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Auteur Sujet: J'ACCUSE (Roman Polanski)  (Lu 8732 fois)

Hors ligne Champdefaye

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J'ACCUSE (Roman Polanski)
« le: 30 novembre 2019 à 13:58:04 »
Critique aisée n°185

J'ACCUSE
Roman Polanski - 2019 -132 min.
Jean Dujardin, Emmanuelle Seigner, Louis Garrel, Mathieu Amalric, Melvil Poupaud, Vincent Perez... et une petite moitié de la Comédie Française (Grégory Gadebois, Hervé Pierre, Didier Sandre, Eric Ruf, Laurent Stocker, Michel Vuillermoz, Denis Podalydes, Laurent Nastrella, Bruno Raffaelli)


 Je vais vous parler du dernier film de Polanski, et c'est tout. Mais vous savez bien qu'avant d'entrer véritablement dans une critique, je ne peux faire autrement que de tourner un peu autour du sujet, juste pour m'échauffer. Alors, patience...

« La justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique. »

L'attribution de ce célèbre aphorisme à Georges Clémenceau semble pleinement justifiée quand on se rappelle que le bonhomme avait sacrément de l’esprit et qu'il avait milité en faveur du Capitaine Dreyfus alors qu’il était journaliste à L’Aurore. Je ne pense pas trop m’avancer — mais après tout je ne suis pas historien — en disant qu’au moment où Zola publiait son « J’accuse... ! » dans l’Aurore, Clemenceau y plaçait sa célèbre sentence sur la justice militaire.

L’affaire Dreyfus ! A part une bonne moitié de la population, qui n’a pas entendu parler de cette affaire ? Pour l'autre moitié, la petite, l'affaire Dreyfus évoque l'antisémitisme, l'injustice faite au Capitaine Dreyfus, son séjour au bagne de l'Ile du Diable au large de Cayenne, le J'accuse...! de Zola et à la rigueur sa réhabilitation finale. Pour ceux qui, dans cette petite moitié, s'étaient intéressé un peu plus à l'affaire, les noms du Colonel Picquart et du Commandant Henry y était associés, sans qu'ils se souviennent précisément de leur rôle.

Il se trouve qu'un sujet britannique a écrit un roman intitulé "An officer and a spy" édité en français en 2014 sous le titre "D". Excellent roman recommandé par les critiques du Masque et la Plume, je l'avais acheté et lu aussitôt. Et je le recommande à mon tour. On y apprend les incroyables péripéties de cette affaire. Dans quelle mesure sont-elles romancées, je ne peux pas le dire, mais comme indiqué plus haut, après tout je ne suis pas historien. Et de toute façon, pour préserver l'intérêt du film, je ne compte pas vous les raconter. Je veux juste rappeler qu'il a fallu 12 années pour que cette affaire trouve sa solution finale après que D ait passé 4 ans et demi à l'Ile du Diable. D'ailleurs, regardez cette chronologie :

Septembre 1994 : découverte de l'existence d'un espion dans l’Armée Française.
Décembre 1894 : condamnation du capitaine Dreyfus
Janvier 1895 : dégradation de Dreyfus
Février 1895 : embarquement de Dreyfus pour Cayenne
Mars 1896 : le Lt-Col. Picquart découvre que le vrai traître est le Cdt Esterhazy
Janvier 1897 : Picquart est écarté et envoyé en Afrique
Janvier 1898 : procès et acquittement d’Esterhazy
Janvier 1898 : Zola publie J’accuse...! dans l’Aurore
Février 1898 : condamnation de Zola
Septembre 1898 : Picquart est emprisonné
Juin 1899 : cassation du premier jugement contre Dreyfus
Juin 1899 : Dreyfus est ramené en France
Aout 1899 : Conseil de guerre à Rennes
Septembre 1899 : Dreyfus condamné à nouveau à 10 ans
Septembre 1899 : grâce présidentielle.
Novembre 1903 : Dreyfus demande la révision de son procès
Juillet 1906 : cassation sans renvoi du jugement de Rennes
Juillet 1906 : réhabilitation de Dreyfus. Réintégration dans l’armée
Juillet 1906 : réhabilitation de Picquart. Réintégration dans l’armée

Impressionnant, non ?

Bon, maintenant, on va pouvoir entrer dans le film.

On y entre avec une scène impressionnante d'ampleur et de sobriété : la dégradation publique du Capitaine Dreyfus dans la cour de l'École militaire. Dans un immense espace, silencieux et gris, à peine luisant d’une ancienne pluie et bordé d’un quadruple rang de soldats figés au garde-à-vous, le Capitaine Alfred Dreyfus, convaincu de haute trahison, est dégradé inexorablement : les ors de son képi sont de ses épaulettes sont arrachés en même temps que les boutons de sa tunique, son sabre est brisé et jeté au sol avec les vestiges de son honneur. L’homme est raide, tendu, secoué parfois d’un tremblement, outré par l’injustice et l’affront qui lui sont faits. Autour de lui, des officiers observent la cérémonie. Tout dans leur comportement montre leur approbation de la violence de cette justice qui s’accomplit devant eux, tant ils sont persuadés de la culpabilité du capitaine. Bien que cette magnifique scène soit l’une des seules qui se passe en extérieur, elle donne le ton du film : sobriété (presque pas de mouvement de caméra, absence de musique de fond, pas de voix off, Dieu merci !), raideur morale, impassibilité, pesanteur, engoncement des silhouettes, maladie des officiers, antisémitisme régnant.

Le Lieutenant-Colonel Picquart qui assiste à la dégradation n'est pas différent des autres, raide, impassible, massif, convaincu, antisémite. Mais c'est par lui, grâce à sa rigueur morale et son obstination, que viendra la libération puis la réhabilitation de Dreyfus.
Il semble que des historiens reprochent au film la trop grande importance donnée à Picquart dans cette réhabilitation, alors que la famille Dreyfus y aurait grandement participé. Ils ont sans doute raison, mais sur le plan cinéma, peu importe. On a également reproché au film de ne pas avoir assez montré le déchirement de la société française pendant ce que l'on appelait tout simplement "L'Affaire". Il est vrai que le film le montre assez peu, en quelques scènes éclair, mais encore une fois, sur le plan cinéma, peu importe.

Peu importe parce que là n'était pas le sujet choisi par Harris dans son roman, puis par Polanski pour son film. Le sujet, c'est la longue enquête obstinée d'un honnête homme dans le milieu poussiéreux et étouffant de l'armée de la fin du XIX siècle. Les décors, ce sont les bureaux vétustes et les couloirs poussiéreux du service de contre-espionnage, les galeries interminables et les ors des bureaux ministériels, les salles bondées des tribunaux militaires. Les prises de vue, ce sont des pénombres éclairées par des rayons de lumière poussiéreuse, et des jours gris. La mise en scène, c'est une mécanique impeccable qui dans une histoire dont tout le monde connait la fin, arrive à ménager le suspense. L'interprétation est impressionnante, par le jeu de Jean Dujardin tout d'abord et ensuite grâce à une distribution prestigieuse (voir ci-dessus) qui n'est pas venu là pour cabotiner. Est-ce dû à l'ingénieur du son, est-ce dû à la qualité des comédiens ou à l'absence de musique de fond, mais on ne perd pas un mot des dialogues.

Le film est d'une qualité rare, parfaitement écrit, dirigé, photographié et interprété et, du coup, passionnant.
« Modifié: 01 décembre 2019 à 06:57:35 par Champdefaye »

Hors ligne Ocubrea

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Re : J'ACCUSE (Roman Polanski)
« Réponse #1 le: 01 décembre 2019 à 17:00:42 »
Salut Champdefaye, merci pour ce résumé et cette critique !

(Petite remarque : au début de ta chronologie tu écris 1994 au lieu de ce que je suppose être 1894 ;))

Sinon je n'ai pas vu le film, j'aimerais bien... Ma mère l'a vu et a beaucoup aimé, et j'adore Dujardin.
Maintenant, j'avoue qu'avec toute la polémique actuelle autour de Polanski, j'hésite :mrgreen:
(Ouille ouille ouille, je me demande si je ne suis pas en train d'ouvrir la boîte de Pandore ici...).
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Hors ligne Meilhac

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Re : J'ACCUSE (Roman Polanski)
« Réponse #2 le: 01 décembre 2019 à 18:28:43 »
moi j'avais vu "pirates", j'avais semi-kiffé. j'avais trouvé ça pas trop mal mais sans plus, avec quand même quelques scènes marquantes mais pas forcément des images sublimes.


Hors ligne Erwan

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Re : J'ACCUSE (Roman Polanski)
« Réponse #3 le: 01 décembre 2019 à 19:52:04 »
[...]
Il semble que des historiens reprochent au film la trop grande importance donnée à Picquart dans cette réhabilitation, alors que la famille Dreyfus y aurait grandement participé. Ils ont sans doute raison, mais sur le plan cinéma, peu importe. On a également reproché au film de ne pas avoir assez montré le déchirement de la société française pendant ce que l'on appelait tout simplement "L'Affaire". Il est vrai que le film le montre assez peu, en quelques scènes éclair, mais encore une fois, sur le plan cinéma, peu importe.
[...]

Oui peu importe, les historiens nous enquiquinent. La réalité historique, le cinéma s'en fout  ::). D'ailleurs tout le film est faux, car l'affaire Dreyfus n'a jamais existé, en fait il s'agit d'une fake-news inventée par les historiens pour décrédibiliser ce beau film de fiction. Bref, bien sûr que si ça importe, car c'est un film historique avant tout (ou qui se veut comme tel).

Mais bon, je n'irai pas le voir, donc je m'en fous un peu. Et il y a plein d'autres bons films faits par des gens cools ^^.

Hors ligne Champdefaye

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Re : J'ACCUSE (Roman Polanski)
« Réponse #4 le: 02 décembre 2019 à 10:44:33 »
Erwan
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D'ailleurs tout le film est faux, car l'affaire Dreyfus n'a jamais existé, en fait il s'agit d'une fake-news inventée par les historiens pour décrédibiliser ce beau film de fiction. Bref, bien sûr que si ça importe, car c'est un film historique avant tout (ou qui se veut comme tel).

Il y a des choses qu’il faut comprendre en matière d'Histoire. L'une de ces choses est qu'il n'y a pas de réalité historique. L'Histoire rapportée par les historiens est toujours affectée de la sensibilité de celui qui la rapporte. L'histoire racontée par Tite-Live n'est pas la même que celle de Suétone. L'Histoire de France racontée par Michelet n'est pas celle que raconte un historien anglais ou allemand. Il y a donc toujours un biais, de bonne ou de mauvaise foi. Il y a quelques jours une émission d'une heure dans laquelle deux historiens débattaient de l'Affaire Dreyfus autour du film de Polanski, l'un soutenant que le roman de Harris, donc le film de Polanski qui le suit pas à pas, était très représentatif de la réalité des évènements et des motivations et l'autre soutenant qu'il comportait des erreurs ou des insuffisances, notamment en ce qui concerne le rôle du frère de Dreyfus. Discussion interessante, passionnée, argumentée, mais pas de conclusion, d'ailleurs, je préfère.

Il y a des choses qu'il faut comprendre en matière de film, comme en matière de littérature, c'est que, par opposition au documentaire (ou à l'essai historique), le film (ou le roman) se doit d'adopter un point de vue, celui du narrateur omniscient ou par exemple celui de l'un des personnages, et ce n'est pas parce que, selon l'expression consacrée, le narrateur est qualifié d'omniscient qu'il sait tout. Quand le roman se situe dans une certaine époque ou un certain épisode historique, il n'est pas nécessaire, et ce n'est d'ailleurs pas le but de l'auteur, d'embrasser et de décrire la totalité des aspects de cette époque.

Le livre de Robert Harris, "D", dont a été tiré très fidèlement le scénario de J'ACCUSE, s'intitulent "Roman", pas "Essai historique". La dispute entre historiens que j'ai évoquée plus haut établit cependant le sérieux des recherches qui ont précédé la rédaction du roman.
Ce livre, et le film à sa suite, ont choisi de façon assumée le point de vue de Picquart. Lui reprocher d'avoir commis quelques erreurs historiques (erreurs pour certains, réalités pour d'autres) n'a pas de sens.

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Et il y a plein d'autres bons films faits par des gens cools

Je l'ai dit, sur le plan cinématographique, le film de Polanski est une réussite. Mais c'est vrai qu'il y a plein d'autres films cool : Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu, 1, 2, 3 et 4, Les Tuches 1, 2, 3 et 4, Harry Potter 1, 2, 3 et 4, Les transformers 1, 2, 3 et 4...

Meilhac
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moi j'avais vu "pirates", j'avais semi-kiffé. j'avais trouvé ça pas trop mal mais sans plus, avec quand même quelques scènes marquantes mais pas forcément des images sublimes.

Comme tous les grands réalisateurs, et Polanski en est un très grand, il a connu quelques échecs. Sans compter les courts ou moyens métrages, Polanski a tourné une vingtaine de films. Quelques échecs, dont Pirates, beaucoup de réussites, dont Le Bal des Vampires, Rosemary's baby, Lune de fiel, Carnage, La Vénus à la fourrure, Ghostwriter, et quelques chefs d'œuvre, dont Cul de Sac, Chinatown, Le Pianiste...
Je range J'ACCUSE dans les réussites.

Ocubrea
Merci tout d'abord pour le signalement de la coquille ; c'est corrigé.
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je me demande si je ne suis pas en train d'ouvrir la boîte de Pandore ici..
Tu abordes avec discrétion le sujet de la polémique qui s'est développée à l'occasion de la sortie de J'ACCUSE : faut-il voir ou ne faut-il pas voir le film en raison des accusations qui pèsent sur le réalisateur ?
Je m'attendais d'ailleurs à davantage de réaction, et des plus vives, sur cette question.

Quand ce genre de question se pose au sujet de Roman Polanski, Woody Allen, Louis-Ferdinand Céline, j'ai toujours la même réponse : tant que l'œuvre de l'artiste contesté sur le plan de sa conduite personnelle ne fait pas l'apologie de ses actes ou pensées répréhensibles, je vais voir les films de Polanski, Allen et je lis les romans de Céline.
Pas plus que je ne juge un roman ou un film sur son sujet, mais sur la façon de le traiter, je pense qu'on ne doit juger une œuvre d'art d'après la vie ou ce que l'on croit connaitre de la vie de l'artiste.
Tu peux aller voir J'ACCUSE. D'ailleurs tu ne seras pas toute seule. A fin novembre, le film était en deuxième position avec environ 900.000 entrées, derrière La Reine des Neiges avec près de 3 millions d'entrées. Mais c'est Noël.
« Modifié: 02 décembre 2019 à 10:47:50 par Champdefaye »

Hors ligne Erwan

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Re : Re : J'ACCUSE (Roman Polanski)
« Réponse #5 le: 02 décembre 2019 à 12:59:15 »
[...]
Il y a des choses qu’il faut comprendre en matière d'Histoire. L'une de ces choses est qu'il n'y a pas de réalité historique. L'Histoire rapportée par les historiens est toujours affectée de la sensibilité de celui qui la rapporte. L'histoire racontée par Tite-Live n'est pas la même que celle de Suétone. L'Histoire de France racontée par Michelet n'est pas celle que raconte un historien anglais ou allemand. Il y a donc toujours un biais, de bonne ou de mauvaise foi.
[...]
Je m'attendais d'ailleurs à davantage de réaction, et des plus vives, sur cette question.
[...]
Tu peux aller voir J'ACCUSE. D'ailleurs tu ne seras pas toute seule.
[...]

Oui, l'historien porte un regard subjectif, et alors ? Est-ce une raison pour dire que "peu importe" ce qu'en disent les historiens, comme si un film historique peut raconter l'histoire n'importe comment, ça n'a pas vraiment d'importance. Au contraire, la critique est essentielle, et importe parfois même plus que le film lui-même.

Pour le fait qu'on peut aller le voir, certes on peut. Comme tu l'as dit il y a beaucoup de personnes qui l'ont vu, et encore bien plus qui n'iront pas le voir. Bref... C'est un choix d'éthique personnelle, il n'y a pas vraiment grand chose à retirer d'une polémique stérile, c'est sûrement pourquoi personne ne s'y engage.

Hors ligne Champdefaye

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Re : J'ACCUSE (Roman Polanski)
« Réponse #6 le: 02 décembre 2019 à 18:29:47 »
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Il y a beaucoup de personnes qui l'ont vu, et encore bien plus qui n'iront pas le voir.
Il fallait effectivement qu’une telle vérité soit dite.

Je ne suis pas un critique professionnel qui, tel Xavier Leherpeur de Canal + et Ciné Live ou Fabienne Pascaud de Télérama, juge les films ou les pièces de théâtre sur les intentions de l’auteur. J’essaie, moi, de les juger sur le résultat obtenu sur le plan cinema, theatre, spectacle. Je l’ai dit dans ma critique : sur le plan cinéma, J’ACCUSE est parfaitement réussi. J’en aurais dit autant d’Asterix etCléopâtre, le film d’Alain Chabbat : bien que bourré d’intolérables erreurs historiques, il était sur le plan cinéma parfaitement réussi. Gunfight at the OK Corral de John Sturges, pareil. Henri V de William Shakespeare, itou.

Hors ligne Marcel Dorcel

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Re : J'ACCUSE (Roman Polanski)
« Réponse #7 le: 03 décembre 2019 à 06:28:27 »
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Quand ce genre de question se pose au sujet de Roman Polanski, Woody Allen, Louis-Ferdinand Céline, j'ai toujours la même réponse : tant que l'œuvre de l'artiste contesté sur le plan de sa conduite personnelle ne fait pas l'apologie de ses actes ou pensées répréhensibles, je vais voir les films de Polanski, Allen et je lis les romans de Céline.
Pas plus que je ne juge un roman ou un film sur son sujet, mais sur la façon de le traiter, je pense qu'on ne doit juger une œuvre d'art d'après la vie ou ce que l'on croit connaitre de la vie de l'artiste.

+1000 !
J'avais justement peur que ton topic ne fasse l'objet d'une polémique sur l'auteur et non sur le film lui-même. Si j'ai l'occasion, j'irais le voir.
Sur le fond, au-delà de la question de l'anti-sémitisme, la question reste entière: est-ce que la raison d'état doit-elle supplanter la justice ?
Dans les archives figure un cliché unique ( pris de loin) de la dégradation D'Alfred Dreyfus le 5 janvier 1895. Alors me revient en mémoire lors d'une radioscopie de Chancel, les paroles d'un ancien grand résistant, à la question de Chancel sur le sort qu'il aurait décidé sur le cas Pétain. Et de répondre qu'il aurait fallu au lieu de l'envoyer en exil sur l'île d'Yeu, le dégrader sur une place militaire et le renvoyer finir ses jours à demeure. Le châtiment le plus ultime. 
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 Croyez-vous que je me sois donné la peine de me lever tous les jours de ma vie à quatre heures du matin pour penser comme tout le monde 
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Re : J'ACCUSE (Roman Polanski)
« Réponse #8 le: 03 décembre 2019 à 11:23:54 »
Quand ce genre de question se pose au sujet de Roman Polanski, Woody Allen, Louis-Ferdinand Céline, j'ai toujours la même réponse : tant que l'œuvre de l'artiste contesté sur le plan de sa conduite personnelle ne fait pas l'apologie de ses actes ou pensées répréhensibles, je vais voir les films de Polanski, Allen et je lis les romans de Céline.
Pas plus que je ne juge un roman ou un film sur son sujet, mais sur la façon de le traiter, je pense qu'on ne doit juger une œuvre d'art d'après la vie ou ce que l'on croit connaitre de la vie de l'artiste.
Tu peux aller voir J'ACCUSE. D'ailleurs tu ne seras pas toute seule. A fin novembre, le film était en deuxième position avec environ 900.000 entrées, derrière La Reine des Neiges avec près de 3 millions d'entrées. Mais c'est Noël.

Là dessus, nos opinions diffèrent. Je pars du principe que dans le monde actuel, notre influence sur la société est avant tout dictée par la manière dont nous "consommons". On peut faire toutes les manifestations du monde et aller voter à chaque élection qui se présente, rien n'a autant d'impact sur la voie que prend notre société que ce que nous choisissons d'acheter, d'écouter ou de voir. Et personnellement, j'ai beaucoup de mal à l'idée que mon argent aille dans la poche de quelqu'un qui viole les principes fondamentaux auxquels je crois (je ne parle pas ici forcément de Polanski en particulier, mais aussi d'autres auteurs, chanteurs ou réalisateurs dans le même genre de cas). J'ai conscience de me priver de quelque chose, l'affaire Dreyfus m'intéresse et j'étais super contente de voir qu'un film allait sortir avant de voir qui en était à l'origine... Je ne nie pas que Polanski est un grand réalisateur, mais je ne mettrai pas d'argent dans ses poches ou dans celles de ceux qui s'associent avec lui.

Maintenant comme dit Erwan c'est une opinion très personnelle, je connais les contre-arguments et je respecte ceux qui jugent une œuvre sur son contenu et pas sur le contenu de la tête de son auteur. Je ne critique pas le fait d'aller voir ce film, je comprends tout à fait... Mais je passe mon tour :)
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Re : J'ACCUSE (Roman Polanski)
« Réponse #9 le: 19 décembre 2019 à 02:03:05 »
Salut !

Je me permets de bondir sur deux trois trucs. Faudrait quand même pas lire n'importe quoi. Il y a des choses qu'il faut comprendre vous savez...

Histoire de...
Citer
Il y a des choses qu’il faut comprendre en matière d'Histoire. L'une de ces choses est qu'il n'y a pas de réalité historique.
L'autre, aussi importante sinon plus, est qu'il y a des faits historiques incontestables, des sources écrites, des archives archéologiques et des méthodes d'investigation qui permettent l'objectivation et qui permettent différents éclairages (non arbitraires) des réalités historiques.
Faire croire que l'Histoire sort de la tête des historiens est au mieux une méconnaissance parfaite de la science historique et des progrès qu'elle a fait depuis l'antiquité jusqu'au successeurs de l’École des Annales, au pire une malhonnêteté. De même que laisser penser que le scepticisme et l'humilité méthodologiques des historiens contemporains permettent un relativisme absolu des points de vu sur les réalités historiques.
La démarche critique n'ouvre pas pour autant droit à toute vérité et contre vérité. En matière d'histoire comme en bien d'autres.

Cinéma du réel
Citer
Il y a des choses qu'il faut comprendre en matière de film, comme en matière de littérature, c'est que, par opposition au documentaire (ou à l'essai historique), le film (ou le roman) se doit d'adopter un point de vue
Tu sembles aussi historien que cinéaste alors. Le clivage entre documentaire et fiction est un faux clivage en matière d'écriture du réel. Le documentaire revendique presque toujours l'expression d'un point de vue d'auteur sans pour autant rejeter l'ambition de convoquer le réel et la fiction n'a pas moins cette ambition que le documentaire.
La question que soulève Erwan est celle de la justesse, voire de la justice, à mon avis, pas celle du caractère illusoirement fictif ou documentaire de l’œuvre.

Polémique

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Quand ce genre de question se pose au sujet de Roman Polanski, Woody Allen, Louis-Ferdinand Céline, j'ai toujours la même réponse : tant que l'œuvre de l'artiste contesté sur le plan de sa conduite personnelle ne fait pas l'apologie de ses actes ou pensées répréhensibles, je vais voir les films
C'est bien pratique. Mais la question soulevée à mon avis n'est pas non plus celle à laquelle tu réponds. Ce n'est pas celle de savoir si le film est bien ou non. Il y a plus d’œuvres qui méritent d'être vues qu'un homme n'en pourra jamais voir dans sa vie. C'est donc plutôt celle de donner son argent et son soutien à un agresseur sexuel (pédophile) possiblement multirécidiviste en fuite, qui a profité de son métier de faiseur d'images pour perpétrer ses prédations, qui n'a effectué qu'une quarantaine de jours de prison pour viol sur mineur et toujours recherché par la justice :
Citer
Et personnellement, j'ai beaucoup de mal à l'idée que mon argent aille dans la poche de quelqu'un qui viole (...)


Avec l'audace (le mauvais goût) de sortir un film qui s'intitule « j'accuse » !
Si cet homme avait violé un membre de ta famille, tu irais lui donner ton argent, faire sa promotion et t'extasier devant ses œuvres ? Un tel homme ne mérite que l'ombre. La lumière pour les dignes qui en ont besoin. Combien de bonnes gens dans l'ombre sur cette planète ? Combien de minables rassasiés, rincés, illuminés par le fanatisme, la fascination et l'acceptation des foules ?

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je pense qu'on ne doit juger une œuvre d'art d'après la vie ou ce que l'on croit connaitre de la vie de l'artiste
Il n'est jamais inutile de connaître le contexte pour comprendre une œuvre (vie de l'artisan et époque). Les historiens et les anthropologues diraient même qu'on ne peut pas (vraiment ou facilement) comprendre une œuvre sans ces informations. Ils ont certainement raison étant donné le caractère culturel de « l'art ».

Citer
D'ailleurs tu ne seras pas toute seule. A fin novembre, le film était en deuxième position avec environ 900.000 entrées
bad buzz = buzz quand même


Ton pour ton. Je me contente de commenter les commentaires, c'est le seul objet qui m'intéresse ici, n'ayant pas vu le film et ne le verrant jamais.
« Modifié: 19 décembre 2019 à 02:08:35 par Loup-Taciturne »
« Suis-je moi ?
Suis-je là-bas, suis-je là ?
Dans tout "toi", il y a moi
Je suis toi. Point d'exil
Si je suis toi. Point d'exil
Si tu es mon moi. Et point
Si la mer et le désert sont
La chanson du voyageur au voyageur
Je ne reviendrai pas comme je suis parti
Ne reviendrai pas, même furtivement »

Hors ligne Milora

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Re : Re : J'ACCUSE (Roman Polanski)
« Réponse #10 le: 23 décembre 2019 à 14:28:42 »
Je voulais pas réagir... Mais je suis faible  ><

Il y a des choses qu’il faut comprendre en matière d'Histoire. L'une de ces choses est qu'il n'y a pas de réalité historique. L'Histoire rapportée par les historiens est toujours affectée de la sensibilité de celui qui la rapporte. L'histoire racontée par Tite-Live n'est pas la même que celle de Suétone. L'Histoire de France racontée par Michelet n'est pas celle que raconte un historien anglais ou allemand. Il y a donc toujours un biais, de bonne ou de mauvaise foi.
ça prendre un long post et beaucoup de temps de revenir sur la "subjectivité" des historiens et sur la différence entre analyse historique et invention, alors je vais laisser tomber avant même de me lancer dedans, mais juste... Tite-Live et Suétone ne sont pas des historiens (au sens actuel du terme, c'est-à-dire de chercheur qui applique une analyse méthodique d'éléments du passé). Ce sont des sources (= les documents d'époque qu'analysent les historiens). C'est justement par l'analyse critique et comparée des sources que les historiens construisent leurs travaux. Michelet, à son époque, essayait d'avoir une démarche d'historien mais il est très très daté, il a écrit avant que l'histoire ne se formalise réellement comme science (humaine) avec ses méthodes et sa rationalité. Il n'est plus vraiment utilisé comme historien, mais lui aussi le plu souvent comme source pour comprendre l'époque où il a écrit.
Là c'est un peu comme si tu disais que l'astrophysique n'est qu'un amas d'avis subjectifs, étant donné que Philip K. Dick et Jules Verne ne sont pas d'accord  :/


Et

Histoire de...
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Il y a des choses qu’il faut comprendre en matière d'Histoire. L'une de ces choses est qu'il n'y a pas de réalité historique.
L'autre, aussi importante sinon plus, est qu'il y a des faits historiques incontestables, des sources écrites, des archives archéologiques et des méthodes d'investigation qui permettent l'objectivation et qui permettent différents éclairages (non arbitraires) des réalités historiques.
Faire croire que l'Histoire sort de la tête des historiens est au mieux une méconnaissance parfaite de la science historique et des progrès qu'elle a fait depuis l'antiquité jusqu'au successeurs de l’École des Annales, au pire une malhonnêteté. De même que laisser penser que le scepticisme et l'humilité méthodologiques des historiens contemporains permettent un relativisme absolu des points de vu sur les réalités historiques.
La démarche critique n'ouvre pas pour autant droit à toute vérité et contre vérité. En matière d'histoire comme en bien d'autres.

Merci  :coeur:


Je conseille la chaîne Youtube On va faire cours qui, en plus d'être drôle, est super pertinente pour le rapport histoire/cinéma (c'est des analyses de la représentation des thèmes historiques dans les films).

Sinon, j'ai pas vu le film  :noange:
Il ne faut jamais remettre à demain ce que tu peux faire après-demain.

Hors ligne Champdefaye

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Re : J'ACCUSE (Roman Polanski)
« Réponse #11 le: 23 décembre 2019 à 21:05:50 »
Bonsoir Milora
Il est inexact de limiter le rôle de Tite-Live ou de Suétone à celui de sources, d'abord parce qu'ils n'ont pas vécu les époques qu'ils relatent et donc n'en ont pas été témoins.
Tite-Live ( 59 av.JC, 17ap.JC) a raconté dans une œuvre colossale en partie disparue l'Histoire de Rome depuis sa fondation (env. 750 av.JC) jusqu'à l'empereur Auguste.
Suétone (70 ap.JC, 122) a notamment raconté la "Vie des Douze Césars" sur environ 200 ans, en commençant par Jules César né en 100 av.JC.
Ce sont tous les deux des historiens véritables, avec en plus quelques qualités de philosophe (comme de nos jours Jerphagnon par exemple) qui, disposant des moyens de leurs époques, ont analysé, critiqué et confronté les éléments à leur disposition.
Dire qu'ils ne sont pas historiens parce que les moyens qu'ils utilisaient à leur époque étaient antiques (comment aurait-il pu en être autrement), c'est comme si tu disais que ni Archimède ni Pascal n'étaient des savants parce qu'ils ne connaissaient pas la physique quantique.

On a reproché à nos deux Romains précités d'avoir écrit l'Histoire que voulait entendre l'un l'empereur Auguste et l'autre l'empereur Hadrien. Michelet était ni plus ni moins historien que Suétone et Tite-Live, et comme eux, il a pratiqué la recherche et la confrontation des sources et des récits d'évènements, mais comme eux, il en a tiré une histoire morale, une histoire officielle. C'est du moins ce qu'on dit, mais je n'ai jamais lu Michelet. Cette remarque juste pour montrer que l'Histoire peut être orientée

Certes, avec les siècles, les méthodes scientifiques ont fait des progrès et nos historiens d'aujourd'hui arrivent désormais à s'extraire de toute pensée personnelle, mais c'est une sorte d'arrogance dont ont souffert de tous temps les générations contemporaines que de considérer avec condescendance les générations antérieures comme balbutiantes, sans méthode et pourquoi pas corrompues et de croire que si elles avaient fait des découvertes, c'était plus par hasard que par recherche et obstination. Tout le monde sait bien qu'Archimède a découvert la pression hydraulique en prenant un bain et Newton la gravité en faisant une sieste dans un verger. Heureusement qu'il ne dormait pas sur la plage.

Citer
Là c'est un peu comme si tu disais que l'astrophysique n'est qu'un amas d'avis subjectifs, étant donné que Philip K. Dick et Jules Verne ne sont pas d'accord 
Malgré tout le respect que je dois à Jules Verne et le bénéfice du doute que je laisse à Philip K.Dick, que je ne connais pas plus que ça, je peux dire que ce ne sont pas des scientifiques mais des romanciers. Ce qu'ils peuvent avoir écrit sur l'astrophysique peut-être passionnant sur le plan romanesque, mais quel rapport avec la vérité scientifique ?

Le jeune Loup Taciturne m'a assommé de vérités premières avec son affirmation péremptoire de l'existence de faits historiques, affectant de me contredire sur ce point non sans me traiter au passage, c'est son habitude, au mieux d'ignorant et au pire de malhonnête. Comment pourrait-on nier, sauf par pure réthorique, qu'il existe des faits historiques ? Comment nier également qu'il peut exister plusieurs façons de les lier les uns aux autres et, par conséquent d'en présenter des explications rationnelles différentes et donc une "histoire différente".
Ce que j'ai dit plus haut de la querelle (bien douce) radiophonique entre deux historiens spécialistes de la période sur l'importance ou les motivations de Picquart dans l'affaire Dreyfus en est une des preuves : deux historiens probablement honnêtes et convaincus de positions opposées.

Ce que j'ai seulement dit dans ma critique du film J'ACCUSE, c'est que le fait que le récit mette plus en valeur le rôle de Picquart que celui de la famille Dreyfus (ce qui est l'opinion de certains, fondée ou pas je n'en sais rien, mais peu importe) est finalement de peu d'importance sur le plan cinéma. D'ailleurs, dans la résolution de cette affaire, qui pourrait peser les poids respectifs exacts des interventions de Picquart, du frère de Dreyfus, de Zola, de Clémenceau. Ça présenterait probablement un intérêt dans une thèse, mais pas dans un roman ou dans un film. Le roman s'appelle "D" et le film s'appelle "J'ACCUSE", pas "L'affaire Dreyfus". Ce sont respectivement un roman historique et un film historique, c’est-à-dire se situant dans un cadre historique, mais ne prétendant pas à une rigueur totale.
Peut-on croire vraiment, par exemple, que Guerre et Paix soit une relation exacte de la campagne de Russie ?

Le seul argument valable que j'aie pu lire ici contre le film vient d'Ocubrea :
Citer
Je pars du principe que dans le monde actuel, notre influence sur la société est avant tout dictée par la manière dont nous "consommons" (...) j'ai beaucoup de mal à l'idée que mon argent aille dans la poche de quelqu'un qui viole les principes fondamentaux auxquels je crois"
. C'est une argumentation que je n'adopte pas mais que je considère comme tout à fait recevable.
« Modifié: 23 décembre 2019 à 21:09:10 par Champdefaye »

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Re : J'ACCUSE (Roman Polanski)
« Réponse #12 le: 23 décembre 2019 à 21:55:22 »
Bonjour tout le monde,


Alors, je me permets d'ajouter un détail afin de rappeler le droit à l'esprit critique dont aucune violence ne légitime l'interdiction.


Je voulais pas réagir... Mais je suis faible  ><

Il y a des choses qu’il faut comprendre en matière d'Histoire. L'une de ces choses est qu'il n'y a pas de réalité historique. L'Histoire rapportée par les historiens est toujours affectée de la sensibilité de celui qui la rapporte. L'histoire racontée par Tite-Live n'est pas la même que celle de Suétone. L'Histoire de France racontée par Michelet n'est pas celle que raconte un historien anglais ou allemand. Il y a donc toujours un biais, de bonne ou de mauvaise foi.
ça prendre un long post et beaucoup de temps de revenir sur la "subjectivité" des historiens et sur la différence entre analyse historique et invention, alors je vais laisser tomber avant même de me lancer dedans, mais juste... Tite-Live et Suétone ne sont pas des historiens (au sens actuel du terme, c'est-à-dire de chercheur qui applique une analyse méthodique d'éléments du passé). Ce sont des sources (= les documents d'époque qu'analysent les historiens). C'est justement par l'analyse critique et comparée des sources que les historiens construisent leurs travaux. Michelet, à son époque, essayait d'avoir une démarche d'historien mais il est très très daté, il a écrit avant que l'histoire ne se formalise réellement comme science (humaine) avec ses méthodes et sa rationalité. Il n'est plus vraiment utilisé comme historien, mais lui aussi le plu souvent comme source pour comprendre l'époque où il a écrit.

En vérité, ce que tu n'as pas encore compris, Milora, et qui pourtant reste fondamental pour comprendre le Cycle de l'Histoire, c'est que chaque historienne & historien fait une remise en question des précédentes lectures de l'histoire, et ce depuis bien longtemps.


Il est normal – et raisonnable – de remettre en question les anciennes méthodes des précédents historiens (afin d'en proposer des plus actuelles), sans quoi il n'est pas utile de « réécrire l'histoire » (de lui apporter un nouvel angle de lecture, de nouvelles clarifications, de nouveaux débats).

Cependant, cela signifie que : les historiens qui travailleront dans quatre cents ans sur l'affaire Dreyfus (si jamais le sujet intéresse toujours des gens dans quatre cents ans), il sera évidemment raisonnable de leur part de remettre en question l'actuelle lecture que nous avons de cette fameuse affaire. Toute lecture historique est questionnée, retravaillée, vérifiée, revérifiée et re-revérifiée, et ceci bien des années après quelque « découverte scientifique » que ce soit.


Ainsi, comme le fait Champdefaye, souligner le fait que la lecture politique d'une affaire judiciaire ne fasse pas l'unanimité me semble tout à fait honnête, non pas dans le sens de la lecture du film, mais dans le sens de la lecture d'un événement historique qui marque nos repères actuels ; nous n'avons pas la même lecture des différentes affaires politiques selon le point de vue que nous empruntons (sans compter l'influence de Zola sur notre lecture de cette affaire Dreyfus ; dans six cents ans, il est probable que des historienne & historiens remettront en question la confiance naturelle que nous accordons aujourd'hui à Zola, c'est le cours des choses que de remettre en question les écrits du passé).

Comme toutes les affaires politiques, il existe une multitude de réinterprétations d'un même événement, il est normal que nous ne demandions pas à des individus lambda d'assurer le travail que réalisent habituellement les historiens tant que ces individus lambda assument explicitement ne pas détenir une vérité historique (qu'ils ne prétendent pas détenir une vérité qu'ils n'ont pas les moyens de vérifier).

Pour l'occasion, je remercie chaleureusement Champdefaye d'avoir pris le soin de souligner qu'il n'est pas historien et qu'il n'a pas vocation à imposer à autrui une certaine lecture de l'histoire, je me rends compte à quel point c'était nécessaire, y compris dans une discussion qui avait pourtant l'air tout à fait anodin...


Chacune & chacun est en droit de garder un esprit critique sur une certaine lecture de l'histoire, notamment en ce qui concerne une affaire politique d'une brûlante actualité.


Voici ce que je pouvais préciser sur le sujet historique.
« Modifié: 23 décembre 2019 à 21:57:30 par Alan Tréard »
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Re : Re : J'ACCUSE (Roman Polanski)
« Réponse #13 le: 23 décembre 2019 à 23:54:20 »

Je voulais pas réagir... Mais je suis faible  ><

Il y a des choses qu’il faut comprendre en matière d'Histoire. L'une de ces choses est qu'il n'y a pas de réalité historique. L'Histoire rapportée par les historiens est toujours affectée de la sensibilité de celui qui la rapporte. L'histoire racontée par Tite-Live n'est pas la même que celle de Suétone. L'Histoire de France racontée par Michelet n'est pas celle que raconte un historien anglais ou allemand. Il y a donc toujours un biais, de bonne ou de mauvaise foi.
ça prendre un long post et beaucoup de temps de revenir sur la "subjectivité" des historiens et sur la différence entre analyse historique et invention, alors je vais laisser tomber avant même de me lancer dedans, mais juste... Tite-Live et Suétone ne sont pas des historiens (au sens actuel du terme, c'est-à-dire de chercheur qui applique une analyse méthodique d'éléments du passé). Ce sont des sources (= les documents d'époque qu'analysent les historiens). C'est justement par l'analyse critique et comparée des sources que les historiens construisent leurs travaux. Michelet, à son époque, essayait d'avoir une démarche d'historien mais il est très très daté, il a écrit avant que l'histoire ne se formalise réellement comme science (humaine) avec ses méthodes et sa rationalité. Il n'est plus vraiment utilisé comme historien, mais lui aussi le plu souvent comme source pour comprendre l'époque où il a écrit.

En vérité, ce que tu n'as pas encore compris, Milora, et qui pourtant reste fondamental pour comprendre le Cycle de l'Histoire, c'est que chaque historienne & historien fait une remise en question des précédentes lectures de l'histoire, et ce depuis bien longtemps.

Hm, je pense l'avoir compris, Alan, étant donné que je suis historienne :P (de profession, s'entend). Et chaque historien s'appuie surtout sur toute une méthodologie et un appareil critique (= le recours aux travaux des collègues, présents et passés), pour éventuellement remettre en cause les interprétations sur lesquelles il a trouvé de nouveaux éléments. C'est pas la même chose que "chaque historien invente sa propre interprétation et on fait dire à l'histoire tout ce qu'on veut" - qui semblait clairement sous-entendu à d'autres moments de la conversation.

Mais je vais pas m'engager dans un débat sans fin

Juste, Champdefay, une source n'est pas nécessairement produite à l'époque dont elle parle. Elle est alors à utiliser avec les précautions de rigueur pour les périodes que l'auteur n'a pas connues (il faut notamment regarder comment l'auteur a collecté l'information - parfois à partir de documents perdus depuis dont il est la seule trace, etc. - sans compter que le document éclaire aussi la conception que les gens de l'époque où il a été créé se faisaient de l'époque dont parle ladite source)
Quand je dis que ce ne sont pas des historiens, ça n'est pas qu'ils n'ont voulu avoir une démarche "historique" (essayer de savoir ce qui s'était passé avant eux). Mais ils n'avaient pas les méthodes critiques qui font de l'histoire une science (humaine), comme disait Loup Taciturne quand il citait l'Ecole des Annales et tout ça. Ils n'appartiennent pas à l'appareil critique constitué par les historiens (l'historiographie).

M'enfin je passe assez de temps à expliquer ce genre de choses à mes étudiants, j'ai honnêtement pas l'énergie de me lancer dans un débat sans fin sur la question. Je pouvais juste pas laisser écrire des choses fausses sans réagir. Au lecteur de se fil de se faire sa propre opinion s'il le veut.

Et comme c'est mal, une modo qui floode, je me tape sur les doigts à moi même : "Milora, merci d'arrêter de flooder et de rendre à ce fil sa fonction première : parler du film !" :mrgreen:
Il ne faut jamais remettre à demain ce que tu peux faire après-demain.

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Re : J'ACCUSE (Roman Polanski)
« Réponse #14 le: 24 décembre 2019 à 00:02:17 »
M'enfin je passe assez de temps à expliquer ce genre de choses à mes étudiants, j'ai honnêtement pas l'énergie de me lancer dans un débat sans fin sur la question. Je pouvais juste pas laisser écrire des choses fausses sans réagir. Au lecteur de se fil de se faire sa propre opinion s'il le veut.

D'accord, je te remercie sincèrement pour cette clarification, je suis rassuré de voir que l'esprit critique reste un droit vis à vis d'une lecture de l'histoire, notamment sur des sujets aussi polémiques que ceux de l'antisémitisme, de la mémoire politique ou des actuelles méthodes de travail au sein des universités.
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