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Auteur Sujet: Rien ne s'oppose à la nuit (Delphine de Vigan)  (Lu 1371 fois)

Hors ligne Alan Tréard

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Rien ne s'oppose à la nuit (Delphine de Vigan)
« le: 11 septembre 2020 à 14:45:30 »
Suite à la mort de sa mère, Delphine de Vigan se plonge dans l'écriture d'un récit biographique qui parcourt sa vie pour redonner un sens à un parcours brisé, martyrisé, tourmenté, accablé, sans toutefois jamais parvenir à l'équilibre tant espéré.

En ce qui me concerne, j'ai une version qui date de 2011 aux éditions JC Lattès qui fait un peu plus de 400 pages en police très large, ça se lit assez vite, c'est synthétique, on est donc loin d'une biographie complète avec les éléments précis et datés qui permettraient de retracer l'histoire d'une femme. D'ailleurs, j'ai cru comprendre que le nom de cette femme avait été anonymisé (ce qui est impossible, concrètement, en tant normal pour une biographie), et que les impressions personnelles de D. de Vigan, à propos de sa mère, sont le cœur de l'intrigue. À l'époque de sa sortie, la maison d'édition tenait absolument à publier le livre en avance pour rentabiliser l'investissement, de Vigan ayant eu à cette période de la publication un poids trop faible pour faire respecter ses propres besoins d'autrice, elle a dû se soumettre aux diktats d'une très monnayée «  rentrée littéraire », précipitant la publication de cet ouvrage inachevé dominé par des préoccupations vénales.


Malgré toutes ces vulgaires précisions sur sa sortie, le livre a eu un impact majeur sur l'expression des femmes, sur le féminisme d'aujourd'hui, celui qui fuit à tout prix la violence, celui qui parle de la souffrance des femmes. L'écriture est basée sur des principes de sincérité selon lesquels il faut combler ses proches et ses amis tant qu'ils jouent un rôle vertueux dans le cœur d'une femme, sans quoi il faut se séparer d'eux. Le père de D. de Vigan, ayant divorcé très tôt en se séparant de ses deux filles, il n'apparaît quasiment pas dans le livre. C'est donc le livre d'une femme parlant de la vie de sa mère, de ses tourmentes, à mi-chemin entre le témoignage solennel et la confidence autobiographique.

Je vous parle de ce livre car son style a révolutionné la romance au féminin. Tout ce livre fait du silence autour de la violence des hommes le problème originel du dysfonctionnement au sein des familles. D. de Vigan n'évoque en rien une prétendue « domination masculine systémique », elle reste dans un langage de vérité qui fait de la brutalité d'un seul homme la cause de la souffrance d'une seule famille ; elle estime que de réhabiliter la vérité (de parler de cette brutalité, de la remettre en question, de la montrer du doigt) reste le meilleur moyen de la déconstruire, de l'endiguer, d'arrêter sa progression. Cette opinion parcourt le livre de part en part.

C'est une lecture suffisamment romancée pour ne pas en faire une sorte d'essai militant, ce qui fait pencher le cœur de cette autrice pour le roman plutôt que pour la propagande politique. Cette sensibilité littéraire se distingue dans un goût prononcé pour l'esthétique, l'art, les considérations nuancées, la préférence stylistique. Pourtant ce livre est probablement à l'origine de nombreux mouvements de dénonciation des violences masculines dans la société, sur les réseaux sociaux, dans la vie littéraire d'actualité ; et ce, même involontairement, car, partant du principe que le tabou est dangereux, et le mensonge, la tromperie, plus terribles encore, le livre de D. de Vigan encourage implicitement à dénoncer un fait de violence masculin plutôt que de le cacher au regard de son entourage.


Voici un extrait du livre qui revient sur le rapport de sa mère, « Lucile », à sa propre histoire, à son propre vécu :

     « Je perçois chaque jour qui passe combien il m'est difficile d'écrire ma mère, de la cerner par les mots, combien sa voix me manque. Lucile nous a très peu parlé de son enfance. Elle ne racontait pas. Aujourd'hui, je me dis que c'était sa façon d'échapper à la mythologie, de refuser la part de fabulation et de reconstruction narrative qu'abritent toutes les familles.

     Je n'ai aucun souvenir que ma mère m'ait donné à entendre de sa bouche les différents événements qui ont marqué
son enfance, je veux dire qu'elle les ait évoqués dans un récit énoncé au je, qui nous aurait donné accès, au moins en partie, à sa vision des choses. Ce qui me manque au fond, c'est son point de vue à elle, les mots qu'elle eût choisis, l'ordre d'importance qu'elle eût attribué aux faits, les détails qui lui eussent appartenu. Elle évoquait parfois ces choses, la mort d'Antonin, celle de Jean-Marc, les photos de l'enfant vedette qu'elle aurait été, la personnalité de Liane ou celle de mon père, elle les évoquait avec une violence certaine, mais hors de toute narration, de toute mise en récit, comme elle aurait jeté des pierres pour nous atteindre de plein fouet ou bien se délester du pire. »


Ce que j'en pense : la dénonciation d'une vérité est parfois tout aussi dangereuse que l'inverse, et prétendre dire une vérité ne signifie pas nécessairement ne pas affabuler en retour... Pourtant c'est lorsqu'un crime est dissimulé, protégé par le mensonge, que le tort est le plus grave et que les conséquences sont d'autant plus ravageuses. Certains mensonges sont insignifiants, tandis que d'autres provoquent des désastres, et le doute doit permettre à mes yeux de juger ce qu'il est bon de confier ou non à celles & ceux pour lesquels on a beaucoup de considération !

Pourtant le livre fait à peine état des éminemment fondamentaux principes évoqués par moi-même ci-dessus à propos de la Justice, D. de Vigan semble vouloir s'en tenir à son choix littéraire de ne révéler qu'une part de la vérité : celle qu'il serait trop dangereux de garder pour elle-même. Son livre m'a également fait penser à une vengeance, comme si cette autrice avait voulu venger sa mère ; une vengeance que je répugne à éprouver personnellement plus que toute autre chose, cependant mon opinion n'est pas tranchée à propos de D. de Vigan, et le livre cache en fait beaucoup de zones d'ombre qui ne sont peut-être pas de l'ordre de la vengeance, l'incertitude se maintient et la présomption d'innocence aussi...

Je ne sais pas pourquoi le livre parle si peu de justice, et autant de famille, cela est resté sans explication. Quoi qu'il en soit, ça n'empêche pas d'en faire un écrit incontournable sur la sensibilité féminine et l'élégance d'un style distingué.


Une lecture que je conseille donc principalement à celles & ceux qui essaieraient de comprendre des questions de femmes à propos des femmes, de façon consciente et assumée, avec sagesse et sincérité ; un livre où l'émotion prend parfois le dessus sur la raison, mais dont l'autrice fait remarquer à plusieurs reprises sa préférence pour une parole de vérité rationnelle ou raisonnable plutôt que de laisser l'émotion dominer de bout en bout son humble conscience.
« Modifié: 11 septembre 2020 à 18:22:45 par Alan Tréard »
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Acini Van Herst

  • Invité
Re : Rien ne s'oppose à la nuit (Delphine de Vigan)
« Réponse #1 le: 12 septembre 2020 à 02:06:56 »
Salut,  :)

Le titre ne pouvait que m’attirer ici Alan, par contre zut ! Je ne l’ai pas lu, et je ne suis pas très récit biographique… Quelle est donc le but de ma présence ici ?

Juste une petite précision via les paroles et un lien de cette chanson « Osez Joséphine » qui a inspiré ce titre « rien ne s’oppose à la nuit ».

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.


Rien que pour le titre, ça donne envie de lire le bouquin.

Je me permets de te signaler cette phrase qui m’a paru moi obscure :

Citer
Suite à la mort de sa mère, Delphine de Vigan se plonge dans l'écriture d'un récit biographique qui parcourt sa vie pour redonner un sens à un parcours brisé, martyrisé, tourmenté, accablé, sans toutefois jamais parvenir à l'équilibre tant espéré.

La partie en gras est ton ressenti de lecteur ou ce que l’autrice a, elle, réellement ressenti et émis vis-à-vis de sa plongée dans l’écriture de ce récit consacré à sa mère ?

Je trouve que ta formulation n’est pas suffisamment claire pour que la réponse m’apparaisse de façon nette.

En attendant la résolution de cette énigme, à ciao bye bye.

Hors ligne Alan Tréard

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Re : Rien ne s'oppose à la nuit (Delphine de Vigan)
« Réponse #2 le: 12 septembre 2020 à 08:22:34 »
Bonjour Acini,


Alors, traditionnellement, les mots issus d'un livre sont cités entre guillemets (ou à la limite dans une balise quote qui a vocation à signaler une citation directement issue du texte).


Si c'est la notion de souffrance qui t'échappe, il faut bien voir que la famille de D. de Vigan a traversé des épreuves tragiques qui ont profondément marqué ses membres. Son livre se rapproche bien plus d'une tragédie grecque dans laquelle les dieux tourmenteraient les pauvres mortels plutôt que d'une histoire qui se finit bien ; « Lucile » s'étant suicidée, sa fille tente de mettre alors un sens à ce geste. Si cette autrice écrit ce livre, c'est aussi pour parler de ce qui a profondément influencé sa vie, l'effet que cela a eu sur ses propres choix d'écriture (une part du livre tend à décrire combien le temps passé avec sa mère a transformé sa propre sensibilité, son propre parcours).

D. de Vigan expose tout au long de son livre un esprit de famille auquel elle adhère personnellement, qui est d'ailleurs assez proche de l'esprit de famille que l'on retrouve dans les comédies de Molière : une vision de la famille qui raconte la tourmente de tous ses membres, de comment le mal-être des uns entraîne le malheur des autres. Lorsque sa mère est violente elle y cherche une explication, une justification, de même lorsqu'elle exprime sa propre violence à l'égard de sa mère (dans une relation tourmentée). Ce à quoi il faut ajouter que de Vigan souligne que les moments de bonheur partagé sont bénéfiques à toute la famille sans aucune exception, si le malheur est familial, le bonheur l'est également à ses yeux. Cette vision de la famille est au final assez proche de la sentence : Pour le meilleur et pour le pire.

Je ne sais pas si tu saisis mieux le sens des mots que j'ai évoqués précédemment avec mes explications (le mieux étant toujours de te faire un avis par toi-même en lisant le livre).


Enfin, si ce que tu ne comprenais pas était cette « absence d'équilibre » éprouvée par de Vigan, alors je te propose un passage extrait du livre qui évoque sa recherche de la vérité à propos de sa mère, une recherche qui n'est jamais satisfaite, comme vaine, fatalement infructueuse :

     « Je tente pourtant de reconstituer la vision [de ma mère] à partir des fragments qu'elle a livrés aux uns et aux autres, à Violette, peu de temps avant sa mort, à Manon, à moi parfois. Je recompose, certes, je comble les creux, j'arrange à ma manière. Je m'éloigne un peu plus de Lucile en voulant l'approcher. »


Une façon implicite d'admettre que sa subjectivité prime sur tout le reste. :)
« Modifié: 12 septembre 2020 à 08:36:02 par Alan Tréard »
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Hors ligne Elk

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Re : Rien ne s'oppose à la nuit (Delphine de Vigan)
« Réponse #3 le: 12 septembre 2020 à 15:56:01 »
J’ai lu ce roman (que j’aurais plutôt dit autobiographique que biographique, même s’il est un peu difficile à classer) il y a pas mal d’années déjà. J’en ai gardé un souvenir fort de la façon assez frontale que l’autrice a de remonter la vie de sa mère, en interrogeant beaucoup ses proches et en cherchant volontairement à remuer le passé, ce qui n’est pas forcément habituel comme démarche ; je me souviens que j’ai surtout été marquée par la description subjective et incomplète, bien sûr, mais très réaliste qu’elle donne de l’histoire de Lucile et en particulier de la manière dont les drames familiaux et le trouble bipolaire ont orienté sa vie. A l’image de ce qu’elle raconte de sa famille, Delphine de Vigan montre en même temps la noirceur et le bonheur, comment les deux peuvent se construire ensemble.
Je crois que je n’avais pas été complètement convaincue par la construction du roman (une alternance de chapitres racontant sa mère et de chapitres racontant son enquête auprès des proches) qui créait quelques longueurs au début.

@Alcini je crois que c'est beaucoup le titre qui m'avait attirée aussi, en plus du fait que j'avais apprécié d'autres textes de de Vigan

Acini Van Herst

  • Invité
Re : Rien ne s'oppose à la nuit (Delphine de Vigan)
« Réponse #4 le: 12 septembre 2020 à 17:02:37 »
@ petit chaton messager

Bon ta photo ressemble pas à un pti chat, étrange...  :-[

Maintenant que tu précises la question des troubles bipolaires, si je le croise sur l'étagère de quelqu'un je le lirais, bon j'irais pas jusqu'à l'acheter, comme je disais ça à l'air intéressant, mais ce n'est pas forcement le genre que j'aime à lire.

@Elk et Alan

Sinon auto et bio les 2 quoi.

Si j'ai souligné le titre, c'était tard et j'ai pas eu le réflexe de préciser pourquoi, c'est que les deux dont je parlais étaient en pleine séparation (divorce) pendant l'écriture de leurs premiers titres communs et que Bashung a une vision de la famille et un rapport aux autres assez particulier, qui rentre un peu en résonance avec le vécu familial de Delphine de Vigan, un choix pas anodin de sa part. Sans parler du texte de cette chanson.

@Alan

Merci c'est plus clair  ;)

Je me demandais si tu résumais un avant propos concernant ses choix d'écriture ou une éventuelle interview, ou si c'était le ressenti que le lecteur pouvait comprendre par des passages 'concis' (ouais c'est pas le bon mot, mais tu comprends j'espère) du bouquin.

 


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