Je réponds ici au défi de BloodMoon :
Minyu, je te défie d'écrire une nouvelle n'ayant que deux personnages principaux qui seraient : une jeune fille de huit ans et une tasse à café Ce doit être banal comme situation, et cela doit se passer uniquement dans la cuisine.Bon, je l'ai écrit sur le tas et je ne me suis pas relue, donc il doit y avoir quelques fautes. Et je ne suis pas sûre d'avoir bien respecté la dernière consigne, mais le texte était marrant à écrire
[Edit :] J'ai réécrit la fin, mais pas pour respecter toutes les consignes du défi, que je recommencerai de toute façon.
Lorsque tout commença, j’avais huit ans. Enfin, pour plus de précision parce qu’en tant que lectrice j’adore les précisions et que dans mon égocentrisme acéré je vais considérer que vous êtes tous comme moi, j’avais huit ans, un mois, trois jour, treize heures, six minutes et trente-cinq secondes. Comment se fait-il que je le sache avec une telle exactitude ? Il se trouve que ce jour-là était le trente janvier deux mille quatre, et que je venais de retrouver sous le canapé du salon la jolie montre à aiguilles que mon père m’avait offerte pour mon anniversaire ; je l’arborais donc fièrement à mon poignet. Je ne cessais d’y jeter de furtifs coups d’œil, plus pour la satisfaction d’avoir une montre « de grande » que par réel besoin de connaître l’heure.
Lorsque tout commença, j’étais en pyjama. Je m’en souviens parfaitement : c’était un joli pyjama bleu ciel aux jambes rayées de bleu marine et au haut uni sur lequel un joli Milou blanc gambadait*. Je l’avais déniché dans un catalogue d’habits pour enfants, section garçons. J’étais en pyjama, disais-je, et je portais le fameuse montre – je ne voulais pas m’en séparer de peur de l’égarer à nouveau.
Lorsque tout commença, il était vingt-trois heures, deux minutes et trente-cinq secondes.
Lorsque tout commença, enfin, j’étais dans la cuisine. J’étais parfaitement éveillée. Ma mère m’avait couchée à vingt-et-une heures, mais j’avais d’abord lu un peu. Sentant mes paupières s’alourdir, j’avais reposé mon livre et m’étais mise dans ma position de repos habituelle, c'est-à-dire sur le flanc droit, la main sous l’oreiller, la couverture roulée entre mes jambes à demi repliées. J’avais alors patienté. J’attendais que le sommeil vînt ; dans sa traîtrise, il ne vint pas. Je m’étais alors levée, étais sortie de ma chambre, avais traversé le couloir et descendu l’escalier de bois, en prenant garde de ne pas faire trop gémir les marches de chêne. Sur la pointe des pieds, j’étais passée devant le bureau, où une lueur blafarde filtrant sous la porte m’avait indiqué que ma mère regardait un film, et je m’étais dirigée vers la cuisine.
Nous en étions là.
Je me frottai les yeux et réprimai le dernier bâillement de cette soirée-là. Je saisis une chaise que je charriai jusque devant le grille-pain. Je montai sur cette chaise et ouvris le placard situé au-dessus de l’appareil. J’y pris une tasse à café très classique, couleur ivoire. Je descendis, la posai et tirai de nouveau la chaise pour la remettre à son emplacement habituel.
Puis je traversai la cuisine, ma tasse à café à la main. Je pris une cuillère à café, la boîte à café ainsi que celle de filtres à café. Chargée de tout ceci, je me dirigeai vers la cafetière, près de l’évier. Alors, du haut de mon mètre vingt-neuf, je me préparai bien tranquillement du café. Lorsqu’il fut prêt, je m’en remplis une tasse et allai m’asseoir à la table. Là, je sirotai calmement mon breuvage foncé. Lorsque je n’en eus plus, je me relevai et allai me resservir.
« Ah non ! C’est assez ! »tonna une voix.
Je sursautai et me retournai, certaine que ma mère m’avait surprise. Elle détestait que je boive du café – à présent, avec le recul, je la comprends parfaitement. Je baissai la tête, plus pour échapper au regard de ma mère que par réelle honte d’avoir désobéi. J’attendis alors les reproches qui ne devaient pas tarder. Rien ne vint. Décontenancée, je relevai la tête. La cuisine était aussi silencieuse qu’un château d’Ecosse en automne – si l’on ne prend pas compte du bruit occasionné par les fantômes, bien entendu.
Je haussai les épaules et mis cette hallucination sur le compte de la fatigue. Je repris la cafetière et approchai ma tasse.
« Une seule fois ne te suffit pas ? »gronda la voix.
Je m’immobilisai et observai la cuisine. J’étais toujours seule. Je fronçai alors les sourcils et revins à mon café.
« Mais tu le fais exprès ! »
Je regardai mon furieux interlocuteur. La voix venait de ma tasse, qui sautait à côté de l’évier. C’était sa manière de montrer qu’elle était furibonde.
« Vermisseau ! Ectoplasme ! Scaramouche ! » s’écria-t-elle.
Je compris qu’elle m’insultait.
« Ornithorynque ! Drosophile ! Phytéléphas ! »
J’appuyai ma tête sur mes mains afin d’observer plus à mon aise la petite tasse, qui me faisait irrésistiblement penser au capitaine Haddock.
« Fustanelle ! Isotope ! Xanthélasma ! »
La tasse parut enfin remarquer que je m’amusais de la situation et sa colère redoubla. Elle se mit à sauter de plus en plus haut – dans l’espoir, peut-être, de se retrouver à hauteur de mes yeux.
« Ca te fait rire ! éructait-elle. Ah ! Ca te fait rire ! Ben pas moi, tu vois !
- Ne saute pas si haut, tu vas te casser, répondis-je en riant.
- Tu me dois du respect ! Alors tu me vouvoies ! Et si je suis suicidaire, c’est mon problème ! »
Contrairement à ce qu’elle pensait, c’était aussi le mien. Je craignais que le bruit de la tasse brisée n’attirât ma mère. Je la saisis alors par l'anse et la forçai à s’immobiliser.
« Mais ! Tu vas me lâcher, oui ? »
Je l’ignorai et lui demandai :
« Pourquoi vous êtes en colère comme ça ? »
La tasse partit d’un rire nerveux.
« Elle me demande pourquoi je suis en colère ! » dit-elle, sûrement à l’intention d’une tasse fantôme – ce qui expliquerait pourquoi je ne la voyais pas.
Elle haussa le ton :
« J’en ai assez d’être exploitée ! Je fais la grève ! »
Elle se mit alors à scander des slogans :
« Pour l’amélioration des conditions de vie des tasses ! Les tasses ne sont pas des esclaves ! A bas les buveurs de café ! »
Je ne pouvais me retenir de pouffer.
« Tu trouves ça drôle ? As-tu seulement idée de l’effet que cela fait d’être rempli d’un liquide brûlant, plusieurs fois par jours ? gronda la tasse. C’est un véritable supplice, je souffre le martyre ! »
Je me tassai. Je n’avais jamais envisagé la chose sous un pareil angle.
« Tu fais moins la maligne, maintenant ! Tu sais quoi ? J’ai bien envie de te renverser le contenu de la cafetière dessus, pour te montrer l’effet que ça fait ! »
Je n’avais pas peur de me brûler, le café devait être froid maintenant. Mais mon beau pyjama Milou allait en pâtir. Par mesure de précaution, je pris la cafetière et la mis de l’autre côté de l’évier.
« Pff ! Froussarde ! »
Je soupirai et regardai ma montre. Il était vingt-trois heures vingt-neuf, exactement. Le film de ma mère allait sûrement bientôt se terminer. Je pris la tasse, montai sur l’évier et tentai de la ranger dans le placard. Mais elle se défendit.
« Ah non ! Ce serait trop simple, nom d’une petite cuillère ! Je veux que mes réclamations soient prises en compte ! Après tout, je suis en grève, non ? »
Je poussai un nouveau soupir, redescendis, la posai devant moi et la pressai d’en finir.
« Jette le café, ordonna-t-elle. »
Je saisis la cafetière et m’exécutai.
« Jure de ne plus jamais en boire !
- D’accord, d’accord ! fis-je, agacée.
- Non, jure.
- Je le jure ! »
La tasse parut satisfaite.
« Bien. Rince-moi et range-moi. »
J’obéis sans contester ses ordres.
« Maintenant, va te coucher. »
Je repartis, passai devant le bureau où ma mère était en train d’éteindre le film, remontai l’escalier de en prenant garde de ne pas trop faire gémir les marches de chêne, traversai le couloir et retournai dans ma chambre, où je m’enfouis sous la couette.
Maintenant, avec le recul, je me dis que mon père n’aurait jamais dû m’apprendre, deux ans plus tôt, à faire du café, surtout que je le dosais toujours mal et qu’il était donc toujours trop fort.
* : authentique.