[mercurielle]

Ecrit il y a longtemps et d'une grande naïveté au niveau SF ! . Tant pis !

Une vie de Salomon

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   Comme chacun le sait, Salomon, fils et successeur de David – lui-même fondateur de Jérusalem et déjà prophète –, régna de 973 à 935 avant Jésus-Christ. Il se consacra à l’administration, embellissant ses états et élevant le Temple de Jérusalem. Sa sagesse resta légendaire dans tout l’Orient. La tradition lui attribua, selon la Bible, les passages de L’Ecclésiaste et le Cantique des Cantiques. A la fin de sa vie, il toléra l’idolâtrie. On connaît aussi la décoration luxueuse du Temple, or, argent, ivoire, tapisseries, bois précieux à profusion, ainsi que son plan admirable, de type égyptien ou phénicien. On parle aussi d’un fabuleux trésor dissimulé quelque part, bijoux à foison ou Graal mythique ?

   Mais de cela, personne n’est sûr, et Salomon lui-même, en cette année 960 avant Jésus-Christ, ne peut rien nous dire : il ne règne que depuis treize ans sur un peuple qu’il s’attache à pacifier puis à gouverner au mieux. Certes, son esprit est féru de beauté mais son palais reste modeste : pour lui, il ne réclame rien ; les deniers vont à sa peuple ; il fait percer des rues, démolir les vieux quartiers, irriguer la campagne. De son père David il hérita quelques secrets de médecine et fonda un hôpital ; de lui également, il tient son goût de la poésie : à l’aube, avant que commence sa longue journée de travail, il prend plaisir à inscrire quelques vers sur un papyrus à la gloire de sa très chère épouse, toute neuve encore. La cérémonie des épousailles eut lieu à la dernière lune et les festivités, auxquelles le peuple fut convié, durèrent de longs jours. Mais, à ces heures matinales, elle dort encore, pelotonnée sur leur couche ; il peut la contempler tout à loisir. Que ses lèvres sont rouges, et si blanche sa peau ! Il hésite et rature, aucun mot ne suffit pour exprimer son adoration. D’un vase à long col, il se verse une rasade de vin dans un hanap de vermeil ciselé, œuvre d’un artisan orfèvre reconnaissant. Râpeux et sec, le vin rappelle les sables proches. « Vin des Sables je te nomme et décrète en ce jour en offrir une pleine jarre à celui de mes sujets qui saura se montrer le plus industrieux, que ce soit dans le domaine du commerce, de l’architecture ou des arts » et, ce disant, il lève sa coupe vers le soleil bientôt levant. Mais suspend son geste : le soleil ne se lève pas, il tombe, éclabousse la nuit finissante de mille étincelles et disparaît derrière les collines.

   Salomon se reprend : il fait nuit noire encore, ce n’était donc pas le soleil, cette boule de feu incandescente qui illumina le ciel. Des bribes de récits anciens qui le passionnèrent dans son enfance lui reviennent à la mémoire, chars ailés, dragons de feu, épées flamboyantes. Il s’enveloppe d’une cape, ceint son poignard et traverse silencieusement sa demeure. Les gardes somnolent et sa vue ne les surprend pas outre mesure : Salomon n’est-il pas coutumier de ces promenades nocturnes, se plaisant à errer entre les cyprès, veillant sur les terrasses, observant les cieux étoilés ? Non, il n’y a pas là matière à s’alarmer ! Et Salomon, à cru sur son cheval préféré, s’enfuit au grand galop. Dans la nuit moins sombre, il se fraie un chemin vers la colline. Le jour n’est pas loin lorsqu’il surgit au sommet. Son cheval, effrayé, hennit et se cabre. Salomon met pied à terre, flatte ses naseaux et lui donne une tape sur la croupe. Le cheval comprend et s’éloigne. Salomon se dissimule derrière un buisson et, de tous ses yeux, regarde.

-   "Pas trop de dommage, Iks ?
-   Ça ira, Ele. Plus de peur que de mal.
-   Crois-tu pouvoir réparer rapidement ?
-   Je m’y attelle tout de suite.
-   Tu sais qu’il faut éviter toute approche.
-   Bien sûr, mais ils ne peuvent pas grand-chose contre nous. Les contacts précédents nous l’ont prouvé.
-   Ce n’est pas une raison. Leur soleil va se lever et une grande cité s’étend non loin d’ici. Suppose qu’on ait vu…
-   Que pourront-ils en conclure ? Que le soleil est tombé ! Et il s’apprêteront à faire des sacrifices à leurs dieux. Mais avant que le sang de la première bête coule, le soleil surgira à l’horizon et ils se jetteront à plat ventre dans la poussière pour adorer un astre indifférent, ils crieront au miracle, ce qui ne les empêchera pas d’immoler leurs bêtes pour le remercier encore et encore. Non, vois-tu, ces gens-là sont bien arriérés.
-   Les contacts ne leur ont-ils donc rien appris ?
-   Trop sporadiques. Et pour un humain initié, combien d’ignorants ? Songe un peu à la grandeur de cette planète, aux innombrables peuplades !
-   Mais les initiés ne peuvent-ils rendre compte de leurs expériences, voyager et raconter ce qu’ils savent ?
-   Peut-être le font-ils. Mais les croit-on ? Qu’ont-ils comme preuves ? Nous ne laissons jamais de traces matérielles. Alors ? La parole suffit-elle ? Il appellent cela des prodiges, des interventions divines, que sais-je… "

Iks et El avaient contourné leur engin posé de guingois au fond d’une cuvette naturelle. Aux environs, dans un rayon d’une centaine de mètres, la végétation achevait de se carboniser. Un éclair fusa de l’objet qu’ils tenaient à la main – la main ? – et les parties endommagées se reconstituèrent sous les yeux de Salomon médusé. Il faisait jour désormais et il distinguait parfaitement les deux hautes silhouettes d’argent qui flottaient à ras du sol ou s’élevaient brusquement. Tel des oiseaux, ces êtres volaient mais il n’apercevait pas les ailes. Ils parlaient aussi, en un bien étrange langage. Salomon n’avait pas peur mais lutta contre son désir de se dévoiler. Il avait appris à ses dépens que l’impulsivité est nuisible dans la conduite de la vie ; de même qu’il tournait sept fois sa langue dans la bouche avant de parler, de même il tournait sept fois un projet dans sa tête avant de le réaliser. Les autres continuaient à converser.

-   "L’humain est toujours là.
-   Qu’il s’instruise !
-   On pourrait l’y aider.
-   Te voilà bien généreuse, El. Ou bien brûles-tu d’envie de lui montrer une miette de ta puissance ?
-   Ils nous sont bien utiles, ces humains, leur planète en tout cas ! Il serait juste qu’en contrepartie…
-   Si ça t’amuse… Après tout, notre contact étant involontaire, nous ne contournons pas la loi. Tu as carte blanche."

   Salomon ouvrit les yeux. Il était couché sur il ne savait quoi, il ne savait où. Mais cela lui importait peu. Il se sentait frais et dispos, comme après un bain et un massage, et son esprit, clair et lucide, enregistra la présence à ses côtés des autres. Il les voyait mieux maintenant et comprit qu’ils étaient revêtus d’une armure brillante – une armure ? –, peut-être en argent. Leur visage se dissimulait en partie derrière un casque – un casque ? – sous une surface transparente sur le devant. Derrière, il devinait des yeux, un nez, une bouche. Pour le reste, ils paraissaient semblables à lui-même, avec des mains sous l’armure – tout à l’heure, de loin, il avait mal vu – qui, en ce moment précis, passaient et repassaient sur son front. Ces mains qui lui procuraient cette sensation de bien-être. L’un des autres se saisit d’un objet carré en métal précieux sans doute, pourvu de boutons multicolores qui clignotaient, s’éteignaient, se rallumaient et le fascinaient. Et l’objet se mit à parler en même temps que la bouche d’un des autres s’ouvrait, à parler dans sa propre langue ! On lui disait de ne pas s’effrayer, tout allait bien, il avait eu la chance de se trouver là au bon moment. Salomon voulut préciser qu’il avait fait tout ce chemin exprès mais la voix lui conseilla de ne pas l’interrompre, il pourrait s’exprimer plus tard. Elle lui apprit que ces autres venaient des étoiles, d’un endroit habité semblable à cette planète. Elle lui révéla qu’on pouvait voyager dans le ciel, pas seulement dans ce petit ciel bleu de Judée, mais aussi dans l’espace infini. Il apprit aussi que grâce à une boîte fixée à la ceinture, on pouvait se déplacer dans les airs sur de courtes distances. La voix lui enseigna l’électricité, l’apesanteur, et bien d’autres choses… Salomon ne s’étonna de rien. Que c’était simple, en fin de compte ! Encore suffisait-il d’y penser… Il se promit de ne rien oublier.

-   "As-tu des questions, Ami ?
-   Tant et tant qu’il est inutile de les poser. Mais j’ai bien saisi que l’univers recèle des merveilles. J’envie mes descendants qui vivront un jour dans un monde où ce qui paraît stupéfiant aujourd’hui sera aussi courant que la monnaie que je fais battre.
-   Les envier ? Ils seront à plaindre plutôt, ceux qui ne sauront plus s’émerveiller. C’est toi qu’ils admireront, le faiseur de prodiges. Car, rentré chez toi, tu mettras en pratique ce que nous t’avons appris et, dans les siècles des siècles, ils chercheront en vain à expliquer tes œuvres. Dans un avenir plus immédiat, ton entourage s’inclinera devant tes miracles.
-   Mais ce ne sont pas des miracles ! Je créerai un gymnase, y dispenserai des cours et les élèves ainsi formés, transmettront à leur tout ce savoir.
-   Tu te heurteras à l’ignorance, Ami, à la peur, à la stupidité, à la superstition. Tu crieras en vain dans le désert, tes ennemis te détracteront, tes amis te fuiront et tu te retrouveras seul, le bâton de pèlerin à la main, sur un bien long chemin. Non, Ami, n’agis pas ainsi. Il existe une meilleure façon de rendre service à ton monde et à ton peuple : n’explique rien, contente-toi de faire. Si on s’étonne, dis que les dieux t’ont visité pendant ton sommeil. Ne souris pas, n’est-ce pas un peu vrai ? Ainsi, et seulement ainsi, on te croira. Il n’est pas encore venu, le temps de la raison. Suis mon conseil, Ami. Toi et ton peuple vous en porterez bien. Et dis-toi qu’il est vaste, le monde des cieux, et comporte mille autres merveilles."

   Salomon, à son retour, trouva le palais en émoi, sa promenade ayant duré plus que de coutume. Il calma les esprits et gagna la chambre des bains où il se fit laver et oindre. Il revêtit une tunique de lin pourpre avant de rendre visite à son épouse qui, prévenue de son arrivée, s’apprêtait pour le recevoir. La servante qui enduisait la chevelure de sa maîtresse de graisse de chameau afin de la protéger de l’air sec du désert, fut priée de se retirer.

-   "Que tu es belle, ô ma bien-aimée !
-   Toi, mon Seigneur, le vent de la course anime tes chers traits et tes yeux lancent des éclairs. Es-tu heureux ?
-   Je le suis. Vois-tu, il m’est venu un grand projet qui donnera de l’ouvrage à mon peuple et embellira la cité : je vais faire construire un Temple.
-   Un de plus ?
-   Ne te moque pas. Celui-là sera le Temple de Salomon. Il sera différent des autres. Le toit sera lambrissé en bois de cèdre, recouvert d’une dorure épaisse et garni d’un bout à l’autre de longues lames de fer ou d’acier pointues et dorées, vingt-quatre en tout…
-   Ainsi, les oiseaux ne pourront plus se poser sur le toit et n’y laisseront point tomber leur fiente ?
-   … et les faces du Temple seront aussi recouvertes de bois fortement doré
-   Splendide !
-   … et sous le parvis, je placerai des citernes dans lesquelles l’eau de pluie se déversera par des tuyaux métalliques… 
-   Je pourrai faire mes dévotions à pied sec !
-   … et le Temple ne sera jamais touché par la foudre. Lorsque les feux sacrés auront été allumés sur l’autel, une trompette de pierre donnera un signal et les fidèles accourront. Les grandes portes s’ouvriront d’elles-mêmes, une pluie fine d’eau parfumée tombera, tandis que des oiseaux de métal ouvriront leur bec et feront entendre un chant suave. Je ferai dresser des images métalliques de nos dieux qui s’élèveront vers les voûtes, des statues qui resteront suspendues en l’air. Les lampes s’allumeront d’elles-mêmes…
-   Ce ne sera plus un Temple mais un lieu de mystères. Je te sais ingénieux mais je doute que ta science te permette de réaliser ces tours magiques !
-   Et je ferai bien d’autres choses encore, j’inventerai un verre incassable, au risque de détrôner l’or et l’argent. Je construirai des vaisseaux qui se déplaceront dans les airs à volonté. Je taillerai une statuette pour mon chariot de combat, incrustée d’une pierre magnétique qui m’indiquera toujours le Sud. Je graverai sur mes tablettes la numération par bâtonnets, l’addition, la multiplication et la division, la liste des carrés et des cubes des nombres…
-   Ne continue pas, Salomon ! Tu tiens un langage inconnu qui m’effraie.
-   Faible femme ! Ton nom sera Boaz et je te ferai sculpter dans le bronze recouvrant le bois sur une colonne devant le portail du Temple. Sur l’autre colonne figurera Jakin, l’homme fort. Je creuserai des souterrains et j’élèverai des fauves qui serviront aux épreuves d’initiation.
-   Quelles seront donc, ces épreuves ?
-   Celles de la science secrète que tu appelles magie. Pour te complaire, je transformerai ta vie quotidienne. Tu écriras avec une plume de métal fendu, je te construirai un clepsydre qui te réveillera le matin, je chaufferai les thermes du palais avec du pétrole amené à dos d’animal depuis les bords de la mer Caspienne. Tu ne monteras plus les escaliers à pied mais dans une machine ascendante. Je t’apprendrai à imiter les éclairs et le tonnerre pour te faire respecter des dames du palais…   
-   Je n’en demande pas tant, Salomon ! Quelle agitation ! Calme-toi, cher amour !
-   Me calmer ? Me calmer alors que…
-   Alors que quoi ? Je ne te reconnais pas. Toi, l’esprit sage, te voilà atteint d’un délire furieux, tu arpentes mon tapis à grands pas, tu gesticules, tu effeuilles mes roses ! Tiens, tu as renversé ma cassolette de nard, la dernière. Et la caravane ne reviendra pas de sitôt, long est le voyage en Orient. Comment faire, maintenant ?
-   Ne pleure pas, ma douce aimée ! Je te fabriquerai un parfum unique. Le nard et le myrrhe et l’encens, peuh ! Pour toi, ma colombe, j’inventerai une odeur sans pareille, celle des prairies un matin de printemps. Viens, ne parlons plus et aimons-nous. "

   Salomon se calma. Et redoubla de sagesse. Mais il réalisa tous ses projets, et bien d’autres, hélas oubliés. Il consigna son savoir sur des tablettes de bois tendre qui vinrent rejoindre, au fond d’une cassette faite de sept couches alternées de bronze et d’or, une montre, une marmite à vapeur, une lampe électrique, une carte du ciel austral, une autre du globe terrestre, un briquet, un scalpel et des carrés de bouillon concentré.

   A sa mort, on plaça le coffret à ses côtés, dans la tombe creusée sous le parvis du Temple. Survinrent Nabuchodonosor, Crassus et Titus, qui pillèrent le monument, le ruinèrent et, pour finir, le rasèrent totalement. Plus rien ne subsiste d’un savoir prodigieux, à vrai dire impensable pour l’époque. On ne peut qu’avancer des hypothèses, se perdre en conjectures. Et c’est ainsi que naissent les légendes et le mythes : Temple légendaire, pouvoir miraculeux… Qu’attendre d’autre d’un homme qui écrivit dans la Bible ?

Dans la Bible, vous pensez !

_ _ _ FIN 
   

[Béatrice M]

Je trouve ce texte vraiment plaisant à lire, merci du partage

[mercurielle]

C'est toujours agréable d'être lu(e). Merci !

C'est l'un de mes premiers textes "fantastiques et SF". Je l'écrirais sans doute autrement aujourd'hui ou même ne l'écrirais plus du tout.

Mais j'ai tout gardé dans mes tiroirs. Et j'ai un regard assez sévère sur mes débuts d'écrivaine... 

[Béatrice M]

Avoir un regard sévère sur sur ces débuts c'est bon pour évoluer, comme moi pour mon premier roman genre thriller je n'en suis que à moitié satisfaite, celui qui sera bientôt publier, actuellement en relecture, me semple mieux à profiler quelques détails.
Bises amicales

[mercurielle]

Alors, bon courage !

Car le pire, dans l'écriture, c'est la relecture et les corrections.

[Béatrice M]

Merci je confirme

[Basic]

Bonjour,

Salomon et les ET.
Il n'est pas si mal ce texte de te débuts, maintenant on voudrait du neuf. ( un petit smiley pour suivre les conseils d'une camarade du forum    )
J'avais oublié une formule nécessaire, dans le cadre de l'entraide et du travail du texte, un commentaire sur le tien

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.

B

[mercurielle]

Merci, B ! 

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.

[Basic]

Quel dommage ! En tout cas celui-ci était plaisant.

B

[mercurielle]

J'aimerais bien si possible avoir ton avis sur l'autre texte que j'ai posté ici en revenant. Rien à voir avec des écrits d'invention.

https://monde-ecriture.com/forum/index.php?topic=44056.0

Avant-propos à une bio, écrite et enfermée dans un tiroir.