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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » Une colère bien américaine

Auteur Sujet: Une colère bien américaine  (Lu 550 fois)

Donaldo75

  • Invité
Une colère bien américaine
« le: 07 mars 2014 à 12:23:54 »
Une colère bien américaine

W. Jr était coincé. Il n'avait pas prévu cette situation et voir de nouveaux joueurs dans la géopolitique mondiale le perturbait. Après les Russes, les Chinois et les Européens, il pensait avoir roulé tout le monde. A la surface oui ! Mais avec les enterrés de chez M. et les nuageux du père D. la donne se renversait et pas à son avantage. Et ceux là n'achèteraient pas facilement ses boniments, encore moins à crédit. Il devrait sans doute improviser.

Son cinquième mandat se lançait pourtant bien. Oui, il avait réussi à modifier la constitution, comme son grand père jadis, pour étendre l'exercice de la présidence à plus de deux mandatures. Évidemment, il s'était arrangé pour que les communications électroniques de tout type soient contrôlées en toute légalité par ses services de renseignement. Les Russes et les Chinois n'avaient rien dit car ils pratiquaient le même contrôle. Les Européens essayaient de temps à autre un petit retour en arrière, vers plus de démocratie numérique comme ils disent, mais leurs divisions et l'anti-jeu des Britanniques réduisaient à néant ces vaines tentatives. La crise énergétique semblait si loin également, depuis la découverte de gisements massifs de dihydrogène, de deutérium et autre tritium sous le sol lunaire. Ce gâteau monumental avait été partagé alors entre les puissances spatiales, les vraies, celles capables d'envoyer des humains sur la Lune, à savoir les États Unis d'Amérique, la Chine, la Russie et l'Europe. Finies les guerres incessantes au Moyen Orient, les accords secrets avec les terroristes arabes, africains ou sud-américains, les putschs planifiés et autres magouilles à deux dollars. Les hydrocarbures perdaient de leur attrait et s'épuisaient sans mobiliser les foules, hormis quelques écologistes nostalgiques. Les Américains avaient réussi, grâce à leur puissante avancée technologique et numérique, à coiffer le vieux continent sur le poteau, en s'alliant avec les Russes et les Chinois dans l'extraction et l'exploitation des ressources lunaires. Aux entrepreneurs chinois d'extraire les gaz primaires, aux conglomérats russes de les transformer, avec l'aide de la technologie européenne, aux consortiums américains de les conditionner et les distribuer dans tout le système solaire. Et oui, tout le système solaire ! L'homo sapiens était devenu sérieux.

C'était juste du business. Comme celui qui consistait à développer des énergies renouvelables. Du bon business et de la politique futée. Les dirigeants des puissances spatiales avaient tous en commun un objectif: éviter le plus possible les sombres révolutions et les futiles agitations sociales, symboles d'un autre temps.

Il fallait offrir du rêve au peuple. Et les moyens de l'atteindre. Ce rêve s'appelait Nouvelle Frontière. L'idée n'était pas neuve, Kennedy la formalisait déjà au siècle précédent mais trop d'histoires de fesses et une balle mal placée eurent raison de cette option. Heureusement, lui, W. Jr, savait fabriquer des nouveaux plats dans des vieilles marmites. On en apprend des choses à Princeton et Columbia. Autant que ça serve un jour. Un coup de financement, à crédit, les Chinois paient, les Américains pensent et les autres exécutent, pour construire les infrastructures suffisantes au transport en masse des travailleurs de tous les pays. Et direction Mars, Ganymède et autre Callisto, affronter des conditions inhumaines, terra-former des contrées hostiles, acquérir son petit lopin de terre éloignée. Une bonne campagne de publicité, la puissance des messages numériques, subliminaux mais pas trop, un peu de religion, un soupçon de social, le tour est joué. La conquête de l'Ouest sans les bisons, les Indiens et les Mexicains. Trop facile. En deux mandats, des milliards de pauvres, de toutes les couleurs et confessions, rejetaient leurs coutumes et prenaient la tangente, direction l'espace et ses promesses, un nouveau départ, une arche de Noé. Le découpage, la sélection, avaient été darwiniens, de concert avec les autres dirigeants. Mars aux classes moyennes, Ganymède et Callisto au prolétariat. Titan devenait une réserve naturelle et Europa un aquarium géant. Histoire de garder les savants sous tension. On avait encore besoin d'eux. Pour la suite.

La Terre connaissait enfin la paix. Les agités du bocal tentaient bien de temps en temps une petite forfaiture mais leurs peuples les ramenaient dans le rang, trop apeurés de la perte d'un ticket pour l'espace, pour le Far End. Les rares cryptomarxistes avaient été envoyés au bagne sur Pluton, à casser des glaçons. Les quelques prédicateurs fortunés envoyaient leurs nefs vers Kepler111, dans la pampa, un voyage d'une centaine d'années.

W. Jr n'était pas peu fier de ses deux prix Nobel sur la cheminée, de ses trois Pulitzer et même d'une Palme d'Or, cadeau d'un cochon de Français qui voulait un ticket pour Mars. Les Chinois le citaient en exemple, les Russes le craignaient, les Européens l'abhorraient. Il était une star, une légende, le plus grand président de tous les temps. Mais pour conserver cette aura, il fallait assurer le présent. Les électeurs se fichent du passé, ce qui les intéresse c'est faire bouillir la marmite, avec des ballons, de la musique et des jeux. Et le présent s'annonçait compliqué.

Au jeu du plus fin, il avait trouvé à qui parler. Deux businessmen même pas humains, avec leurs hordes de va-nu-pied et d'illuminés, s'étaient présentés un jour à l'ONU, pour réclamer ce qu'ils appelaient leur dû. Le premier, M., chef des désespérés, issu d'une ancienne race souterraine qui s'était peu manifestée, l'avait joué tout en couleurs, avec du rouge, du jaune, des pétards et des tourbillons. Une vraie convention républicaine à Atlanta. Le second, inspiré par son rival, car ils se fréquentaient depuis fort longtemps, se faisait appeler D. et dirigeait une horde d'enfarinés, de pauvres hères squelettiques et hébétés. Lui, inhumain comme son complice, avait opté pour une apparition en dégradé, dans le ciel, avec force mélodies et chants d'oiseaux, histoire de bien nous montrer qu'il domptait les éléments. Ces deux malins partageaient certainement la même agence de marketing. Jouer sur des croyances péniblement refoulées avait payé. Les intellectuels, les savants, les journalistes et les sociaux-démocrates les prenaient au sérieux. Ratée l'occasion de les gazer rapidement, vite fait bien fait, dans le ciel de Manhattan, sous prétexte d'une singularité cosmique. Négocier il fallait. Et en matière d'arnaque, ces deux là s'y connaissaient.

Leurs demandes étaient excessives pour W. Jr et ses partenaires commerciaux. Un tiers des profits chacun, sous prétexte qu'ils pouvaient mettre la planète mère à feu et à sang, empêcher les liaisons spatiales, démoraliser les pionniers, réactiver les réseaux terroristes et déclencher une panique religieuse. W. Jr respecta les formes. Il convoqua en assemblée les membres de la communauté spatiale, les vrais, pas les amateurs du genre les Indiens, les Canadiens ou les Japonais. Il exposa le problème en quelques mots et beaucoup de chiffres. Les positions furent mitigées. Les Russes et les Chinois voulaient tout casser, utiliser le feu nucléaire sur ces importuns, ces escrocs à la petite semaine. Quand on a été pauvre longtemps, on protège violemment son bien chèrement acquis. En plus, ils avaient des armes inutilisées, par mégatonnes et paquets de mille, dans des silos bien rangés. Autant s'en servir. Les Européens, à leur tête les Français, souhaitaient négocier, revoir la copie proposée par M. et par D., trouver un terrain d'entente dans la paix et par la diplomatie. Ces gars sont dépassés, pensait W. Jr et ce depuis longtemps, depuis le temps où un intellectuel parisien, à la coupe bohème et à l'anglais roucoulant, lui avait levé sa petite Brenda, une étudiante de Columbia pour laquelle il en pinçait. Depuis, il détestait les grenouilles et leur propension à expliquer la vie au reste du monde. Dégénérés, pensa t il. On va faire sans vous. C'est pour cette raison qu'il avait pensé, il y a dix ans, à voter de nouveaux statuts internationaux et abroger le droit de véto des membres permanents du conseil de sécurité. Les Français et leurs cochons de voisins pouvaient disserter à l'infini et au delà. Il s'en fichait comme de sa première santiag.

La solution, il la connaissait. Inutile de l'expliquer aux Européens. Ils voudraient piloter un comité Théodule pour en qualifier l'éthique, organiser un concile pour en assurer la moralité et lancer un moratoire pour en financer la mise en œuvre. Comme si on ne savait pas anticiper, nous, USA, avec notre paranoïa culturelle.

Il avait bien fait de garder les scientifiques dans sa poche, de leur offrir Titan et Europa en pâture, pour leurs expériences exo-biologiques. Ces doux rêveurs avaient isolé de beaux germes pathogènes dont le célèbre virus H, connu essentiellement pour donner des hémorroïdes. Il avait pensé le diffuser dans le métro parisien, par vengeance, un jour de juillet, après une bonne biture au bourbon avec son secrétaire d'état à la défense. Mais sa femme l'avait raisonné. C'était mieux ainsi, il conservait l'effet de surprise. Parce que ce virus H, en plus de donner mal au cul des pauvres humains, s'avérait redoutable auprès des espèces régies par M. et D., génétiquement très proches, issues de croisement familiaux trop nombreux et devenues faibles au regard des micro-organismes. C'est pour cette raison que ces déviants restaient cachés dans leurs nids souterrains ou sur leurs nuages arctiques.

W. Jr devait encore la jouer fine. Persuader Russes et Chinois que son vaccin était opérationnel, en quantité suffisante pour protéger leur nomenklaturat, leurs âmes damnées ou tout privilégié de leur choix. Il mentit un peu sur la fiabilité des tests, beaucoup sur la capacité des USA à organiser la vaccination globale, pas du tout sur son envie d'en découdre avec ces incrustés. Les dirigeants des deux bords conclurent l'accord, secret, de coopération entre les trois parties. En plus c'était un bon moyen de neutraliser durablement les Européens. Un bon pacte finalement.

Le quatre juillet, W. Jr organisa un sommet à l'ONU avec M. et D., sous couvert de réconciliation, puis les fit gazer. Massivement. Efficacement. Le mois suivant le business reprit, sauf en Europe, comme si de rien n'était. A moi le prix Nobel de la Paix se dit W. Jr, dans un élan spontané. Pas de morts officiels à déplorer. Seulement deux cents millions de trous du cul incommodés.

 


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