comme conséquence mécanique de sa passivité - mais la source de ses mésaventures (écrivain, narrateur, dieu, fortune) est certainement, ptêtre pas cynique, mais cruelle, un peu moqueuse, amorale comme le perso, mais par choix ce coup-ci. Amorale fâchée peut-être comme dit Baptiste ("rempli de colère"), dans l'impossibilité de lui faire arriver autre chose.
(d'après mes souvenirs du moins, donc avec réinventions possibles)
D'ailleurs ce qui est marrant, c'est que d'après mes souvenirs le personnage nommé Plume est plus inerte que léger. Genre les deux termes des récits - celui qui subit et ce qu'il subit - sont respectivement assez lourds : il est inerte et il a l'absurde et la violence contre lui, mais la somme des deux produit un résultat qui lui est léger et en rit jaune.

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Re : [Poésie, auteur] Henri Michaux
« Réponse #7 le: 06 août 2018 à 23:45:27 »
(désolé j'apporte plus rien sur le débat de Plume, mais je feuilletais les notes que j'avais mise dans mon exemplaire, et pis deux trois trucs que je trouve toujours aussi génial que je voulais partager ici : )



Citer
Toute science crée une nouvelle ignorance.
Tout conscient, un nouvel inconscient.
Tout apport nouveau crée un nouveau néant.


Citer
Quand on ne sait rien faire, il faut être prêt à tout.
mais putain, oui OUI



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L'homme retourne à sa défaite : le quotidien.
tristement  :coeur:



C'est fou ce qu'il arrive parfois à créer ces espèces de dictons, alors que c'est pas du tout la première chose qui saute aux yeux quand on le lit tellement c'est à a fois fantaisiste et dansant et reflexif et mystérieux, rah


Mais à la base le petit truc que je voulais montrer, c'est plus son utilisation du surréalisme et une maitrise certaine qui fait quelque chose du surréalisme plutôt que de s'en contenter tel quel


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Vous jetez par terre une bille, c'est un cheval.
Deux billes, deux chevaux, dix billes, sept à huit chevaux au moins... quand c'est l'époque.
 On en voit à grands flots sortir d'une gare, à l'improviste, agitant leur grande tête douce qui peut devenir si folle, si folle ; et c'est la ruée [...]

Mais rah, je trouve ça fou d'ingéniosité.
Il part d'un rapprochement d'idée qui semble sans queue ni tête, en passant par des reflexion comico-absurdes, et au final en liant trois images différentes (des billes (qui tombent) des cheveux ( qui courent) une gare) tout s'active avec la ruée et on imagine à la fois des billes immense dégringoler d'une gare, ou juste de chevaux se ruer hors d'une gare mais avec en fond le fracas des perles, et ensuite ca fait écho à un sens, la période des vacances ou les heures de points, et, bref je trouve cette triple liaison d'images absolument géniale pour l'effet que ca produit, ca me laisse pantois, ce genre de petit détail
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