J'aime beaucoup, la grâce de ballerine de tes mots, la nostalgie, l'absence, le doute et la suspension générale de l'ensemble. J'aime beaucoup aussi l'effacement de tous les marqueurs mythologiques hormis le prénom, ce qui contemporanéise (je préfère l'écrire que le dire celui-là) la figure de Perséphone, comme si on lisait le portrait d'une femme d'aujourd'hui, perdue à sa fenêtre telle une muse de Hopper ou la femme de Krøyer, à laquelle j'ai pensé avec ce chien couché à ses pieds :
Je l'ai lu comme ça en tous cas, en portrait moderne, prosaïque, simple dans le lexique et les images évoquées, aux antipodes de la grandiloquence mythologique. J'aime particulièrement :
si dans la maison vide elle a mis l'eau à bouillir
et préparé le thé pour des convives absents.
qui illustre pour moi tellement bien, déjà le "silence de neige" parce que j'imagine Perséphone en paysanne dans un chalet de montagne alors qu'il neige fort dehors, mais surtout cette place, ce droit de cité que certains font à la banalité en poésie ou en peinture. Il s'y trouve quelque chose qui me tient suspendu. J'éprouve un semblant de vertige, presque, devant cette matière réaliste et intime, beaucoup plus que si c'étaient les Enfers tout entiers. Peut-être parce que ce grossissement sur le détail anodin, "merveilleusement ordinaire", porte en lui quelque chose qui le dépasse, symbolise parfois mieux qu'un temple fastueux nos questions sans réponses, celles qui menacent de nous faire sombrer dans nos propres abimes. A mon avis, ce sont là nos véritables prisons. Le ressassement devant ce qui échappe.
Pirotte ajouterait ceci :
"Ce que je cherchais, ce n’était pas la poésie mais la réalité de ces années-là, et si la poésie surgissait quelquefois, elle témoignerait moins de la pratique d’un art que de la suite des jours. J’écoutais le merle chanter, les camions grogner, la tuyauterie glousser comme une fille vulgaire, et ces échos d’une vie perdue devenaient des poèmes sans gloire, des vers de caramel. Donc, ce livre ne contient que les traces estompées d’un quotidien triste, ou merveilleusement ordinaire, les reliefs d’une existence banale, bancale, inquiète, exaltée, prisonnière."