Bonjour à tous,
Un jour j'ai demandé à être défié. Voici ce qui m'avait été donné :
Je te défie d'écrire un texte d'espionnage. ça te va ?
Presque que quatre mois plus tard
, je poste enfin le résultat.
Ce n'est pas un genre que j'ai l'habitude de traiter, donc je suis impatient d'avoir vos retours. Je l'ai écrit dans un style un peu différent de mes autres textes. Merci d'avance pour votre lecture.
EDIT : Corrections orthographiques
EDIT 2 : Le maire vient d'être promu
Pingouins et Pétillant
Le petit monde devant l’hôtel s’agite lorsque débute le défilé des berlines. Vitres teintées, calandres chromées, elles ne s’arrêtent que le temps de déposer leurs précieux passagers. Le jeu du m’as-tu vu peut alors commencer. Les potiches sont à l’honneur ; poitrines galbées, jambes interminables et bronzages uniformes, là aussi il y a de la belle carrosserie. Pour certaines, l’équilibre est précaire. Rien d’étonnant lorsque les talons aiguilles sont plus hauts que le décolleté. Politicien, banquier, sportif d’élite, toutes sont accrochées au bras d’un porte-monnaie. Devenues accessoires à peine plus précieux qu’une montre et sans doute moins élaborés.
La tête dans mon journal, l’incessant va-et-vient finit par perturber ma lecture. Il est l’heure pour moi de m’inviter à la fête. Je décolle mes fesses engourdies du siège de ma voiture et me décide à prendre l’air. De toute façon, le journal date d’il y a trois semaines.
J’entends le crépitement des photographes mitraillant les invités. Les flashs brisent la nuit et ma discrétion par la même occasion. Tandis que je m’approche de l’entrée, j’aperçois des gorilles déguisés en pingouins. Bien qu’armoires à glace, ils n’ont pas l’air commodes. Toutes les personnes ne figurant pas sur la sacro-sainte liste se voient refoulées sans ménagement. Evidemment, mon nom n’y est pas inscrit.
Il faut dire que Monsieur le gouverneur ne lésine pas en matière de sécurité. Le quartier est entièrement bouclé, l’hôtel, réservé en totalité. Paraît-il que même les égouts sont surveillés. Quand la haute société se réunit, c’est la classe moyenne qui paie.
Je pourrais tenter de me faire passer pour l’un des primates, mais il me manque quelques accessoires indispensables : oreillette, arme à feu et un bon mètre supplémentaire. Les deux premiers ne sont pas un problème, pour le dernier, j’aurai plus de mal. Le mieux reste de me glisser parmi les voituriers qui s’agglutinent devant le bâtiment. Heureux hasard, c’est justement la tenue que j’ai choisie ce soir.
J’ajuste le badge portant mon nom,
Spylo Nesome, ainsi que la casquette de circonstance et viens me positionner auprès des autres employés. La lutte est rude, tout le monde espère tomber sur la plus grande ou la plus longue. Qui dit grosse cylindrée dit gros pourboire. Pas envie de passer des heures à attendre là, je décide de jouer des coudes pour forcer un peu le destin. Drôle d’exercice que de se débattre tout en gardant la classe inhérente à la profession. Mes mains profitent du désordre ambiant pour se glisser dans l’une ou l’autre des poches voisines et finissent par dénicher ce qu’elles cherchaient : une carte d’accès au parking.
Un client arrive. Un premier voiturier s’élance et trébuche malencontreusement sur mon pied. Un deuxième parvient jusqu’à la portière qu’il ouvre sans attendre. J’en profite pour tendre ma main à l’intérieur de l’habitacle et récupérer les clés des mains du client. A voir la tête de mon collègue d’un soir, je crois que je peux oublier toute reconversion dans ce métier.
La portière claque et soudain, l’agitation retombe. Volant en main, je me laisse alors bercer jusqu’au parking de l’hôtel par le doux ronronnement du moteur. Le portique d’accès s’ouvre sans grincer au contact de la carte magnétique volée quelques minutes plus tôt et me laisse entrer dans le souterrain. J’avance sereinement, entouré de toutes parts de véhicules aux noms plus prestigieux les uns des autres, mal éclairés par quelques néons blafards. Une place plus tard, me voilà garé.
Mélange de cuir et de vieux tabac, le parfum ambiant a quelque chose d’élégant. Coup d’oeil sur les sièges arrières et me voilà déjà la bouteille de Dom Pérignon à la main. Un verre dans ma situation serait tout sauf raisonnable, alors je bois à la bouteille. Je savoure jusqu’à la dernière goutte ce petit moment d’accalmie avant mon entrée sur la grande scène.
Deuxième acte. Je dois me changer. J’enlève la première couche d’habits qui me seyait si bien jusqu’à maintenant pour un costume moins tape-à-l’oeil lors d’une soirée de gala. Quelques pas dans la pénombre et me voilà devant un ascenseur qui n’attendait que moi. Destination trente-quatrième et dernier étage.
Le voyage est long, l’ascenseur n’est pas des plus rapides. Pas de musique d’ambiance sur laquelle se plaindre, pas de miroir pour s’assurer qu’aucun poil de nez ne dépasse. Juste de quoi cogiter et se laisser chatouiller par la peur insidieuse de l’échec. Certaines personnes ont misé sur moi et m’interdisent de les décevoir. Je suis une bille qui, à chaque coup, doit viser le bon numéro. C’est le jeu de la vie. Le jeu de ma vie.
Le bon numéro ce soir, c’est le gouverneur. Ce n’est pas tant sa petite sauterie qui agace les gens pour qui je travaille, mais plutôt sa propension à vouloir se faire réélire à la tête de la ville. Disons qu’il y a conflit d’intérêts. Lui voudrait augmenter le budget de l’éducation et réduire celui de la défense, nous l’inverse.
Les élections sont pour bientôt, demain aura lieu un débat décisif entre le gouverneur et notre poulain ; un jeune politicien plein d’illusions, propulsé candidat à coups de pots-de-vin et soutenant notre vision des choses, à défaut d’avoir d’autre choix. Le gouverneur n’y participera pas, mais il ne le sait pas encore.
Malgré les apparences, je ne suis pas ici pour le tuer. Bien trop flagrant et totalement désuet à notre époque. Et que dire de l’originalité. Non, à la place, je porte sur moi une fiole contenant de quoi le rendre malade jusqu’à bien après la fin des élections. C’est la démocratie ; le peuple ignore qu’il vote pour le plus fourbe.
Un tintement, puis la porte s’ouvre. Pris dans mes considérations, je sors d’un pas décidé mais mon élan est stoppé net.
– Bonsoir monsieur, est-ce que je peux voir votre carton d’invitation ?
Un membre de la sécurité se tient dans l’encadrement de la porte et me bloque le passage. L’homme, un afro-américain, est tellement grand que je ne suis pas sûr qu’il puisse entrer dans l’ascenseur. Autant jouer franc-jeu.
– Je ne l’ai pas sur moi.
D’ailleurs, je ne l’ai jamais eu.
– Puis-je vous demander ce que vous faites ici monsieur ?
Je viens pour empoisonner le gouverneur.
– Eh bien, figurez-vous que je compte m’éclater, boire jusqu’à plus soif et me poudrer le nez, dépenser tout le fric que je n’ai pas encore claqué dans les prostituées et accessoirement serrer la main du gouverneur, m’exclamé-je, l’accent alcoolisé.
– Je vais devoir vous demander de partir.
Le discours est poli mais sonne faux. Je le vois dans ses yeux, le type rêve de me retrousser la peau comme une paire de chaussettes.
– Vous voyez cette nana ?
Clin d’oeil en direction d’une blonde platine donnant des coups de hanches derrière nous. L’agent se retourne, la fille sourit.
– Je viens de lui donner un petit cours… de solfège dans une des chambres du dessous, fanfaronné-je, un sourire salace se dessinant sur mes lèvres. Nos habits ont recouvert toute la chambre et dans la précipitation, mon carton d’invitation a dû tomber.
– Je ne peux pas vous laisser entrer monsieur.
Il est coriace.
– Très bien ! Parfait. Alors je vais rentrer chez moi, et demain, j’irai voir le gouverneur et je lui parlerai de cet agent de sécurité à l’haleine chargée d’alcool qui m’a refoulé à l’entrée de sa soirée, débité-je, l’index menaçant.
Coup de poker, j’ignore s’il a bu. Silence interloqué. Il donne l’air de réfléchir, ça lui prend du temps. Je ne lui en laisse pas plus et abat ma main sur l’un des boutons indiquant un étage inférieur. Les portes coulissantes commencent à se fermer et l’homme ne bouge toujours pas. Tantôt, je n’aperçois plus qu’un mince fragment de la réception. Ma gorge se noue au fur et à mesure que les portes se rejoignent.
D’un coup, une main démesurée vient empêcher les deux portes de terminer leur course. D’un regard, il me fait signe de passer.
J’entre alors dans une salle s’étendant sur la moitié de l’étage. Frank est au micro.
Something in your eyes was so inviting, something in your smile was so exciting.La pièce est à l’image des gens qui s’y trouvent, aussi cossue que grossière. Des lampes imitation chandeliers victoriens parsèment les plafonds dorés. Le sol aussi bien que les murs sont tapissés d’une épaisse moquette de couleur rose à l’aspect douteux, où les restes alimentaires et les tâches de vin font la joie de parasites en tous genres. La sobriété n’est pas l’apanage des gens riches, tant dans l’apparence que dans le comportement. Ici, cougars et gigolos rencontrent maris et femmes.
Le gouverneur, au centre de la pièce, vend des promesses à coup de sourires contrefaits et de généreuses poignées de mains. Les partisans qui l’entourent avalent ses mensonges entre deux bouchées de caviar, convaincus de leur supérieure clairvoyance.
Strangers in the night. Two lonely people, we were strangers in the night.Nous ne serons bientôt plus étrangers Monsieur le gouverneur. Je commence à zigzaguer entre les invités, esquivant autant que possible les embuscades sociales des personnes en manque de flatterie. Je contourne tout d’abord un homme, petit, au crâne dégarni, son costume saillant qui menace de céder sous les coups de boutoir de son ventre tendu comme une peau de tambour. Puis, je bifurque de l’autre côté pour éviter un troupeau de femmes à la peau trop lisse pour leur âge. Enfin, je traverse un nuage d’émanations nauséabondes, résultat du mélange d’une quinzaine de parfums différents.
Fraîcheur de putréfaction n°5.
Le gouverneur n’est plus qu’à quelques mètres de moi quand un visage familier surgit dans mon champ de vision. C’est la blondasse de toute à l’heure.
– Pardon ?
Catastrophe, j’ai pensé à voix haute.
– C’est la classe ce débardeur !
Sauf qu’elle n’en porte pas. Elle n’a pas l’air de relever mon imprécision et enchaîne en articulant des niaiseries dont je ne comprends pas la teneur. Je hoche la tête et hausse les sourcils, l’air intéressé.
Lovers at first sight, in love forever.Espérons qu’elle ne s’inspire pas des paroles. Sa bouche continue à s’agiter et j’ai du mal à déterminer quelle partie du corps, entre ses lèvres et ses seins, est la plus gonflée. Au bout d’une intense réflexion, je décide d’abréger le supplice.
– Vous savez, vous tenez beaucoup du cochon d’Inde que j’avais lorsque j’étais enfant. Moustache, couinements...
La demoiselle en reste sans voix. J’en profite pour m’extirper de ses griffes manucurées et m’éloigner en direction de ma cible, délestant au passage d’un verre de pétillant un serveur qui déambulait par là. Je fouille ensuite dans une des poches de mon veston et en retire la petite éprouvette que je verse discrètement dans le verre. Nagez mes petits microbes, nagez.
Ma rencontre avec le gouverneur est abrupte. J’arrive un peu trop vite à ses côtés, coup d’épaule et son champagne se renverse sur le costume à plusieurs milliers de dollars qu’il avait revêtu pour tenter de camoufler son manque de classe.
– Oh je suis profondément désolé Monsieur le gouverneur !
Si vous saviez à quel point.
Le gouverneur a la quarantaine, les cheveux gominés et en cet instant précis, est furieux contre moi. Mais il ne laisse rien paraître. Un bon politicien n’est jamais en colère devant des électeurs potentiels.
– Ce n’est rien, siffle-t-il, les dents serrées, tandis que ses mains glissent maladroitement sur son veston à la recherche de champagne à éponger.
– Laissez-moi vous offrir ma coupe, je n’y ai pas encore touché.
– Ça ira, je vous remercie, de toute façon j’ai déjà bien assez bu de champagne ce soir.
– J’insiste, je serais terriblement embarrassé que vous vous en priviez à cause de ma maladresse, continué-je, le verre tendu dans sa direction.
Surtout que celui-ci provient d’une cuvée spéciale.
– Ne vous en faites pas, il n’y a pas de mal, termine-t-il, sa main posée sur mon épaule.
Puis il s’éloigne pour rejoindre d’autres admirateurs, nous laissant seuls, moi, et mes petits compagnons. Cette fois c’est sûr, je suis terriblement embarrassé.
Le pessimisme guette. Pour ne pas baisser les bras, j’en lève un et porte le verre à ma bouche. Réflexe archaïque. Que j’évite de justesse en pensant à l’orgie microscopique qu’abriterait mon corps si j’avalais la moindre goutte de ce cocktail.
Je me doute bien que le gouverneur n’en a pas fini de boire pour ce soir. Il acceptera un verre supplémentaire, mais pas de moi. Le temps presse, les serveurs sont généralement briefés pour qu’aucun invité ne garde ses deux mains libres trop longtemps.
Non loin de moi, le cochon d’Inde refait un passage. Une occasion à ne pas manquer, mais il va falloir la caresser dans le sens du poil.
– Wendy ! m’exclamé-je, tout sourire.
– Jennifer ! rétorque-t-elle, furieuse.
Presque.
Elle arme aussitôt sa patte en vue de gifler le goujat que je suis. Je la rattrape au vol et tente alors un baisemain.
– Tout à l’heure, je ne sais pas ce qui m’a pris, sans doute l’excès d’alcool. Je m’en excuse.
Tout d’abord étonnée, ses lèvres essaient maintenant d’esquisser un sourire. Apparemment, mon petit numéro a fait son effet. Je décide d’aller droit au but.
– Ecoutez, j’imagine que vous êtes ici pour voir le gouverneur. Je propose que vous alliez le rencontrer et discuter quelque peu avec lui. Puis, nous pourrons quitter cette soirée ringarde et pour me faire pardonner, je vous inviterai dans l’un des meilleurs restaurants de la ville.
La jeune fille semble torturée par un flot subit de pensées se bousculant dans l’étroitesse de son esprit. Le regard vide, elle paraît tout de même adhérer à l’idée.
– Vous n’aurez qu’à trouver un prétexte futile, je veux dire, une raison bidon pour briser la glace. Disons, hmm….Je sais ! Prenez mon verre et offrez-le lui, ça fera l’affaire. Qu'en pensez-vous ?
Pas très souvent à mon avis. Mais la demoiselle est enchantée de ma proposition. Elle me pique le verre des mains et s’en va aborder le gouverneur.
J’observe la scène d’où je suis. Elle l’approche, il sourit, et finit par prendre le verre qu’elle lui tend. Il faut dire qu’elle a des arguments de poids. Je les vois discuter, la fille semble charmée par cet homme de pouvoir. Elle ne cesse de fixer ses yeux, lui, ses seins.
Pourvu qu’il boive, répèté-je inlassablement dans mon esprit. Vu comme il salive, je ne me fais que peu de souci. Quelques éclats de rire plus tard et le gouverneur se décide enfin à goûter à mon champagne.
D’un coup, le temps tourne au ralenti. La cacophonie ambiante devient plus grave, les mouvements alentours plus patauds. Le verre touche d’abord la lèvre inférieure, puis les bulles commencent à lui chatouiller les narines. Enfin, au terme d’un dernier mouvement de poignet, le liquide bascule définitivement au fond de sa gorge.
J’en ai fini pour ce soir. Reste à m’éclipser au plus vite, avant que la blonde ne se souvienne de moi.